8 milliards de Terriens. Considérations sur quelques ambiguïtés qui continuent de fausser l’approche de la question démographique.

L’annonce par l’ONU que, depuis le 15 de ce mois, notre Terre compte 8 milliards d’habitants, en attendant les 9 milliards en 2037, puis les 10,4 dans les années 2080 a suscité une floraison d’articles, de reportages et d’entretiens divers

Ayant beaucoup écrit sur ce thème, je me contenterai cette fois de quelques points de synthèse en évoquant les principaux leitmotivs qu’on retrouve dans ces diverses productions, mais aussi en attirant l’attention, une fois de plus, sur la répétition de quelques omissions, insuffisances, paralogismes (raisonnements formellement défectueux développés sans intention de tromper, nous dit notre dictionnaire), voire, ce qui est plus grave, de sophismes (raisonnements spécieux destinés à induire en erreur, avec une apparence de vérité), qui enferment un débat dont la complexité devrait être exposée et respectée dans des recettes réductrices et bien souvent teintées, consciemment ou non, d’idéologies discutables.

Parmi ces leitmotivs qu’il convient d’examiner de façon critique :

  • «Avec la production agricole mondiale actuelle, vous pouvez nourrir 3,5 milliards d’américains [ou…] vous pouvez nourrir 12 milliards de bhoutanais » (Virginie Raisson-Victor environ 18mn30 émission en lien).

En effet, un mode d’alimentation plus sobre, et en particulier l’abandon du régime carné qui caractérise essentiellement les pays riches permettrait de nourrir beaucoup plus de personnes.

Le problème de ce genre d’affirmation est que la question alimentaire est loin d’être le seul paramètre pour ce qui est de la viabilité sur notre terre.

Comme le dit Didier Barthès, représentant de l’association Démographie Responsable dans la même émission, il faut aussi prendre en compte l’urgence de la question des espaces naturels disponibles, et bien sûr encore celle des ressources énergétiques, de la disponibilité des matériaux (le sable, le lithium, le cuivre etc. n’ont plus que quelques années devant eux), celle de l’eau, la concentration de gaz à effet de serre, le taux d’extinction des espèces, etc.

« Au cours du XXe siècle, la consommation d’énergie a été multipliée par 10, l’extraction de minéraux industriels par 27 et celle de matériaux de construction par 34. L’échelle et la vitesse des changements que nous provoquons sont sans précédent dans l’histoire », nous disent Pablo Servigne et Raphaël Stevens.

Même si on arrivait donc à nourrir 12 milliards d’humains dans un clapier, ce qui n’est même pas garanti du fait de la baisse de productivité d’une agriculture soumise au réchauffement climatique, l’Inde voit d’ores et déjà sa biodiversité disparaître à la vitesse grand V avec nos 8 milliards actuels, la guerre de l’eau, la désertification, menacent de nombreux pays tout comme la montée des eaux, les migrations de masse etc., et il y a peu de chances que les 2 milliards d’africains supplémentaires dans 30 ans gardent une petite place pour les gorilles et les éléphants. Sans parler des oiseaux, insectes, poissons, etc. qui subissent d’ores et déjà de plein fouet la sixième extinction de masse.

Toutes choses directement liées à la surpopulation.

Effectivement, la Terre pourrait éventuellement nourrir quelques milliards d’habitants de plus. Mais Mme Raisson-Victor et ses semblables se rendent-ils comptent de l’horreur et des tensions que cet entassement a toutes les chances de susciter ? On ne peut aborder la question de notre avenir en la réduisant à un seul ou quelques paramètres. L’approche ne peut en être que globale.

  •  « La vraie question est moins celle du nombre que celle des modes de vie » (Gilles Pison).

Allégation proche de la précédente, qu’on trouve déclinée sous différentes formes : « Pour les démographes, le seul levier pour limiter le réchauffement climatique est le changement de nos modes de vie », peut-on lire, par exemple.

Affirmation quelque peu présomptueuse car « les démographes » sont loin d’être tous d’accord sur le sujet.

Il y aurait donc des « leviers » qui s’excluent : soit la réduction du nombre des naissances, soit le changement du mode de vie.

Or, si, comme le rappelle le même article

 « En novembre 2017, en pleine COP23, plus de 15 000 scientifiques publiaient un « avertissement à l’humanité » dans la revue Bioscience. Le texte pointait « la croissance démographique rapide et continue » comme l’un « des principaux facteurs des menaces environnementales et sociétales » qui pèsent sur l’espèce humaine.

Ces scientifiques, parmi lesquels des démographes, dénonçaient expressément en même temps le fait que :

Nous mettons en péril notre avenir en refusant de modérer notre consommation matérielle intense mais géographiquement et démographiquement inégale (…)

En échouant à limiter adéquatement la croissance de la population, à réévaluer le rôle d’une économie fondée sur la croissance, à réduire les émissions de GES, à encourager le recours aux énergies renouvelables, à protéger les habitats naturels, à restaurer les écosystèmes, à enrayer la pollution, à stopper la « défaunation » et à limiter la propagation des espèces exotiques envahissantes, l’humanité omet de prendre les mesures urgentes indispensables pour préserver notre biosphère en danger.

Il est également temps de réexaminer nos comportements individuels, y compris en limitant notre propre reproduction (l’idéal étant de s’en tenir au maximum au niveau de renouvellement de la population) et en diminuant drastiquement notre consommation par tête de combustibles fossiles, de viande et d’autres ressources.

On ne répond donc pas à la vraie question par un soit/soit, mais bien par un à la fois : réduction à la fois du nombre d’habitants et changement du mode de vie.

Le fait d’évincer a priori la question du nombre paraît bien témoigner d’une thèse qui est loin d’être une condition nécessaire à la résolution du problème, mais relève plutôt d’une idéologie discutable, soit qu’elle se fonde le plus souvent sans l’avouer ouvertement sur des arguments de type religieux, soit qu’elle ne prenne pas en compte la complexité de la réalité.

  • « Mettre l’accent sur la croissance de la population, et donc en creux sur la responsabilité des pays du Sud, c’est ne pas voir la poutre qu’on a dans l’œil. » (Emmanuelle Réju citant Gilles Pison).

Un paralogisme de plus…

Qui fait mine le plus souvent de défendre les droits des populations du Sud face à une approche néocolonialiste des pays du Nord qui chercherait à faire porter aux pauvres le chapeau de la surpopulation pour éviter de remettre en question leur responsabilité en ce qui concerne la surconsommation et donc la pollution et le réchauffement climatique.

Mais si, conformément aux remarques qui précèdent, on s’efforçait de voir à la fois, comme le font d’ailleurs les 15 000 scientifiques dont il est question plus haut, la poutre qu’a effectivement dans l’œil notre monde développé (on le sait, un Américain émet en moyenne 17 tonnes de CO2 par an, un Indien 1,76 et un Éthiopien 0,19…, etc. et donc l’effort est à porter en priorité sur les plus pollueurs que nous sommes), mais aussi le fait que la paille dans l’œil des nigérians, pakistanais et autres congolais qui constitueront l’essentiel des milliards d’humains à venir est en passe de se transformer dans les prochaines décennies en une poutre se rapprochant dangereusement de la nôtre ?

Plutôt que d’infantiliser, il n’est pas interdit d’en appeler à la responsabilité de tous.

Car peut-on sérieusement croire que des pays qui sont actuellement travaillés au corps par une masse d’investisseurs, industriels et commerçants chinois, russes, américains, européens, etc. en raison de leurs possibilités de développement liées entre autres à leur dynamisme démographique en restent tranquillement aux émissions actuelles de l’Éthiopien moyen ?

Quant un Emmanuel Pont affirme de façon péremptoire qu’étant donné le rythme actuel de croissance du PIB du Nigéria, il lui faudrait 250 ans pour rattraper celui de la France, (environ 33mn20 dans l’émission en lien), il oublie tout simplement que la Chine, actuel modèle de croissance des pays africains et acteur majeur de leur développement a multiplié par 37 son PIB en quatre décennies, et que la consommation des ménages chinois est 90 fois plus importante en 2016 (4.412 milliards de dollars) qu’elle ne l’était en 1980 (49 milliards de dollars). Un tel développement étant bien entendu étroitement corrélé avec la production de gaz à effet de serre et autres pollutions. Négligeables avant la mort de Mao, les émissions de la Chine sont désormais plus importantes que celles de l’ensemble des pays développés.

Bien sûr,

La Chine est toutefois un grand pays de 1,4 milliard d’habitants, et la part de ses émissions par habitant “reste inférieure à celle du monde développé”. Mais les choses évoluent rapidement, expliquent les chercheurs : “En 2019, les émissions par habitant de la Chine ont atteint 10,1 tonnes, soit presque le triple des deux dernières décennies.” Elles restent en dessous des émissions par habitant des États-Unis (17,6 tonnes par habitant) mais devraient dépasser en 2020 la moyenne de l’OCDE (10,5 tonnes).

Et en vertu de quoi faudrait-il penser que les nations africaines, le Pakistan, etc. ne pourraient rapidement connaître une évolution de ce genre dont nous leur avons fourni le modèle, et à laquelle le monde entier les convie ?

Du fait de quelle irresponsabilité faudrait-il la croire impossible à court ou moyen terme, alors que la démographie de ces pays constitue un marché que l’ensemble du capitalisme mondial s’empresse d’ores et déjà de cultiver, et que l’accélération des échanges ne peut que précipiter ?

Certes, l’une des solutions réside effectivement dans le « changement de nos modes de vie », comme nous l’avons vu plus haut. Le nôtre d’abord, et celui des prochains milliards d’individus à venir.

Mais il convient de ne pas se payer de mots : ce changement de modes de vie doit s’accompagner du maintien d’un faible taux de fécondité dans les pays développés, et d’une baisse significative dans les pays dont le taux est encore élevé.

Baisse significative qu’il ne suffit pas d’attendre passivement, sous le prétexte douteux d’un supposé « respect des droits », mais qui peut être, pour le bien de tous, encouragée et accélérée (cf. ci-dessous).

  • On entend encore dire de tous côtés que diminuer notre consommation « sera plus efficace et plus juste » que réduire notre fécondité.

Nouveau paralogisme.

Plus juste, sans aucun doute. Plus efficace, on aimerait le croire, mais cela contredit hélas rien de moins que la totalité de l’expérience de l’humanité depuis les débuts de son aventure.

Car si, en effet, la décroissance du taux de fécondité est une constante de l’Histoire, qui s’est manifestée de façon plus ou moins importante en fonction des époques, des lieux, des cultures, etc., la croissance ininterrompue de la consommation est, elle aussi, une réalité massive qui n’a jamais été prise en défaut si ce n’est lors de catastrophes, guerres, épidémies, etc. (je reviendrai sur ce point plus bas).

Faut-il donc continuer imperturbablement à prendre nos désirs pour des réalités ? Continuer à croire, par exemple, que les chinois, dont la consommation de viande est exponentielle, vont renverser la vapeur du jour au lendemain ? Ou même qu’ils en éprouvent le désir, seulement parce qu’en effet, la réduction souhaitable du régime carné est l’une des clés de la régulation alimentaire mondiale ? Ou bien que les nigérians vont renoncer spontanément au projet d’une consommation dont nous continuons à leur fournir l’exemple ? Ou que tout simplement nous-mêmes abandonnerions avec enthousiasme une « croissance » que tant de politiques, d’industriels, de capitalistes essaient de repeindre en vert à grands efforts d’un « green washing » qui ne devrait tromper personne, mais dont nous nous faisons complices, tellement nous avons de mal – y compris les plus jeunes – à concevoir notre avenir sans smartphones, véhicules « propres » ou autres supercheries pseudo-écologiques qui font tourner notre économie et assurent nos salaires, nos retraites et un pouvoir d’achat dont toute remise en cause suscite immanquablement des déchaînements sociaux ?

Tout cela relève effectivement d’une urgence vitale, mais la constance de l’échec de toutes les COPs et manifestations semblables montre bien qu’il y a très loin de la proclamation d’intention à la mise en œuvre.

Alors que l’Iran a connu, avant d’y renoncer pour de désastreuses raisons idéologiques, « l’une des transitions démographiques les plus rapides de l’histoire ». La fécondité y est passée de 6,4 enfants par femme en 1986 à 2 en 2003, soit une baisse de près de 70 % en l’espace de dix-sept ans, « un résultat que la France a mis cent cinquante ans à obtenir », démontrant clairement que, si des mesures adéquates sont mises en œuvre, incitatives et non coercitives comme en Iran, une régulation démographique résolue peut constituer un « levier » particulièrement rapide et efficace pour lutter contre de graves crises environnementales, en l’occurrence la surconsommation d’eau dans le cas de l’Iran.

Désolé, Mesdames et Messieurs les rabâcheurs d’idées reçues, mais c’est l’Histoire dans sa totalité qui démontre donc clairement que, si l’on s’en donne les moyens, agir sur le nombre des naissances est une mesure parfaitement réaliste, autrement rapide et efficace que l’incantation à une réduction de la consommation, hautement souhaitable certes, mais qui n’a jamais été observée nulle part et risque fort de demeurer un vœu pieux de bisounours. Sans doute pour le plus grand profit des capitalistes qui mènent le monde. Car peut-être faudrait-il s’interroger sur les raisons d’être cachées de certains discours…

C’est d’ailleurs ce genre d’action visant une régulation des naissances que veulent promouvoir des responsables politiques lucides du Sud eux-mêmes, loin de considérer, comme nous le répète un autre leitmotiv, la maîtrise démographique comme une exigence néocoloniale des pays développés en vue de préserver leur niveau de vie et d’occuper seuls le terrain de la croissance (et donc de la pollution).

La conférence de Ouagadougou (Burkina Faso) de juillet 2017 au cours de laquelle les présidents des Parlements des 15 pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) plus le Tchad et la Mauritanie ont élaboré une charte. Conscients qu’une trop forte démographie est un obstacle à leur développement économique, ils se sont engagés à œuvrer pour faire baisser leurs indices de fécondité respectifs à trois enfants par femme au plus d’ici à 2030.

On le sait, toutes les études s’accordent sur le sujet, l’éducation, et en particulier l’éducation des femmes constitue un facteur déterminant en ce qui concerne la baisse du taux de fécondité.

Mais là encore, contrairement à nombre de discours qui cherchent à faire croire, une fois encore pour des raisons obscurément idéologiques, que celle-ci se produirait de toute façon, la mise en œuvre résolue, comme ce fut le cas en Iran, de mesures appropriées constitue une nécessité si l’on veut aboutir à des résultats rapides.

Il faut des agents de santé qui aillent à domicile pour proposer une gamme de contraceptifs, il faut diffuser des messages audios à la communauté dans les différents dialectes, en utilisant par exemple les téléphones portables.

 conseille la conférence de Ouagadougou, en accord avec nombre d’intellectuels africains, comme par exemple Kako Nubukpo qui y voient un des éléments essentiels de leur propre développement :

Le dynamisme démographique n’est pas mauvais en soi, mais il faut être lucide, la transformation des économies africaines nécessite qu’on passe d’une démographie subie à une démographie choisie. Dans le monde, les pays qui se sont développés sont ceux qui ont réduit drastiquement leur taux de croissance démographique. Quand, ces cinquante dernières années, l’Asie de l’Est est passée de 1,4 % de croissance démographique annuelle à 0,1 %, l’Afrique n’est passée dans le même temps que de 2,8 % à 2,7 %. Il faut donc accélérer cette transition démographique en Afrique sous peine de se retrouver face à une bombe à retardement.

  • Faire moins d’enfants « n’est pas une solution en soi, prévient Valérie Golaz. Si ne pas avoir d’enfant vous conduit à voyager ou à consommer davantage, l’effet peut être encore pire. »

Magnifique exemple de paralogisme, voire de sophisme, qu’on retrouve encore un peu partout (cf. par exemple. Emmanuel Pont, etc.). Car on ne comprend pas bien pourquoi, étant donné que l’argument qui consiste à faire peu ou pas d’enfants est généralement développé en vue de répondre aux questions posées par la surconsommation et la surpopulation par des personnes conscientes des problèmes liés à la survie de l’humanité, ces personnes seraient plus portées à voyager ou à consommer davantage que celles qui ne se posent pas ce genre de problème et ne voient pas la nécessité de réduire leur consommation ou leur envie de voyager.

Et qui donc seraient, elles, les plus à même d’avoir des enfants qui voyagent et consomment davantage. Ce qui constituerait encore moins « une solution en soi ».

Là encore, la solution en soi est, bien évidemment, à la fois de faire moins d’enfants et de voyager et consommer moins, de ne plus ouvrir de puits de pétrole (cf. Emmanuel Pont, émission en lien, environ 20mn50), etc.

  • « Même si le taux de fécondité mondial était ramené d’un coup à 1,5 enfant par femme comme en Europe – ce qui est totalement illusoire –, la population mondiale continuerait d’augmenter du fait de l’inertie démographique » (Gilles Pison).

Cet argument bien connu de l’inertie démographique est hélas trop souvent manié (encore une fois dans quel but ?) comme un déni de l’urgence. Est-ce qu’il faut vraiment réguler la natalité, faire moins d’enfants, puisque « naturellement » la courbe va baisser d’elle-même. « Est-ce qu’on ne s’inquiète pas pour rien ? » demande par exemple Benjamin Sportouch (émission en lien vers 32mn) même si la population mondiale va continuer à s’accroître jusqu’à l’orée du XXIIème siècle ?

Et surtout, à quoi cela sert-il ? puisque l’inertie rend toute action inutile, nous est-il dit.

Étonnamment, la même question de l’inertie donne lieu à deux réponses radicalement différentes selon qu’elle concerne le réchauffement climatique ou la démographie. Une fois de plus, il conviendrait de se demander pourquoi.

Comme les gaz à effet de serre continuent à jouer le rôle de couverture (ou de vitre de serre) tant qu’ils sont présents, leur très grande longévité a pour conséquence que, quoi que nous fassions aujourd’hui, le réchauffement issu des gaz que l’homme a mis dans l’atmosphère depuis 1750 se poursuivra pour encore quelques siècles.

Mais alors que le monde entier s’alarme à juste raison (du moins en paroles et en façade, nous l’avons vu) pour prendre des mesures urgentes pour lutter contre le réchauffement climatique, en toute connaissance pourtant du facteur inertie – car même si les jeux sont faits pour demain, il reste indispensable de penser à après-demain – celui-ci apparaît comme une fatalité inexorable dès qu’il s’agit de croissance démographique.

Or, n’est-il pas tout aussi urgent de freiner une évolution qui, même si elle connaîtra un palier puis une décroissance, obligerait tout de même notre pauvre Terre à supporter dix milliards d’habitants pendant plusieurs siècles à venir, ce qui, selon toute probabilité serait une catastrophe à la simple considération de l’étendue des nuisances qu’un accroissement de 6 ou 7 milliards a pu causer en seulement un siècle ?

Même si nous ne pouvons réduire totalement les effets de l’inertie, dans le domaine climatique comme démographique, l’urgence est de cesser immédiatement d’alimenter des processus qui mettent en péril nos enfants et petits-enfants plutôt que d’évoquer la fatalité.

L’inertie n’est-elle pas une raison de plus de ne pas nous résigner, mais au contraire d’agir le plus rapidement possible contre les fléaux qui nous menacent ?

Car si on « laisse filer » la natalité selon l’expression de Didier Barthès (env. 31mn38 dans l’émission en lien) comme c’est encore le cas dans de nombreux pays, on va se trouver dans des situations difficiles à gérer.

Il est intéressant de comparer la situation de l’Iran avec celle des Philippines.

« Le recensement de 1986 [en Iran] dénombra près de 50 millions d’Iraniens : la population avait doublé en deux décennies. Selon certaines estimations, le taux de croissance atteignait 4,2% à son pic – un record mondial, proche de la limite biologique pour les femmes fertiles » Alan Weisman, op.cit. p. 258.

En 1989, le taux de fécondité iranien atteignait 9 enfants par femme (id. ibid. p. 261).

Après la mort de Khomeini en 1989, eut lieu le lancement d’un programme résolu de planification familiale, suscité par l’inadéquation de cette croissance démographique excessive avec les ressources du pays, en particulier en eau :

« En l’an 2000 [soit 10 ans après], le taux de fécondité de l’Iran atteignit [grâce à des méthodes douces et incitatives, voir id. ibid. p. 261-266] le taux de renouvellement, avec 2,1 enfants par femme – un an plus tôt que la Chine avec sa politique autoritaire de l’enfant unique. En 2012, il était à 1,7 » (id. ibid. p. 263).

En 2006 le programme fut abandonné par Mahmoud Ahmadinedjad.

Une telle expérience n’a rien de comparable avec le statu-quo qui sévit hélas aux Philippines :

 « Quand la république des Philippines accéda à l’indépendance en 1946, elle comptait déjà 18 millions de citoyens. Et aujourd’hui les Philippins sont près de 100 millions: alors que la population mondiale a quadruplé en un siècle, celle de ce pays a quintuplé en moitié moins de temps » nous dit Alan Weisman, id.ibid. p. 187.

La situation des Philippines n’a rien à voir avec une quelconque fatalité. En Afrique la conférence de Ouagadougou souligne l’urgence de la mise en œuvre de mesures comparables à celles qui ont été prises en Iran, et qui auraient pu être prises aux Philippines moyennant un changement de mentalité.

[Car] L’une des principales raisons de cette évolution démographique, c’est que les Philippines modernes –(…) est le pays le plus catho­lique d’Asie et, disent certains, le dernier bastion de l’empire théocratique du Vatican ».

Il ne suffit pas pour autant de jeter la pierre à telle ou telle religion, car, nous l’avons vu, d’autres idéologies plus ou moins occultes se montrent tout aussi pernicieuses – en particulier celle qui, d’un côté, dénonce verbalement et de façon irréaliste le consumérisme, tout en estimant inutiles les mesures démographiques susceptibles de réduire efficacement le nombre des consommateurs – mais seulement de souligner comment des décisions, ou des absences de décisions, d’où qu’elles viennent, peuvent impacter rapidement de façon importante l’avenir de certains pays, mais aussi de notre Terre.

Et combien il importe donc de lutter contre le déni et les manipulations diverses, conscientes ou inconscientes, qui nous amènent à considérer comme insurmontables des problèmes qui pourraient pourtant trouver une solution si la volonté était de la partie.

Souhaitons donc aux dirigeants, en particulier africains, de prendre en considération les enseignements de telles comparaisons, et de privilégier les solutions à l’iranienne plutôt que l’immobilisme philippin en vue d’accélérer une transition démographique qui leur est tellement indispensable.

  • Les modélisations de Meadows et la question démographique.

Il me semble encore nécessaire de mentionner un point qui n’est que rarement évoqué, et qui risque pourtant de rendre obsolètes les considérations précédentes.

Car si des changements radicaux ne font pas l’objet de décisions, au niveau écologique comme au niveau démographique, ils se produiront nécessairement de façon catastrophique.

J’avais abordé cette question dans un post il y a quelques années.

J’en reprends quelques conclusions :

(…) Si notre environnement (climatique, agricole, océanique, énergétique, ressources en matières premières, etc.) commence à faire défaut parce que nous avons atteint des limites physiques, alors la population baissera aussi, de façon probablement catastrophique. Peu de chances que nous atteignions jamais les 11 milliards d’humains annoncés, chiffre qui nous laisse croire de façon abusive que nous avons encore du temps avant que la situation devienne critique.

Tout simplement parce que la Terre et notre environnement ne seront, selon toute probabilité, pas en mesure de les supporter (…)

J.M. Jancovici met d’ailleurs lui-même en relation ces deux perspectives fondamentales de l’énergie et de la démographie :

« Mais, pour en revenir à nos émissions, si l’énergie fossile – donc l’énergie tout court pour l’essentiel – commence à faire défaut de manière croissante à partir de 2050, et que l’humanité se met à vivre en récession perpétuelle, au surplus dans un contexte de changement climatique de plus en plus intense, est-il encore logique d’imaginer que cette même humanité devienne sans cesse plus nombreuse, vive en paix, et n’ait comme seul objectif que de couper des arbres pour créer des surfaces agricoles ?

Il semble bien plus rationnel d’imaginer que, en pareil cas, un nombre croissant de « catastrophes » se chargera de mettre en cohé­rence une planète de plus en plus mitée et une humanité qui devra suivre le même chemin. Autrement dit, le « laisser-faire » ne garantit qu’une seule chose : bien avant 2100, les émissions se mettront à baisser, et ce sera parce que l’humanité commencera à se contracter sous la double pression du défaut de combustibles fossiles, et d’une modification globale de l’environnement qui ne pourra plus être compensée avec les moyens à la disposition des hommes ».

Du fait « d’un cloisonnement fort compréhensible des domaines de recherche, les prévisions démographiques ne prennent pas en compte les modifications environnementales induites par l’écologie d’un système environnemental fini ».

Or, des modélisations, qui n’ont pour le moment jamais été prises en défaut, celles du rapport Meadows de 1972 et ses différentes mises à jour nous montrent, tout comme J.M. Jancovici qui s’en inspire, qu’on ne peut pas traiter la question démographique indépendamment de l’environnement global dans lequel s’inscrit l’aventure humaine.

Rappelons donc encore les propos de P. Servigne et R. Stevens (op.cit. p. 202-203), qui commentent pour nous ce rapport.

Combien sera-t-on à la fin du siècle ? (Démographie de l’effondrement)

On ne saurait discuter d’effondrement sans aborder la question démographique. Le problème, c’est qu’il n’est pas possible de discuter sereinement de démographie. C’est un sujet absolument tabou et rares sont ceux qui osent aborder la question publiquement sans craindre de voir immédiatement arriver un point Godwin (un moment à partir duquel toute discussion devient impossible parce que l’une des personnes traite l’autre de nazi). En démographie, ce seuil est d’une autre nature, mais il est toujours le même : « Vous voulez faire comme en Chine, c’est ça ? »

Dans un débat sur l’avenir du monde, on peut aborder tous les sujets et discuter tous les chiffres de l’énergie, du climat, de l’agriculture, de l’économie, mais jamais on ne remet en cause les chiffres officiels de l’ONU sur la population : 9 milliards en 2050, et entre 10 et 12 milliards en 2100. Tentez l’expérience : lancez, par exemple, un débat sur l’avenir de l’agriculture avec n’importe quelle personne, et toute argumentation commencera par ce chiffre massue, 9 milliards en 2050.

Or – faut-il le rappeler ? – ce chiffre est une prévision mathématique issue d’un modèle théorique. Ce dernier est d’ailleurs sérieusement déconnecté des réalités du système-Terre, car il est uniquement basé sur des projections des taux de natalité, des taux de mortalité et des taux d’immigration des populations actuelles, sans tenir compte de facteurs comme les ressources, l’énergie, l’environnement, ou la pollution. C’est donc un modèle « hors-sol », qui se résume ainsi : notre population devrait arriver à 9 milliards en 2050 toutes choses étant égales par ailleurs. Le problème est que toutes les choses ne restent pas égales, comme nous l’avons détaillé dans la première partie de ce livre. Il est donc possible que nous soyons moins que prévu en 2050 ou en 2100. Mais alors, combien serons-nous ?

Pour l’équipe Meadows (…), qui a développé au MIT un modèle bien plus ancré au système-Terre, l’instabilité de notre civilisation industrielle mène à un déclin « irréversible et incontrôlé » de la population humaine à partir de 2030.

Pour affronter avec lucidité de la seule façon possible la situation qui est la nôtre, et mettre en œuvre d’urgence les changements indispensables, il convient de laisser une fois de plus le dernier mot à Antonio Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ».

Croissance et démographie. Où l’on apprend comment les fausses promesses de la COP dissimulent de nouvelles « 30 Glorieuses » qui, cette fois, nous seront fatales.

En 2050, 151 des 195 pays du globe seront en situation de décroissance démographique. Le vieillissement des populations déjà notable en Asie et en Occident entraine pénurie de main-d’œuvre et ralentissement économique. (…)

Décideurs politiques et scientifiques ouvrent les yeux sur une réalité nouvelle : le monde est au bord du déclin, voire de l’extinction. (…)

L’Asie orientale est l’une des régions les plus touchées par l’effondrement du nombre de naissances – notamment la Corée du Sud (dont l’indice synthétique de fécondité – ISF – s’établit à 1,11), Taïwan (1,15) et le Japon (1,37) sur la période 2015-2020, selon le rapport “World Population Prospects 2019” [“Projections démographiques mondiales”] publié par les Nations unies. La population d’un pays commence à décliner lorsque la fécondité tombe en dessous du taux de remplacement de 2,1, avec, à la clé, des pénuries de main-d’œuvre, une crise des fonds de pension et la péremption des vieux modèles économiques. (…)

Christopher Murray prévoit que les taux de fécondité convergeront autour de 1,5, voire en deçà dans certains pays.  Et il ajoute:

Ce qui veut dire que l’humanité finirait par disparaître d’ici quelques siècles”

Cette donne inédite va engendrer une nouvelle dynamique – déjà visible ici ou là – dans des domaines allant de la politique monétaire aux régimes de retraite, en passant par les prix de l’immobilier et la structure du capitalisme dans son ensemble. À l’heure où la population mondiale approche de son pic, beaucoup de gouvernements se voient en effet contraints de revoir leurs orientations politiques, qui reposaient jusque-là essentiellement sur l’essor démographique pour leur croissance économique et leur poids géopolitique.

Les pénuries de main-d’œuvre viendront gripper les modèles de croissance du passé. La protection sociale, dont les retraites et l’assurance-maladie, présuppose par ailleurs une population croissante, et elle sera dès lors mise à mal. (…)

Même les pays développés qui sont devenus riches avant de subir les effets du vieillissement ne sont pas à l’abri de telles difficultés. Les systèmes de sécurité sociale du Japon, du Canada et des pays européens reposent sur le principe du soutien intergénérationnel, en vertu duquel la population active subvient aux besoins des retraités. Avec la chute du taux de natalité, la seule manière de pérenniser le système de retraite sans alourdir le fardeau pour la population est d’améliorer les retours sur investissement. Or la baisse de la population entame également les réserves de croissance de l’économie, créant un cercle vicieux qui est à l’origine de chutes historiques des taux d’intérêt.

Kazuo YansaeYohei MatsuoEugene Lang et Eri Sugiura, Nikkei Asia, Tokyo, Courrier international n°1628 du 13 au 19 janvier 2022.

https://www.courrierinternational.com/article/demographie-vers-un-monde-depeuple

« Voilà un dossier qui va conforter les arguments de tes adversaires préférés, papes et autres jésuites comme natalistes de tous poils » me dit Stultitia, tout émoustillée.

« Que nenni ! » est-t-il impératif de lui répondre.

Car de telles observations, par ailleurs connues depuis longtemps, constituent simplement le pendant démographique de l’incantation à la croissance économique tellement dénoncée, sur ce blog en particulier.

D’autres passages de ce dossier ne le cachent d’ailleurs pas :

La solution serait de soutenir la croissance économique en augmentant la productivité du travail (art. cit).

Rien de nouveau sous le soleil, donc.

La révolution industrielle fut effectivement, comme le reconnaît l’article, une « période au cours de laquelle la croissance économique était soutenue par la croissance démographique et inversement ».

On le sait, un tel cercle a été rendu possible par la surexploitation des ressources naturelles, en particulier fossiles, cause de la crise écologique actuelle désormais quasi-universellement dénoncée, du moins en paroles.

Depuis deux cents ans, une croissance démographique soutenue consume les ressources naturelles, dévaste l’environnement, engendre des guerres (art. cit).

 sont bien obligés de reconnaître les auteurs.

Mais voilà : au lieu de prendre acte de l’urgente nécessité de passer du déni lénifiant à l’indispensable mobilisation et à l’exhortation au seul programme responsable, celui qui supposerait inévitablement « du sang et des larmes », c’est-à-dire une double réduction – celle de la croissance matérielle avec l’inéluctable réduction de la consommation, du pouvoir d’achat, des retraites, et celle de la démographie -, voilà qu’on nous propose une fois de plus l’incantation magique qui accompagne la fuite en avant : « Croissons ! Augmentons la productivité du travail », indissociable du traditionnel « Croissez et multipliez ! Faites des enfants pour sauver la protection sociale et les retraites ! ».

Car on le sait, même les papes nous le serinent à l’envi, un enfant est avant tout une variable économique ayant pour but la sauvegarde de la croissance et du confort des personnes âgées.

L’exemple de la Chine, terrorisée par les effets de la baisse prochaine de sa population sur sa puissance économique, son poids géopolitique et son système de protection sociale, est des plus significatifs :

Directeur de recherche à l’université de Wisconsin-Madison, Yi Fuxian estime que les contraintes démographiques à l’œuvre en Chine malmèneront son économie.

En Chine, le PIB actuel par habitant ne représente que 16 % de celui des États-Unis. Ce qui attend la Chine, c’est une récession induite par son vieillissement. Sans relance de la natalité, le taux de croissance économique ne repartira pas et le pays ne dépassera jamais les États-Unis en termes de PIB” (art. cité).

Quelle effroyable nouvelle, en effet ! On comprend que l’ouvrage de Yi Fuxian, « Un grand pays dans un nid vide » ait été interdit en Chine : il ne faut pas désespérer le Billancourt chinois dans ses rêves exhibitionnistes d’arborer à la face du monde le plus gros fantasme infantile de toute puissance.

Trop nombreux sont encore les obsédés du déni et les partisans effrénés d’une « croissance verte » bien problématique, soutenue par de très improbables progrès techniques dont les effets sur la résolution des problèmes énergétiques et environnementaux sont selon toute vraisemblance de l’ordre du vœu pieux.

On se rassure comme on peut…

Mais les penseurs sérieux, ceux qui prennent réellement la mesure du problème, sont conscients des difficultés considérables que suppose la réduction obligatoire de la croissance économique, dont la régulation démographique constitue nécessairement une composante essentielle.

Difficultés considérables que nous ne pouvons pourtant pas manquer d’affronter si nous voulons simplement survivre.

« Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste »

 disait l’économiste Kenneth Boulding, cité par notre article.

Et j’ai moi-même plusieurs fois rappelé l’alternative évoquée par Herman Daly en 2005 dans la revue Scientific American :

Le basculement vers l’économie durable « impliquerait un énorme changement d’état d’esprit, sur le plan intellectuel comme sur le plan affectif, de la part des économistes, des décideurs politiques et des électeurs. On pourrait même être tenté d’affirmer qu’un tel projet est irréalisable. Mais l’alternative à l’économie durable –l’économie indéfiniment croissante – est une impossibilité biophysique. Si je devais choisir entre m’attaquer à une impossibilité politique et m’attaquer à une impossibilité biophysique, je jugerais la seconde comme la plus impossible des deux et tenterais ma chance avec la première ».

Pourtant, on le sait, les atermoiements, faux-semblants et pures proclamations d’intentions qui accompagnent les diverses COP s’accommodent fort bien d’un retour espéré, mieux, programmé, de « 30 Glorieuses » new style.

Car si cette période de croissance qui a vu en Occident l’explosion du consumérisme et de la démographie, entraînant le quasi-épuisement de nos ressources naturelles et la dévastation de notre environnement n’est plus concevable dans les pays de l’Ancien Monde, elle est d’ores et déjà en cours dans les pays dits « en développement » et amplement promue et bénie par ceux qui prévoient d’en tirer profit.

L’Afrique, en particulier, qui compte 1,3 milliards d’habitants et possède le taux de fertilité le plus élevé du monde avec une moyenne de 4,4 enfants par femme,

 a entamé son baby-boom : 41% de a population africaine a moins de 15 ans. D’ici à 2050, la population africaine devrait augmenter de 91% passant de 1,3 milliards en 2020 à 2,6 milliards, ce qui représentera près de 60% de la croissance démographique mondiale prévue (…). [D’après une étude] publiée en 2020 dans le journal scientifique The Lancet, l’Afrique subsaharienne devrait voir sa population tripler d’ici à 2100, passant de 1 à 3 milliards d’habitants (art. cité).

Comment dès lors s’étonner que toutes les nations industrialisées du monde rivalisent en déclarations d’amour exaltées aux pieds de cette belle capable d’assurer de nouvelles « 30 Glorieuses » qui mèneront le monde cette fois droit dans le mur ?

Mais qu’importe ? Les producteurs chinois, américains, européens, russes, turcs et autres encore disposeront là du Sacro-Saint Marché qui leur permettra de maintenir sous perfusion la Divine Croissance avant l’agonie définitive.

Routes de la soie, investissements tous azimuts en Afrique, devant de telles réalités déjà bien tangibles, à quels naïfs peut-on donc encore faire croire aux bonnes intentions vertueusement énoncées lors des COP ?

Certes, on le sait, le poids environnemental d’un africain moyen en hectares globaux (hag) est, pour le moment, de beaucoup inférieur à celui d’un américain moyen, d’un européen ou même d’un chinois.

(Rappel : si le mode de vie américain était généralisé à l’ensemble de la population mondiale, nous aurions besoin de 5 planètes pour subvenir à nos besoins, 2,5 si c’était le mode de vie français. Alors que le mode de vie – actuel – d’un indien ou d’un habitant du Burundi se contente largement de cette seule planète dont nous disposons).

Cela veut dire à l’évidence que les américains, européens, chinois, etc. ont à réduire drastiquement de façon urgente leur mode de consommation ainsi qu’à réguler leur natalité afin de ne pas peser de manière scandaleuse sur l’équilibre écologique de notre pauvre Terre.

Mais cela signifie aussi qu’il serait fatal pour les africains et autres peuples en développement de revendiquer au nom de la justice un type de croissance, économique comme démographique, conçu selon le modèle du « rattrapage », qui ne pourrait être que suicidaire à moyen terme pour eux comme pour l’ensemble de l’humanité.

Ceci en dépit de nombre de discours soi-disant bien intentionnés entendus ici et là qui estiment, au nom d’une déculpabilisation à courte vue, que la justice serait de promouvoir pour les peuples qui n’en ont pas « bénéficié » le genre de développement matériel qu’a connu l’Occident.

« En vertu de quoi les occidentaux devraient-ils conseiller aux africains et pakistanais de réguler leurs naissances et leur contester le droit de rouler en SUV ? Qui sommes nous pour prétendre leur donner des leçons ? ».

C’est bien pour cela que même si le taux de fertilité des habitants des nations industrialisées effectivement en décroissance et souvent inférieur au taux de renouvellement entraînera prochainement des problèmes pour maintenir le pouvoir d’achat et équilibrer les systèmes de retraites et de protection sociale, laisser croire que la solution passerait par une politique nataliste constitue une dangereuse supercherie.

Il est de la responsabilité de l’Occident, en tant que plus gros consommateur, pollueur et gaspilleur mondial par têtes, de mettre en œuvre une rigoureuse réduction, et même inversion, de sa croissance matérielle tout en maintenant un faible taux de natalité.

Donner l’exemple est la seule façon d’être crédibles si l’on veut inciter les pays en développement à ne pas suivre la voie fatale que nous avons suivie en entrant dans le cercle infernal qui lie croissance économique et croissance démographique.

Supposons […] -de façon purement théorique -que le monde entier adopte demain une politique de l’enfant unique. À la fin de ce siècle, nous serions de nouveau 1,6 milliard d’habitants. Le chiffre de 1900. [contre 9,7 milliards en 2064 selon la dernière étude de l’Université de Washington, citée dans l’article. Il faudrait cependant tenir compte de l’effet catastrophique des changements environnementaux sur la population mondiale]

Nous dit Alan Weisman.

Un tel chiffre étant considéré comme le plus conforme aux ressources dont nous disposons, le plus respectueux pour notre environnement et donc le plus approprié au maintien durable de l’espèce humaine sur notre Terre.

À partir de ce moment, bien sûr, la politique de l’enfant unique pourrait être abandonnée et la régulation démographique pourrait se baser sur le taux de remplacement, d’environ 2,05 enfants par femme.

(Rappelons qu’une telle politique a été suivie par l’Iran, de façon incitative et non coercitive à la différence de la Chine ou de l’Inde, avec des résultats remarquables, avant que M. Ahmadinejad y mette fin de façon catastrophique pour l’avenir de ce pays, d’ores et déjà en stress hydrique du fait de sa surpopulation).

Cette politique, qui ferait certes le bonheur de notre climat et de notre biodiversité, a bien évidemment toutes les chances de ne pas être du goût des capitalistes qui gouvernent notre monde et de leur recherche d’un profit optimal grâce à un nombre maximal de consommateurs.

Il y a donc hélas peu de chances de la voir mise en œuvre…

Pourtant, l’urgence est donc, bien loin des politiques natalistes qui font hélas leur retour dans des programmes électoraux, de conjuguer une indispensable décroissance économique des plus riches, sélective en fonction de la pression environnementale exercée, avec une croissance maîtrisée des plus pauvres, elle aussi sélective en fonction des retards de développement et d’équipements essentiels qui s’observent dans certaines nations.

Mais dans tous les cas, la persistance ou le développement de la régulation démographique doit demeurer, elle, un objectif partagé.

Cela passerait, bien évidemment, par des mesures aptes à réduire le scandale de la répartition inégalitaire des richesses et des ressources, au niveau des nations comme au niveau international.

Ainsi que par la mise en place de politiques migratoires rationnelles, enfin débarrassées des dangereuses stupidités démagogiques en vogue, et capables d’opérer les rééquilibrages démographiques qui s’imposent au niveau international.

Notre étude le reconnaît :

La réponse, dans bien des cas, a été de recourir à l’immigration, qui a contribué à la croissance des pays développés après le ralentissement de la croissance démographique (…).

Nécessité du recours à l’immigration

Sans l’immigration, bon nombre d’économies développées ne sont déjà plus en mesure de satisfaire leurs besoins en main-d’œuvre. Dans le Royaume-Uni post-Brexit, la combinaison des barrières à l’immigration et des restrictions sanitaires a entraîné une grave pénurie de travailleurs. Avant la pandémie, seuls 12 % des chauffeurs routiers étaient originaires de l’Union européenne. Or, en vertu des nouveaux règlements britanniques, il est désormais interdit d’embaucher des chauffeurs à l’étranger (…)

Concurrence pour séduire les travailleurs étrangers

Certains pays se mettent désormais en quête de main-d’œuvre. L’Allemagne accepte davantage de travailleurs non européens depuis 2020. En 2019, l’Australie a allongé la durée maximale des visas vacances-travail de deux à trois ans, à la condition que les personnes concernées travaillent pendant un temps donné dans des secteurs victimes de pénuries de main-d’œuvre, comme l’agriculture. Le Japon fait également entrer plus de travailleurs étrangers au titre de son programme Specified Skilled Worker [ouvert aux travailleurs qualifiés dans certains secteurs spécifiques].

Les forces économiques à l’œuvre pourraient bien faire naître une concurrence nouvelle entre les pays pour séduire les travailleurs étrangers. L’objectif est de devenir un pays de prédilection. Keizo Yamawaki, spécialiste des politiques migratoires à l’université Meiji de Tokyo ajoute:

Si l’on veut attirer les travailleurs étrangers, il faut leur donner la possibilité de s’installer à demeure dans le pays.” (art. cité).

Politique indispensable, certes, mais dont l’évocation ne semble pas prête à figurer dans les programmes électoraux aussi étriqués qu’irréalistes que nous subissons.

Terminons par un peu d’humour, en évoquant l’un des arguments les plus burlesques des natalistes :

Dans une étude de 2020, l’économiste Charles I Jones, de l’université de Stanford, explique « qu’à long terme, tout effet économique positif découlant d’une diminution de la population pourrait être annulé par la réduction de la capacité créative de l’humanité ». Les idées étant le moteur de la croissance, « une baisse du nombre absolu de cerveaux pourrait freiner sérieusement l’innovation, et donc les perspectives de croissance » (art.cit).

Ce monsieur ignorerait-il donc qu’Einstein, Platon et autres Jean Sébastien Bach ou Descartes, sans parler des inventeurs du feu, de l’agriculture, ou des peintres de Chauvet et de Lascaux, ont vu le jour dans un monde qui comptait six ou sept milliards d’habitants de moins que le nôtre ?

Et que l’augmentation « du nombre absolu de cerveaux » qu’il appelle de ses vœux risque hélas de faire, en raison des crises probables et des guerres dues à la pression démographique insupportable et à la raréfaction des ressources, que le nombre absolu des cerveaux de djihadistes, terroristes et autres dictateurs dépasse amplement le nombre de cerveaux d’Einstein ?

*

Ajout du 10/02 :

Ce lien à l’article fort instructif de Sylvestre Huet, qui montre de façon chiffrée à quel point nous ne sommes pas égaux en ce qui concerne la pollution et la production de gaz à effet de serre.

Au niveau national comme international (cf. ci dessus la comparaison des poids environnementaux en hectares globaux (hag) ) les riches sont beaucoup plus nocifs que les moins riches et bien sûr que les pauvres.

Pour être crédible et donc efficace, l’indispensable politique de sobriété écologique doit avant tout s’attacher à la réduction des inégalité sociales.

Une politique climatique efficace suppose donc la réduction drastique des écarts d’émissions entre groupes sociaux classés par revenus et patrimoines. Or, le seul moyen efficace d’y parvenir est de s’attaquer à la cause de cet écart… qui est justement l’inégalité de revenus et de patrimoine.

Donc, la France a besoin d’un Président qui ne souhaite pas que « plus de jeunes rêvent de devenir milliardaires« , mais d’un Président qui se fixe l’objectif de réduire drastiquement cet écart en confisquant les plus gros revenus et patrimoines au bénéfice de programmes d’action climatique collectifs. Après, il lui sera possible de s’adresser au reste de la population, notamment aux classes moyennes, pour lui demander la sobriété.

Qu’on se le dise !

Une fois de plus, d’un déni à l’autre. De quelques oubliés des COP et des emballements médiatiques.

Depuis une dizaine d’années que je tiens ce blog, je constate avec plaisir que certains des sujets que j’ai tellement évoqués (écologie, réchauffement climatique, décroissance, question énergétique, etc.) ont désormais acquis une place dans les consciences ainsi que dans l’univers médiatique.

Je n’ai certes pas la prétention d’y être pour grand-chose, mais il y a tout de même une satisfaction à avoir l’impression d’aller dans le sens de ce qui doit être fait.

Non que cela atténue en quoi que ce soit mon « pessimisme de l’intelligence », que j’essaie toutefois de concilier, comme le disait Gramsci, avec « l’optimisme de la volonté ».

Car, une nouvelle fois, je ne peux qu’adhérer à l’opinion exprimée par Jean Marc Jancovici lors d’une récente interview accordée à l’hebdomadaire allemand « Die Welt » :

Qu’est-ce que vous vous attendez de Glasgow ?

Rien.

Réponse courte et claire. Pourquoi êtes-vous si pessimiste ?

Si vous regardez le passé, vous réalisez que les COP n’ont rien changé dans le monde réel. Après l’entrée en vigueur de la convention climat, les émissions ont continué à croître exactement comme avant. Aucune inflexion. Les Nations Unies ne font que prendre acte de ce que les pays sont déjà prêts à faire, et pour le moment ils ne sont pas prêts à entraver leur économie au nom du climat.

Succession de vœux pieux et de déclarations démagogico-médiatiques, étalage effréné d’un green washing prompt à remplacer l’économie carbone par une économie lithium tout aussi dévastatrice mais prometteuse de belles plus-values, comme l’attestent les actuelles envolées des bourses du monde entier dopées à la « croissance verte », etc. etc.

La relative prise de conscience et l’emballement médiatique sont encore très, très loin d’influer sur l’évolution réelle de nos économies.

De plus, bien des thématiques essentielles et bombes à retardement sont pudiquement occultées, comme celle de la démographie, ou bien discrètement laissées de côté, comme celle de la persistante inégalité de la répartition des richesses, que ce soit au niveau des nations comme au niveau international.

Mais je m’étonne d’un paradoxe : alors que l’écologie et la question du climat font désormais, pour le meilleur et pour la pire, la « Une » des médias et suscitent COP, sommets et rapports divers, une autre question, reconnue comme tout aussi importante pour l’avenir de notre humanité, continue à n’apparaître dans les agendas politiques qu’à titre de réactions de dernières minutes -dernières minutes qui se répètent depuis vingt ans… – à l’occasion de naufrages ou autres catastrophes qui émeuvent nos sensibilités, sans lendemains -sans lendemains depuis vingt ans… – et se voit traitée avec un amateurisme en total décalage avec son importance et sa gravité.

Il s’agit de la question des migrations.

On le sait, les mouvements migratoires constituent déjà et constitueront inévitablement l’un des problèmes essentiels du XXIème siècle.

Mais outre les réactions de dernière minute mentionnées, où sont donc les COP, les engagements internationaux et les mobilisations de masse, les Greta Thunberg et les manifestations régulières de jeunes ou de moins jeunes consacrées à ce sujet ?

Échapperait-il à la versatilité des modes médiatiques et des exhortations militantes aux bonnes intentions ?

Nos principaux enjeux contemporains ne sont-ils pas d’importance équivalente, et un drame profondément humain ne serait-il pas à considérer avec le même sérieux que le drame écologique ?

Mais hormis quelques indignations passagères autant qu’éphémères, les migrants ne semblent pas faire recette. On s’habitue, on se lasse. Naufrages, maltraitances, violence répressive, tout cela est tellement répétitif…

Pire, l’indifférence de l’opinion et le cynisme des dirigeants laisse le champ libre à celles et ceux qui ne sortent du déni que pour cultiver l’hystérisation. Car la façon la plus fréquente d’aborder la question manifeste hélas – on le constate à l’évidence de plus en plus en périodes électorales – outre une indéniable lâcheté politique, une xénophobie endémique quoique furtive, une peur, voire un racisme implicite qui ne demande qu’à se désinhiber. C’est bien ce dont témoignent les lamentables exhibitions de quelques abjects trublions cherchant à rassembler les foules et prescrivant désormais leurs programmes à des partis autrefois respectables. Tout ceci constituant une menace réelle pour la démocratie et les valeurs fondatrices de l’Europe en particulier.

Il faudrait donc enfin réfléchir aux raisons de nos incohérences et de nos ambivalences à propos de la question des migrations.

À l’image de la croissance démographique, dont le caractère dramatique fait lui aussi l’objet d’un déni largement partagé et dont les conséquences désastreuses sont loin de mobiliser les foules parce qu’une réflexion sur le sujet nécessiterait une remise en question de quelques uns des réflexes et désirs enracinés dans nos affects les plus fondamentaux, la question migratoire semble éveiller chez nous quelque chose qui relève avant tout du « tripal » le plus profond et perturbe, voire empêche toute approche raisonnable.

Il serait difficile de le nier.

Avant toute perception des découvertes et richesses possibles qui accompagnent tout échange, la personne migrante est perçue comme l’autre, l’inconnu, celle ou celui qui nous bouscule dans notre zone de confort et suscite le malaise du fait de sa différence, de langue, de couleur de peau, de culture, de religion.

Malaise qui, on le sait, on le constate tous les jours, lorsqu’il ne suscite pas le déni, peut aller jusqu’à la peur, au rejet.

Ressentis ô combien récupérés et exploités par celles et ceux qui font leur profit de la désinhibition de nos pulsions les plus obscures.

Car l’accueil d’une diversité humaine bien réelle et concrète dans notre quotidien exige beaucoup plus que la défense désormais quasi unanime d’une biodiversité souvent abstraite ou se limitant aux images débonnaires des oiseaux de nos jardins ou autres documentaires animaliers.

Pour répondre à une telle exigence, il serait donc capital et urgent de promouvoir enfin une approche rigoureuse, positive et dédramatisée de la question migratoire.

Tout comme, si nous ne nous efforçons pas de les maîtriser, nous devrons subir de façon catastrophique le changement climatique et ses conséquences environnementales, les problèmes liés à l’inéluctable raréfaction des énergies fossiles ou ceux imposés par une croissance démographique non régulée, les bouleversements liés à des phénomènes migratoires qui n’ont jamais pu être empêchés dans l’Histoire de l’humanité par quelques murs ou barbelés que ce soit doivent être envisagés avec lucidité, rigueur et détermination si nous voulons éviter les graves troubles qu’ils peuvent susciter.

Parmi d’autres approches développées en particulier par des associations (voir par exemple le remarquable Manifeste de France Terre d’Asile), ce texte de Filippo Grandi, haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, pourrait aller dans le sens de cette indispensable dédramatisation d’un phénomène que nous nous devons de réguler avec le plus d’intelligence et d’humanité possible en vue de le transformer en chance aussi bien pour les accueillis que pour les accueillants.

Il importe d’insister en premier lieu sur le caractère inconditionnel du droit d’asile, caractère dangereusement remis en question par les rodomontades des va-t-en-guerre mentionnés plus haut :

Des courants politiques poussent pour restreindre l’espace d’asile en prenant comme justification ce qui se déroule aujourd’hui à la frontière polonaise. Cette érosion et la restriction de l’accès à des personnes réellement en demande de protection internationale sont très inquiétantes et contraires aux valeurs proclamées par l’Union. Cela peut avoir un énorme retentissement dans le monde, où beaucoup de pays, nettement moins riches, sont, bien davantage que nous, frappés par l’afflux de réfugiés. Cela pourrait donc influer fortement sur la pratique du droit d’asile un peu partout (art. cité).

Même si le secours et l’assistance sont dus sans conditions aux migrants en danger, ce droit d’asile dont doivent bénéficier de façon inconditionnelle toutes les personnes persécutées et menacées doit être nécessairement distingué de la situation des migrants économiques qui ne peut, elle, relever de l’inconditionnalité. Ceci contre un « bisounoursisme » des bonnes intentions qui, en étendant cette inconditionnalité à tout type d’accueil, risque de diluer et de perdre le caractère spécifique, indispensable et urgent de l’asile, et susciter incompréhensions et tensions dans les pays d’accueil.

La migration économique elle-même devant être réglementée et répartie en fonction des possibilités réelles rigoureusement évaluées des pays riches,

  • (le fait que 97% des français et plus largement des habitants des nations privilégiées appartiennent aux 30% les plus riches du monde ne devrait-il pas nous inciter, nous et nos semblables, à un peu moins de cécité quant à l’urgence d’un développement économique plus solidaire en ce qui concerne la répartition des richesses et le cas échéant du travail ?)

 et non des fantasmes populistes propagés par des théories xénophobes ou racistes (« grand remplacement », « parasitisme » etc.), tout en évitant de favoriser un « néo-colonialisme migratoire » privant les pays de départ de ressources humaines indispensables à leur propre développement politique, culturel autant qu’économique.

Un véritable débat de fond sur la migration est-il encore possible aujourd’hui ?

La politisation et la stigmatisation l’ont rendu toxique. On n’admet plus que la migration est nécessaire, pour différentes raisons. La migration économique doit être réglementée, et plus elle sera gérée, plus la migration irrégulière se réduira. Cette bonne gestion ferait aussi que le canal de l’asile ne serait plus le seul que des gens voulant migrer pourraient utiliser. Il doit être préservé pour les personnes qui fuient des guerres et des discriminations. Enfin, n’oublions pas la question du changement climatique qui peut, si elle n’est pas résolue, créer de véritables « bombes migratoires » (art. cité).

Face aux insuffisances manifestes de nos politiques migratoires, écoutons encore les recommandations pertinentes de Pascal Brice, Daniel Cohn-Bendit et Romain Goupil :

Il est temps que l’Union et ses États membres se dotent d’une politique migratoire et d’asile conforme aux valeurs et aux nécessités de l’accueil et qui nous mette à l’abri des chantages.

Il est temps de cesser de reculer devant l’inacceptable. L’accueil des personnes étrangères sur le continent européen est une double réalité, une double nécessité, du point de vue du respect du droit d’asile comme de celui des besoins de nos économies. Il doit se faire dans la maîtrise pour prendre pleinement en compte les inquiétudes sociales et culturelles qui taraudent l’Europe.Il passe par un contrôle des frontières extérieures de l’Union, ne serait-ce que pour se prémunir contre la menace terroriste extérieure.

[une fois encore contre le  « bisounoursisme » d’un accueil inconditionnel de tous…]

Cela suppose de la part de l’Union et des États membres une politique migratoire et d’asile fondée sur un accueil digne, organisé et maîtrisé et la fin de politiques dissuasives qui ne dissuadent de rien et entretiennent le désordre, de Moria, en Grèce, jusqu’à Briançon (Hautes-Alpes) et Calais (Pas-de-Calais). Cela passe également par une politique d’intégration active pour l’apprentissage des langues européennes, la formation professionnelle, l’emploi, le logement, la connaissance et le partage des valeurs fondamentales de la démocratie.

C’est ainsi que nous aurons répondu à l’urgence de la survie d’hommes, de femmes et d’enfants à nos frontières, et reconquis notre liberté de décision en tant qu’Européens, en tournant enfin le dos aux peurs organisées par les despotes et les semeurs de haine.

En se souvenant que jamais dans l’Histoire les peurs et les haines, les barricades ni aucun moyen violent n’ont été capables d’arrêter le mouvement inéluctable des migrations, et qu’il importe donc à un État de Droit de traiter le problème dans la justice, la décence et l’humanité, pour le bien de tous.

*

*

Ajout du 01/12:

Quelques extraits d’une tribune aussi nécessaire que courageuse:

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/01/ce-sont-bien-les-etats-qui-tuent-des-migrants-aux-frontieres-de-l-europe_6104242_3232.html

Dans les heures qui ont suivi le repêchage de plusieurs corps sans vie au large de Calais, on a assisté à un véritable déferlement de déclarations émanant d’élus et de représentants d’institutions publiques, se défaussant de toute responsabilité dans les conséquences dramatiques d’une politique migratoire meurtrière, qu’ils ont pourtant choisie et rendent opérationnelle tous les jours. A les entendre, les « passeurs » seraient les seuls et uniques criminels dans cette « tragédie humaine », épaulés, selon certains, par les associations non mandatées par l’Etat, qui auraient « du sang sur les mains », selon les propos tenus par Pierre-Henri Dumont, député [LR]du Pas-de-Calais, sur Franceinfo, le soir du drame. Ce retournement des responsabilités est odieux et inacceptable.

Rhétorique éculée

Le dédouanement des politiques en France et au Royaume-Uni fait tristement écho à la situation dramatique dans le canal de Sicile, où, depuis maintenant plus de vingt ans, des bateaux chavirent et des exilés se noient dans l’indifférence. Il fait écho aussi au traitement de la situation en cours à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, où quelques milliers de migrants sont pris au piège entre les forces armées biélorusses et polonaises, poussés en avant par les premières et repoussés par les secondes. N’y voir que le machiavélisme de la Biélorussie épaulée par la Russie, c’est occulter la responsabilité de l’Union européenne (UE) dans ce refus obstiné d’accueillir celles et ceux qui fuient leur détresse.

C’est bien avec l’assentiment de tous les Etats membres que les gardes-frontières polonais repoussent à coups de grenades lacrymogènes et de lances à incendie des familles afghanes, syriennes et d’autres nationalités, dont la vie est chaque jour mise en danger dans des forêts marécageuses, par des températures glaciales. Ce sont bien les Etats qui tuent aux frontières européennes.

(…)

Face à ces drames, il est urgent que l’UE et les Etats européens, y compris le Royaume-Uni, reconnaissent leurs responsabilités et changent radicalement de cap : il n’est pour nous ni concevable ni acceptable que les institutions poursuivent dans leur entêtement à traiter les personnes migrantes comme des criminels, pour ensuite regretter hypocritement les morts que les mesures sécuritaires contribuent à produire.

*

Ajout du 14/12:

Une réflexion pertinente à propos du caractère inadéquat de l’utilisation du terme « crise » pour qualifier ce qu’on a laissé devenir une routine.

https://theconversation.com/debat-peut-on-en-finir-avec-la-crise-des-migrants-dans-les-medias-172976

Ce que je constate surtout, c’est que les interactions entre médias et « spécialistes » sont pernicieuses car elles renforcent paradoxalement le climat de « crise » qui caractérise la perception des migrations.

En ce qui me concerne, j’expliquerais volontiers qu’un naufrage comme celui de Calais ne relève pas d’une « crise », mais d’une forme de routine – une routine certes tragique et inacceptable, mais une routine quand même. Cette routine est la conséquence directe de la manière dont les États gouvernent les migrations, et il ne faut donc pas s’en étonner. C’est là le travail des universitaires (et des sciences sociales) : prendre du recul par rapport à l’actualité brûlante, mettre l’événement en perspective, rappeler des précédents historiques, etc.

Mais comment exposer de tels arguments si, précisément, on ne parle des migrations qu’à l’occasion de naufrages ? En matière de communication, la forme prend souvent le pas sur le fond. Et naturellement, plus on évoque les migrations sous l’angle d’une crise, plus les responsables politiques seront fondés à ne présenter les naufrages que comme des événements imprévus et tragiques, et à les traiter à grands coups de réunions d’urgence et de mesures ad hoc – perpétuant ainsi un cycle de crise et d’urgence qui dure depuis près de trente ans.

On objectera que les lamentations sur les biais médiatiques sont aussi anciennes que les médias eux-mêmes, et que face à l’urgence il faut se lancer dans l’arène sans hésitation ni cynisme, et avec toute l’indignation qui sied aux circonstances. Éternel débat, auquel il n’existe probablement aucune réponse satisfaisante. Mais tout de même, comment se fait-il qu’en 2021, alors que la barre des 20 000 décès de migrants en Méditerranée a été franchie depuis 2020 déjà, on continue à solliciter en urgence des « spécialistes » à chaque naufrage, pour qu’ils interviennent le soir même et commentent un événement qui, hélas, n’en est pas un ?

Pandémies, dérèglements climatiques, transitions énergétiques, « libertés individuelles »… Vers la fin du mirage de « l’effet cliquet ».

« Encore à jouer les oiseaux de mauvais augure ! », dirait une fois de plus Stultitia.

Ce n’est certes pas de gaîté de cœur, mais il faut bien avouer qu’il y a de quoi…

Cela fait tout de même un certain temps que je m’étonne … d’un étonnement largement partagé.

En quoi devrait-il être étonnant, en effet, qu’une pandémie s’éternise en prenant des formes nouvelles qui mettent à mal nos capacités sanitaires ?

On le sait depuis longtemps, un poulailler ou un clapier surpeuplé, tout comme les élevages intensifs, constituent le milieu idéal pour la transmission de maladies de toutes sortes.

Or notre humanité n’arrête pas d’entasser les individus dans ce clapier grouillant que devient notre pauvre Terre. En vertu de quel miracle devrait-elle échapper à cette logique que connaît tout éleveur, contraint de recourir de plus en plus à une permanente médicalisation de son cheptel, faute de pouvoir ou de vouloir adopter des méthodes d’élevage plus extensives qui supposent plus de place pour moins d’animaux ?

Mais peut-être la fréquentation de l’ENA ainsi que la perte de contact avec notre Terre nourricière empêchent-elles de percevoir des vérités aussi simples et évidentes ?

Certains pourtant s’efforcent de rappeler de telles évidence, ainsi que leurs conséquences inévitables sur ce que d’aucuns nomment la « restriction des libertés individuelles » :

« Il est probable que nous ayons à faire face à d’autres restrictions dans l’avenir. Pas parce que cela crée un précédent car les mesures liées aux pandémies sont réversibles. Mais parce que les situations qui créent les conditions de propagation des virus sont amenées à se reproduire », déclare par exemple François Saint-Bonnet, professeur en histoire du droit à Paris 2.

Rapidité des communications tous azimuts, fonte du permafrost, déforestations en Afrique ou en Amazonie qui vont incessamment libérer, comme le souligne par exemple le grand photographe Sebastião Salgado (vers 7mn) quantité de virus encore inconnus, tout cela indique que des mesures qui nous paraissent encore « d’exception » ont de fortes chances de constituer la règle de notre quotidien dès les années à venir.

Mesures d’exception qui ne seront pas seulement dictées par les pandémies, mais aussi, et simultanément, par les divers cataclysmes – incendies géants, inondations massives, etc. – provoqués par cette « surexploitation de la Terre » régulièrement dénoncée, hélas sans grand effet, par des milliers de scientifiques de premier plan.

Les « signes vitaux » de la planète s’affaiblissent face à la surexploitation générée par l’économie mondiale, ont mis en garde des scientifiques de premier plan, mercredi 28 juillet. Auteurs d’une étude publiée dans la revue BioScience, ils s’inquiètent de l’imminence possible de certains « points de rupture » climatiques.

Ces chercheurs font partie d’un groupe de plus de 14 000 scientifiques ayant plaidé pour la déclaration d’une urgence climatique mondiale. Ils estiment que les gouvernements ont, de manière systématique, échoué à s’attaquer aux causes du changement climatique : « la surexploitation de la Terre ». Depuis une évaluation précédente en 2019, ils soulignent la « hausse sans précédent » des catastrophes climatiques, des inondations aux canicules, en passant par les cyclones et les incendies.

(…)

Avec plus de quatre milliards d’animaux, notamment vaches et moutons, la masse du bétail dépasse, désormais, celle des humains et des animaux sauvages combinés, selon l’étude. « Nous devons réagir face aux preuves qui montrent que nous allons vers des points de rupture climatiques, en prenant des mesures urgentes pour décarboner l’économie et en commençant à restaurer la nature plutôt que la détruire », a déclaré l’un des auteurs, Tim Lenton, de l’université britannique d’Exeter.

La menace de l’irréversibilité

Les auteurs estiment qu’il existe, en effet, « de plus en plus de preuves que nous approchons, voire avons déjà dépassé » certains des points de bascule qui pourraient entraîner le système climatique vers un changement dramatique et irrémédiable. Cela inclut la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, qui pourrait être irréversible à l’échelle de plusieurs siècles, même si les émissions de CO2 étaient réduites. Pour les récifs coralliens, menacés notamment par le réchauffement, et dont dépendent un demi-milliard de personnes, l’atteinte d’un point de non-retour est également possible.

Les auteurs réclament des actions rapides et radicales dans plusieurs domaines : éliminer les énergies fossiles, réduire la pollution, restaurer les écosystèmes, opter pour des régimes alimentaires basés sur les plantes, s’éloigner du modèle de croissance actuel et stabiliser la population mondiale.

Stabilisation – mieux, décroissance – de la population mondiale sur laquelle je revenais dans mes derniers posts, en réponse à la permanence du déni…

Tout cela nous montre, s’il en était encore besoin, que l’humanité a mangé son pain blanc et que nous sommes au pied du mur.

Que les modélisations de Meadows qui étaient, dans les années 1970, de l’ordre de la prévision, sont désormais, incontestablement, de l’ordre des faits.

Là encore, on ne peut que s’étonner de l’étonnement que peuvent susciter chez certains de tels constats, et des incantations réitérées à un « retour de la croissance » voué à être désormais indéfiniment différé, du simple fait des capacités physiques d’une Terre qui ne peut fournir plus de ressources – en énergie, en matières premières, etc.- qu’elle n’en a, et du fait des phénomènes climatiques – sécheresses, inondations, incendies, etc.- appelés à peser de plus en plus lourd sur les économies tout comme pèsera l’inéluctable succession des pandémies.

Dettes abyssales, crises financières plus que probables, il n’empêche : le « retour de la croissance » est guetté du haut de leurs tours d’ivoire par les économistes : « Sœur Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? ».

Car depuis deux siècles l’humanité a vécu dans la croyance, en Occident du moins, qu’un accroissement permanent de nos possibles était garanti de façon magique par un « effet cliquet » rendant impossible tout retour en arrière.

Que la possibilité d’augmenter sans cesse notre consommation d’énergie, de se déplacer où l’on veut, quand on veut, en voiture, en avion, de circuler aux quatre coins du monde sans précautions particulières, d’accroître indéfiniment notre niveau de vie, de richesse, de santé, notre durée moyenne de vie, constituaient des acquis incontestables, érigés au rang de « droits » sur lesquels il était impossible de revenir.

Que tout cela faisait partie d’une sorte de dynamique inéluctable, un sens millénariste de l’histoire, voire une théologie laïque qu’il s’avérait sacrilège de remettre en question.

Et beaucoup ne sont toujours pas sortis de ce genre de vision, comme le prouvent encore une résistance forcenée du déni, ainsi que les promesses délirantes d’un transhumanisme des lendemains qui chantent – pour ceux du moins qui en auraient encore les moyens-.

En dépit du nombre croissant, fort heureusement, de ceux qui se rendent compte, comme le chantait Alain Souchon, qu’on commence sérieusement « à voir le vide à travers les planches ».

Or, si ce n’est pour un libertarianisme à courte vue, la Liberté ne se réduit pas à l’infinie poursuite de tous les possibles suscités par nos fantasmes infantiles de toute puissance.

Nombre de nos « acquis » ou de nos « libertés » prétendument intangibles relèvent en fait d’agréments qu’a permis un certain développement économique, mais qui n’ont aucun caractère essentiel, encore moins pérenne.

Et il serait bien illusoire de croire que ces « acquis », ces « libertés », ces « droits » pourraient eux aussi bénéficier de « l’effet cliquet » abusivement attaché aux autres aspects de la soi-disant « croissance ».

N’en déplaise aux libertariens de toute sorte, ce genre de croyance est déjà, et sera de plus en plus, battue en brèche par le principe de réalité qui accompagnera nécessairement l’évolution de nos conditions d’existence.

Fort heureusement, le plaisir grisant de rouler à la vitesse qu’on veut sur les réseaux routiers publics après un repas bien arrosé a bien dû céder devant le nombre de morts dont cette « liberté » était la cause. En dépit des contestations récurrentes (rien de nouveau sous le soleil…) des défenseurs de la « liberté de vitesse », la limitation de ce genre de « liberté » – limitation qui, rappelons-le, a divisé par six le nombre de victimes de la route – est désormais majoritairement acceptée.

Cela devrait nous faire prendre conscience qu’il existe une dimension bien plus essentielle de ce que nous nommons « liberté », et qui en appelle à une compréhension moins superficielle.

Si, comme le dit Paul Ricoeur que j’ai souvent cité sur ce blog, « on entre en éthique quand, à l’affirmation par soi de sa liberté, on ajoute l’affirmation de la volonté que la liberté de l’autre soit », alors la Liberté s’inscrit dans la dimension d’une solidarité collective nécessairement médiatisée par la Loi.

Car si « l’impulsion du seul appétit est esclavage », « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite –[collectivement]-est liberté », nous dit encore Rousseau.

Les événements actuels, et ceux à venir, vont désormais nous obliger quotidiennement à mieux distinguer ce qui appartient aux seuls « appétits » et conforts individualistes dont nous sommes bien souvent les esclaves, de ce qui relève d’un Bien Commun que le Politique se doit de préserver afin que chacun puisse jouir de la Liberté authentique qui lui revient de droit.

Travail de discernement et de vigilance, autant en ce qui concerne les abus possibles du politique que ceux qui émanent des caprices des citoyens en ce qui concerne la distinction entre de futiles « libertés d’agrément » et la Liberté en tant que telle.

Et dans un monde dont « l’ordre » se révèle de plus en plus éloigné de ce que voudraient lui imposer nos caprices et nos fantasmes prétentieux, il devient urgent de renoncer à nos ambitions prométhéennes de croissances infinies pour revenir à l’antique sagesse stoïcienne dont témoignait le vieux Descartes lorsqu’il conseillait de « changer nos désirs plutôt que l’ordre du monde ».

Ou peut-être faudrait-il parler d’une urgente conversion de ces désirs vers la poursuite d’objectifs plus en accord avec ce qui constitue la dignité de notre humanité.

Le temps est sans doute révolu des rêves de toute puissance et de triomphe d’un bien être purement individualiste par une « levée des inhibitions » quelque peu adolescente.

Car c’est bien la survie collective d’une humanité digne de ce nom qui est en jeu.

Et notre époque exige un engagement adulte de notre Liberté, au-delà des revendications puériles d’un simple confort désormais obsolète et d’un certain nombre de facilités accessoires dont les circonstances exigent d’ores et déjà d’accepter, qu’on le veuille ou non, la disparition.

Même lorsque la démagogie de politiques irresponsables continue à entretenir le mirage funeste de « l’effet cliquet ».

*

Ajout du 28/08:

Bien évidemment, le dernier rapport du GIEC ne fait que confirmer les propos qui précèdent.

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/08/09/la-crise-climatique-s-aggrave-partout-a-des-niveaux-sans-precedent-alerte-le-giec_6090961_3244.html

Ainsi que cet article qui pose bien la question de la nécessaire distinction entre l’affirmation du « principe » et la confrontation à la réalité lorsqu’il s’agit de liberté :

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/26/covid-19-sur-la-question-des-libertes-nous-confondons-le-principe-et-la-realite_6092363_3232.html

Encore et encore sur la démographie. Et sur la mauvaise foi que semblent affectionner ceux qui font pourtant profession de cultiver la bonne.

« Mais tu passes ton temps à te répéter », me dit Stultitia, « tu as déjà tant de fois parlé de démographie ».

Soit.

Mais le déni se répète lui aussi. Et c’est bien là le problème : il faut donc se répéter pour tenter de lutter contre la répétition du déni.

J’avais en effet déjà relevé quelques incohérences de Gaël Giraud, en dépit de l’intérêt que je peux porter à nombre de ses idées, en matière économique en particulier.

Et voilà que je me sens obligé de revenir sur des affirmations concernant la démographie qu’il réitère lors du « 28 Minutes » d’Arte du 23 de ce mois (Vers 9mn 18).

À la question d’Élisabeth Quin : « Est-ce que la notion de décroissance démographique est quelque chose qui est tabou pour vous », Gaël Giraud répond :

« Ma réponse à ceci, c’est ‘’Ne nous voilons pas la face’’. J’entends dans les salons parisiens des amis qui me disent : ‘’J’arrêterai de rouler en SUV le jour où les femmes maliennes arrêteront d’avoir six enfants’’. La réponse à ceci c’est premièrement : ce n’est pas les femmes maliennes qui sont responsables des émissions de co2 sur la planète ».

Certes. C’est bien là ce que se tuent à dire tous les partisans de la décroissance démographique, comme les 15 364 scientifiques de 184 pays, signataires de l’appel du 13 novembre 2017 de la revue « BioScience », suivis des 11 000 de 153 pays, dont 1500 français, le 05 novembre 2019, tous parfaitement au courant que l’empreinte écologique en hectares globaux (hag) d’un habitant des États-Unis est plus de 11 fois supérieure à celle d’un habitant du Burundi, et que si tous les humains consommaient comme cet Américain, il faudrait disposer de 4,97 planètes, ou de 2,79 planètes s’ils consommaient tous comme un français.

Ce genre de documentation est désormais connu de tous, et la responsabilité des nations occidentales dans le réchauffement climatique est effectivement écrasante.

En plus d’une radicale cure d’austérité en vue de réduire leur consommation, c’est donc logiquement aux occidentaux qu’il appartient d’abord de maîtriser leur démographie.

Ce n’est pourtant pas, on l’a vu,  ce que prône le pape, complice et grand inspirateur des thèses du père Giraud, lorsqu’il incite les italiens (dont l’empreinte écologique est proche de celle des français et plus ou moins conforme à la moyenne européenne et sa consommation de près de 3 planètes donc…) à une « explosion des naissances » en vue d’assurer la reprise économique.

Bien sûr, la femme malienne et ses enfants dont parle Gaël Giraud ne sont en rien responsables d’une telle surconsommation dont le pape se fait implicitement l’avocat en encourageant la natalité italienne.

Mais comment donc un pape et un père jésuite peuvent-ils être aveugles au point de ne pas se rendre compte que les plus de deux milliards d’africains seront en 2050 plus proches, du fait d’une croissance économique inéluctable, de l’empreinte écologique de la Chine, qui consomme plus de deux planètes, que de celle du Burundi actuel ?

On le sait, la Chine, qui est passée d’une empreinte écologique de type Burundi à l’époque de Mao à celle que nous lui connaissons aujourd’hui, met tout en œuvre pour que le continent Africain connaisse une croissance du même type, et l’augmentation de sa population de consommateurs fera à l’évidence l’affaire de ses marchés, comme de ceux des nations qui lui disputent la place.

Nos ecclésiastiques sont-ils donc naïfs au point de penser que, seuls dans notre monde de l’hyperconsommation, le milliard d’africains supplémentaire dans un horizon proche, assailli de tous côtés par les incitations à la sainte « croissance », parviendra à maintenir cette vie austère et frugale ne consommant qu’une seule planète qui devrait être notre modèle à tous ?

Mauvaise foi ?

Peut-être faut-il le reconnaître, car une « foi » ne peut être estimée « bonne » du seul fait qu’elle obéit à l’autorité de papes ou d’une tradition qui prône continûment l’adhésion à des thèses démographiques hautement discutables dans notre contexte écologique actuel.

Dans ce contexte, la parole juste et de simple bon sens est bien plutôt celle d’un Kako Nubukpo qui affirme dans son livre L’urgence africaine. Changeons de modèle de croissance, Odile Jacob, Paris, 2019, que « l’Afrique doit passer d’une démographie subie à une démographie choisie » ; « qu’il ne peut y avoir d’émergence sans maîtrise démographique ».

Est-ce à dire, contrairement à ce que prétend M. Giraud dans son troisième point (« la démographie ne se commande pas d’en haut » – je reviendrai sur le deuxième point pour finir -), qu’il est possible d’agir sur la croissance de la population et de la maîtriser ?

La réponse doit être affirmative.

Car à l’opposé de la croissance économique dont la dynamique, à l’origine des troubles écologiques que nous expérimentons de nos jours, ne s’est jamais radicalement inversée depuis les débuts de l’ère industrielle (à part sur de courts laps de temps – crises, guerres, etc.), le taux de fécondité a connu, lui, depuis deux siècle déjà un déclin significatif, constant sur le long terme, en Occident du moins.

Voir par exemple, parmi d’innombrables études allant dans le même sens : Anne Salles, Le contrôle des naissances en Europe du XIXe au XXIe siècle, Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe.

Alors que domine jusqu’au xviiie siècle en Europe l’idée qu’il faut accepter stoïquement toute grossesse, le contrôle des naissances se généralise à partir du xixe siècle et devient progressivement une pratique répandue, en dépit de l’opposition de l’Église et des responsables politiques. Celui-ci apparaît en effet comme un moyen d’ascension sociale, puis, à partir des années 1960, de manière croissante, comme un instrument de liberté. Les politiques, après avoir longtemps condamné cette évolution, finissent par s’y adapter, y contribuant par la libéralisation de la contraception.

En France, le taux de natalité passe, de 1900 à 2020, de 22,7 enfants pour 1000 femmes à 10,7, le taux de fécondité passant dans la même période de 2,80 à 1,80, etc. etc.

La baisse de la natalité résulte de divers facteurs (développement, progrès dans l’éducation des femmes en particulier, information sur les moyens contraceptifs féminins et masculins…) contribuant à un changement des mentalités qui s’émancipent de l’emprise d’habitudes liées le plus souvent à des idéologies traditionnelles, religieuses en particulier.

Dans ce genre de changements, le rôle du politique peut être déterminant, comme le montre aussi par exemple la lutte contre l’excision qui, partie de prises de conscience et de revendications de la base, a été relayée en de nombreux pays par des décisions politiques fortes, en dépit des résistances ancrées dans les traditions et les cultures.

Il n’y a donc aucune raison pour que la question démographique échappe à tout contrôle possible « d’en haut », comme M. Giraud essaye de nous le faire croire, de façon d’ailleurs tout à fait paradoxale quand on constate les efforts acharnés du pape, son mentor, lorsqu’il cherche lui-même à « commander d’en haut » « l’explosion démographique » dont il rêve et à laquelle il incite les italiens.

L’attitude du politique et des instances – traditionnelles, religieuses, etc. – qui influent sur l’opinion peut donc jouer un rôle essentiel dans les orientations démographiques.

Laisser penser que ces dernières pourraient y échapper revient à consacrer le statu quo, en l’occurrence la dérive qu’on veut nous faire croire inéluctable vers un monde à 10 milliards d’habitants dans un futur proche.

Dérive qui, outre qu’elle sert les intérêts idéologiques bien ambigus de religions incapables de mettre en question un dogmatisme nataliste anachronique et d’ores et déjà funeste, fait le jeu d’économies cultivant le mythe de la croissance.

Car si la Chine en particulier renonce à une limitation des naissances, ce n’est pas à cause de l’impossibilité de celle-ci – on verra plus bas qu’elle peut avoir une efficacité tout-à-fait avérée lorsqu’elle est appliquée de façon intelligente – mais avant tout pour des raisons économiques, pour fournir la main d’œuvre nécessaire au maintien d’une croissance qui assure son statut d’usine du monde ainsi que sa position dominante dans la géopolitique de l’Extrême Orient et du monde. Nécessités qui exigent une puissance démographique forte et une augmentation du nombre des consommateurs qu’elle veut séduire.

Mais rien n’empêche des politiques alternatives de décroissance démographique d’être opérantes et rapides, comme en témoigne l’expérience de l’Iran, hélas abandonnée elle aussi pour des raisons de domination géopolitique, en dépit de son urgence écologique.

Je reprends ici avec de minimes remaniements un de mes commentaires suite à un article d’Anne-Bénédicte Hoffner :

***

Marie Ladier-Fouladi souligne que l’Iran a connu « l’une des transitions démographiques les plus rapides de l’histoire ». La fécondité y est passée de 6,4 enfants par femme en 1986 à 2 en 2003, soit une baisse de près de 70 % en l’espace de dix-sept ans, « un résultat que la France a mis cent cinquante ans à obtenir ».

Contrairement aux exemples de la Chine et de l’Inde, cette transition s’est opérée en Iran de façon uniquement incitative et non coercitive, y compris en ce qui concerne l’incitation recommandée à l’enfant unique, qui a largement contribué au résultat, en plus d’autres moyens parmi lesquels la gratuité de la contraception féminine comme masculine, la stérilisation volontaire après le premier enfant, des mesures fiscales appropriées et bien évidemment l’éducation et le travail des femmes.

Ajoutons que la conscience des effets catastrophiques de la surpopulation sur un pays d’ores et déjà en stress hydrique et en risque alimentaire y était pour beaucoup avant que M. Ahmadinejad ne mette fin à l’expérience pour cause de compétition démographique insensée avec ses concurrents moyen-orientaux.

Mais cette expérience apporte encore d’importants enseignements.

D’abord qu’il est donc effectivement possible d’influer sur les comportements avec efficacité et rapidité, sans pour autant mettre en œuvre des mesures autoritaires. Ceci pourrait constituer un exemple pour le reste du monde, à condition que la politique et les croyances suivent.

Puis qu’il est sans doute plus rapide, efficace et facile de réduire la population que de prêcher de façon platonique la sobriété et la frugalité, même si cela reste bien sûr indispensable. Une réduction du niveau de vie et de consommation ne s’est jamais produite au cours de l’histoire de l’humanité que sous la contrainte de guerres ou de crises majeures, alors que nous avons eu en Iran l’exemple d’une décroissance démographique réelle, volontaire et non violente.

Rappelons qu’une politique généralisée de l’enfant unique pourrait ramener à la fin du siècle la population mondiale à 1,6 milliards d’habitants. Même si le chiffre reste théorique, on est en droit de penser qu’y tendre serait l’un des moyens les plus réalistes de réduire autant que possible les catastrophes qui nous menacent. Bien entendu, l’affaire n’irait pas sans crises, mais on peut raisonnablement concevoir qu’elles seraient sans commune mesure avec celles qui attendent 10 milliards de personnes dans le monde surchauffé et assoiffé que nous avons préparé, à l’énergie raréfiée et aux matières premières drastiquement réduites.

***

Ce n’est donc que pour des raisons idéologiques, économiques ou géopolitiques, que la thèse de l’impossibilité d’une alternative à la croissance démographique que connaît une partie du monde nous est complaisamment présentée comme une fatalité.

Et il est grand temps de dénoncer clairement le discours infondé de ceux qui en font un mantra inlassablement répété dans le but, conscient ou inconscient, de faire valoir leurs propres intérêts, en contradiction de plus en plus flagrante avec ceux de la planète et de ses habitants présents et à venir.

Reste le deuxième argument de M. Giraud, autre mantra psalmodié dans l’intention de susciter la terreur devant la perspective d’une « planète qui n’est composée que de vieux ».

Outre la fausseté de l’argument – car une politique de l’enfant unique, si elle accroîtra effectivement dans un premier temps la proportion des personnes âgées dans les populations, amènera à plus long terme à un nouvel équilibre entre jeunes et vieux, simplement avec une population réduite – de telles affirmations condamnent toutes les transitions possibles, en réduisant tout discours en particulier écologiste à une simple incantation bienpensante, si tant est que sa mise en œuvre suppose quelques inconvénients et renoncements : « on veut bien être écolos, mais avec la 5G, Netflix, la croissance du pouvoir d’achat et une planète de jeunes ».

Le beurre et l’argent du beurre, pour ne pas changer.

Il faut pourtant se résoudre à admettre que toute transition, qu’elle soit écologique, économique ou démographique, comportera nécessairement des difficultés, dont il ne faut pas minimiser l’ampleur, avant que nos petits enfants ou arrières petits-enfants retrouvent des conditions de vie plus équilibrées.

Prétendre restaurer notre situation sans avoir à affronter ces difficultés considérables est faire preuve de démagogie et d’irresponsabilité.

À cela, je ne vois qu’une réponse possible, que j’ai déjà plusieurs fois évoquée.

Celle que donne Herman Daly en 2005 dans la revue Scientific American :

Le basculement vers l’économie durable, et il en va bien sûr de même de la démographie durable, « impliquerait un énorme changement d’état d’esprit, sur le plan intellectuel comme sur le plan affectif, de la part des économistes, des décideurs politiques et des électeurs. On pourrait même être tenté d’affirmer qu’un tel projet est irréalisable. Mais l’alternative à l’économie durable –l’économie indéfiniment croissante [ou une croissance démographique exigeant plusieurs planètes Terre pour la supporter]– est une impossibilité biophysique. Si je devais choisir entre m’attaquer à une impossibilité politique et m’attaquer à une impossibilité biophysique, je jugerais la seconde comme la plus impossible des deux et tenterais ma chance avec la première » (Cité par A. Weisman, Compte à rebours. Jusqu’où pourrons-nous être trop nombreux sur terre, Flammarion, Paris 2014, p. 302).

L’humanité a l’expérience toute proche d’une Terre à deux milliards d’habitants. C’était celle des années 1950 et d’un début du XXème siècle qui a produit sa dose d’immenses génies et de réussites scientifiques comme culturelles considérables, sans encore mettre en danger notre environnement de façon irrémédiable. Pourquoi devrions-nous donc craindre de revenir, avec nos connaissances actuelles, à un cadre de vie de ce genre ?

Ce que nous n’avons pas, par contre, c’est l’expérience d’une planète obligée de supporter pendant les siècles à venir une population de 10 milliards d’habitants – car sans politiques démographiques fortes le pic ne va pas s’effondrer du jour au lendemain – dans des conditions environnementales dont nous connaissons désormais le caractère d’ores et déjà catastrophique qui a toutes les chances de devenir sans cesse plus générateur de fléaux divers, de violences et de guerres (le dernier rapport du GIEC est là-dessus sans équivoques).

Où donc se situe la voie – et la voix – de la raison ?

L’énorme changement d’état d’esprit auquel Herman Daly fait allusion n’est-il pas la condition sine qua non de notre survie ?

On attend les projets politiques susceptibles de le promouvoir et de le mettre en œuvre.

Je suis donc une fois de plus choqué de constater combien cette voie, et cette voix, sont occultées par des argumentations dont la rationalité abdique lâchement devant les diktats suicidaires de l’idéologie, de l’économie, et le fantasme infantile de croissances non maîtrisées.

Brève missive à l’intention des enfants que je n’ai pas eus. Et que certains papes gagneraient à écouter Léo Ferré.

Encore une information qui révèle l’une de ces incohérences que se plait à épingler Stultitia :

« Vent de fronde chez les salariés laïcs du Vatican »

Et qui me fait penser, une fois de plus, à l’inoubliable « Monsieur Tout Blanc » de Léo Ferré.

Monsieur Tout-Blanc

Vous enseignez la charité

Bien ordonnée

Dans vos châteaux en Italie

Monsieur Tout-Blanc

La charité

C’est très gentil

Mais qu’est-ce que c’est ?

Expliquez-moi

Pendant c’ temps-là moi j’ vis à Aubervilliers

C’est un p’tit coin perdu au bout d’ la misère

Où l’on a pas tell’ment d’ questions à s’ poser

Pour briffer faut bosser, mon p’tit père

(…)

Monsieur Tout-Blanc

Si j’enseignais la charité

Bien ordonnée

Dans mes châteaux d’Aubervilliers

Monsieur Tout-Blanc

Ce n’est pas vous

Qu’ j’irai trouver

Pour m’indiquer

C’ qu’il faut donner

Quand on sait qu’évêques et autres cardinaux touchent un salaire qui, sans être mirobolant, est toutefois confortable, on s’étonne qu’une institution qui fait profession de charité ne se démarque pas, lorsqu’il s’agit du traitement des plus humbles, de pratiques qui sont hélas celles de nos jungles quotidiennes.

Mais dans le registre de l’incohérence, il y a plus grave.

Je pense souvent aux enfants que je n’ai pas faits.

Il me semble que faire des enfants doit être un acte d’amour par lequel on leur transmet un monde, ambivalent, certes, mais dont on espère qu’il émerveillera encore leurs yeux comme il a émerveillé les nôtres.

Un monde plein d’oiseaux, de libellules colorées, de forêts mystérieuses bruissantes de vie et d’animaux fascinants ; de ces gorilles, ces éléphants, ces baleines qui enchantaient mes livres d’images ; un monde plein de sources claires qu’on peut boire sans crainte dans des montagnes préservées. Un monde où l’existence des uns n’usurperait pas l’espace et les ressources nécessaires à l’existence des autres.

Or, ce monde-là, on le sait, est en train de disparaître sous nos yeux, du fait des ravages exercés partout par une économie soumise à la pression démographique et à la surconsommation de milliards d’humains déjà trop riches et d’autres milliards qui ne rêvent que de le devenir, en réaction à une injuste spoliation.

Avec le lot de prochaines violences inévitables qu’imposera la répartition, entre un nombre croissant d’humains, de ressources décroissant de façon inéluctable.

On peut alors comprendre la réticence à procréer de celles et ceux qui désireraient pour leurs enfants un monde juste et apaisé, dans lequel la beauté, la gratuité, le respect de la vie et de l’environnement conserveraient une place.

Réticence qui fut la mienne.

Car on peut être légitimement en droit de penser que la réduction de ce qui est simple grouillement démographique subi pourrait favoriser l’établissement d’un monde choisi pour être authentiquement plus humain.

Désolé, Monsieur Tout Blanc, mais il n’y a pas que l’égoïsme qui explique la baisse de la natalité.

Je n’ai pour ma part jamais pensé qu’il fallait faire des enfants parce « qu’il n’y a pas (…) de reprise sans explosion des naissances », ou parce que « d’ici 40 ans nous devrons “importer” des étrangers pour qu’ils travaillent et paient des impôts pour nos retraites ».

Je n’ai sans doute pas la prétention d’être un bon chrétien, mais considérer comme vous le faites que faire des enfants pour favoriser la reprise économique ou pour payer nos retraites me révulse.

Peut-être suis-je un rêveur incorrigible, mais je n’ai jamais pensé à cela en voyant un enfant.

Et si justement, plutôt que de courir après une « reprise » économique de toute façon illusoire et suicidaire, notre responsabilité était d’essayer de penser d’urgence un monde qu’une indispensable décroissance réduisant l’emprise idolâtre de l’économique rendrait plus habitable et aimable pour des enfants à naître ?

Si plutôt que de continuer à cautionner le parasitisme des riches, américains, français ou italiens que nous sommes, qui s’octroient entre deux et cinq planètes pour subvenir à leurs gaspillages, nous faisions en sorte de réduire un tel impact par une réelle politique de sobriété, indissociable d’une décroissance de la consommation des nantis (dont les italiens auxquels vous vous adressez font partie comme tous les européens) et une régulation de leur démographie ?

Bien sûr, nul ne nie les problèmes que poserait pendant quelques décennies une telle décroissance en ce qui concerne les « impôts » et les « retraites » qui semblent tellement vous tracasser.

Mais comme vous devriez le savoir, l’état des ressources de notre planète ne permet pas une croissance infinie.

Une telle croissance est tout bonnement impossible. C’est une simple question de physique. Alors que la résolution des problèmes liés à une décroissance choisie relève, elle, en dépit des difficultés, de l’ordre du possible.

Ce n’est donc pas de « reprise » que nous avons besoin. Ni économique, ni démographique.

Car il est tout de même temps de se résoudre à penser rigoureusement un monde où le culte des idoles de la « reprise », de la « croissance », de l’augmentation du « pouvoir d’achat » ou de la préservation des « retraites » ne nous fera plus considérer nos enfants comme des instruments ou des objets à sacrifier sur l’autel de cette religion dévastatrice, mais comme des êtres à part entière, dignes d’amour et de respect, conçus pour autre chose que la perpétuation de nos fantasmes économiques et des systèmes matérialistes qui vont avec.

Et, pour vous qui semblez prêcher le respect des migrants, quel problème y aurait-il si, dans une nécessaire phase de transition économique et démographique nous devions effectivement “importer” des étrangers pour qu’ils travaillent et paient des impôts pour nos retraites » ?

Des économistes autrement lucides que vous voient dans ces migrations l’un des moyens possibles parmi d’autres de réduire en partie des inégalités scandaleuses que nous ne devrions plus tolérer.

Réduction qui serait aussi la façon la plus efficace de permettre à bien des candidats à la migration de s’employer à améliorer chez eux leurs conditions de vie, plutôt que de courir après notre modèle occidental et son fantasme suicidaire en rêvant de consommer et gaspiller, eux et leurs enfants, autant de planètes que le font les américains, les européens et leurs enfants.

Si tant est qu’une charité bien ordonnée devrait pouvoir offrir à celles et ceux qui ne peuvent en jouir la planète unique à laquelle ils ont droit.

Cela impose à l’évidence de réduire les prétentions – économiques aussi bien que démographiques – et les gaspillages de ceux qui usurpent celle des autres, qu’ils soient américains, français ou italiens.

Je ne sais ce qu’il en est de la charité, mais la justice, elle, a un coût.

Et on ne peut se contenter de la prêcher sans assumer des conséquences qui peuvent nous déplaire, qu’il s’agisse d’une plus juste répartition économique ou d’une indispensable régulation démographique.

Alors, mon vieux Léo, même si je suis bien loin d’Aubervilliers, permets-moi encore de suivre tes pas et tes conseils.

Monsieur Tout-Blanc

Si j’enseignais la charité

Bien ordonnée

Dans mes châteaux d’Aubervilliers

Monsieur Tout-Blanc

Ce n’est pas vous

Qu’ j’irai trouver

Pour m’indiquer

C’ qu’il faut donner

Une fois de plus sur la démographie. Brève.

La question démographique demeure encore la grande absente de la plupart des discours sur l’écologie et l’avenir de notre humanité, pour des raisons qui ont essentiellement à voir avec la démagogie et certains dogmatismes religieux à courte vue.

On ne peut donc être qu’agréablement surpris lorsqu’on constate qu’après  l’appel des 15 000  scientifiques de 184 pays il y a deux ans, ce sont encore 11 000 chercheurs qui réitèrent leurs mises en garde afin « d’éviter à l’humanité des souffrances indescriptibles ».

Et tout comme leurs prédécesseurs de 2017 qui appelaient à :

réduire encore le taux de fécondité en faisant en sorte qu’hommes et femmes aient accès à l’éducation et à des services de planning familial, particulièrement dans les régions où ces services manquent encore.

déterminer à long terme une taille de population humaine soutenable et scientifiquement défendable tout en s’assurant le soutien des pays et des responsables mondiaux pour atteindre cet objectif vital.

Les 11 000, eux, mentionnent parmi leurs analyses « quelques courbes simples sur la croissance démographique galopante (+ 200 000 personnes par jour) »,

et donc parmi leur « leviers d’action » : « stabiliser, et « idéalement », réduire la population en promouvant l’accès de tous, et en particulier des filles, à l’éducation et à la contraception ».

Bien entendu, comme c’était le cas en ce qui concerne les propositions des « 15 000 » (cf. lien à mon post mentionné plus haut), « cette proposition relative à la maîtrise de la démographie a alimenté des critiques, certains estimant que la mesure visait les pays en développement, particulièrement l’Afrique ».

On le sait, l’argument n’est pas dénué de fondement dans un monde où l’empreinte écologique de l’américain moyen est environ dix fois supérieure à celle de l’africain.

Si donc l’effort de partage et de solidarité, y compris en ce qui concerne le maintien du contrôle des naissances, concerne essentiellement les pays riches,

comme je le signalais cependant dans le post mentionné :

l’une des énormes failles du débat est bien là : on réfléchit à empreinte écologique constante quand il s’agit de parler des pays en développement.

Or, s’il est vrai qu’actuellement le poids en Hag (hectares globaux) d’un américain est de 10 fois supérieur à celui d’un africain, il n’en sera plus du tout de même dans 20 ans ou dans 80 !

(…)

Les 3 ou 4 milliards d’humains supplémentaires à l’orée du XXIIème siècle ne se contenteront certainement pas (et de façon tout-à-fait légitime, en un certain sens) des 0,63hag actuels d’un habitant du Burundi, ou des 0,75 d’un habitant du Bangladesh, et les 0,36 planètes nécessaires à un haïtien ou un africain en 2017 vont rapidement devenir les 2,11 planètes du chinois actuel, voire nettement plus.

Les nations émergentes ne sont donc pas exemptes d’un effort de régulation démographique du fait de leur plus faible empreinte écologique. Bien au contraire.

J’ai donc été agréablement surpris d’entendre un responsable politique africain, l’une des intelligences les plus lucides de son continent, s’engager ouvertement et de façon claire sur cette question de la régulation démographique, trop souvent objet de déni de la part des responsables des pays émergents, qui la réduisent à une approche néocolonialiste au service des besoins des pays occidentaux.

Kako Nubukpo n’hésite pas à affirmer en effet (dans son livre « L’urgence africaine. Changeons de modèle de croissance, Odile Jacob, Paris, 2019, mais aussi par exemple dans un « 28 minutes » d’Arte, vers 11mn 30) que « l’Afrique doit passer d’une démographie subie à une démographie choisie » ; « qu’il ne peut y avoir d’émergence sans maîtrise démographique ». Car des économies aux recettes fiscales faibles ne peuvent supporter une population qui double tous les 25 ans, etc.

Et si « les africains ne veulent pas entendre ça pour des raisons culturelles ou religieuses, c’est notre devoir d’insister là-dessus ».

Paroles de clairvoyance et de sagesse qui brisent le tabou et la langue de bois de la bien pensance habituelle, et qui gagneraient à être largement diffusées et réfléchies.

Petit vademecum économico-politique à l’usage de celles et ceux qui ne veulent pas se tromper de révolution.

Je ne suis certes pas économiste, encore moins politicien.

Pourtant, puisque le souci des choses de la Cité appartient de droit à chacun de nous, je me risque à ce petit « récapitulatif » de quelques idées avancées dans des posts précédents, qui voudrait esquisser quelques lignes d’orientations dans notre paysage économico-politique.

Il n’y aura donc rien de nouveau pour qui connaît un peu le contenu de ce blog. Seulement une mise en forme plus synthétique.

Avant tout pour ma gouverne personnelle, mais si cela peut inspirer quelques réflexions, susciter la discussion et la critique…

Je ne mentionnerai pas de « liens » aux posts qui ont vu le développement de ces idées, afin que ce « petit guide des égarés » demeure le plus concis possible sans que l’abondance de détails fasse perdre de vue l’architecture générale.

On pourra bien sûr au besoin, pour retrouver les indispensables analyses plus détaillées, se rapporter à l’outil de recherche afin de prolonger la réflexion sur différents termes et thèmes (Meadows, croissance, etc.), comme bien sûr aux « Étiquettes » (Démographie, Économie, Écologie, Politique, etc.) et aux « liens » (blog de S. Huet, Institut Momentum, Jancovici, etc.).

  1. L’alternative inéluctable : le fantasme d’une impossible croissance illimitée dans un environnement fini versus une décroissance raisonnée.

Tout d’abord, une intervention récente dans les « commentaires » du Monde à propos de « l’Airbus européen des batteries » me permet de formaliser ce qui me semble être l’alternative essentielle sur laquelle j’insiste depuis la création de ce blog :

« À qui fera-t-on croire que des millions de tonnes de batteries et une guerre commerciale pour produire les milliards d’automobiles « propres » pour les milliards de consommateurs issus de notre croissance démographique vont dans le sens de la révolution écologique urgente indispensable à la survie de notre planète »?

(…) »La seule alternative est en effet celle-là: soit on choisit de poursuivre une croissance et une augmentation du « niveau de vie » et de la « richesse » qui ne peuvent à terme que nous conduire dans le mur; soit on décide enfin de mettre en question ces vaches sacrées mortelles, et, par une décroissance raisonnée, de faire en sorte de gérer du mieux possible un « effondrement » inéluctable, que nos enfants devront sans cela subir de façon catastrophique. Ce n’est qu’une question de temps ».

Car il faut enfin se décider à choisir entre :

  • le fantasme d’une croissance illimitée dans un monde fini, mythe occidental totalement absurde et destructeur, mais qui a désormais contaminé le monde entier ;
  • et la mise en œuvre urgente d’une décroissance raisonnée, autant économique que démographique, seule solution pour éviter le caractère chaotique et catastrophique d’un effondrement qui ne peut de toute façon que se produire.

La lutte contre le déni du caractère inévitable d’une telle alternative me semble devoir désormais constituer le centre de tout engagement politique sérieux et donc des orientations économiques du monde à venir.

Précisons que la lutte contre le mythe de la croissance matérielle illimitée doit nécessairement s’accompagner d’une dénonciation des mythologies connexes, en particulier celle de la croissance nécessaire du PIB, du pouvoir d’achat et de la consommation.

Le modèle occidental, qui suppose que l’empreinte écologique en hectares globaux de l’américain moyen nécessiterait 5 planètes si son mode de vie et de consommation était appliqué à l’ensemble de la population mondiale (2,7 quand il s’agit du mode de vie du français moyen), est d’ores et déjà condamné par les limites de notre environnement.

Malgré leurs désirs et leurs efforts, il ne pourra donc être à moyen terme suivi par les nations en développement, ni constituer l’éden que poursuivent les mouvements migratoires : son extension à l’ensemble de la planète se voit tout simplement interdit par les lois de la physique.

  • 2. La lutte déterminée contre l’injustice comme condition sine qua non du dépassement du déni et de l’acceptation de la radicalité des mesures indispensables.

2.1) Lutte contre l’injustice au niveau interne des nations.

C’est la leçon de ces derniers mois : des mesures indispensables (augmentation de la fiscalité écologique, etc.) ne pourront être acceptées que si elles sont prises dans un contexte de justice sociale, fiscale, économique.

Dans le processus complexe de décroissance auquel nous ne pouvons pas échapper (décroissance de la production matérielle, de la consommation, d’un pouvoir d’achat conçu de façon quantitative, de la démographie, etc.), l’effort doit être équitablement réparti.

Il est en particulier inacceptable que des privilégiés continuent de jouir de facilités dont ne dispose pas l’ensemble de la population, et continuent à alimenter par leur exemple des aspirations à une consommation démesurée, en inadéquation totale avec les possibilités de notre planète.

La tâche du politique, de quelque modèle qu’il se réclame, sera donc de faire que le poids considérable des efforts à venir soit partagé dans le contexte de la plus large justice sociale et solidarité démocratique.

2.2) L’indispensable prise en considération de la justice au niveau international.

Mais cette indispensable exigence de justice au niveau interne à chaque nation ne peut cependant occulter la nécessaire prise en considération concomitante de l’aspect désormais transnational de la problématique de la justice.

On ne peut évacuer le fait que le bien-être des nations occidentales s’est historiquement déployé et repose encore en grande partie sur la spoliation des richesses d’autrui et l’exploitation des capacités de travail de peuples moins développés.

De même, la pollution de l’environnement commun, sa destruction, le pillage des océans, etc. sont essentiellement le fait des nations les plus riches.

Il est donc inacceptable que la question de la justice économique et sociale ne soit pas désormais abordée au niveau mondial.

Comme le soulignait un article évoqué dans un post récent, 97 % des Français appartiennent aux 30 % les plus riches du monde ; 90 % au 20 % les plus riches.

Notre appartenance à cette classe mondiale de privilégiés repose sur de graves déséquilibres qui ont caractérisé l’histoire de l’économie mondiale, et qui la caractérisent encore.

La question du « niveau de vie » ne peut donc plus se poser de façon purement interne aux nations, comme c’est pourtant le cas aujourd’hui, mais doit être abordée de façon globale : si certains ont besoin de 5 planètes ou 2,7 pour supporter leur mode de vie, cette surconsommation s’opère forcément au détriment d’autres populations. La Terre n’est pas indéfiniment extensible. Cette réalité ne peut pas ne pas être présente à notre conscience politique.

Le fait que chaque humain puisse bénéficier de la planète à laquelle il a droit implique donc obligatoirement la décroissance de la surconsommation de la part des privilégiés que nous sommes, sous la forme de plus de partage et de solidarité.

Une telle décroissance serait aussi un moyen de réduire :

  • d’une part le caractère catastrophique et suicidaire de l’influence du modèle occidental sur les nations en développement.
  • d’autre part les phénomènes migratoires en grande partie dus à la recherche compréhensible de compensation aux déséquilibres de niveaux de vie, ressentis en particulier du fait de la mondialisation de la communication et de l’image : si en effet le niveau de vie de l’américain ou du français moyen se rapproche de ce qu’il devrait être pour rendre possible la survie de l’espèce – en l’occurrence de celui de l’africain ou de l’asiatique qui ne consomment – pour le moment… – qu’une planète – ces derniers auraient moins de raisons de fuir une situation que la comparaison avec celle, inadmissible, des privilégiés que nous sommes rend inacceptable.

Rappelons toutefois qu’une augmentation régulée de la migration de travail, comme il a été dit dans un post précédent (cf. B. Milanovic) constitue l’un des moyens de réduire les inégalités de niveau de vie.

L’avenir ne peut être qu’au partage d’une frugalité que nous devons nous attacher à rendre suffisante pour tous, et non à la surenchère déjà suicidaire de la consommation à laquelle incite notre modèle occidental.

  • 3.Contre les archaïsmes et les anachronismes de l’ancien monde.

Je suis tout à fait conscient de l’extrême difficulté politique de la mise en œuvre d’une économie de la décroissance matérielle pour les plus riches et de la régulation démographique en vue de retrouver une population optimale compatible avec la survie de notre espèce dans des conditions de dignité ainsi que la préservation de notre environnement.

Cela suppose bien évidemment un certain nombre de défis nouveaux que nous aurons à affronter.

Toutefois, Herman Daly, que j’ai déjà cité à plusieurs reprises, me paraît exprimer avec autant de concision que de pertinence l’alternative à laquelle nous sommes désormais confrontés :

Le basculement vers l’économie durable « impliquerait un énorme changement d’état d’esprit, sur le plan intellectuel comme sur le plan affectif, de la part des économistes, des décideurs politiques et des électeurs. On pourrait même être tenté d’affirmer qu’un tel projet est irréalisable. Mais l’alternative à l’économie durable –l’économie indéfiniment croissante – est une impossibilité biophysique. Si je devais choisir entre m’attaquer à une impossibilité politique et m’attaquer à une impossibilité biophysique, je jugerais la seconde comme la plus impossible des deux et tenterais ma chance avec la première » (Scientific American, 2005, cité par Alan Weisman, Compte à rebours. Jusqu’où pourrons-nous être trop nombreux sur terre ?, Flammarion 2014, p.302).

En fait, nous ne semblons pas avoir d’autre choix.

L’incantation à la croissance indéfinie relève, nous l’avons dit, du mythe. Mythe dont deux siècles d’inertie mentale dus aux réussites de la révolution industrielle fondée sur l’épuisement des énergies fossiles nous ont fait perdre la conscience du caractère chimérique.

C’est cette force d’inertie qui nous empêche désormais d’envisager des solutions alternatives à une croissance devenue autodestructrice.

D’où la pathétique névrose de répétition qui caractérise l’essentiel des approches économiques contemporaines au niveau mondial.

N’en déplaise aux optimistes béats de la croissance classique, de la « croissance verte », du statu quo démographique, etc. nos connaissances les plus objectives en ce qui concerne l’évolution climatique, la situation des océans, celle des forêts, la dégradation de la biosphère et de la biodiversité, la consommation d’énergie primaire, la pression démographique, la disponibilité en eau potable etc. ne cessent de confirmer la pertinence des conclusions du rapport Meadows et de ses différentes mises à jour.

« Tant que nous poursuivons un objectif de croissance économique « perpétuelle », nous pouvons être aussi optimistes que nous le voulons sur le stock initial de ressources et la vitesse du progrès technique, le système finira par s’effondrer sur lui-même au cours du XXIe siècle. Par « effondrement », il faut entendre une chute combinée et rapide de la population, des ressources, et de la production alimentaire et industrielle par tête ».

Dans cette perspective, il faut bien l’avouer, nos préoccupations économiques et politiques apparaissent pour l’essentiel particulièrement déphasées, archaïques et anachroniques.

Non seulement celles des politiques « classiques », mais aussi la plupart des revendications qui prétendent s’y substituer.

Pour paraphraser une sortie célèbre, « notre maison brûle, et la seule chose qui nous intéresse est le maintien de la croissance et de notre pouvoir d’achat »…

Sur ce point-là, black blocs, « gilets jaunes » et politiques traditionnels se donnent allègrement la main. Seuls diffèrent les moyens mis en œuvre !

Les derniers s’efforcent de les raviver. Les premiers exigent de mieux les partager. Mais pour tous, ce sont encore et toujours la croissance et la consommation qui restent au centre du jeu.

Or, pour qui a quelque idée de la situation réelle de notre monde, il s’agit là d’une supercherie, d’une danse sur le volcan qui oscille entre le pathétique et le grotesque.

Imposture généralisée qui, une fois encore, repose sur l’omniprésence du déni de réalité, comme nous le rappelle, une fois de plus, Jean Pierre Dupuy :

(…). Nous tenons la catastrophe pour impossible dans le même temps où les données dont nous disposons nous la font tenir pour vraisemblable et même certaine ou quasi certaine (…). Ce n’est pas l’incertitude, scientifique ou non, qui est l’obstacle, c’est l’impossibilité de croire que le pire va arriver (…).(Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Seuil, Paris 2002, p. 142-143).

Ou encore le génie de Pascal :

« Nous courons sans souci dans le précipice, après que nous ayons mis quelque chose devant pour nous empêcher de le voir ». (Pensées, Brunschvicg 183).

Quand donc, au-delà des discours creux, des gesticulations stériles et autres désinhibitions douteuses, aurons-nous l’honnêteté et le courage d’envisager ensemble, de façon adulte et rigoureuse, les exigences de la Révolution qui doit désormais être la nôtre ?


PS : Le lecteur aura noté que l’apparence de ce blog a changé.

Cela ne dépend aucunement de ma volonté.

Le journal « Le Monde » qui hébergeait jusqu’alors les réflexions de desideriusminimus ayant décidé de se séparer de ses blogueurs de façon unilatérale et sans aucune explication, j’ai été contraint d’adopter cette solution de remplacement.

J’espère faire en sorte de la rendre aussi attrayante que possible.

Merci de votre fidélité.

De la rétention fécale à la rétention fiscale, à propos du petit Carlos. De l’actualité de René Dumont et de la course à l’Afrique. De quelques propositions électriques de la CGT, et de la série Ad Vitam qui nous fait aimer la mort. Quelques brèves.

Stultitia me rappelle encore ce matin un beau texte de notre maître commun Sigmund Freud:

« Les enfants qui utilisent l’excitabilité érogène de la zone anale se trahissent parce qu’ils retiennent leurs matières fécales, jusqu’à ce que l’accumulation de ces matières produise des contractions musculaires violentes, et que, passant par le sphincter anal, elles provoquent sur la muqueuse une vive excitation. On peut supposer qu’à une sensation douloureuse s’ajoute un sentiment de volupté. Voici un des meilleurs signes d’une future bizarrerie de caractère ou de nervosité : quand l’enfant, assis sur le vase, se refuse à vider ses intestins et, sans obéir aux injonctions de la mère, prétend le faire quand cela lui plaira. » S. Freud, Trois essais sur la théorie de la sexualité, 1905. Gallimard Folio 1962, p. 81.

Les parents connaissent bien ce genre de manifestation, lorsque, bataillant dans l’espoir du moment tant attendu du vidage des intestins, ils se confrontent au veto triomphal de l’enfant qui affirme son pouvoir par l’instrument du refus.

Ainsi le petit Carlos, solidement vissé à son petit pot, expérimente sa puissance lorsque, par la rétention, il se montre, face au monde entier qui le presse d’accomplir son devoir, le seul maître de la situation.

On le sait, une pathologie fort courante pourra faire passer plus tard ce complexe de toute puissance du petit Carlos de la rétention fécale à la rétention fiscale et du refus de remplir son pot au refus de payer ses impôts.

On s’étonne alors que l’immaturité de ce genre de gros bébé puisse représenter le symbole d’une réussite sociale, alors qu’il ne s’agit jamais que d’une pathologie des plus vulgaires.

Mais les caprices de M. Bébé ont toujours fasciné les gogos. On voit ainsi des parents admiratifs devant les diktats du petit despote : « Quel caractère ! N’est-ce pas ? Il deviendra quelqu’un, sans aucun doute ».

Ce sont incontestablement ses 914 années d’études qui justifient que le salaire du despote en question soit multiplié d’autant par rapport à celui d’un de ses ouvrier smicards.

Rappelons toutefois qu’Henry Ford, qui s’y connaissait tout de même un peu en capitalisme et en réussite économique, considérait comme indécent le fait qu’un patron gagne plus de 40 fois le salaire moyen de ses employés.

La marge est déjà confortable. Pour ma part, je la diviserais plutôt par dix.

Mais que dire lorsque le dit bambin immature se permet de la multiplier par 914 ?

Le mouvement des « gilets jaunes » est certes ambigu, et certaines revendications ne brillent ni par la clarté, ni par la cohérence. De belles fins de mois ont en effet toutes les chances de ne pas nous servir à grand-chose – encore moins à nos enfants – quand nous verrons approcher une belle fin du monde…

Mais si nos dirigeants se montraient capables de poser des limites, par la loi ou par l’impôt, à de grossiers fantasmes infantiles qui relèvent cliniquement du stade anal, cela dégonflerait bien des colères et des rancœurs entièrement justifiées.

N’oublions pas qu’au pays d’Henry Ford, la taxation des très hauts revenus fut en moyenne de 80% pendant les années les plus glorieuses du capitalisme, et que cela n’impacta aucunement la croissance, bien au contraire.

À défaut de tout régler, et outre la portée symbolique, cela permettrait d’accroître la justice fiscale et les moyens dévolus à l’« accompagnement social » – pour le moment platonique – de mesures qui n’en demeurent pas moins urgentes : la transition, vite !

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Je rendais justement hommage, dans un post précédent, à René Dumont.

Et une émission récente rappelle opportunément les thèmes de sa campagne de 1974.

Il y a près de 50 ans donc, il avait en effet annoncé avec courage, lucidité et précision ce qui nous attendait, rassemblant sur son programme pourtant indispensable et authentiquement prophétique le glorieux score de … 1,32% des suffrages.

Sans doute l’ampleur d’un tel résultat s’explique-t-elle par le fait qu’il ait prôné entre autres choses la réduction drastique de l’emploi des énergies fossiles, des pesticides, l’abandon de la déjà sacro-sainte voiture au profit des transports en commun et du vélo – abandon au passage stimulé par le triplement délibéré du prix de l’essence (rien de nouveau sous le soleil…) -, le contrôle de la démographie, la décroissance de la production matérielle et de la consommation, etc.

Que serait en effet un monde avec quelques milliards de bagnoles, de smartphones et d’habitants en moins ; où la pollution, le réchauffement climatique et l’hyper-consommation seraient quantité négligeable ; où gorilles et autres orangs-outangs vivraient libres dans des forêts préservées ?

On n’ose y penser. Et de quoi parleraient donc les médias ?

Vite ! Ôtons ce cauchemar de devant nos yeux, comme nous l’avons fait il y a 45 ans.

Il est toujours trop tôt pour bien faire.

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Pourtant, si j’étais d’accord à l’époque avec Dumont en ce qui concerne l’abandon du nucléaire, je me suis éloigné de lui sur ce point, comme je l’ai souvent montré (par ex.).

Pour des raisons que j’ai aussi parfois évoquées, les publications de la CGT ne figurent pas parmi mes références habituelles.

Je dois cependant reconnaître que j’ai été agréablement surpris par celle de la Fédération Nationale Mines-Énergie (FNME CGT) intitulée : « 100% public. Casse investigation ».

Outre qu’elle défend le service public de l’énergie (il est en effet inconcevable que des infrastructures telles que des centrales nucléaires, des barrages, etc. puissent être sans risques majeurs livrées au secteur privé), on y relève des informations pertinentes et particulièrement documentées, qui ont le courage d’aller à contre-courant, et qui recoupent bien des idées soutenues sur ce blog.

Par exemple :

Circuits courts : la fausse bonne idée.

De plus en plus d’intérêts locaux s’expriment pour l’émiettement des réseaux et des circuits de production et de distribution, au motif des énergies renouvelables.

Ces propositions ne sont pourtant pas sans risques, tant pour l’usager que pour les territoires.

(…) Alléchantes sur le principe, ces solutions cachent une réalité bien moins noble, dont l’usager risque de faire doublement les frais. Certaines collectivités y voient la possibilité d’obtenir des financements supplémentaires et les fournisseurs privés, de nouveaux marchés à conquérir. L’implantation de ces nouvelles Infrastructures énergétiques représente en effet un marché juteux pour certains.

Quid du réseau national. Les politiques de l’énergie ont un rôle majeur à jouer pour répondre aux enjeux climatiques et il n’est pas certain que la sortie du système électrique national et la multiplication des systèmes de production sans maîtrise publique constituent la meilleure piste.

Certes, les gestionnaires de réseaux doivent développer des infrastructures supplémentaires en insérant des nouveaux moyens de productions ENR (énergies renouvelables). Mais cela ne diminue pas l’importance du réseau existant qui doit pallier l’intermittence de ces ENR pour fournir de l’énergie aux usagers, même en cas de manque de vent ou de soleil.

Un risque pour les territoires.

Le principe d’autonomie, agité comme une panacée au nez des collectivités, risque fort de se retourner contre elles.

Liberté des prix et disparités des tarifs d’acheminements entraîneraient en effet des inégalités dans l’accès à l’énergie et une discrimination régionale et locale pour l’accueil des activités économiques et industrielles. Au-delà des questions financières, la qualité de l’électricité risque elle aussi d’être déstabilisée en fonction de celle des infrastructures et des modes de production d’énergie. Jusqu’à présent, cette qualité de fourniture, garantie par un réseau national sous maîtrise publique, était une des forces de notre économie, plébiscitée par les industriels, notamment ceux travaillant dans la haute technologie.

L’émiettement des réseaux peut inverser cette réalité. Les territoires qui ne seraient pas en mesure d’offrir une qualité et une garantie d’approvisionnement suffisantes se verraient alors exposés à une désaffectation industrielle et économique et, par effet de cascade, à une désertification et du chômage.

Smart grids, aubaine ou arnaque ?

Appelés aussi réseaux d’énergie intelligents (REI), les Smart grids désignent également les communautés d’énergie et zones à énergies dites positives. Celles-ci sont le fruit d’initiatives libérales et de la volonté de certaines communes d’établir un circuit production-consommation de proximité, sans passer par le réseau historique. Leur visée est souvent économique. Sur le papier, les intentions sont louables : développement des énergies dites « vertes », coût préférentiel. La réalité l’est bien moins. Les dispositifs se limitent souvent à des champs de panneaux photovoltaïques et d’éoliennes à proximité de zones d’habitations. La quantité d’énergie, souvent trop faible, ne permet pas l’implantation d’entreprises dans la zone, créant une désaffection géographique. L’hétérogénéité des acteurs et solutions génère de fortes disparités quant au prix du kWh en fonction des zones. À ce jour, l’électricité produite par ces petits producteurs est rachetée au prix fort par EDF :

  • Photovoltaïque : entre 60 € et 200 € Mwh.
  • Éolien à 82 € Mwh.
  • Biogaz : entre 70 € et 173 € Mwh.
  • Biomasse à 43,4 € Mwh.

Mais si demain, pour des raisons de concurrence, ce tarif préférentiel s’arrête, l’usager paiera au prix fort l’énergie produite à côté de chez lui.

(…)

Ou encore, pour rappeler quelques chiffres trop oubliés :

38,4 mds d’€ payés par les usagers pour soutenir l’électricité photovoltaïque pour 0,7% de la production d’électricité.

40,7 mds d’€ payés par les usagers pour soutenir l’éolien pour 2% de la production française. (…)

Et enfin, pour ce qui est du dangereux (autant que juteux) mirage de la voiture électrique :

En raison de l’évolution climatique mondiale, il nous est demandé chaque jour de faire des économies d’énergie. Isoler notre logement, éteindre nos appareils électroménagers, changer notre véhicule diesel contre une voiture électrique qui serait source de diminution des gaz à effet de serre. Mais ce que l’on supprime d’un côté n’est-il pas de nature à être immédiatement compensé voire augmenté par le choix de la voiture électrique par exemple? Qui dit voiture électrique dit recharge. Qui dit recharge dit consommation et le passage au secteur privé de votre fournisseur ne changera rien, bien au contraire, à la facture finale. Si on atteint le remplacement de la moitié des véhicules en 2030, l’économie sur le carburant s’élèvera à 7,5 milliards d’euros, mais va nécessiter la construction de 5 nouvelles centrales nucléaires en France.

En réalité, la puissance des batteries a été augmentée, comme sur la voiture Renault Zoé. Il faut donc augmenter la puissance des chargeurs, donc payer plus et plus cher sa consommation énergétique. Les composants des batteries risquent de manquer, en plus ils polluent l’environnement, les sols, les eaux et les êtres vivants, ils ravagent aussi des régions entières de la planète. On peut se demander si les pouvoirs publics ne refont pas le « coup du gazoil » des années 70 en incitant les Français à acheter des voitures électriques et si les fournisseurs privés n’ont pas un gros intérêt en approuvant la méthode. [c’est moi qui souligne].

Ce sont bien eux qui signent leur publicité du slogan officiel : «L’énergie est notre avenir, économisons-la ».

Merci, la CGT, pour ces pertinents rappels !

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Autre confirmation de quelques idées développées sur ce blog :

Le dernier numéro du « Courrier International » (1464 du 22 au 28/11/2018) fait sa première page sur « La course à l’Afrique », tellement le continent africain est considéré comme terre d’avenir par la plupart des grandes puissances, États Unis, Chine, Inde, Russie, etc. qui se bousculent pour y investir.

Cela souligne encore, si besoin était, le caractère paradoxal d’une émigration économique dont il paraît justifié d’interroger la légitimité (cela ne remettant aucunement en cause, encore une fois, l’indispensable accueil des migrants relevant du droit d’asile).

L’Europe est-elle vraiment le bon choix à moyen terme pour un migrant économique ?

Un réel travail d’information et de pédagogie est encore à mener sur ce point.

Hélas, un autre paradoxe est à souligner : cette croissance de l’Afrique qui paraît désormais inéluctable au vu des investissements en cours va se faire sur le modèle des pays dits « développés », qui a ravagé l’environnement et le climat de notre planète, menaçant la survie de notre espèce.

Si c’est dans l’immédiat une apparente bonne nouvelle pour l’emploi local, le niveau de vie et les « fins de mois », elle risque fort de très rapidement se transformer en chimère et en piège mortel.

Reprenant dans un autre contexte le titre fameux de René Dumont, il ne serait pas exagéré de dire que « l’Afrique noire est mal partie », tellement le développement qui se profile représente de risques catastrophiques.

Les africains auront-ils assez de lucidité, d’intégrité et de courage politique pour refuser le mirage consumériste auquel les investisseurs vont les assigner, corruption aidant, et pour impulser un développement alternatif ?

Il est hélas permis d’en douter…

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Pour terminer, une petite critique télévisuelle :

Je suis loin d’être un grand fan de séries télévisées.

Mais connaissant mon intérêt pour ce qui touche au transhumanisme, Stultitia m’a conseillé de suivre « Ad Vitam ».

Et je n’ai pas été déçu.

En dépit bien sûr de quelques artifices tape-à-l’œil de bonne guerre, beaucoup d’idées sont judicieuses, et souvent de simple bon sens.

On peut se demander en effet, par exemple, à quoi serviront les enfants dans un monde en marche vers l’immortalité.

À moins de se lancer, comme le préconisent Jeff Bezos ou Elon Musk dans une conquête de l’univers pour le moins fantasmatique en vue d’éponger l’excédent des humains sur notre planète, on est bien obligé de convenir, avec l’un des protagonistes de la série, que « la vérité, même si personne n’ose la dire, c’est que nous n’avons plus besoin d’enfants ». Dans le monde d’Ad Vitam, ils sont de trop.

C’est d’ailleurs cette conscience qui explique, dans un tel monde, la méfiance compréhensible des « régénérés », futurs immortels rajeunis en permanence, face aux « adolescents », « vrais jeunes » non encore régénérables qui ne peuvent être perçus que comme inutiles, voire menaçants.

Et, par contrecoup, les crises existentielles de ces adolescents qui, privés de toute reconnaissance et de toute estime d’eux-mêmes, ne trouvent plus d’exutoire que dans des pulsions suicidaires rémanentes.

Car il n’est pas si évident de supprimer la mort.

Chassez-la, et elle revient au galop !

Comme dans cette scène extraordinaire qui se passe dans un « death shop », où le tabou de la mort est décliné de toutes les façons possibles (serpents venimeux, mygales, armes létales, etc.) à l’usage de néo-bobos immortels en manque de fantasmes et de sensations fortes.

Et, bien sûr, dans le dénouement final, où les mêmes bobos « régénérés » (ou « dégénérés », on se le demande…), assistent, moyennant droits d’entrée sans doute fort confortables, à de nouveaux jeux du cirque, qui mettent en scène de jeunes victimes endurant la vraie mort, elle-même précédée d’un processus de vieillissement accéléré.

Frissons garantis…

Étonnamment, les seules personnes se tirant avec un certain honneur d’un tel univers cauchemardesque – outre les adolescents libérés par Darius le policier et Christa l’héroïne et qui partent vers un « ailleurs » où vraisemblablement la mort sera sauvée – sont des croyants (chrétiens, semble-t-il, mais pourquoi pas juifs, musulmans ou autres ?) qui, résistant aux « évolutions sociétales », ont conservé à l’antique mort sa consistance « traditionnelle ».

Et paradoxalement – au grand désespoir sans doute de quelques évêques et autres « comités d’éthique », quand vient son heure, le mourant se voit entouré par sa famille et sa communauté lors d’un rite qui ressemble fort à une « assistance au passage » signant l’accomplissement joyeux de la vie.

Car au terme de ces épisodes et devant l’effroi d’un tel monde « transhumain », on en vient à bannir avec horreur l’immortalité et à s’écrier « Vive la mort ! ».

Et si, en effet, elle était indissociable de ce qui fait de nous de vrais humains, et non de dérisoires bébés immatures névrotiquement accrochés à leur fantasme de toute-puissance ?

Vacance de M. Hulot. Et si, plutôt qu’un ministre de l’écologie, il n’était pas désormais plus adéquat de nommer un gestionnaire de l’effondrement ?

Cette année, la vacance de M. Hulot correspond à mes « vacances », puisque je pars en rando déconnectée jusque vers la fin du mois de septembre.

Mais puisqu’il paraît que je suis prétentieux (cf. commentaire au post précédent), j’ai la prétention – bien modeste, tellement la chose est évidente – de dire que j’avais souligné depuis longtemps la faillite du « en même temps » en ce qui concerne l’articulation de l’incantation à la croissance économique et l’urgence du changement de cap écologique, ou, comme il a été dit, l’impossibilité de « ménager la chèvre écologique et le chou productiviste ».

Au-delà de l’habituel ministère-alibi d’une écologie purement cosmétique indispensable à toute ambition électoraliste, M. Hulot avait peut-être la déraisonnable prétention (encore un prétentieux, susurre Stultitia…) d’impulser le changement radical d’orientation dont tout écologiste digne de ce nom perçoit l’urgence.

En dépit de tout ce qu’on peut lui reprocher, rendons-lui cet hommage.

Or, une telle revendication semble bien s’avérer illusoire.

Car quel que soit le côté où l’on porte notre regard, nous le savons, l’inertie, voire le refus, alliés aux incohérences des partis écologiques institutionnels, nous rappellent combien une telle transformation implique un changement radical de paradigme à la fois au niveau des politiques nationales et européennes, mais aussi à celui d’une – inexistante – gouvernance internationale.

Pour ne citer que quelques exemples de ces résistances délibérées au changement :

http://huet.blog.lemonde.fr/2018/05/30/bilan-energetique-2017-du-g20-laccord-de-paris-oublie/

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/pour-ressusciter-le-charbon-trump-defait-une-nouvelle-loi-d-obama-788055.html

https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/08/21/le-premier-ministre-australien-sauve-son-poste-mais-recule-sur-la-question-du-climat_5344495_3216.html

https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/08/28/les-paradoxes-du-charbon_5346826_3232.html?

https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/08/28/la-chine-va-mettre-fin-a-sa-politique-de-controle-des-naissances_5347159_3216.html

https://actu.orange.fr/monde/au-mozambique-mariages-et-grossesses-d-adolescentes-au-coeur-de-l-explosion-demographique-CNT0000015EOLx/photos/des-femmes-et-futures-meres-attendent-de-recevoir-une-aide-medicale-a-la-maternite-de-murrupelane-le-5-juillet-2018-dans-le-nord-du-mozambique-0de51392ad72679f89ab606024869782.html

https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/08/27/les-emissions-de-co2-menacent-l-alimentation-humaine_5346733_3244.html

https://www.lemonde.fr/climat/article/2018/08/30/le-rechauffement-favorise-le-ravage-des-recoltes-par-les-insectes-nuisibles_5348257_1652612.html?

https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/08/07/la-terre-risque-de-se-transformer-en-etuve-a-cause-du-changement-climatique_5340233_3244.html

etc. etc. etc.

Face à un constat aussi massif, il serait bien difficile et bien naïf de garder quelque espérance…

Même si l’honneur et la dignité nous ordonnent de pas renoncer au combat, « l’optimisme de la volonté » dont parle Gramsci n’est pas de taille à lutter contre « le pessimisme de l’intelligence ».

« Les hommes politiques sont devenus des facilitateurs du commerce international » (D. Bourg, article mentionné en lien ci-dessus).

Nous avons affaire à trop forte partie, et désormais le temps manque.

Dans un commentaire à mon post du 28/08/2017 précédemment cité, contre toute raillerie et idéologie facile, je tentais de montrer combien de telles inerties et incohérences sont pathétiques et tragiques dans un monde où tout parti politique (y compris de « gauche », « d’extrême gauche », ainsi que la plupart des partis écologistes) ne jure – de façon en partie compréhensible – que par la « croissance », le maintien des emplois et du niveau de vie, des « avantages acquis » etc., à coup de « politique de relance », de « croissance verte », de voitures « électriques » (c’est-à-dire au charbon, au gaz ou au nucléaire…), de « terres rares », de « développement durable » imposant de recourir aux énergies fossiles pour palier l’intermittence des « renouvelables », et autres aberrations voire supercheries similaires.

Et la situation est hélas plus pathétique encore lorsqu’il s’agit des légitimes aspirations au « développement » des oubliés de notre « croissance », de ceux qui seront dans un avenir proche des milliards supplémentaires d’asiatiques ou d’africains qui – résidents ou migrants – ne rêvent que de consommer eux aussi les 2,7 Terres que gaspille le français moyen, ou les 5 que dilapide l’américain…

Étant donnée sa fonction purement accessoire et décorative, il est donc difficile de penser qu’un ministre de l’écologie, qui plus est de notre petite France, pourrait avoir une action efficace en ce qui concerne la réforme on ne peut plus urgente d’une vision du monde aussi massivement partagée, et dont la responsabilité est loin de seulement incomber au « néo-libéralisme » ou autre bouc émissaire.

Car il est trop facile et confortable de désigner de façon incantatoire le responsable universel de tous nos maux. Cela nous dispense de remettre en question de façon plus fondamentale et douloureuse nos orientations de vie.

Car si elle s’avère nécessaire, la seule critique de l’économie « néo-libérale » (et, au passage, à quelle critique se fier ? à celle du RN ? de LFI ? ou d’autres encore ?) n’aura pas raison de nos dysfonctionnements. Le mal est bien plus profondément enraciné.

Classique tension entre « conviction » et « responsabilité » (cf. post précédent).

Or, il serait illusoire de penser que la critique d’un système économique suffirait pour nous décharger de nos innombrables complicités quotidiennes : le problème étant que nous adhérons tous de façon explicite ou implicite – en actionnant le commutateur électrique, en consultant notre mobile, en prenant notre voiture, et jusqu’en mangeant nos chips ou en buvant notre coca, – à ce Moloch que nous aimons tant, au point que tout parti politique lui rend son culte, alors même qu’il est en train de dévorer notre environnement, et donc notre humanité.

Les modèles véritablement alternatifs – et pas seulement décoratifs et démagogiques – sont, eux, encore très loin de rassembler les électeurs du fait de leur indispensable radicalité.

Et cette désaffection est loin d’être nouvelle.

Bien avant 1979, des voix avaient déjà tout dit, comme celle de René Dumont lors de sa campagne électorale de 1974, qui reprenait des idées connues depuis au moins une décennie.

Si donc notre situation écologique n’a fait qu’empirer depuis 50 ans en dépit de tout constat scientifique et d’innombrables avertissements, c’est bien parce que des intérêts considérables sont en jeu.

Intérêts économiques, financiers et politiques, bien sûr.

Mais aussi – sortons du déni ! – les intérêts de chacun de nous, qui préférons le confort, le plaisir, la facilité et le fantasme de leurs illusoires promesses infinies à une frugalité bien rude mais plus durable.

« L’utopie ou la mort !» s’écriait justement René Dumont en 1973.

L’alternative n’a pas changé. Elle est simplement devenue plus urgente.

Mais bien des signes semblent attester que ce sera le déni qui, comme il l’a fait jusqu’à maintenant, triomphera encore durant quelques décennies supplémentaires.

Au terme desquelles il sera trop tard, ou peut-être est-ce déjà le cas, s’il faut évoquer une fois de plus J.P. Dupuy :

«Je n’ai encore rien dit de la nature de l’obstacle majeur qui se dresse ici. Admettons que nous soyons certains, ou presque, que la catastrophe est devant nous (…) le problème est que nous ne le croyons pas. Nous ne croyons pas ce que nous savons (…). Nous tenons la catastrophe pour impossible dans le même temps où les données dont nous disposons nous la font tenir pour vraisemblable et même certaine ou quasi certaine (…). Ce n’est pas l’incertitude, scientifique ou non, qui est l’obstacle, c’est l’impossibilité de croire que le pire va arriver (…). Non seulement la peur de la catastrophe à venir n’a aucun effet dissuasif ; non seulement la logique économique continue de progresser comme un rouleau compresseur ; mais aucun apprentissage n’a lieu. La catastrophe n’est pas crédible, tel est l’obstacle majeur. La peur de la catastrophe n’a aucune force dissuasive. L’heuristique de la peur n’est pas une solution toute faite, elle est le problème » (J.P. Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Seuil, Paris 2002, p. 141-144. Notons le sous-titre…).

Et si, cessant enfin de nous payer de mots, nous avions désormais besoin, pour remplacer M. Hulot, d’un ministre de la lucidité et de la gestion de l’effondrement plutôt que d’un ministre de « l’écologie » purement décoratif ?

Car pourrons-nous continuer longtemps à nous cacher, due à notre absence de volonté réelle, l’évidence de notre échec à résoudre les problèmes que nous avons engendrés ?

Sans pour autant renoncer à sauver ce qui peut encore l’être, il s’agirait maintenant d’avoir l’honnêteté et le courage d’énoncer les inéluctables conséquences d’une telle faillite et de les affronter, en faisant en sorte de résister autant que possible à la barbarie qu’elles ne manqueront pas de susciter.

 

PS : déconnecté jusqu’en fin septembre, je ne pourrai donc publier avant quelques semaines les éventuels « commentaires » et les critiques.

Ne vous en privez pas pour autant !