À titre de délassement, quelques extraits du magnifique « Essai sur l’art de ramper à l’usage des courtisans », du baron d’Holbach (Allia, Paris 2010).
« Il faut avouer qu’un animal si étrange est difficile à définir ; loin d’être reconnu des autres, il peut à peine se connaître lui-même ; cependant il paraît que, tout bien considéré, on peut le ranger dans la classe des hommes, avec cette différence néanmoins que les hommes ordinaires n’ont qu’une âme, au lieu que l’homme de Cour paraît sensiblement en avoir plu¬sieurs. En effet, un courtisan est tantôt insolent et tantôt bas ; tantôt de l’avarice la plus sordide et de l’avidité la plus insatiable, tantôt de la plus extrême prodigalité, tantôt de l’audace la plus décidée, tantôt de la plus honteuse lâcheté, tantôt de l’arrogance la plus impertinente, et tan¬tôt de la politesse la plus étudiée ; en un mot c’est un Protée, un Janus, ou plutôt un Dieu de l’Inde qu’on représente avec sept faces différentes. (p. 9-10)
(…)
Ce n’est que pour leur intérêt qu’un Monarque doit lever des impôts, faire la paix ou la guerre, imaginer mille inventions ingénieuses pour tourmenter et soutirer ses peuples. En échange de ces soins les courtisans reconnaissants payent le Monarque en complaisances, en assiduités, en flatteries, en bassesses, et le talent de troquer contre des grâces ces importantes marchandises est celui qui sans doute est le plus utile à la Cour (p.11).
(…)
Si nous examinons les choses sous ce point de vue, nous verrons que, de tous les arts, le plus difficile est celui de ramper. Cet art sublime est peut-être la plus mer¬veilleuse conquête de l’esprit humain. La nature a mis dans le cœur de tous les hommes un amour-propre, un orgueil, une fierté qui sont, de toutes les dispositions, les plus pénibles à vaincre. L’âme se révolte contre tout ce qui tend à la déprimer ; elle réagit avec vigueur toutes les fois qu’on la blesse dans cet endroit sensible ; et si de bonne heure on ne contracte l’habitude de combattre, de comprimer, d’écraser ce puissant ressort, il devient impossible de le maîtriser. C’est à quoi le courtisan s’exerce dans l’enfance, étude bien utile sans doute que toutes celles qu’on nous vante avec emphase, et qui annonce dans ceux qui ont acquis ainsi la faculté de subjuguer la nature une force dont très peu d’êtres se trouvent doués. C’est par ces efforts héroïques, ces combats, ces victoires qu’un habile courtisan se distingue et parvient à ce point d’insensibilité qui le mène au crédit, aux honneurs, à ces grandeurs qui font l’objet de l’envie de ses pareils et celui de l’admiration publique (p.13-14).
(…)
Un parfait courtisan est sans contredit le plus étonnant de tous les hommes. Ne nous parlez plus de l’abnégation des dévots pour la Divinité, l’abnégation véritable est celle d’un courtisan pour son maître ; voyez comme il s’anéantit en sa présence ! Il devient une pure machine, ou plutôt il n’est plus rien ; il attend de lui son être, il cherche à démêler dans ses traits ceux qu’il doit avoir lui-même ; il est comme une cire molle prête à recevoir toutes les impressions qu’on voudra lui donner (p.15).
Il est quelques mortels qui ont de la raideur dans l’esprit, un défaut de souplesse dans l’échine, un manque de flexibilité dans la nuque du cou ; cette organisation malheureuse les empêche de se perfectionner dans l’art de ramper et les rend incapables de s’avancer à la Cour. Les serpents et les reptiles parviennent au haut des montagnes et des rochers, tandis que le cheval le plus fougueux ne peut jamais s’y guinder. La Cour n’est point faite pour ces personnages altiers, inflexibles, qui ne savent ni se prêter aux caprices, ni céder aux fantaisies, ni même, quand il en est besoin, approuver ou favoriser les crimes que la grandeur juge nécessaires au bien-être de l’État (p.15-16).
Un bon courtisan ne doit jamais avoir d’avis, il ne doit avoir que celui de son maître ou du ministre, et sa sagacité doit toujours le lui faire pressentir ; ce qui suppose une expérience consommée et une connaissance profonde du cœur humain. Un bon courtisan ne doit jamais avoir raison, il ne lui est point permis d’avoir plus d’esprit que son maître ou que le distributeur de ses grâces, il doit bien savoir que le Souverain et l’homme en place ne peuvent jamais se tromper (p.16-17).
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Le courtisan doit s’étudier à être affable, affectueux et poli pour tous ceux qui peuvent lui aider et lui nuire ; il ne doit être haut que pour ceux dont il n’a pas besoin. Il doit savoir par cœur le tarif de tous ceux qu’il rencontre, il doit saluer profondément la femme de chambre d’une Dame en crédit, causer familièrement avec le suisse ou le valet de chambre du ministre, caresser le chien du premier commis ; enfin il ne lui est pas permis d’être distrait un instant ; la vie du courtisan est une étude continuelle (p.20).
(…)
En un mot, un bon courtisan est tellement absorbé dans l’idée de son devoir, qu’il s’enorgueillit sou¬vent de faire des choses auxquelles un honnête laquais ne voudrait jamais se prêter. L’esprit de l’Évangile est l’humilité ; le Fils de l’Homme nous a dit que celui qui s’exalte serait humilié ; l’inverse n’est pas moins sûr, et les gens de Cour suivent le précepte à la lettre. Ne soyons donc plus surpris si la Providence les récompense sans mesure de leur souplesse, et si leur abjection leur procure les honneurs, la richesse et le respect des Nations bien gouvernées (p.22-23). »
Au fait ! Une petite « réaction » que j’avais postée ce matin au sujet de l’article « Non, « Charlie Hebdo » n’est pas obsédé par l’islam »,
http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/02/24/non-charlie-hebdo-n-est-pas-obsede-par-l-islam_4582419_3232.html#VAkp8KHHR1G1Jy28.99
n’a pas eu l’heur d’être diffusée.
Je la reproduis donc ci-dessous, autant que ma mémoire me le permet, car je n’en ai pas gardé de brouillon :
« Poser les bonnes questions, en effet. Tout en étant résolument Charlie, Desideriusminimus avait posé dans son blog du Monde celle de l’équité dans la pratique de la caricature : pourquoi en effet ne trouve-t-on jamais de caricatures de la bienpensance bobo de certains athées qui pérorent en permanence sur les ondes, ni de patrons de presse homos qui font l’apologie de la location des ventres, ou des propos ineptes et répétés de certains pro-genre ? Encore du boulot, Mmes et Mrs les sociologues ! ».
Le commentaire renvoyait à mon post :
http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/01/20/de-lequite-dans-la-caricature-et-du-kairos-car-il-y-a-un-temps-pour-tout/
Cela voudrait-il dire qu’il y a encore, dans notre « Monde » quelques-unes de ces créatures « qui s’anéantissent en présence du Maître » ou du président du conseil de surveillance, comme ces m… oh pardon, « ces cires molles », « prêtes à recevoir toutes les impressions qu’on voudrait leur donner » ?
Stultitia n’ose le penser…