Catalogne : Sauver l’honneur de l’Espagne. Et de l’Europe.

[Je me permets de dédier ces modestes réflexions à Battitta, récemment disparu, « Siset » (cf. vidéo finale) qui, parmi d’autres, m’a aidé à approfondir ce sujet et à mieux  en percevoir les enjeux. Milesker Battitta. Laster arte!]

Puisque nous sommes dans le Wiederholungzwang – la pulsion névrotique de répétition (cf. post précédent) – en voilà encore un exemple :

Le Roi de Castille et sa cour, tels qu’ils ont été restaurés par le Régent Franco, font désormais donner leurs troupes – la Guardia Civil en l’occurrence – pour faire rentrer dans le rang les Segadors factieux de Catalogne. Bien triste répétition d’autres répétitions…

(Suite à la révolte de 1640 contre le centralisme castillan, Pau Claris proclame, dès 1641, la première République Catalane. En souvenir de cet épisode, l’hymne national catalan porte le nom des révoltés : Els Segadors, « les faucheurs »).
https://www.youtube.com/watch?v=ntjDJmFp04M

Point n’est besoin d’évoquer la longue histoire par laquelle la Catalogne fut par étapes assujettie au pouvoir castillan, et les innombrables humiliations et persécutions subies jusqu’à nos jours (pour se limiter au siècle passé : interdiction de la langue catalane par Franco, exécution du président Lluís Companys par les fascistes, etc., etc.) auxquelles a donné lieu cet assujettissement, en dépit d’une permanente résistance. Une documentation considérable existe sur le sujet.

Mais convenons-en une fois pour toutes : qu’on le veuille ou non, l’identité catalane demeure un fait, une indéniable réalité que les vicissitudes historiques n’ont pu réduire. La vidéo ci-dessus en est un témoignage particulièrement éloquent. Et pas plus que jadis, ceux qui s’y essaieront n’y parviendront. Et ils seront loin d’avoir le beau rôle !

Et convenons-en aussi : à l’évidence, depuis l’union dynastique de l’Aragon et de la Castille en 1479, étape clef de la naissance de « l’Espagne » qui vit l’unification du royaume du fait de l’alliance d’Isabelle et de Ferdinand, le mariage entre la Castille et la Catalogne n’a jamais été vraiment consommé.

« Ratum sed non consummatum » : me rappelle à point nommé Stultitia, qui connaît le droit canonique sur le bout des doigts. « Il s’agit là d’une clause de nullité, et donc d’annulation de mariage ».

[correctif 22/09: voilà que je prends Stultitia en faute. C’est rare! Car la « non consommation » d’un mariage « ratifié » constitue en fait en droit canonique une clause de « dispense », et non de nullité. Mais cette nuance byzantine ne modifie rien en ce qui concerne la séparation du couple, possible dans les deux cas].

Ce blog n’est certes pas le lieu adéquat pour proposer une procédure de divorce. Mais il faut bien admettre que, lorsque 70% d’une population, sans présumer du résultat, estime légitime la tenue d’un référendum sur le sujet, il faut pour le moins reconnaître que la question se pose…
http://www.la-croix.com/Monde/Europe/arrestations-embrasent-Catalogne-2017-09-20-1200878367?from_univers=lacroix

Sans doute, dira-t-on, il faut aussi accorder, tout à l’honneur des gouvernements du post-franquisme, que des avancées considérables ont eu lieu en ce qui concerne la reconnaissance de la diversité « des Espagnes » et la mise en place de statuts d’autonomie, dont la Catalogne fut largement bénéficiaire.

Hélas, on le sait, ces avancées réelles poursuivies en particulier par le gouvernement Zapatero, se sont vues contrebalancées dans l’actualité récente par leur annulation partielle en 2010 et des régressions étonnantes, en particulier en ce qui concerne l’autonomie fiscale promise (alors que l’article 157.3 de la Constitution prévoit que certaines communautés autonomes puissent lever elles-mêmes leurs propres impôts, ceux de la Catalogne continuent de relever de l’Administration centrale espagnole).
http://www.lemonde.fr/europe/article/2017/09/18/catalogne-on-est-dans-une-logique-de-fuite-en-avant-des-deux-cotes_5187385_3214.html

Pour ne pas parler de déclarations ô combien subtiles de ministres de gouvernements Rajoy (José Ignacio Wert, etc.) promettant entre autres d’ “espagnoliser les catalans”, initiative s’inscrivant dans la plus pure tradition discriminatoire d’un franquisme qui a souvent bien du mal à disparaître des esprits.

Sans doute l’une des importantes avancées sociétales occidentales a été la dédramatisation du divorce. Lorsque des conjoints ne s’entendent plus, on peut envisager des séparations à l’amiable qui ne sont pas nécessairement des ruptures violentes.

Mais il semble que la Castille, qui reste en cela très catholique à l’image de ses souverains fondateurs, préfère s’arc-bouter sur l’indissolubilité du mariage…

« Et pourtant, le « ratum sed non consummatum » relève du droit canon catholique. Cela ne devrait donc pas faire difficulté », ajoute Stultitia la savante. En effet.

Car, malgré le « désastre » durement ressenti de la perte de l’Empire colonial, scellée en 1898 par la guerre hispano-américaine et le traité de Paris, l’Espagne a montré qu’elle est capable de reconstruire son «identité narrative » en l’absence de cet élément constitutif qui fut pourtant central pour elle pendant des siècles.

Un divorce, une séparation, aussi pénibles soient-ils, ne signifient donc pas nécessairement la fin d’une histoire (ou d’une Histoire). Ils peuvent (et doivent) s’inscrire dans la perspective d’une « reconfiguration » du récit – selon des expressions empruntées à Paul Ricoeur – propre à impulser une nouvelle dynamique.

Pas plus l’ethnogenèse que le processus de constitution des nations ne se fixent en des figures statiques et intangibles : la perte d’un empire colonial peut-être une libération, pour les ex-colonies bien sûr, mais aussi pour les nations colonisatrices elles-mêmes, qui peuvent désormais nouer avec des peuples jadis humiliés des relations plus saines et franches, plus respectueuses, des relations d’égal à égal. Et cela se vérifie y compris au niveau économique.

Il n’est pas interdit de réussir un divorce. Mais la violence exercée par l’une des parties risque à l’évidence de rendre les choses plus difficiles.

Pourquoi ne pas concevoir cependant, dans le cas des rapports de la Castille et de la Catalogne, qu’une situation quasi-coloniale, marquée par une permanence de la violence sous des formes variables au cours de l’Histoire – violence militaire, policière, institutionnelle – de la part d’un État nationaliste, puisse évoluer vers une pacification par une résolution à l’amiable ?

[Précision importante : quand je parle de « nationalisme », je comprends bien sûr le terme dans le sens que lui donne de façon relativement consensuelle la philosophie politique, en le distinguant du patriotisme : en ce sens le nationalisme consiste à vouloir édifier sa propre nation et sa propre culture au-dessus des autres, et à les développer au détriment des autres. Les États nationalistes auxquels je fais allusion ici sont ceux qui, comme « l’Espagne » castillane, ont prétendu ou prétendent encore « espagnoliser » les catalans, basques ou galiciens, tout comme ceux qui prétendent « franciser » les bretons ou siniser les tibétains, etc. C’est donc aussi la résistance à ce type de normalisation linguistique, culturelle, politique, etc. qui prend légitimement le nom de patriotisme.
Hélas, ces États nationalistes, prisonniers d’un « habitus » multiséculaire de déni de leur comportement réel, pratiquent généralement une omerta politique, médiatique, philosophique, etc. et qualifient de « nationalistes » les peuples qui manifestent, eux, une revendication authentiquement patriotique. Classique renversement des responsabilités. Pour la majorité des médias « espagnols » – mais aussi français, qui partagent le même « habitus » – c’est bien entendu les catalans, les basques etc. qui sont qualifiés de « nationalistes », avec une évidente connotation négative, voire criminelle. Alors que l’Histoire montre sans équivoque que c’est la Castille qui a toujours cherché à imposer sa langue et ses institutions, y compris par la violence et la persécution, et jamais l’inverse. Qui soutiendra en effet qu’il a un jour entendu un catalan affirmer qu’il fallait « catalaniser » Madrid ?)].

Mais ce ne sont certes pas les dernières opérations policières qui permettront ce genre de résolution.

Pourtant, une nation comme l’Angleterre, confrontée à une situation proche, a fait montre d’un courage qui l’honore en acceptant en 2014 d’autoriser un référendum d’indépendance par lequel les écossais devaient se prononcer sur l’avenir de ce qu’ils perçoivent légitimement comme étant leur nation.

Le refus de ce genre d’autorisation de la part du gouvernement Rajoy n’est donc absolument pas une fatalité, même s’il risque hélas de constituer désormais un exemple pour l’actuelle première ministre Thérésa May, qui semble plutôt portée sur la manière dure.

Il faut hélas craindre que, du côté espagnol comme du côté anglais, le fait de dénier, par l’utilisation de la violence institutionnelle et policière, à des peuples fortement mobilisés toute possibilité d’auto-détermination, constitue une grave provocation qui risque de ne pas rester sans conséquences. Car on ne peut sans risque s’opposer à la volonté exprimée par des millions de personnes.

Il en va de la dignité de l’Espagne et de l’Angleterre, comme le comprennent d’ailleurs fort bien des partis à l’audience non négligeable (Podemos, Izquierda unida, etc. pour l’Espagne, qui refusent de cautionner les agissements nationalistes de Rajoy). Ces nations, et bien d’autres, s’honoreraient en reconnaissant les droits légitimes de peuples qu’ils ont minorisés, plutôt que de continuer à leur manifester leur mépris en utilisant la seule répression judiciaire et policière.

Ajoutons qu’il en va aussi sans doute de l’honneur de l’Europe.

Le spectre d’un « éclatement » de celle-ci, si souvent agité, est en effet totalement disproportionné : hormis une minorité infime à l’extrême gauche (d’ailleurs proche des opinions développées par des partis qui se présentent en France comme « la seule opposition ferme »…), l’immense majorité des catalans est résolument pro-européenne. Tout comme la majorité des écossais, dont la sécession pourrait d’ailleurs constituer, après le « brexit », une aubaine pour l’Europe.

Certes, comme l’a déclaré la Commission européenne, le référendum catalan « est d’ordre constitutionnel interne à l’Espagne ». Il n’appartient pas aux instances européennes de décider à la place des États ; mais Jean Claude Juncker, tout en rappelant le droit européen, n’en convient pas moins qu’ « il est évident que si un oui à l’indépendance de la Catalogne voyait le jour, nous respecterions ce choix ».
https://www.youtube.com/watch?time_continue=3&v=JcylrPxCXGM
https://www.euractiv.fr/section/politique/news/catalonian-independence-juncker-ventures-into-unchartered-waters/

Dans un contexte où l’euroscepticisme constitue une réelle menace, serait-il en effet cohérent de multiplier les difficultés à des entités (l’Écosse, la Catalogne) qui, outre leur puissance économique non négligeable, revendiquent résolument leur appartenance à l’Europe ?

On peut raisonnablement prévoir que leur réintégration serait facilitée, moyennant le recours à quelques dispositions juridiques adéquates (cf. dans l’article mentionné ci-dessus, le principe d’intégration des « États successeurs », qui permettrait « d’hériter » d’une adhésion précédente).

La situation ne relèverait donc pas du tragique que se plaisent à dépeindre ceux qui instrumentalisent la terreur de « l’éclatement », dans le but manifeste de sauvegarder un statu quo qui fait l’affaire des États centralisateurs.

Rappelons que le changement de statut de l’Écosse ou de la Catalogne exige la majorité à un référendum, ce qui limite tout de même largement le nombre des candidats potentiels. Il y aura bien sûr des candidats plausibles et légitimes, mais il est peu probable que la Savoie ou la Picardie empruntent cette voie dans l’immédiat…

Ajoutons que la question est avant tout celle de la cohérence éthique et du respect de la démocratie : l’Europe, qui se plait à faire la leçon à des États faisant peu de cas du droit de leurs « minorités » (cf. la Turquie, par exemple), s’honorerait aussi en montrant la voie d’une résolution non-violente et courageuse de la question posée par ses propres peuples minorisés.

La capacité à reconnaître la légitimité de leurs aspirations tout en leur conférant un statut en son sein pourrait constituer en outre un séduisant défi à relever, largement à sa portée, et revêtir une valeur d’exemplarité à même de redorer un blason terni par l’absence de projets autres que trivialement économiques.

Car si l’Europe ne s’engage pas dans cette voie, qui donc le fera ?

La reconnaissance des droits du peuple tibétain risque en effet de faire long feu si les autorités chinoises, à l’exemple de M. Rajoy, considèrent que seul le peuple chinois dans son ensemble est apte à décider « démocratiquement » du sort des populations que la Chine a rendues minoritaires…

Espérons donc que l’actuel gouvernement espagnol ne réveille pas, une fois de plus, par son recours à la « violence première » institutionnelle et policière, cette « violence seconde », réactive, dont l’Espagne a trop souvent fait les frais.

Pas plus que d’autres, les catalans ne le souhaitent.

Depuis longtemps, en dépit des provocations et des humiliations des « gens orgueilleux et superbes », ils ont fait le choix de n’aiguiser la faux que dans leur hymne.

Mais, on le sait, on peut s’attendre en revanche à ce qu’ils tirent sans faiblir sur le pieu qui les attache, comme ils l’ont toujours fait. Et il est certain qu’ils ne s’arrêteront pas avant de l’avoir fait tomber.
https://www.youtube.com/watch?v=2wRqbwHS4Hs
https://www.lacoccinelle.net/261857.html

Il en va donc des intérêts aussi bien que de l’honneur du peuple « espagnol » et de ses gouvernants de reconnaître enfin sans équivoque, dans la justice et la paix, la force de ce droit.

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Ajout du 22/09:

Pour les abonnés, un entretien important, qui fait le point sur l’état de la question :

http://abonnes.lemonde.fr/europe/article/2017/09/22/carles-puigdemont-president-de-la-catalogne-nous-n-allons-pas-renoncer_5189331_3214.html

Et puisque « Le Monde » semble avoir du mal à valider mes commentaires sur le sujet, je reporte ici le second (le premier n’ayant pas eu l’heur de passer):

Bien étrange – mais peu surprenant – de constater comment l’ignorance ainsi qu’un « habitus » nationaliste bien ancré font que la majorité des commentaires ci-dessous [ceux qui suivent l’entretien avec M. Puigdemont] accusent en fait … les victimes, et exonèrent des opérations policières qui bafouent un état de droit démocratique.

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Et une « somme » qui devrait désormais faire référence, rédigée par quatre spécialistes reconnus du droit international (elle est hélas réservée pour le moment aux anglicistes):

https://www.unige.ch/gsi/files/9315/0461/7440/CATALONIAS_LEGITIMATE_RIGHT_DECIDE.pdf

Nicolas Levrat, directeur du Département de droit international public de l’Université de Genève, y affirme notamment que « les citoyens de pays démocratiques ont le droit de choisir le cadre politique dans lequel ils veulent vivre » .

  « La volonté des citoyens catalans de pouvoir décider eux-mêmes de leur futur politique et de la nature de leurs relations avec Madrid est légitime », résume-t-il. Le panel d’experts se base notamment sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, garanti par la charte des Nations unies et le Pacte sur les droits civils et politiques de 1966. Problème, il faut définir ce qu’est un « peuple » et là les interprétations juridiques divergent.

https://www.rts.ch/info/monde/8937106-en-catalogne-le-gouvernement-espagnol-joue-a-un-jeu-dangereux-.html

Rappelons toutefois qu’en 2006, le nouveau statut d’autonomie approuvé par le Parlement espagnol (« l’Estatut » en catalan) et validé par référendum en Catalogne reconnaissait la légitimité du terme « Nation » pour qualifier le peuple catalan.

C’est ce statut qui a été partiellement annulé de façon unilatérale en 2010 par le gouvernement Rajoy. [correctif du 05/11: en fait  l’Estatut a été rogné par le Tribunal Constitutionnel sur l’initiative du PP, alors dans l’opposition; Zapatero étant toujours président du gouvernement en 2010. Voir commentaire de EAT à mon post du 03/11].

 

Ajout du 24/09:

Une petite mise au point suite à une bonne vidéo du monde

http://abonnes.lemonde.fr/europe/video/2017/09/22/pourquoi-les-catalans-souhaitent-ils-etre-independants_5189999_3214.html

et à des accusation « d’égoïsme », de caprices de riches ou « d’enfant gâtés » (sic) qui « méprisent le reste des espagnols » récurrentes dans les commentaires (cf. ci dessus sur ce dernier point le rapport entre l’inexistante politique de « catalonisation des espagnols » versus les permanentes tentatives « d’espagnolisation des catalans ». « Y ‘a pas photo« , tout de même …  ):

L’argument récurrent de « l’égoïsme catalan » est ridicule et significatif du mépris dont souffrent les peuples minorisés. Ce  qu’ils refusent, c’est la confiscation par Madrid de leur souveraineté fiscale, tout comme la France refuserait que ses impôts soient gérés par Berlin. Leur revendication d’appartenance à l’Europe implique bien d’accepter pleinement de contribuer au budget de l’Union. Bruxelles plutôt que Madrid. « L’égoïsme » n’a donc rien à voir dans l’affaire, qui est avant tout politique.

Pour approfondir les questions de droit, une série de vidéos sur :

http://www.diplocat.cat/fr/index.php?option=com_content&view=article&id=139&catid=104&lang=fr&Itemid=242

Et encore:

https://vimeo.com/100200291

[ajout du 05/11: à ce jour, ces vidéos, qui contenaient diverses conférences relatives à la légitimité de l’indépendance de la Catalogne au regard du droit international, dont une journée d’étude organisée à l’IEP de Paris, ne sont plus disponibles.

C’est en fait l’ensemble du site diplocat.cat, site diplomatique de la Généralité de Catalogne, qui est désormais inaccessible sur le Web. Pour quelles raisons ? Censure de la part du gouvernement de Madrid ?]

 

8 commentaires sur “Catalogne : Sauver l’honneur de l’Espagne. Et de l’Europe.

  1. Très bonne synthèse ! On peut ajouter le cas de la Suisse où un « divorce à l’amiable » a permis la création du Jura, un état démocratique part de la Confédération Suisse à partir d’une séparation de Berne, un autre état suisse. Ce processus pour résoudre la question jurassienne a pris 80 ans (sept 1947 à sept 2017) et jamais Berne n’a demandé l’exclusion du futur Jura de la confédération suisse au contraire de Madrid qui s’oppose par avance à toute entrée d’un état européen nouveau comme l’Ecosse ou la Catalogne ou encore le Kosovo que Madrid n’a toujours pas reconnu

  2. Belle synthèse et pertinentes réflexions. Merci.

    Mais convenez qu’une séparation catalane de l’Espagne (que l’on ne saurait réduire à l’Aragon-Castille, tant la Catalogne constitue aussi maintenant cette Espagne, laquelle Espagne qui, sans Catalogne, ne serait plus l’Espagne), séparation ou indépendance qui ne serait validée que par un peu plus de la moitié du peuple (catalan) appelé à se prononcer ne serait pas un bon gage de dynamique socio-politique ou de paix civile ultérieure.

    Admettez aussi que les Catalans qui se sépareraient maintenant de l’Espagne ne créeraient pas seulement un Etat catalan mais déferaient de fait l’Etat espagnol tel qu’il existe depuis des générations. Or peut-on admettre que ne soit pas gravement problématique la sécession d’un membre qui de fait s’amputant d’un organisme précédent mettrait fin tel quel à cet organisme même ?

  3. Bonsoir,

    Je suis encore désolé, mais je ne vois pas le problème. Le Portugal aurait pu être agrégé au Royaume d’Espagne. Il ne l’a pas été et a construit une autre Histoire, qui a ses grandeurs et ses petitesses, comme toute Histoire.

    Si la Catalogne devient catalane (et si l’Espagne n’a pas l’imbécillité et la violence de l’entourer de frontières barbelées et de la pousser contre son gré en dehors de l’Europe), on viendra en Catalogne comme on passe au Portugal, sans s’en apercevoir. Et Catalogne et Espagne poursuivront leur Histoire, en bonne entente si elles le désirent, même si les tensions habituelles qui caractérisent les rapports entre nations comme entre régions ne disparaîtront pas pour autant, bien entendu. Ni plus, ni moins. La situation n’a rien de tragique. Du moins si les violents qui refusent toute solution à l’amiable ne s’évertuent pas à la rendre telle.
    L’Espagne s’est « défaite » lors du Trait de Paris en 1898, « désastre » qui consacrait la perte de ses colonies.

    Pour moi qui la connais bien, elle n’en a été que plus grande.
    Elle a maintenant des rapports apaisés, plus justes et respectueux, avec la plupart de ses ex-colonies.

    Et je pense sincèrement qu’elle se montrerait plus grande encore si elle prenait l’initiative de résoudre le « problème catalan » (qui, encore une fois, n’est jamais que son problème à elle…) de façon dialoguée et négociée.

    L’actuel imbroglio kafkaïen dont l’intransigeance de ses dirigeants est la seule cause la déshonore.

  4. Bonjour, ô mon désir d’échange du jour,

    Si vous ne voyez pas où serait le problème d’une Catalogne se séparant de l’Espagne, il semblerait que beaucoup de régions espagnoles, moins riches que la Catalogne, verraient certains problèmes à ce que leur budget ne bénéficie plus de la contribution que la Catalogne porte à l’Espagne.

    Sur la forme, le comportement politico-médiatique des (ir)responsables tant calatans qu’espagnols a été à juste titre dénoncé. Ici, l’intransigeance des uns, la provocation intempestive des autres, là.

    Il est de nobles, nécessaires et légitimes Résistances face aux rapport de forces qu’ont pu établir des événements historiques (traité de paix, armistice, etc.), mais il est des rébellions (= des reprises de guerre après soumission, armistice ou traité), si légitimes et compréhensibles, fussent-elles, qui ont conduit des peuples à de mortelles tragédies.

    Est-on aussi légitime à dénoncer une constitution (celle de 1978) très largement validée par les divers ‘peuples’ consultés instaurant la démocratie en Espagne qu’il fut préalablement légitime de se rebeller contre la dictature franquiste ?

    Dialoguer est toujours utile et peut-être bénéfique, surtout si l’on peut avoir l’impression de déboucher sur un sentiment de gagnant-gagnant. Mais en politique, il faut au bout du dialogue une décision, laquelle ne pouvant pas toujours être gagnant gagnant pour tout le monde entraîne défaite (ou sentiment de) pour les uns et victoire pour les autres (du moins jusqu’aux prochaines élections… à moins de ‘rébellion’ antérieure)

    Ce qu’il faut juste espérer, en démocratie, c’est que ce soit d’une manière ou d’une autre par les urnes que cela se décide et non pas les armes, et toujours dans le cadre d’une commune Constitution préalablement admise et respectée.

    Pour le reste, l’histoire nous apprend que les drapeaux de vaillants et fiers engagements, tous légitimes aux yeux de ceux qui s’en mêlent mais aussi qui y sont parfois juste mêlés, finissent parfois en linceuls (qu’on se souvienne des journées de mai 1937 et de ce qui s’y passa, entre Barcelonais).

    Entre nous, comme le seul enjeu de notre dialogue est l’enrichissement mutuel, il ne peut évidemment que se vivre à gagnant-gagnant, n’est pas 🙂 ?

    Et je vous remercie, encore une fois vivement, de m’avoir permis l’accès à certaines pages remarquables du comte Lanza.
    Notamment à celles où il développe ses réflexions sur nationalisme, patriotisme, etc.

    http://comtelanza.canalblog.com/archives/2013/09/28/28107614.html

  5. Bonjour,

    Sur la question des « riches et des pauvres », bien qu’encore une fois ce soit un problème secondaire pour les peuples qui réclament leur indépendance, le problème essentiel ayant toujours été pour eux celui de la reconnaissance et de la dignité, je pense qu’il y a une grave carence de l’Europe. Aux États-Unis, qui sont pourtant loin d’être un modèle, 70% de l’impôt fédéral est redistribué des États riches vers les États pauvres. Ce qui explique que bien qu’il y ait chez eux une disparité de PIB comparable à celle qui a lieu en Europe entre l’Allemagne et la Grèce par exemple, une aberration de type grec est inconcevable aux USA.
    Évidemment, si Madrid choisit de mettre la Catalogne au ban de l’Europe derrière des barbelés, cela n’arrangera les affaires de personne, et surtout pas les négociations possibles. Car s’il y avait en Espagne des politiciens dignes de ce nom, on pourrait très bien concevoir au moins une phase de transition (cf. Nouvelle Calédonie, etc.) pendant laquelle serait préservée de façon négociée une solidarité fiscale. De plus encore, un régime fiscal comparable à ce que demandait la Catalogne existe déjà sans problème en Pays Basque par exemple. Il était rendu possible par l’Estatut de 2006, abrogé sur ce point à l’instigation du PP.
    La question n’est donc pas centrale et pourrait se régler de différentes manières, si on acceptait de discuter au lieu de faire donner la Guardia Civil et de mettre les gens en prison.
    Quant aux « rébellions qui conduisent des peuples à des mortelles tragédies« , il faut tout de même reconnaître que face à une revendication non-violente et démocratique, ce sont plutôt ceux qui emploient la dite Guardia Civil et la prison qui constituent des fauteurs de tragédie.
    Comme je l’ai dit plusieurs fois, la Constitution de 1978 est ouverte à l’interprétation. D’où le fait qu’elle ait permis entre autre les avancées de l’Estatut de 2006. Mais là encore, le fixisme légaliste et anti-démocratique des fauteurs de tragédie qui ne veulent pas entendre parler d’ouverture, mais ont toujours œuvré pour la fermeture est en grande partie à l’origine de la situation actuelle.
    Quant aux « journées de 1937 », elles n’ont rien à voir avec la question de l’indépendance. Elles sont la manifestation malheureuse de tensions internes qui peuvent avoir lieu dans tous les peuples et nations. Les émeutes des Croix de Feu, vers la même époque en France n’avaient rien à voir avec une quelconque revendication d’indépendance, que je sache. Comme celles de Barcelone, elles manifestaient le fait, aussi vieux que le monde, que des divergences d’idées, quelles qu’elles soient, peuvent amener à la violence. Le fait que cela se produisit en situation de guerre civile est aussi loin d’être indifférent.
    Et pour finir sur le « gagnant-gagnant »: depuis le début de ces tristes affaires, mon grand regret est que le gouvernement Rajoy, de par son intransigeance déraisonnable, ait favorisé une stratégie du « perdant-perdant », alors qu’il pouvait parfaitement en être autrement.

    Cordialement à vous.

  6. Merci de votre réponse et de la cohérence de votre argumentation, qu’on ne peut qu’approuver.

    Si j’ai évoqué les journées de mai 37, c’est parce que je suis sans doute un traumatisé de la vitesse avec laquelle des passions politiques de gens certains de détenir des vérités meilleures ou supérieures à celles d’autrui peuvent dégénérer en guerres civiles, où l’on se massacre avec enthousiasme entre compatriotes.

    J’ai aussi vécu de près la violence d’affrontements militants aussi oiseux que nocifs entre gens se pensant d’une gauche intelligente et généreuse.

    J’ai aussi vécu de près les petitesses et méchancetés de régionalistes – micronationalistes alsaciens qui ne m’ont pas semblé moins sottes ou odieuses dans leur xénophobie voire leur racisme que l’éventail de sottises nationalistes dont nous avons déjà parlé.

    Pour tout vous dire, je me sens souvent devenir de plus en plus un vieux con.

    Avec mes respects les plus sincères

  7. Bonsoir Claustaire,

    N’allez pas croire que je sois insensible à vos craintes concernant « les passions politiques de gens certains de détenir des vérités meilleures ou supérieures à celles d’autrui« .
    Je sais tout comme vous combien les revendications les plus légitimes peuvent rapidement dégénérer et se pervertir.
    Et si le fait d’être conscient de ce genre de choses suffit à définir le « vieux con », alors nous faisons partie du même club 😉 .
    Mais il me semble que l’un des moyens les plus efficaces pour prévenir ce genre de perversion est la reconnaissance du droit de chacun, quel qu’il soit, de l’état de droit démocratique, et le respect obstiné et vigilant de ces droits.
    Pour ma part, étant plutôt un homme du sud, sauf quelques excités archi minoritaires, je n’ai pas rencontré de « xénophobie » ou de « racisme micronationaliste » chez les militants représentant les « minorités » dans mes régions.
    Comme le montrent les textes que j’ai cités, et l’incroyable chauvinisme franco-français des litanies de commentaires chaque fois qu’un article paraît sur le sujet, ces réactions me paraissent plutôt caractériser les idéologues de la francitude.
    Mais je ne connais pas vraiment l’Alsace, qui représente un peu le Grand Nord pour moi. Peut-être les choses y sont elles différentes.

    Très cordialement à vous.

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