Encore sur la liberté d’expression. Qu’elle ne peut se réduire à une proclamation abstraite, mais qu’elle exige une analyse critique préalable du contexte dans lequel elle s’exerce.

Je transfère sur ce nouveau post une discussion commencée dans les « commentaires » aux posts précédents, mais qui ne concernait pas les sujets qui y étaient traités.

Il me semble intéressant de lui donner une place spécifique.

Elle fait suite à des réflexions et débats avec Claustaire développés suite à l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020.

https://stultitiaelaus.com/2020/11/13/quelques-remarques-en-complement-du-post-precedent-sur-liberte-dexpression-et-respect/

*

Précision à l’attention de ceux qui souhaiteraient m’assassiner : la reproduction des dessins ci-dessous n’a aucunement pour but d’accuser ou d’humilier l’islam, mais tout au contraire de défendre l’islam authentique en levant des équivoques et des malentendus qui ne peuvent que nuire à sa compréhension véritable.

Prière donc de lire ces discussions dans leur intégralité. Merci.

desideriusminimus

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Claustaire, le 17/10/2022.

Bonjour,
Le lien que je vous propose n’est pas en rapport (direct) avec le sujet de votre post, mais j’ai repensé à vous, en revoyant certains articles et travaux sur ce qui, il y a deux ans, a entraîné la décapitation d’un enseignant par un islamiste, persuadé d’agir au nom du Bien, avec l’assentiment de toute « sa » communauté « offensée ».

Quand vous disposerez d’une demi-heure d’attention à accorder à cet entretien, vous verrez bien ce que vous en pensez, et de la manière dont il peut éclairer les « erreurs » imputées à cet enseignant.

Avec mes respects
C.S.

claustaire

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Bonjour,

Le lien que je vous propose n’est pas en rapport direct avec votre post, mais j’ai pensé à vous en revoyant certains articles et travaux consacrés à la décapitation d’un enseignant par un islamiste convaincu d’agir au nom du Bien et avec l’assentiment de sa communauté « offensée ».

Cet entretien date d’il y a un an, mais je vous laisse juger de la pertinence de son actualité.
Avec mes respects.
C.S.

*

Réponse de desideriusminimus 20/10/2022.

Bonjour Claustaire.

Content de vous revoir sur ce blog. Toutes mes excuses pour le retard à vous répondre, dû à divers empêchements.

Mais je constate que votre intervention a encore une fois apparemment pour but de me donner quelques leçons et me reprocher une position qui n’est pas la mienne en dépit de multiples mises au point de ma part.

Alors je vais vous faire un petit dessin (ou plusieurs) pour m’expliquer.

*

Sans commentaire.

Dessin de Gregorius Nekschot, dessinateur néerlandais accusé de discrimination à l’égard des musulmans (on peut comprendre un peu pourquoi…) qui eut pourtant droit à une flatteuse double page dans Charlie. Légende : « L’imam de Noël vous souhaite de bonnes fêtes et une bonne année 2005 (1426 de l’Hégire) ». 

Sans commentaire.

Dessin de Gregorius Nekschot. Légende : « Une vérité qui dérange. Aïcha… Petite coquine ! » (Aïcha était la jeune épouse de Mahomet).  À noter que cette caricature a fait l’objet aux Pays Bas d’un signalement pour discrimination.

Normalement, cette caricature devrait tomber sous le coup de la loi, puisque la personne incriminée est nommée. Il ne s’agit donc en rien de quelque « blasphème » qui n’est pas condamné en France.

Imaginons quelles auraient été les suites judiciaires si une caricature de la même veine avait concerné par exemple l’homosexualité d’un Pierre Bergé, etc. et non l’inoffensif Mgr Vingt-Trois, qui a choisi de ne pas porter plainte.

Dessin de Gregorius Nekschot. Légende: « Mohammed et Anne Frank ont un message pour le monde: Faites l’amour et pas la guerre« 

Etc. etc. etc.

*

Je connais par ailleurs la vidéo que vous me proposez.

Même s’ils mériteraient d’être plus amplement discutés, je ne trouve rien à redire sur les thèmes qu’elle développe.

À part que la question essentielle, comme d’habitude, n’est pas posée.

J’ai toujours condamné sur ce blog l’islamisme radical et bien sûr ses crimes abjects, dont celui de Samuel Paty.

Mais j’estime qu’il est capital de sortir d’une supercherie qui grève une bonne partie de la réflexion sur la liberté d’expression.

Si effectivement, et Stultitia depuis sa naissance en a largement profité, « on doit tolérer l’inconvenance grossière et provocatrice, l’irrévérence sarcastique sur le bon goût desquelles l’appréciation de chacun reste libre, qui ne peuvent être perçues sans tenir compte de leur ­vocation ouvertement satirique et humoristique, qui permet des exagérations, des déformations et des présentations ironiques » nous dit un arrêt rendu en 1991 par la cour d’appel de Paris, l’humour et la caricature ne peuvent servir de prétexte à poursuivre ce que le droit nomme des « buts illégitimes ».

Ainsi, en 2007, la cour condamne les propos de Dieudonné – « Les juifs, c’est une secte, une escroquerie. C’est une des plus graves parce que c’est la première » – parce qu’ils ne relèvent pas « de la libre critique du fait religieux, participant d’un débat d’intérêt général, mais constituent une injure visant un groupe de personnes en raison de son origine, dont la répression est une restriction nécessaire à la liberté d’expression dans une société démocratique ».

Je vous laisse libre d’estimer que les dessins ci-dessus exposés relèvent « de la libre critique du fait religieux, participant d’un débat d’intérêt général », auquel cas, en effet, notre échange risque de tourner court une fois de plus.

Pour ma part, ayant longtemps travaillé sur la question de l’antisémitisme, je n’ai pas rencontré, à l’examen des délires des Drumont, Céline et autres personnages du même acabit ainsi qu’à celui des caricatures et affiches antisémites de la première moitié du XXème siècle en Allemagne et en France, des propos et des images d’une telle ignominie.

Ce genre de caricatures aurait pu pourtant se prévaloir « de leur vocation ouvertement satirique et humoristique », celle-là même qui semble protéger en France les productions exhibées ci-dessus, puisqu’il suffit de s’autoproclamer « journal satirique et humoristique » pour propager des représentations dont l’Histoire a largement démontré la dangerosité.

(Je vous rappelle toutefois que Nekschot si complaisamment accueilli par Charlie a fait l’objet d’une condamnation de la part du Parquet d’Amsterdam, qui a retiré de son site huit caricatures qui « dépassent les limites de la liberté d’expression. Elles sont répréhensibles (…) discriminatoires et (…) incitaient à la haine ou à la violence »).

Chez nous, par suite d’un effet que j’ai plusieurs fois documenté, auquel se surajoute la sanctuarisation dénoncée plus loin, de telles inepties flattant dangereusement le pire populisme dans sa version raciste, et dont l’apport dans un « débat d’intérêt général » concernant l’islamisme est d’une affligeante nullité, n’ont pas été sanctionnées.

Alors qu’un Zemmour lui-même, pourtant plusieurs fois condamné à juste raison pour discrimination et provocation à la haine ne s’est jamais abaissé à de telles extrémités.

Car voilà bien le fond du problème : si la liberté d’expression, à juste raison, « doit tolérer l’inconvenance grossière et provocatrice », la supercherie consiste à vouloir faire croire que la dite liberté d’expression s’y limiterait.

Or, du fait de l’attentat odieux dont a été victime Charlie Hebdo, celui-ci est devenu en France, au grand étonnement de l’étranger, le parangon, le symbole même de la liberté d’expression, la vache sacrée inattaquable, dont les moindres productions, projetées sur grand écran sur nos places publiques, ne peuvent être remises en cause sous peine d’une infâmante accusation de blasphème.

Voilà pourquoi, outre une classique complaisance française à l’islamophobie qui n’est plus à démontrer et qui est pour beaucoup dans la montée tout-à-fait prévisible de l’extrême droite, des productions parfaitement injurieuses ne sont pas sanctionnées, alors même que la loi énonce que leur « répression est une restriction nécessaire à la liberté d’expression dans une société démocratique » (Ass. plén. 16 février 2007, pourvoi n° 06-81.785, Bull. Crim. 2007, n° 1, cassation).

Amusant : lors de la parution dans Le Monde de l’article de Charlie Hebdo intitulé « Rien n’est sacré », en soutien à Salman Rushdie, j’avais écrit ce petit commentaire :

«Rien n’est sacré». Mais Charlie lui-même ne serait-il pas devenu abusivement une « vache sacrée » ? Fort légitimement, nos lois recréent un espace qui pourrait être considéré comme un sacré laïque. Sanctionner le délit d’antisémitisme, l’injure ou la diffamation raciste, homophobe, islamophobe, etc. fait partie de l’établissement de ces limites sans lesquelles une société ne peut subsister sans violence. Dès lors, que penser, entre autres exemples, de l’apologie faite par Charlie du caricaturiste G. Nekschot qui représente entre autres prouesses des imams en train d’enc… des chèvres ou des petites filles? Diffamation qui devrait fort heureusement tomber sous le coup de la loi. D’autres ont été sanctionnés pour moins que cela. La condamnation des agressions islamistes est unanime. Mais avant de donner des leçons il faudrait donc balayer devant sa porte et ne pas penser qu’un statut de « vache sacrée » établi par les circonstances que l’on sait constitue un laisser passer qui justifie l’injustifiable.

Bien entendu, comme prévu, ce petit texte considéré comme blasphématoire vis-à-vis de cette Institution Sacrée que constitue Charlie Hebdo, n’a pas eu l’heur d’être publié.

J’ai écrit jadis que Samuel Paty « a été doublement victime : de son ignoble assassin, bien sûr, et aussi d’une équivoque qu’il n’a pas été en mesure de surmonter ».

Cette équivoque, qui consiste à assimiler la liberté d’expression aux tolérances qu’elle autorise et qui se révèlent dans certains cas, comme dans celui de Charlie, dangereusement ambigües, constitue une source hélas complaisamment entretenue, délibérément mais aussi souvent de bonne foi, de malentendus qui ont causé et causeront sans doute encore des victimes.

Elle est pain béni pour des assassins extrémistes qui n’attendent que ses manifestations pour hurler à l’offense, se présenter en victimes d’une « laïcité » injurieuse, et pour mobiliser les tièdes et les hésitants, et tant de jeunes vulnérables du fait de leur marginalisation par la société.

Il y a fort à parier que nombreux sont ceux qui en attendent la prochaine expression pour profiter de l’aubaine.

Pourtant, en France ou ailleurs, manquerait-on donc d’exemples de liberté d’expression et de vraie laïcité pour sacraliser abusivement ce qui n’en est souvent qu’une … caricature ?

Mais sans doute cet appel au simple bon sens relève-t-il de l’infâme islamo-gauchisme.

Je ne me fais pas spécialement d’illusions…

Cordialement.

*

Réponse de Claustaire. 21/10/2022.

Bonjour,

Je vous ai effectivement mis un lien destiné à vous “donner une leçon” (ou, plus simplement, vous proposer à réfléchir, ce en quoi, enseignants, nous sommes censément experts).

La position que je vous reproche, depuis deux ans, est simplement celle de qui s’autorise à faire le procès d’un mort. En l’occurrence, un collègue assassiné pour avoir, dans le cadre de sa mission, proposé une caricature choquante afin de la mettre en question.

J’ai, plus d’une fois, rappelé que la caricature présentée à ses élèves par Samuel PATY (caricature sortie d’un corpus pédagogique proposé par l’E.N. pour l’enseignement en question) l’avait été dans le cadre d’un cours sur le dilemme posé par la notion de “liberté d’expression” : jusqu’où peut-on choquer (ou non) par une caricature ou une prise de position, quelles en sont les limites (fixées par la loi locale des citoyens concernés, la ‘décence commune’ ou n’importe quelle communauté de par le vaste monde, informée de l’existence d’une telle publication éventuellement faite aux antipodes), et quelles réponses possiblement meurtrières on pouvait trouver légitime (ou non) d’opposer à de telles publications.

Caricature, donc, mise au sens propre “à la question” au sein d’un cursus d’études, et non publiée dans le cadre d’une propagande raciste (comme notre société a pu en voir, hélas, proliférer ces dernières décennies).

Je vous ai mis un lien vers un entretien où Di Nota tentait d’expliquer qu’à partir du moment où on acceptait, au cours des leçons que l’on était amené à faire dans le cadre des programmes, de tenir compte du risque de “choquer”, “froisser” des élèves (ou leurs parents ou leur communauté idéologique ou religieuse) pour leurs croyances, convictions ou traditions, on n’en finirait plus de risquer de mal faire, de choquer, de froisser, de déplaire ou de devoir se censurer. Et que là où aujourd’hui telles caricatures devaient être mises à l’index, demain tels auteurs ou thèses scientifiques classiques le seraient.

Puisque vous avez pris le risque ’fatwal’ de publier des caricatures de M* pour prouver qu’une caricature peut être raciste, odieuse ou condamnable (et condamnée, en vertu de nos propres lois), ce qui n’est plus à prouver à personne, je vais prendre le risque de publier in extenso une page d’un journal sans en avoir demandé l’autorisation : il s’agit du discours que la soeur de S. PATY a proposé à la Sorbonne lors de la commémoration du deuxième anniversaire de la mort de son frère :

______________

“Je remercie bien évidemment M. Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale, de nous faire l’honneur de sa présence. Je remercie les élèves et les professeurs qui ont participé au 1er concours du prix Samuel-Paty, dont le thème était : « Sommes-nous toujours libres de nous exprimer ? ». Je remercie tous les membres du prix et je remercie l’Association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG) pour être à l’origine de ce prix et de l’avoir soutenu depuis plus d’un an. Je remercie l’association Dessinez Créez Liberté de nous avoir offert des dessins. Et je voudrais également remercier l’artiste Kaotik 747, en duo avec Gino, et toute son équipe, pour mettre en ligne demain, le 16 octobre 2022, une chanson qui rend hommage à mon frère et à tous les enseignants. Parce qu’il y a des causes et des valeurs qui sont non partisanes et qui se doivent d’être universalistes pour dire « c’est la dernière fois ». En marge de la cérémonie organisée avec les classes lauréates, je remercie l’APHG de me permettre aujourd’hui d’expliquer pourquoi ce prix à un nom… Samuel-Paty.

Après avoir vu le « devoir de faire front » avec le peuple dans la rue, après avoir vu le « devoir de mémoire » avec ces innombrables lieux, plaques et salles qui portent désormais son nom. Et aujourd’hui, la concrétisation du prix Samuel-Paty, portée par une poignée de professeurs qui poursuivent l’œuvre de mon frère : enseigner, c’est expliquer, et non se taire. En attendant le « devoir de vérité », je viens ici reprendre son cours pour assurer un dernier devoir, celui de lui rendre son honneur.

Pour cela, il me semble nécessaire de reprendre les objectifs du programme d’enseignement moral et civique de quatrième. Ces valeurs sont notamment la dignité, la liberté, l’égalité, la solidarité ou encore la laïcité. La méthode des dilemmes moraux a pour objectif de faire croître l’autonomie morale et de développer les capacités de raisonnement des élèves pour forger des esprits critiques. Un esprit critique n’accepte aucune assertion sans s’interroger sur sa valeur.

Elle vise aussi le respect du pluralisme des opinions, dans le cadre d’une société démocratique, tout en rappelant que la loi civile en est la garante. Je dédie ce discours à toutes les personnes mortes, blessées, torturées ou incarcérées dans le monde, pour avoir osé s’exprimer, et je le fais pour faire ­comprendre qu’on ne met pas un « oui, mais » après le mot « décapitation », en France, on met un point.

« Étude de situation : la liberté de la presse » et « Situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie » sont les deux cours que mon frère a présentés à ses classes de quatrième à la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo. Son premier cours, intitulé « Étude de situation : la liberté de la presse », est là pour rappeler que toutes les libertés sont des conquêtes humaines et qu’il n’en a pas toujours été ainsi, précisant que les journaux et les livres étaient soumis à la censure.

La libre communication des pensées et des opinions est définie comme un des droits les plus précieux de l’homme (art. 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Samuel précise également que cette liberté reste limitée par la loi de 1881, qui impose de ne pas publier de fausses nouvelles, qui pourraient troubler la paix publique. Celle-ci interdit également la diffamation des personnes.

L’attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, est mis en exergue pour expliquer que la liberté de la presse peut être menacée. La vague de manifestations en soutien aux journalistes, cette solidarité inconditionnelle au lendemain de cet attentat n’avait pour but que de montrer qu’aucune intimidation ne nous ferait abandonner la liberté d’expression. Rien n’est acquis définitivement, et il ne faut pas oublier que si une de nos libertés est menacée, il faut en assurer la défense pour la préserver.

Il expliquera également que dans les pays où la liberté d’expression n’existe pas, des personnes sont condamnées à la prison ou à mort à cause de leurs idées, par exemple les journalistes de Reporters sans frontières sont là pour dénoncer ce qui est tu. Mon frère finira ce cours en annonçant que lors de la prochaine heure, il reviendra sur l’attentat contre Charlie Hebdo en montrant les caricatures qui ont fait polémique.

Son deuxième cours, intitulé « Situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie » : trois caricatures représentant le prophète Mahomet sont montrées quelques secondes, ces caricatures étant issues du réseau Canopé de l’Éducation nationale. Dans ce cadre-là, il interroge sa classe ainsi : faut-il ne pas publier ces caricatures pour éviter la violence ou faut-il publier ces caricatures pour faire vivre la liberté ? Une liberté peut entrer en conflit avec d’autres droits ou le respect dû aux autres personnes.

En résumé, Samuel n’a pas fait l’éloge de la caricature, mais il a défendu la liberté d’en dessiner une. Les caricatures peuvent choquer, mais ne sont pas faites pour tuer. Il n’y a aucun cas recensé de décès pour avoir eu sous les yeux une caricature. Les caricatures sont là pour montrer qu’on peut ne pas être d’accord avec telle personne, telle opinion politique ou religieuse. Cette liberté est encadrée par la loi. C’est ainsi que Samuel donnera à sa classe la possibilité de comprendre que la laïcité permet, comme le dira d’ailleurs une de ses élèves, de croire et de ne pas croire, et, dans les deux cas, « sans pression ». Cette formule est d’ailleurs celle de M. Patrick Weil, et elle l’a retenue.
En droit français, il n’existe aucune infraction sanctionnant les atteintes aux divinités, dogmes, croyances ou symboles religieux, autrement dit le blasphème. Il faut donc faire la différence entre les atteintes aux croyances et les atteintes aux croyants.

Personne n’est obligé d’aimer Charlie Hebdo, et encore moins de l’acheter et de le lire. On a le droit de ne pas aimer les caricatures et de le dire. La paix civile, dans une société démocratique, est garantie par cette tolérance que d’autres ne pensent pas comme nous. Dans un État de droit, personne n’a le droit de menacer ou de tuer, on s’adresse à la justice pour régler ses différends. Samuel apprenait à ses élèves à se confronter à ce qui peut déplaire, tout en leur laissant exprimer leur désaccord. Il a opposé le langage à la violence.

Alors, oui, Samuel a déconstruit les arguments des islamistes en montrant leur vacuité dans notre République laïque. Il a accompli son devoir et il a tenu ce poste pendant vingt-trois ans, jusqu’en 2020, pour la dernière fois.

J’aimerais également revenir sur un point important, qui ne semble pas avoir été compris il y a deux ans, et encore aujourd’hui, par beaucoup.

Lors de la projection, pendant quelques secondes, des caricatures, Samuel propose, et non impose, aux élèves qui auraient peur d’être choqués de ne pas regarder ou de sortir quand une auxiliaire de vie scolaire (AVS) est présente, et non pas seulement aux enfants musulmans. C’est un acte de prévenance envers un public encore jeune. Des enfants de 13, 14 ans, par leur sensibilité, ne veulent peut-être pas voir des dessins appelant à créer de l’émotion. Il leur a ainsi laissé le choix – choix possible dans une société laïque uniquement. Choix qui ne semble pas avoir été assumé par la suite par deux élèves.

La laïcité est le respect de toutes les religions. Je mettrai en parallèle la laïcité de Jules Ferry, qui consiste à ne pas froisser et donc à ne pas forcer des enfants à regarder des caricatures, et le principe de neutralité, qui, lui, tend à appliquer à tous le même traitement. Je répondrai que dans cette situation de dilemme, le fait de PROPOSER à TOUS de ne pas voir une caricature respecte donc autant la laïcité que la neutralité.

Par des amalgames, c’est-à-dire la confusion volontaire de deux choses distinctes, on finit par transformer un acte laïque et neutre en une discrimination. En donnant au faux l’apparence du vrai, on finit par faire passer un comportement laïque pour un comportement raciste.
Il me reste un dernier point à soulever, il a été écrit que dans un souci de ne pas froisser, il avait tout de même froissé. C’est ainsi qu’on a pu qualifier son geste de « maladresse ». Je vous expose donc une situation de dilemme : imposer de voir les caricatures reconnues comme blasphématoires et proposer de ne pas voir les caricatures perçues comme une discrimination.

L’absurdité de cette situation touche au comique, puisque les deux propositions, VOIR et NE PAS VOIR, semblent froisser. Cela tend surtout à faire passer une réaction d’une minorité pour celle de la communauté musulmane tout entière. Alors que, dans les faits, pour la majorité des musulmans, la France est une république laïque qui ne reconnaît pas le blasphème et que dans un État non religieux, on ne peut reconnaître qu’il y ait une loi divine supérieure à celle des hommes.
Enfin, appliquer les règles de la laïcité à certains et non à d’autres, comme certains le voudraient, c’est octroyer des droits spécifiques à des individus pour motif religieux. Cela relève de la discrimination institutionnelle au plus haut niveau de l’État, contraire à la Constitution, à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme.

Comme cela n’est pas possible, le fait de se positionner en victime, alors même que le choix est préservé de voir ou de ne pas voir, a pour projet de nous faire renoncer aux caricatures, à notre liberté d’expression et à cette laïcité qui ne trouverait plus de sens dans une société multiculturaliste. Faut-il rappeler que la laïcité, comme le dit si bien mon ami M. Henri Peña-Ruiz, « n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait ».
Se servir des plaintes victimaires, d’un antiracisme dévoyé et, au besoin, de la PEUR comme leviers n’a pour objectif que de rendre nécessaire et acceptable la renonciation à notre école laïque. À cela, je viendrai opposer deux choses : le nombre face au bruit.

Je poserai une question simple : combien d’enfants se sont sentis offensés ? La réponse se trouve dans le rapport de l’Éducation nationale : deux, admettons trois, si on compte également la jeune fille absente. Donc trois élèves sur les 60 qui composent les deux classes de quatrième de mon frère et qui ont bien évidemment eu le même cours. Est-ce que cela n’est pas problématique de dire qu’il a froissé LES élèves ?

Cette attitude a engendré deux conséquences. Premièrement, de faire passer une réaction minoritaire comme majoritaire, rendant mon frère coupable aux yeux de tous de discrimination. Deuxièmement, reconnaître qu’il ait pu commettre une erreur en lui demandant de s’excuser a donné toute légitimité à ce qui était clairement visible, validant ainsi une campagne islamiste menée par des parents faussement indignés. Cette campagne, sous couvert d’islamophobie, ce voile d’impunité qui rend possible la propagande de la haine, ce djiha­disme d’atmo­sphère seront responsables de la mort de Samuel. Dans le djihadisme d’atmosphère, il n’y a aucune dilution de responsabilité, chacun a la sienne, et de le reconnaître c’est bien cela qui servirait à la manifestation de la vérité.

Alors, je vous le demande, entre celui qui fait preuve de prévenance de proposer de ne pas voir les caricatures et celui qui conforte les plaintes bruyantes de parents froissés, Qui donne des arguments aux islamistes ? J’invite également les adeptes du « Oui, MAIS… » et les inverseurs de culpabilité à prendre lecture de la note du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation du 27 août dernier. Celle-ci « évoque une offensive anti-laïcité menée sur les réseaux sociaux visant à déstabiliser l’institution scolaire et soulève que du personnel des établissements participe implicitement à la propagande salafo-frériste à l’école ». Il va être de plus en plus difficile de contorsionner les faits et de manipuler les opinions à dessein sans afficher clairement un militantisme à l’idéologie islamiste.

Alors, NON, Samuel n’est pas responsable de sa propre mort. « On ne prostitue pas impunément les mots », disait Camus. Il faut pourtant voir ces vérités en face, sinon toutes les mesures correctives resteront vaines. Et il y aura un « ce n’était pas la dernière fois ». Tant que rien ne change, c’est que rien n’est fait. Pour conclure, je vais vous lire un texte qu’une ancienne élève a écrit après sa mort.
« Merci pour le travail que vous avez fait, vous m’avez enseigné l’histoire-géographie comme personne ne l’avait fait avant. Merci d’avoir été mon professeur pendant deux ans. Merci d’avoir été d’une certaine manière dans ma vie (on se voyait du lundi au vendredi, quand même). Merci pour ses blagues à la fin des cours, certes qui n’étaient pas vraiment drôles, mais, du moins, il essayait de faire en sorte que si on allait mal, ça pouvait nous remonter le moral. Merci, Monsieur, merci pour tout. »

Sommes-nous toujours libres de nous exprimer ? Je crois qu’en 2022 on n’aurait pas dû avoir à soulever ce débat.

Alors, vous, élèves et professeurs, montrez-nous, démontrez-nous qu’on peut encore répondre à cette question par un OUI. Pour… pour « la dernière fois ».

Merci.”

______________________

Et merci à vous d’avoir lu jusqu’au bout le témoignage et la réflexion de cette soeur d’un collègue décapité pour avoir, simplement, proposé à ses élèves un document pédagogique dans l’exercice de sa mission.

Avec mes respects.
C.S.

*

claustaire

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A propos du « rien n’est sacré » de Rushdie, voici le commentaire que pour ma part j’avais publié sur le site du Monde.fr

Claustaire
15/08/2022 – 19H00
Le “sacré” où l’on veut se protéger, se ressourcer individuellement, ou alors s’unir ou se fondre collectivement mérite le respect.

Mais comment, dans un même pays, faire communauté si le sacré des uns peut entraîner la condamnation à mort d’autrui pour sacrilège ?

L’Histoire ne nous a-t-elle pas encore appris que c’est toujours l’imposition du Sacré des uns au Sacré des autres qui a entraîné guerres civiles et ruines publiques ?

Or, quiconque prétendrait m’imposer son sacré ne me donne-t-il pas le légitime et sacrilège droit de résistance à ses prétentions ? Quiconque argue de son sacré dans une société qui ne partage pas sa croyance n’est-il pas un dangereux fauteur de guerre civile ?

*

desideriusminimus

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Bonjour Claustaire.

Et merci pour votre réponse qui manifeste votre sincérité et votre bonne foi.

Mais croyez-en la mienne si je vous dis, une fois de plus, qu’il n’est pas vrai que je fasse « le procès d’un mort ». Je crois que vous n’arrivez pas à saisir ce que je veux dire, et j’ose dire que je le comprends, car c’est peut-être en effet difficile.

Je n’ai aucun mal à approuver votre billet du Monde, que vous reproduisez dans votre dernier commentaire ci-dessus du 21/10. Mais en dépit de sa pertinence, il témoigne encore de cette incompréhension, car il ne concerne en rien ce dont je parle.

J’avais bien entendu lu aussi la lettre de la sœur de Samuel Paty que vous me présentez. Et, en dépit de tout le respect et l’empathie qu’elle m’inspire il me semble qu’elle témoigne elle aussi de cette « équivoque » dont je parle, et dont elle est victime, au même titre que Samuel Paty l’a été et que vous-même l’êtes.

Je parle de « victimes ». Car je le répète, je ne fais surtout pas le procès d’un mort et je ne vous « accuse » aucunement. Je dis et je répète que, dans cette affaire, bien des personnes sont des « victimes », et en particulier nombre d’enseignants de bonne foi.

Il me faut revenir sur ce que j’appelle « supercherie », car c’est de cela qu’ils sont – que nous sommes – victimes.

J’avais constaté dans un post déjà ancien,
https://stultitiaelaus.com/2015/12/18/de-christine-boutin-a-francois-en-passant-par-houellebecq-de-quelques-aventures-tragi-comiques-de-la-justice-et-de-la-semantique/
un extraordinaire – non, plutôt un très ordinaire, hélas – « deux poids deux mesures ».

Je reprends mes termes :


*
Une nouvelle qui ne manque pas de me réjouir :
http://www.lemonde.fr/famille-vie-privee/article/2015/12/18/christine-boutin-condamnee-a-5-000-euros-d-amende-pour-avoir-qualifie-l-homosexualite-d-abomination_4834809_1654468.html
car elle montre que la justice fait tout de même son travail.
Mais Stultitia, qui n’en rate pas une, comme on sait, me fait toutefois remarquer quelque chose d’étrange :
« Christine Boutin affirmait : « L’homosexualité est une abomination. Mais pas la personne. Le péché n’est jamais acceptable, mais le pécheur est toujours pardonné ».
« Ce que l’on entend dans vos propos, c’est que les homosexuels sont une abomination », avait résumé le procureur, indiquant que le parquet avait reçu 500 plaintes de particuliers outrés après sa déclaration ».
Or, cette « dérive sémantique » qui étend à la communauté homosexuelle dans son ensemble le qualificatif « d’abomination » conféré par Mme Boutin à l’homosexualité en tant que telle, et qui justifie sa condamnation selon le procureur, est celle-là même qui avait été refusée par le procureur Béatrice Angeli lors du jugement de « l’affaire Houellebecq », justifiant alors le non-lieu :
« Considérer que, par une dérive sémantique, parler de l’islam, c’est parler de la communauté musulmane est un pas que nous ne pouvons pas franchir »,
avait-elle déclaré, lorsque l’écrivain était poursuivi pour « complicité de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de son appartenance à une religion » et « injure » par des associations musulmanes et la Ligue des droits de l’homme.
Ceci pour avoir exprimé, lors d’un entretien accordé en septembre 2001 au magazine Lire, son « mépris » à l’égard de l’islam ( Le Monde des 2 et 3 septembre 2001) « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré, effondré », déclarait-il notamment.
Les parties civiles représentant les associations musulmanes avaient alors affirmé que, pour elles, ce sont bien les musulmans qui étaient visés par l’écrivain et pas seulement leur religion.
Deux poids, deux mesures, donc.
*

Nous sommes là au cœur du problème : comment se fait-il qu’une telle incohérence flagrante n’ait été relevée par personne, hormis quelques mauvais penseurs comme votre serviteur ?

Il faudrait parler ici d’habitus, d’un conditionnement dont nous sommes encore les victimes qui fait que, si les juifs, les noirs, les homosexuels, les femmes, ont obtenu de haute lutte, même si elle n’est hélas que partielle, la reconnaissance de leurs droits et le respect de leur dignité, qu’on le veuille ou non, c’est un constat qui résulte de toutes les études sociologiques sur la discrimination (à l’embauche, au logement, etc.) et dont peut attester tout enseignant tant soit peu à l’écoute de ses élèves d’origine maghrébine et/ou musulmans, le bougnoule chez nous demeure le bougnoule, et encore plus si le bougnoule est musulman (voir à ce sujet le texte d’Alain Ruscio cité en lien dans ma réponse précédente).

C’est la raison pour laquelle, comme au XIXème les grasses plaisanteries sur les petites bonnes bretonnes, par essence stupides bécassines, suscitaient la rigolade du bourgeois, au XXIème encore, on suscite la rigolade en représentant des imams (précisons : il ne s’agit aucunement d’imams intégristes, mais des imams « en soi ») en train d’enculer des chèvres, ou des musulmanes en train de prier, le cul dénudé, tournées vers la « mère mecquerelle ».

C’est la raison pour laquelle, en dépit du caractère profondément inepte, honteux et discriminatoire de telles représentations, elles ne sont pas sanctionnées, pas plus que les imbécillités ignares de M. Houellebecq (pensez-vous qu’il ait jamais lu un seul mot d’Averroès ou de Jacques Berque ?).
Alors même que les remarques de Mme Boutin – mot pour mot comparables – le sont, simplement parce que l’homosexualité a acquis – fort légitimement – des lettres de noblesse que l’islam des bougnoules ne peut revendiquer devant les tribunaux ou la société.

La supercherie dont nous sommes victimes à des degrés divers, c’est que des séquelles évidentes d’une pensée raciste, européocentrée, etc. (cf. encore là-dessus Alain Ruscio et d’autres), se prennent pour la manifestation même de la liberté d’expression, tant l’habitus est profondément ancré, y compris dans une certaine intelligentsia.

« Il faut s’accrocher et il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobes ». Ben voyons ! Et pourquoi pas d’antisémites ou d’homophobes ?
On le sait, certains ne s’en privent pas pour autant, car l’habitus est encore bien ancré et ne demande qu’à se désinhiber en dépit des combats qui l’ont partiellement refoulé. Mais pour le moment, le youpin et le pédé sont plus difficiles à évoquer. Alors que le bougnoule, lui, demeure une valeur sûre et continue à faire rigoler quand on le voit le cul à l’air ou en train d’enculer des chèvres.
Ce qui est, bien évidemment, le summum de la liberté d’expression.

Le « corpus pédagogique proposé par l’E.N. pour l’enseignement en question (la liberté d’expression, donc) » devrait obligatoirement commencer par une explication et une mise en perspective critique, historique, sociologique et culturelle, du genre de celle que je viens de proposer ci-dessus.

Et donc, plutôt que de se limiter à une approche binaire quelque peu simpliste, il faudrait expliquer pourquoi, de façon totalement incohérente, des caricatures ou propos qui contreviennent à l’évidence aux termes mêmes de la loi française concernant la liberté d’expression ne sont pas sanctionnées dans certains cas (Houellebecq, Charlie, etc.), alors qu’ils le sont légitimement dans d’autres (Boutin, etc.).

Or, cela n’est jamais fait. Ce n’est pas prévu dans le « corpus », tant la force de l’habitus est considérable, y compris dans l’Éducation Nationale. Et c’est bien pourquoi, manquant d’une réflexion construite et d’instruments pédagogiques à la hauteur, les enseignants sont en fait démunis et désarmés pour envisager le problème dans ses dimensions complexes, et sont les victimes, comme vous et moi, de cet habitus qui nous conditionne encore, alors que la première urgence serait de le dénoncer et de le démonter pour qu’enfin une laïcité pacifiante et respectueuse puisse voir le jour. Pourquoi ne pas utiliser dans ce but des études d’historiens reconnus comme Alain Ruscio mentionné plus haut, Jean Baubérot, ou encore le texte d’Olivier Cyran faisant l’historique de quelques dérives de Charlie, plutôt que de restreindre les supports à quelques documents ambigus considérés comme parole d’Évangile ?

N’oublions pas que parmi les partisans actuellement les plus intransigeants de ce qu’ils nomment « laïcité », on trouve une extrême droite qui l’instrumentalise à sens unique contre les musulmans.

Ainsi, pour « Riposte Laïque » la bien nommée, Gregorius Neckschot, grand copain de Charlie comme nous l’avons vu, devient le héraut persécuté de la liberté d’expression.

Bel exemple qui montre comment, à défaut d’une approche critique, elle peut être instrumentalisée au service de causes plus que douteuses.

Il ne suffit donc pas de s’en réclamer dans l’abstrait. Encore faut-il être vigilants et conscients que, dans le monde complexe qui est le nôtre, elle peut véhiculer bien des ambiguïtés dont nous sommes parfois les victimes.

Il ne faut cependant pas être naïf : cette vigilance ne résoudra pas les problèmes pour autant. Nombre des musulmans ou non musulmans critiques de l’islamisme d’une façon intelligente et informée ont perdu la vie pour cela, tel Muhammad Mahmoud Taha exécuté par les intégristes au Soudan du fait de ses positions critiques concernant leur simplisme herméneutique, etc. etc. etc.

Ajout du 23/10 : Ne nous illusionnons donc pas : de telles clarifications indispensables n’entameront en rien la détermination des assassins extrémistes prompts à utiliser tous les prétextes possibles. Mais le fait que le réel caractère insultant et discriminatoire de certains discours ou caricatures soit officiellement reconnu comme tel devant l’opinion et la justice constituera pour beaucoup de jeunes musulmans en particulier une incitation puissante à se détourner des discours de recruteurs qui reposent essentiellement sur la dénonciation de la stigmatisation, de l’humiliation et de l’injustice – souvent avérées, donc – qu’ils subissent de la part des كفار , des kuffar (non-musulmans).

Pour ma part, le combat pour la liberté d’expression, comme pour une laïcité digne et digne de ce nom me semble être aussi une question d’honneur. Il n’est pas indépendant des moyens qu’on emploie pour les défendre.

Un spécialiste du monde anglo-saxon (son nom m’échappe pour le moment) expliquait que si les anglais n’ont pas publié ou peu les caricatures de Mahomet, ce n’est absolument pas par peur, comme voudraient le faire croire des français fiers de leur « courage » cocoricotesque.

C’est simplement parce que chez eux, le respect de la « common decency » à laquelle vous faites allusion, base de la convivence sociale, prime sur le sensationnalisme populiste et délétère de la grossièreté facile et méprisante.

Question d’habitus peut-être. Mais celui-ci-en vaut bien un autre.

Cordialement à vous.
Avec tout mon respect.
desideriusminimus

Macron Le Pen : l’arrogance et le néant ?

Même si je partage en bonne partie le contenu des articles que Médiapart a rassemblé sous ce titre après le débat d’entre les deux tours, je trouve la formulation particulièrement maladroite, voire trompeuse.

Passe pour « l’arrogance », même si d’autres prétendants ont su démontrer que celle-ci était loin d’être la prérogative du seul Macron. N’a-t-on pas entendu un candidat battu revendiquer haut et fort le poste de premier ministre ?

Mais ce qui fait nettement plus problème est bien le terme de « néant ».

Car le néant, c’est le « rien ».

Or, désolé, Médiapart, Mme Le Pen, ce n’est pas « rien ».

Faire sortir la France de l’Union européenne en promouvant des réformes constitutionnelles incompatibles avec le projet européen, ce n’est pas rien.

Introduire des lois contraires aux lois laïques de 1905, et qui impliqueraient une discrimination religieuse inédite en France depuis des siècles, ce n’est pas rien.

Proposer une politique migratoire agressive aux relents ouvertement racistes et xénophobes, ce n’est pas rien.

Remplacer le droit du sol par le droit du sang, ce n’est pas rien.

Prôner depuis des années une politique étrangère qui courtise sans complexe les pires bourreaux de ce siècle, ce n’est pas rien.

Etc. etc. etc.

Non, tout cela n’est pas un néant. Il y a derrière toutes ces propositions un projet rationnel de destruction délibérée des valeurs de liberté, de fraternité, de respect d’autrui, des éléments fondateurs de la démocratie.

Je renvoie simplement aux excellents articles documentés parus ça et là qui mettent en garde contre les dérives parfaitement prévisibles auxquelles conduirait une élection de Mme Le Pen.

Pour ma part, je me borne à rappeler ci-dessous quelques-unes des opinions déjà exprimées sur ce blog à ce sujet.

Comme les lecteurs le savent, étant essentiellement décroissant, écologiste sans être pour autant antinucléaire, partisan d’une politique sociale et d’une redistribution plus radicales, d’une fiscalité beaucoup plus importante sur les hauts revenus et sur le capital ainsi que d’un impôt extraordinaire sur les superbénéfices opérés lors de la période du covid, de la nationalisation des secteurs médicaux et pharmaceutiques, d’une forte réduction des inégalités au niveau national comme international, etc. je n’ai certes pas la prétention d’être macronien !

Et sans doute quelques remarques des posts ci-dessous publiés avant l’élection de 2017 demanderaient-elles à être nuancées et actualisées.

Mais l’essentiel demeure d’actualité :

On ne peut mettre sur le même plan les conséquences de la politique de M. Macron et les menaces dramatiques que feraient peser une élection de Mme Le Pen.

Dans le système actuel de décompte, ni les bulletins blancs, ni l’abstention ne sont pertinents.

Ce serait jouer avec un feu qui, une fois allumé, aurait bien du mal à s’éteindre.

Le danger des régimes illibéraux, voire fascistes, est bien réel en Europe et dans le monde. L’exemple donné par M. Poutine, qui fut l’un des modèles revendiqués de Mme Le Pen est là pour nous le montrer.

« Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde ».

etc.

Et ajoutons même un peu d’humour, qui reste de mise lorsque triomphe le n’importe quoi :

Bon deuxième tour !

*

Ajout du 23/04:

Parmi bien d’autres qui mériteraient d’être mentionnés, cet article tout en finesse et lucidité de Jean Birnbaum:

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/04/22/presidentielle-2022-les-dangers-de-la-comedie-de-l-indifference_6123286_3232.html

et cet important entretien avec Pierre Rosanvallon:

https://www.la-croix.com/JournalV2/Pierre-Rosanvallon-Lepoque-nous-appelle-vigilance-lucidite-2022-04-23-1101211669

Quelques remarques en complément du post précédent sur liberté d’expression et respect.

Ayant, suite à mon dernier post, quelque peu exploré plusieurs articles traitant du sujet que j’avais essayé d’aborder, celui de la difficile articulation de la liberté d’expression et de la question du respect, je ressens la nécessité de faire autant que possible le point sur cette exploration qui, une fois de plus, m’a étonné sans pour autant me surprendre outre mesure.

Pour tenter de maîtriser, au moins en partie, la confusion qui hélas le caractérise trop souvent, j’essaierai d’aborder le thème avec un minimum d’ordre et de méthode.

J’utiliserai en particulier comme objets de cette enquête partielle, qui n’a bien évidemment pas la prétention de constituer une étude exhaustive étant donnée la masse des parutions sur le sujet, les articles suivants (présentés dans l’ordre chronologique) ainsi que quelques-uns des nombreux commentaires qu’ils ont suscités.

https://laviedesidees.fr/Lettre-aux-professeurs-d-histoire-geo-Heran.html

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/02/william-marx-l-allergie-nationale-au-fait-religieux-est-une-erreur-intellectuelle-et-une-faute-politique_6058164_3232.html

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/03/les-defenseurs-de-la-caricature-a-tous-les-vents-sont-aveugles-sur-les-consequences-de-la-mondialisation_6058263_3232.html

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/09/caricatures-de-mahomet-nous-sommes-victimes-de-ce-qu-il-faut-bien-appeler-l-aveuglement-des-lumieres_6059037_3232.html

Pourquoi ce choix, bien évidemment réducteur ?

Essentiellement parce que ces articles me semblent présenter des approches communes, et donc aussi entraîner des réactions comparables. Cette communauté des approches ainsi que la tonalité des réactions provoquées me semblant dessiner un tableau assez complet de la façon dont la liberté d’expression est perçue, mais aussi, en corollaire, d’interprétations, on le verra conflictuelles, de la question de la laïcité.

  1. Claire condamnation des crimes des terroristes islamistes.

Bien entendu, tous ces articles condamnent sans équivoque les crimes terroristes. François Héran fait état de « Samuel Paty, odieusement assassiné », William Marx d’ « un enseignant (…) sauvagement assassiné dans l’exercice de ses fonctions », d’assassinat « ignoble » ; Olivier Mongin et Jean Louis Schlegel dénoncent « un assassinat abominable ». Quant à Jacob Rogozinski, il stigmatise un déchaînement de violence par lequel nous sommes tous concernés : « Sauvagement agressés, nous proclamons à la face du monde que nous ne céderons pas ».

Difficile de déceler dans de telles expressions une quelconque « complaisance », voire « compromission », selon des accusations sur lesquelles il faudra pourtant revenir tout-à-l ’heure.

2. Défense sans équivoque de la liberté d’expression et du droit à la caricature.

Sans surprise, tous les articles mentionnés défendent bien sûr sans ambiguïté la liberté d’expression, ainsi que le droit à la caricature qui en est l’une des composantes.

François Héran fait référence à l’arrêt dit Handyside, du 7 décembre 1976 de la Cour européenne des droits de l’homme : 

La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun.

Avant de conseiller aux enseignants de : « faire un cours sur l’histoire de la caricature politique et religieuse en France ».

Pour O. Mongin et J.L. Schlegel, « la et les libertés d’expression ne sont guère mises en cause en France » et la dénonciation dans leur titre de la « caricature à tous les vents » ne les empêche aucunement d’affirmer que « la liberté de caricaturer est essentielle ».

Il en va de même pour William Marx, pour lequel « il est donc indispensable de préserver les espaces où la caricature peut se donner libre cours ».

Ainsi que pour Jacob Rogozinski, qui affirme : « Notre conception de la liberté, celle de dire et de rire, de dessiner et d’écrire sans entrave, s’est forgée dans un long combat contre toutes les censures et nous y tenons, parce qu’elle fait partie de notre identité ».

Bien sûr cette liberté d’expression et de caricature est soumise à la loi et chacun de nos auteurs sait parfaitement que son usage fait l’objet, en France comme en bien des parties du monde de ce nécessaire encadrement par le droit.

François Héran cite par exemple l’article premier de la constitution de 1958 qui stipule que la République « respecte toutes les croyances », l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, énonçant que « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi », etc.

O. Mongin et J.L. Schlegel font état de la « liberté de réserve » d’ailleurs rappelée par les dessinateurs et l’avocat de Charlie Hebdo lors de la première publication des caricatures, ainsi que de l’existence en droit du « « contrat de lecture » qui exprime le principe qu’un journal, surtout s’il est satirique, s’adresse à un public particulier ».

Pour Jacob Rogozinski « nous avons des lois qui interdisent de tout dire : la diffamation, l’injure aux personnes, l’incitation à la haine raciale, la négation des génocides sont sanctionnées à juste titre par notre code pénal ».

Cependant, aucun ne remet en question pour autant le fait que « les journaux satiriques disposent, à ce titre, d’une « présomption humoristique », selon les termes de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et l’arrêt rendu en 1991 par la cour d’appel de Paris.

3. Le prétexte de la « lâcheté » et de la « complaisance » en vue de justifier une évolution vers une laïcité « offensive ».

Aucun des articles cités ne peut donc être accusé sans graves mensonges ou calomnies de remettre en question la liberté d’expression, encore moins l’indispensable lutte contre le terrorisme, ou de se faire le « procureur » de ses victimes.

Aucun ne récuse non plus la légitimité de la caricature.

On est alors en droit de se demander ce qui, dans les innombrables commentaires négatifs voire diffamants qu’ils ont suscités sur le web peut justifier les accusations rémanentes de « lâcheté », « compromission », « l’accusation infamante de ‘’complaisance’’ envers le djihadisme ou d’ ’’islamo-gauchisme’’ (F. Héran), ainsi que le déploiement d’un lexique et d’expressions tels que « démission », « Munich », « céder devant l’islamisme », « défaite face au terrorisme », « soumission » etc. etc.

Rien, dans le contenu des articles ne va dans le sens d’une quelconque « démission » devant le danger que constitue le terrorisme islamiste. Bien au contraire. Tous soutiennent la nécessité d’une lutte radicale.

Aucun ne prône par ailleurs la censure ou l’interdiction du blasphème.

Mais la question qu’ils posent – et qui constitue le centre du « conflit des interprétations » – est bien celle des moyens :

Dans la lutte contre le terrorisme, est-il légitime – et efficace – de manier sans limites, au nom de la « liberté d’expression », la dérision et l’irrespect envers une religion dont l’immense majorité des fidèles n’a rien à voir avec un tel terrorisme ?

(La question se poserait bien sûr dans les mêmes termes en ce qui concerne tout courant de pensée ou groupe humain, mais, faut-il le rappeler, c’est bien une religion que les circonstances actuelles mettent à l’évidence au centre de la problématique).

Ou bien ne serait-il pas plus recommandable, et plus efficace –et en l’occurrence aussi plus éthique – de mettre en œuvre, en plus de réformes socio-politiques de fond sur le long terme (celles qui viseraient en particulier à mettre fin à la ghettoïsation de populations entières) une politique de l’apaisement, du respect, de la connaissance mutuelle, tout en garantissant le droit à la liberté d’expression et à la caricature avec les possibilités, mais aussi les limites, que la loi lui reconnaît ?

Une telle politique contribuant à isoler et discréditer les éléments extrémistes violents plutôt qu’à justifier leurs arguments et favoriser leurs stratégies de recrutement ?

C’est sur cette deuxième approche que vont se déchaîner les critiques. Et il est plutôt inquiétant de constater que de tels appels au respect suscitent autant de condamnations et d’agressivité.

3.1 À propos d’un texte caricatural sur la défense des caricatures.

Les innombrables commentaires négatifs et diffamants mentionnés plus haut ne font en fait qu’exprimer de façon moins élaborée une idéologie que l’on voit se développer de façon plus « intellectuelle » dans certains milieux universitaires et politiques.

L’article « Vous enseignez la liberté d’expression ? N’écoutez pas François Héran ! » de Gwénaële Calvès, en fournit une illustration proprement … caricaturale.

Outre son titre même, qui évoque quelque chasse aux sorcières (car au nom de quoi n’aurait-on pas la liberté d’écouter sur le sujet l’avis d’un professeur au Collège de France ?), il donne corps à ce que je nommais dans mon post précédent « l’enseignement de l’irrespect ».

Car il y est entre autre affirmé que :

« Pour le dire tout net : il n’existe pas, en France, de droit au respect des croyances religieuses ».

(…)

« la disposition constitutionnelle qui énonce que « La République respecte toutes les croyances ». Introduite à la veille du référendum de 1958 pour rassurer l’électorat catholique, cette disposition, totalement marginale dans la construction laïque et dénuée de tout rapport avec la liberté d’expression, invite l’État à ne pas s’immiscer dans les questions religieuses. Elle ne signifie en aucun cas que « toutes les religions méritent le respect ».

Elle impose simplement à l’État et à ses agents de s’abstenir de tout jugement sur la valeur de telle ou telle croyance, dès lors que son expression ne contrevient pas à l’ordre public. Quant aux citoyens, ils sont bien sûr libres de critiquer à leur guise, y compris en des termes virulents ou blessants, la religion en général ou une religion en particulier. L’élève qui aura suivi un cours inspiré par les conseils de François Héran n’aura pas appris cela, ce qui est hautement regrettable. » (G. Calvès, article cité en lien).

On se demande alors pourquoi les rédacteurs de la Constitution, qui disposaient d’un lexique précis abondamment utilisé par ailleurs pour signifier cette indifférence par rapport aux « croyances » [rappelons que la Constitution fait ici référence aux croyances –dont l’athéisme, l’agnosticisme, etc.- et non simplement aux religions, comme l’article pourrait le laisser croire] comme bien évidemment le terme de « neutralité » ont précisément choisi ce terme de « respect » avec les connotations éthiques qui en sont indissociables.

Connotations qui se retrouvent dans maints autres textes juridiques (« respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales » « respect des droits et libertés d’autrui » dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ») qui emploient ce terme respect dans le sens éthique qui en est constitutif au moins depuis Kant, grand inspirateur de Constitutions aussi bien que de dictionnaires [Par exemple Robert : « Sentiment qui porte à accorder à qqn une considération admirative, en raison de la valeur qu’on lui reconnaît, et à se conduire envers lui avec réserve et retenue ». Renvois à « déférence, politesse, révérence, égard », etc…].

Même si on ne demande certes pas à l’État une « considération admirative » envers les croyances, religieuses comme philosophiques, on peut présumer que les rédacteurs de la Constitution qui connaissaient, eux, le français, avaient en tête le devoir de « se conduire envers elles avec réserve et retenue » en raison de « la valeur qu’on leur reconnaît ».

Et si, bien entendu, la Constitution reconnaît aux citoyens comme le signale Mme Calvès le droit « de critiquer à leur guise (…) la religion en général ou une religion en particulier » – mais pourquoi laisse-t-elle croire une fois de plus que le texte parle ici de « religions » et non de « croyances » ; une croyance agnostique ou athée serait-elle par essence au-dessus de toute critique ? – le faire « en des termes virulents ou blessants » n’est fort heureusement aucunement attesté dans les textes et cette « virulence » doit être soumise à l’entière appréciation de la loi, même si cela peut être considéré par Mme Calvès comme « hautement regrettable » pour l’éducation des élèves.

Par exemple, « Dans une décision rendue en 2007, la cour considère ainsi que les propos de Dieudonné – « Les juifs, c’est une secte, une escroquerie. C’est une des plus graves parce que c’est la première » – ne relèvent pas « de la libre critique du fait religieux, participant d’un débat d’intérêt général, mais constituent une injure visant un groupe de personnes en raison de son origine, dont la répression est une restriction nécessaire à la liberté d’expression dans une société démocratique ».

L’argumentation de Mme Calvès est donc bien légère, et pour tout dire, bien idéologique de la part d’une juriste.

Bien sûr, on me rappellera que « les termes virulents et blessants » dont il est question dans son article concerneraient la ou les religions, et non « un groupe de personnes ».

Mais c’est là qu’il convient d’interroger un peu la lecture aussi alambiquée que partielle que fait Mme Calvès de la caricature de Mahomet qu’elle mentionne dans son article, ainsi que les raison pour lesquelles elle se garde bien d’examiner quelques autres caricatures. Pourquoi précisément les occulter ?

François Héran a découvert, à l’occasion de l’assassinat de Samuel Paty, un des dessins de presse dont l’étude, en classe, a valu à notre collègue d’être condamné à mort. La découverte a dû s’opérer sur internet : seul derrière son ordinateur, François Héran a été confronté, en 2020, à un dessin publié en 2012 dans un numéro de Charlie Hebdo. De l’environnement immédiat du dessin (rubrique où il figure, textes et caricatures qui le précèdent et le suivent, thème du numéro), il ignore manifestement tout. Il ne connaît pas davantage l’actualité — cinématographique, en l’occurrence — que le dessin entendait commenter. Sans disposer du moindre outil nécessaire à la compréhension de ce qu’il voit sur son écran, il décide que le dessin « visait l’islam tout court », et affirme que cette caricature « est nulle, réduite à sa fonction la plus dégradante, sans dimension artistique, humoristique ou politique » (G. Calvès, article cité en lien).

La caricature en question, celle intitulée « Une étoile est née », « représentant Mahomet nu en prière, offrant une vue imprenable sur son postérieur » (F. Héran) ne brille certes pas par son intelligence et sa pertinence quant au sujet évoqué, et on ne voit pas en quoi « l’actualité — cinématographique, en l’occurrence — que le dessin entendait commenter » justifiait nécessairement une telle démonstration de grossièreté injurieuse et blessante, qui ne fait certes pas honneur à un art illustré par Daumier, Danziger, Chapatte, Dilem, Nadia Khiari et tant d’autres.

L’argumentation se révèle donc sans pertinence.

Mais passons. Nul n’est obligé d’avoir du génie.

Passons de même sur le fait que le dessin figurant le postérieur privé de Mahomet ne représentait pas la communauté musulmane dans son ensemble, en dépit du caractère évidemment blessant et humiliant pour celle-ci.

Mais il est tout de même étonnant – et significatif – que notre juriste passe sous silence un nombre impressionnant de dessins, dont on pourrait considérer à juste titre qu’ils « constituent une injure visant un groupe de personnes en raison de son origine, dont la répression est une restriction nécessaire à la liberté d’expression dans une société démocratique », comme le stipule la décision mentionnée plus haut, rendue fort justement à l’encontre de Dieudonné, en dépit de la « présomption humoristique » dont pouvait légitimement se targuer, au même titre que Charlie, celui qui se présente comme un comique ou un caricaturiste.

Dessins dont on pourrait dire encore qu’ils « outrepassent les limites de la liberté d’expression puisqu’il s’agit de propos injurieux envers une communauté et sa religion » selon les termes du jugement tout aussi légitimement rendu contre Éric Zemmour en septembre de cette année.

Car que dire lorsqu’une pleine page de Charlie fait l’apologie d’un dessinateur qui représente des imams (personnes concrètes à propos desquelles ne peut valoir l’invalidité du délit de blasphème) sodomisant des chèvres ou des jeunes filles voilées, une autre pleine page représentant des musulmanes (personnes concrètes à propos desquelles ne peut valoir l’invalidité du délit de blasphème) priant le « postérieur » dénudé tournées vers la « Mère Mecquerelle », une vice-présidente de l’Unef représentée sous les traits d’une débile mentale dont la bave dégouline (normal : une femme voilée ne peut être que débile), etc. etc. etc.

Pourrait-on au moins nous préciser en quoi de telles « caricatures » s’attaquent au terrorisme ?

Et si celui-ci n’est pas la cible, alors quelle est-elle donc ?

On dira bien sûr que la loi n’est pas intervenue contre elles.

Mais outre, en dépit de quelques courageux progrès (cf. condamnations d’E. Zemmour), un constant déni de l’islamophobie [alors même que la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme constate que le racisme culturel et religieux dépasse désormais le racisme ethno-racial], un biais cognitif, évident, que j’ai plusieurs fois dénoncé et qui sévit aussi au niveau juridique, fait que, lorsqu’une injure est proférée contre l’homosexualité, par exemple, le procureur considère à juste titre qu’elle concerne la communauté homosexuelle dans son ensemble, alors que « considérer que, par une dérive sémantique, parler de l’islam, c’est parler de la communauté musulmane est un pas que nous ne pouvons pas franchir » (Justification du non-lieu dans « l’affaire Houellebecq » par la procureure B. Angeli).

Il serait grand temps qu’une juriste prenne conscience d’un tel biais plutôt que de paraître le cultiver ou le dissimuler à grand renfort de « situations discursives » (G. Calvès) ou autres « dérives sémantiques ».

Car le dénoncer clairement serait un moyen majeur de lutter contre l’islamisme, en particulier ses manifestations de plus en plus « endogènes« . En effet, trop d’indifférence de la justice devant des provocations islamophobes évidentes alimente dans les cités un sentiment d’injustice, un ressentiment et une colère qui constituent pour les terroristes un pain béni pour faire de nouvelles recrues.

Et sanctionner de telles provocations serait sans aucun doute autrement efficace contre la violence que projeter des caricatures sur les Hôtels de Régions ou les « enseigner » dans les écoles.

Pas plus que dans les cités, et quelles que soient les justifications historiques, on ne devrait laisser sanctuariser des zones de non-droit dans les médias, ni donc dans l’humour et la caricature.

4. L’enjeu : d’un « paternalisme » irrespectueux fauteur de violence à une laïcité du respect.

Mais voilà : comme l’exprime excellemment François Héran, nous sommes là au cœur non seulement de la question de l’interprétation de la liberté d’expression, mais aussi de celle de la laïcité, et plus largement, de la démocratie :

Comme le souligne le politiste Denis Ramond (Raisons politiques 2011/4 et 2013/4), deux interprétations s’opposent : offensive ou tolérante. Dans la lecture offensive, celle de la Cour de Strasbourg, toute parole ou image, même offensante, alimente le débat public et, donc, sert la démocratie. Elle serait bénéfique pour tous, y compris pour la minorité offensée. Une telle position est typiquement « paternaliste » : l’auteur de l’affront sait mieux que ses victimes ce qui est bon pour elles ; il estime que la blessure sera effacée par le surcroît de lumières ainsi dispensé. À la limite, l’offensé devrait remercier l’offenseur de cette belle leçon de liberté, y compris quand le donneur de leçon est un chef d’État étranger.

Un tel « paternalisme », au besoin coercitif ou violent dans ses expressions orales, écrites, graphiques, judiciaires et bien entendu politiques, ressemble tristement, comme je le rappelais dans mon post précédent, aux techniques utilisées par nos bons évangélisateurs et/ou colonisateurs des siècles passés, quand ils s’agissait d’inculquer à des « indigènes » ignorants et autres « sauvages » un tantinet inférieurs et immatures la vraie religion, puis la vraie croyance laïque et républicaine et son scientisme naïf au besoin teinté d’un athéisme quelque peu simpliste et dogmatique, d’imposer règles vestimentaires et alimentaires, de faire l’apologie de nos ancêtres blancs à peau rose, etc. etc. etc.

Ne nous y trompons pas : l’enjeu que soulèvent ces controverses qui peuvent paraître surréalistes relève d’un profond choix de société.

Car la multitude des commentaires « offensifs » voire infamants à l’encontre de l’interprétation « tolérante » [pour ma part, je préfère la sémantique du respect à celle de la tolérance, qui reste emprise de condescendance paternaliste et d’inégalité entre celui qui tolère et celui qui est toléré], ainsi que leurs justifications « universitaires » témoigne de la vigueur d’un néo-obscurantisme, lequel, en se prétendant défenseur de la laïcité, ne fait jamais qu’en trahir les intuitions fondatrices, et avec elles, la démocratie et la République

Une telle idéologie doit être qualifiée de contre-productive, car elle ne fait hélas que le jeu de ceux qui nous menacent en provoquant, du fait de son agressivité et de son intolérance, les risques non négligeables d’une violence contre laquelle elle prétend lutter.

À l’encontre de prédications offensives et agressives, de proclamations purement incantatoires de « convictions », il est donc grand temps de promouvoir une « éthique de la responsabilité » qui sache incarner ces convictions dans la réalité en conférant toute sa place à la connaissance, à la considération et au respect de l’autre.

Cela ne peut être qu’œuvre d’enrichissement mutuel, et donc de paix et de fraternité.

« Notre avenir ne pourra se construire que sur la reconnaissance (…) et sur la sanctuarisation d’un espace public non offensif, accueillant à tous et apaisé, c’est-à-dire pleinement laïque ». William Marx, article en lien ci-dessus.

De la liberté d’expression à l’enseignement de l’irrespect. Encore une fois, quelques précisions éthiques et sémantiques.

C’est avec une immense tristesse que je reprends la plume à propos d’événements toujours douloureux mais hélas tellement prévisibles.

Certes, tout a été dit sur le caractère abominable de tels crimes.

Mais je voudrais, une fois de plus revenir sur un aspect qui me paraît essentiel, et qui est pourtant occulté, tellement la liberté d’expression, après l’ignoble massacre contre Charlie Hebdo, en est venue, de façon certes compréhensible mais pourtant pernicieuse, à coïncider avec le droit à l’irrespect.

Car si la première doit nécessairement contenir le second, il serait abusif et particulièrement dangereux de l’y réduire.

J’ai rédigé il y a quelques jours ce commentaire suite à un article du Monde :

Il est essentiel de condamner sans faiblesse de tels crimes abominables. Il faudrait cependant apprendre à affiner nos discours sur la «liberté d’expression». Et en particulier ne pas la réduire au droit à la grossièreté ou à l’ordurier. Même si ce droit doit effectivement en faire partie, la liberté d’expression ne coïncide pas, fort heureusement, avec lui. Une saine liberté exige aussi d’exprimer que le maniement systématique de l’obscénité injurieuse ou de la provocation peut constituer, en particulier dans les contextes de ghettoïsations que nous avons laissées s’instaurer, un réel danger pour la République. La politesse, le respect, l’attention à l’autre peuvent être les instruments d’une critique de fond autrement plus efficace que la désinhibition et l’apologie d’une grossièreté qui usurpe le titre de caricature. Et de grâce ne discréditons pas non plus cette exigence par le vocable d' »autocensure ». Car savoir maîtriser ses propos-comme ses dessins-est une composante du respect.

Je n’ai hélas pas été surpris qu’il suscite le refus et l’incompréhension, tellement « l’enseignement de l’irrespect » semble désormais devenu le nec plus ultra et la norme de la liberté d’expression à la française.

Rares sont les commentaires qui osent (car il y faut à l’évidence un certain courage) s’aventurer à critiquer ce qui est de nos jours devenu un consensus, tant il est difficile de mettre en question le symbole que représente Charlie Hebdo.

Quelques-uns s’y risquent pourtant, et se font immanquablement qualifier de complices des frères musulmans, de salafistes ou autres « islamo-gauchistes » parce qu’ils écrivent, par exemple :

« Pourquoi montrer à des enfants la caricature du prophète à 4 pattes avec le sexe apparent et une étoile dans les fesses ? (…) J’ai appris quand j’étais jeune, à l’école par ailleurs, que la liberté de chacun s’arrêtait là ou celle des autres commençait. Il faudrait peut-être commencer à se respecter les uns les autres ».

Or, comme à la plupart des enseignants – j’ai partagé avec Samuel Paty cette tâche ô combien délicate – il m’a été donné de côtoyer nombre d’élèves musulmans et leurs familles.

Chacune et chacun de mes élèves avait une mère ou une grand-mère portant le hidjab, toutes et tous avaient un ou des parents qui leur avaient enseigné en toute simplicité et bonne foi, en même temps bien sûr que les inévitables ambiguïtés et archaïsmes inhérentes à toute religion ou doctrine, des préceptes éthiques et des règles de vie qu’ils s’efforçaient de respecter en dépit des conditions d’existence bien souvent difficiles qui sont celles de certains quartiers.

En tant que professeur, je garde des souvenirs souvent émouvants de rencontres avec quelques-uns de ces parents parfois admirables.

Comme la plupart d’entre nous, en dépit de mises au point qui me paraissaient nécessaires, « j’ai été Charlie », et je reste Charlie.

Mais quand j’entends certains partisans de ce qu’ils nomment « laïcité » – mais qui devient désormais pour beaucoup une arme exclusivement dirigée contre l’islam – exiger qu’on « enseigne » les caricatures de Mahomet dès l’école primaire (il me semble qu’il serait en ce moment bien plus urgent d’y enseigner le respect…), je pense à ce garçon qu’évoque le poème de Francis Jammes magnifiquement mis en musique par Georges Brassens :

« Par le fils dont la mère a été insultée ».

Georges Brassens, impertinent troubadour anarchiste et agnostique, mais capable de la plus grande tendresse et du plus grand respect envers la croyance d’autrui…

Tant d’enfants grandissent dans des ghettos où, en plus des vexations quotidiennes et des discriminations largement attestées, ils voient, en direct ou dans les médias, leurs mères ou grands-mères insultées ou méprisées parce qu’elles portent le hidjab, leurs pères humiliés et ridiculisés parce qu’ils restent fidèles à la croyance dans laquelle ils ont grandi.

« La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré, effondré », déclarent doctement, avec la morgue du colonisateur impénitent, les bobos ignorants qui passent pour la fine fleur de la culture française ; « il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe », ajoutent d’autres sommets de la bien-pensance parisienne ; et s’il est défendu de représenter le visage du Prophète, alors qu’est-ce qui empêche de représenter ses couilles et son cul ?

En somme, comme le résume un (ex) enseignant : « notre premier devoir de citoyen, c’est d’être athée, et le second, c’est de le devenir ». Le bon musulman, c’est le musulman qui ne l’est plus. Qu’on se le dise !

Pense-t-on que des procédés de cet ordre soient le meilleur moyen pour aider l’islam à effectuer dans notre pays les réformes qui lui sont nécessaires ?

Mesure-t-on vraiment l’importance du ressentiment accumulé et le danger qu’il représente ?

Dans un post de 2015 intitulé « De l’équité dans la caricature », je rappelais ce qui me paraît être un truisme, le fait que la liberté d’expression, tout comme la laïcité, sont indissociables d’une culture du respect :

« Il me semble (…) difficile de concevoir ce qu’on appelle laïcité sans faire place à ce qu’Orwell nommait la « common decency », qui est peut-être tout simplement la reconnaissance d’un commun dénominateur éthique qui seul rend possible la vie en société.

Un tel « respect de l’autre », qui pourrait en être l’une des traductions, n’est certes pas en opposition avec l’indispensable liberté d’expression. C’est même lui qui est à l’origine des paragraphes de la loi de 1881 que j’ai mentionnés plus haut.

Le thème rencontre aussi sur bien des points la question de l’autocensure.

Bien sûr, en tant qu’athée, rien ne m’empêche de rentrer dans une synagogue sans me couvrir la tête, de garder mes chaussures dans une mosquée, ou de visiter une église ou un temple bouddhiste torse nu, avec mon chien et mes accessoires de plage.

Mais cela porte un nom, qui est au moins la goujaterie, sans doute aussi l’incivilité, peut-être tout simplement l’imbécillité ».

Cet appel à la responsabilité n’a rien à voir avec un « hygiénisme », terme dont a été qualifié un de mes commentaires cités plus haut. Ni même avec un « moralisme ». Il relève tout simplement de l’éthique, du respect de la laïcité comme de celui de notre Constitution qui affirme dans son article premier que la République « respecte toutes les croyances ».

Bien sûr, la caricature, la raillerie, font aussi partie de la liberté d’expression.

Mais il est bien réducteur de penser qu’elles la constitueraient à elles seules.

« Les journaux satiriques disposent, à ce titre, d’une ­ « présomption humoristique », qui les protège ­davantage que les publications dites sérieuses ».

[Mais eux-mêmes ne sont pas exempts de] « limites à ne pas franchir » [qui sont, comme le précise la loi ] : « la diffamation, l’injure, l’outrage, le dénigrement ou l’atteinte à la vie privée ».

« L’humour ne saurait non plus servir à masquer ce que le droit appelle des ’’buts illégitimes’’, tels que la provocation à la haine raciale, l’injure faite à un groupe en raison de son appartenance religieuse, l’atteinte à la dignité humaine ou l’animosité personnelle »,

Nous dit la juriste Pascale Robert Diard, commentant le corpus législatif sur la liberté de la presse.

Comme je l’ai montré dans le post mentionné plus haut, et tout comme en dépit d’un déni récurrent l’islamophobie pénètre profondément notre culture, la discrimination existe bel et bien au sein même de la caricature. Seul un biais cognitif largement partagé nous empêche de le reconnaître.

Biais cognitif au demeurant propre à toute communauté dominante, pour laquelle « l’injure faite à un groupe en raison de son appartenance religieuse », ou « l’atteinte à la dignité humaine », bien que passibles de sanction, n’entraînent que rarement des suites judiciaires.

Peut-être serait-il temps de prendre la juste mesure des effets dangereusement délétères de telles déficiences.

Et plutôt que de donner l’impression d’agir en tirant de façon désordonnée sur tout ce qui bouge (tout en réglant quelques comptes de façon assez veule), au risque de « neutraliser la présomption d’innocence » et de « remplacer la responsabilité par une dangerosité indémontrable » (Mireille Delmas-Marty), il serait certainement plus efficace de promouvoir, à la base, un enseignement du respect qui s’accompagne de mesures qui le rende effectif.

Cela peut se faire en distinguant enfin de façon claire, en particulier devant les plus jeunes, la liberté d’expression du droit à l’irrespect. Encore une fois, si la démocratie tolère le second, celui-ci ne doit en aucun cas phagocyter la première, ni outrepasser des limites déjà définies par le droit.

À moins de s’habituer à voir s’instituer un « enseignement de l’irrespect » profondément préjudiciable au vivre ensemble.

Dans un numéro du « 28 Minutes d’Arte », l’islamologue Olivier Hanne attire l’attention (vers 26mn30) sur le fait qu’il y a différentes façons de concevoir la liberté d’expression :

« Dans le modèle anglo-saxon, la liberté d’expression part de la base, elle part des citoyens. Et si quelque chose choque une partie des citoyens, cette liberté d’expression s’interrompt  (…) Alors qu’en France, la liberté d’expression est l’arme de la République. Elle part du haut. Elle a toujours été utilisée contre les ennemis de la République [la royauté, le catholicisme, maintenant l’islamisme](…) On n’est pas dans la même manière de voir la liberté d’expression. Chez les anglo-saxons, les publications [des caricatures de Mahomet] sont – entre guillemets – un scandale. Nous sommes en France à la croisée des chemins, parce que depuis 20 ans on a récupéré un modèle anglo-saxon, inclusif, tolérant, chaque communauté peut s’exprimer, mais on n’est pas allé jusqu’au bout parce que si on suit ce modèle anglo-saxon, finalement, on ne devrait plus les publier ».

Peut-on raisonnablement affirmer que des publications de ce genre, outre la jouissance quelque peu adolescente de la transgression, aient été d’une quelconque efficacité dans la lutte contre le djihadisme ou qu’elles aient en quoi que ce soit contribué à approfondir chez les fidèles l’indispensable compréhension critique de leur religion ?

Si le nombre de djihadistes français partis combattre en Syrie et en Irak dépasse les 1700, et si les attentats ont été en France particulièrement meurtriers, qui oserait en conscience affirmer que la confusion délibérément entretenue chez nous, sous le prétexte d’une soi-disant « laïcité », entre liberté d’expression et « enseignement de l’irrespect » n’y est pas pour quelque chose ?

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Ajout 25/10:

En complément, un article pertinent sur le sujet:

https://orientxxi.info/magazine/de-la-liberte-d-expression-des-voix-musulmanes-en-france,4227

Et bien des remarques de bon sens dans ce billet de Bruno Frappat:

La censure est un vilain défaut des dictatures, mais l’autocensure peut être considérée comme une des marques de la civilisation. Imaginons un instant que tout un chacun, à chaque moment de son existence, exprime tout haut ce qu’il ressent tout bas. La liberté d’expression serait assurément respectée mais pas la paix civile ni le fameux « vivre-ensemble ».

https://www.la-croix.com/JournalV2/Retombees-lepouvante-2020-10-23-1101120858

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Ajout du 25/10 à 22h.

Dans l’esprit de ce qui précède, et au vu des manifestations qui secouent une partie du monde musulman suite aux déclarations de M. Macron,

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/25/rien-ne-nous-fera-reculer-macron-garde-le-cap-face-a-la-colere-d-une-partie-du-monde-musulman_6057331_3210.html

je me permets la question saugrenue suivante:

Est-ce vraiment servir le rayonnement de la France que de faire consister la Liberté inscrite dans notre devise dans le fait d’exhiber fièrement au monde entier les fesses du Prophète ?

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Ajout du 26/10 :

Un autre commentaire suite à l’article du Monde mentionné ci-dessus :

L’immense majorité des français musulmans récuse le djihad, malgré la propagande des islamistes et les provocations islamophobes dont certains commentaires ici même donnent une idée. C’est aussi dans la profondeur de l’Islam qu’elle puise cette force de résistance. Ce dont la France a un urgent besoin, c’est d’une pédagogie du respect et de l’apaisement et non d’incitations trumpiennes à la guerre civile. Il est grand temps de clore l’épisode Charlie pour promouvoir cette politique, et de cesser d’ériger en norme de la liberté d’expression des provocations qui, si elles peuvent avoir pour certains un aspect jubilatoire, n’en constituent pas moins un réel danger pour le vivre-ensemble.

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Ajout du 29/10 :

[pour cause de plus de facilité dans l’édition des liens, je réponds ici au commentaire ci-dessous de Claustaire].

Bonjour Claustaire,

Merci pour ce long commentaire, sur des sujets dont nous avons pourtant déjà longuement débattu. Mais cela me fait me rendre compte une fois de plus que l’homme n’est pas avant tout un être de raison, mais un être « tripal », et qu’il faut un moment pour que la réflexion accède des tripes à la raison. Un moment qui nécessite de remettre cent fois l’ouvrage sur le métier.

Pour ce qui est d’avoir « prévu » quoi que ce soit, bien sûr que je n’avais pas « prévu » le détail de ce crime abominable. Quand je parle de « prévisibilité », je veux simplement dire que, dans le climat de tension qui est entretenu, il fallait s’attendre, et il faut s’attendre à des événements de cet ordre, et sans doute pire encore.

Au « 28 minutes » d’Arte de hier,

https://www.arte.tv/fr/videos/097407-048-A/28-minutes/

un petit comité d’intellectuels qu’on peut difficilement accuser « d’islamo-gauchisme »

(Metin Arditi, scientifique, écrivain, ambassadeur à l’Unesco, etc. ; Michela Marzano, éditorialiste au quotidien italien « La Repubblica » ; Philip Golub, professeur de relations internationales à l’Université américaine de Paris)

était d’accord pour dire que la republication des « caricatures de Mahomet » était, comme on peut le constater aisément, du pain béni pour les islamistes, tant elle rentre parfaitement dans leur stratégie d’exacerbation des tensions, qui vise à faire monter l’islamophobie d’un côté, pour de l’autre côté, justifier l’islamisme et inciter les musulmans, de France et d’ailleurs, à prendre parti pour l’extrémisme, voire à quitter le pays.

Stratégie maintes fois identifiée, et dans laquelle on fonce tête baissée, « comme d’hab. », puisque, comme on le sait, l’expérience n’enseigne rien à celui qui ne veut pas entendre.

Il ne faut donc pas être grand clerc pour savoir que des actes atroces auront encore lieu, qu’ils se préparent en ce moment même.

Pour ce qui est de « l’imposture sémantique » que constituerait l’islamophobie, j’ai déjà pas mal écrit sur ce thème. Par ex :

https://stultitiaelaus.com/2016/03/02/dune-desinhibition-de-lislamophobie-de-ses-origines-et-de-ses-consequences-reflexion-sur-une-erreur-de-methodologie-et-un-sophisme-de-caroline-fourest/

et nous en avons déjà amplement débattu ensemble.

Il n’est que trop facile de retourner l’argument et de montrer, textes et preuves à l’appui, que l’islamophobie est, tout comme l’antisémitisme qui lui est symétrique, une constante de la pensée française depuis plus d’un siècle. Et c’est bien le déni de l’islamophobie qui constitue une supercherie.

Ce n’est pas parce que l’antisémitisme est instrumentalisé par des juifs nationalistes et colonialistes qui prétendent criminaliser par ce terme toute opposition à la politique expansionniste des politiciens nationalistes d’Israël, qu’on serait en droit d’affirmer, contre toute réalité factuelle, que l’antisémitisme est une « imposture sémantique ».

Ce n’est pas parce que l’homophobie a pu être effectivement instrumentalisée par quelques homosexuels pour exacerber une position victimaire qu’on serait en droit d’affirmer que l’homophobie est une « imposture sémantique ».

Il en va exactement de même en ce qui concerne l’islamophobie. Ce n’est pas parce qu’elle est instrumentalisée par les islamistes pour parvenir à leurs fins (cf. ci-dessus) qu’on est en droit d’affirmer que l’islamophobie est une « imposture sémantique ».

Comme je le montrais dans le post mentionné ci-dessus, le terme a une longue histoire.

Le délit d’islamophobie est qualifié par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, l’OSCE, le Conseil de l’Europe, entre autres.

Bien plus que l’existence et les méfaits de l’islamophobie, ce qui pose problème en France est son déni.

De la même manière que nier le fait de l’antisémitisme désigne à coup sûr un antisémite, ou nier le fait de l’homophobie désigne à coup sûr un homophobe, nier le fait de l’islamophobie désigne à coup sûr un islamophobe.

Caroline Fourest est un exemple déplorable de ce genre de mécanique. Outre son ignorance patente des réalités historiques, ses écrits illustrent amplement ce déni.

Relisez donc l’article d’Oliver Cyran que j’ai mentionné dans mon post

http://www.article11.info/?Charlie-Hebdo-pas-raciste-Si-vous

et vous serez édifié :

« Je me souviens de cette pleine page de Caroline Fourest parue le 11 juin 2008. Elle y racontait son amicale rencontre avec le dessinateur néerlandais Gregorius Nekschot, qui s’était attiré quelques ennuis pour avoir représenté ses concitoyens musulmans sous un jour particulièrement drolatique. Qu’on en juge : un imam habillé en Père Noël en train d’enculer une chèvre, avec pour légende : « Il faut savoir partager les traditions ». Ou un Arabe affalé sur un pouf et perdu dans ses pensées : « Le Coran ne dit pas s’il faut faire quelque chose pour avoir trente ans de chômage et d’allocs ». Ou encore ce « monument à l’esclavage du contribuable autochtone blanc » : un Néerlandais, chaînes au pied, portant sur son dos un Noir, bras croisés et tétine à la bouche. Racisme fétide ? Allons donc, liberté d’expression ! Certes, concède Fourest, l’humour un peu corsé de son ami « ne voyage pas toujours bien », mais il doit être compris « dans un contexte néerlandais ultratolérant, voire angélique, envers l’intégrisme ». La faute à qui si les musulmans prêtent le flanc à des gags difficilement exportables ? Aux musulmans eux-mêmes et à leurs alliés trop angéliques, ça va de soi. Comme l’enseigne Nekschot aux lecteurs de Charlie Hebdo, « les musulmans doivent comprendre que l’humour fait partie de nos traditions depuis des siècles » ».

Olivier Cyran a eu l’honnêteté de claquer la porte de Charlie Hebdo après l’arrivée de Fourest [correctif: en fait, Olivier Cyran a quitté Charlie juste avant cette arrivée]. C’est tout à son honneur.

Mais des Fourest, des Houellebecq (qui, en passant déclare que « Donald Trump est un des meilleurs présidents américains que j’aie jamais vu»…), des Onfray (qui en passant est en train de virer au nationalisme identitaire), etc. ne sont pas taraudés par ce genre d’honneur.

« Il ne faut pas avoir peur de se faire traitre d’islamophobes » assènent-ils à l’envi à la suite d’Élisabeth Badinter à qui (hélas de plus en plus nombreux) veut bien les entendre.

Certes, puisque l’islamophobie est une « imposture sémantique » !

Ainsi, déclarer que « l’Islam est la religion la plus con » ; représenter des musulmanes le cul nu en train de prier tournées vers « la mère Mecquerelle » ; les fesses et les couilles de Mahomet, qui, de toute façon, baise avec une tête de porc, tout cela n’a rien à voir avec l’islamophobie !!!

« Non, non, Monsieur. Il s’agit de Liberté d’Expression. Dans notre plus pure tradition française ».

En effet.  Ce genre de « liberté d’expression » faisait florès dans certaines années trente, et « s’amusait » dans des termes semblables de certaines communautés, avec les suites que l’on sait.

Étant sur la route hier, j’écoutais sur France Culture l’émission « Le cours de l’histoire », consacrée aux « Mythes fondateurs des États Unis ».

https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/les-mythes-fondateurs-des-etats-unis-34-la-guerre-de-secession-les-etats-desunis-damerique

Patrick Weil et le dessinateur Jul y posaient la question suivante : Comment se fait-il qu’en 75 ans d’existence, Lucky Luke n’avait jamais rencontré la communauté noire des États-Unis ?

L’une des réponses est hélas bien simple : un biais cognitif largement partagé, tel celui auquel je fais allusion dans mon post ainsi que, par exemple, dans celui concernant la discrimination dans la caricature

https://stultitiaelaus.com/2015/01/20/de-lequite-dans-la-caricature-et-du-kairos-car-il-y-a-un-temps-pour-tout/

faisait que ni l’existence de la communauté noire des USA, ni le racisme dont elle faisait l’objet, n’étaient perçus par les lecteurs.

Mon père avait fui en Afrique du Nord pour échapper aux nazis. Il me racontait y avoir vu des colons faire vendanger des ouvriers arabes avec des muselières pour éviter qu’ils ne mangent des raisins. En discutant avec les colons en question, il fut stupéfait de constater que cette manière de faire était considérée par eux comme normale. Le caractère profondément choquant n’en était même pas perçu. Il n’était pas vu.

Ainsi en est-il chez nous : on peut représenter Mahomet en train de baiser une tête de cochon, des musulmanes prier culs nus tournées vers la mère Mecquerelle, dire que l’islam est la religion la plus con, publier en ce moment des commentaires inqualifiables contre les musulmans suite au moindre article de presse, etc. etc. etc. cela n’est pas perçu comme islamophobe. L’islamophobie n’en est même pas vue. Normal, elle n’existe pas.

Rassurez-vous. Je ne me fais absolument pas le « procureur » du malheureux Samuel Paty, dont je condamne clairement le crime abominable.

Je pense seulement qu’il a été doublement victime : de son ignoble assassin, bien sûr, et aussi d’une équivoque qu’il n’a pas été en mesure de surmonter.

Après les attentats de 2015, Charlie Hebdo est devenu un symbole, un totem auquel il était, et il est encore, sacrilège de toucher, sacrilège d’adresser la moindre critique.

Or, ce n’est pas parce qu’on a été les victimes d’un massacre abominable que cela instaure une pensée comme le nec plus ultra de la réflexion, en l’occurrence pour ce qui est de la liberté d’expression.

Ce n’est pas parce que Pim Fortuyn a été lâchement assassiné que cela consacre pour autant nécessairement sa pensée comme étant l’expression la plus élevée d’une politique d’immigration.

Il en va de même dans le cas de Charlie, et là réside l’équivoque.

Peut-être en effet les caricatures de Charb et les allégations proférées par Caroline Fourest ne dépassaient-elles pas les limites de la liberté d’expression. Pour ma part, je pense qu’Éric Zemmour a été, fort légitimement, condamné pour moins que ça.

Mais quant à en faire désormais la norme indépassable de la liberté d’expression, celle qu’on doit enseigner dans les écoles et exhiber comme notre gloire à la face du monde, permettez-moi de dire que c’est une vaste connerie.

Connerie dans laquelle le pauvre Samuel Paty s’est trouvé enfermé, qu’il n’a peut-être pas su remettre en question de façon critique, je ne sais pas.

Mais connerie sur laquelle il serait urgent de réfléchir avant qu’elle n’entraîne, dans le cadre de l’enseignement comme dans le cadre de nos relations avec le monde musulman, des dégâts irréparables et de nouveaux crimes, hélas parfaitement prévisibles.

Encore un mot sur la « rupture des consensus familiaux ou communautaires » que vous évoquez. Cela fait partie en effet du processus normal de l’éducation. Mais il y a façon et façon de le faire.

Je suis un amoureux de l’histoire du monde hispanique, et je m’étonne qu’un critique tel que vous n’opère pas quelques rapprochements. La colonisation espagnole du monde sud-américain, en dépit d’exceptions relatives telles que celles qu’on observe au Paraguay, a privilégié ce genre de « ruptures », en ridiculisant les dieux et les coutumes des peuples colonisés, en méprisant leurs cultures, en imposant des pratiques vestimentaires, etc.

Pour ma part, je ne vois pas ce qu’une laïcité aurait à gagner en appliquant ce genre de règles et de méthodes héritées des périodes les plus sombres de nos histoires. Quand les ayatollahs de la « laïcardité », en effet, auront réussi à imposer – à la demande hélas d’une bonne partie de la population- ce genre de « laïcité » qui trahit fondamentalement celle des pères fondateurs (ma référence essentielle en la matière est Jean Baubérot, qui connaît la question un tout petit mieux que Valls ou Fourest…), je risque fort d’exporter sous d’autres cieux ma nostalgie de la France.

Cordialement à vous.

*

Ajout à l’ajout :

Et puisque j’ai fait mention de Jean Baubérot, un petit extrait de cet immense historien de la laïcité:

Quant à Charlie, un de ses chroniqueurs, Philippe Lançon, justifie la « une » du numéro du 8 novembre contre Edwy Plenel ainsi : « Charlie Hebdo est un journal satirique. Et de ce fait, avec une part de mauvaise foi » (Libération, 16 novembre 2017). Ce propos exprime clairement la situation totalement ambivalente où l’on se trouve depuis l’attentat criminel du 7 janvier 2015[3]. Le slogan « Je suis Charlie » permet un glissement permanent qui part de la solidarité fondamentale avec des personnes assassinées pour délit d’opinion (ce qui rend la chose deux fois insupportable) pour, finalement, aboutir à l’imposition d’une doctrine. Une doctrine qui serait l’unique propriétaire de la laïcité et de la démocratie et qui, servant une « juste cause », aurait le droit de s’affranchir de tout critère d’honnêteté intellectuelle. Une doctrine face à laquelle la moindre critique constituerait un blasphème (illégitime) contre la République. Ariane Chemin le constate : « Charlie appartient désormais au patrimoine national ; chaque combat mené par ou contre lui devient un peu celui des Français » (Le Monde, 16 novembre 2017).

Il se produit là une double mystification :

D’abord, le fait de prétendre être un « journal satirique » ne peut servir d’excuse à tout et n’importe quoi. Et si on admet, non seulement la liberté sans responsabilité aucune (ce que réclame Charlie depuis bien avant les attentats), mais aussi, en conséquence, le droit à « une part de mauvaise foi », sous prétexte de publication satirique, effectivement Edwy Plenel a bien raison d’indiquer que la démocratie se trouve en danger.

https://blogs.mediapart.fr/jean-bauberot/blog/181117/laicite-et-democratie-l-enjeu-de-la-polemique-charlievalls-mediapart?userid=ed493716-f06a-4e38-afd0-b8d1a9385a41

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Ajout du 31/10 :

Encore une réaction à un article du Monde :

Il serait enfin temps de briser l’omerta. Le massacre de 2015 a fait de Charlie, de façon certes compréhensible, un espace sanctuarisé contre lequel il est sacrilège d’émettre la moindre critique. L’exemple de Pim Fortuyn montre cependant que ce n’est pas parce que quelqu’un est assassiné que ses productions sont au-dessus de tout soupçon. Quand Charlie, entre autres exemples, consacre une page entière à un «caricaturiste» qui représente un imam sodomisant une chèvre, avec pour légende «Il faut savoir partager les traditions», un autre sodomisant une fillette voilée, etc. cela constitue en rigueur de termes une insulte ignominieuse. M. Zemmour a été, de façon légitime, condamné parce que ses propos selon les termes du jugement «outrepassent les limites de la liberté d’expression puisqu’il s’agit de propos injurieux envers une communauté et sa religion». On est certes en droit de ne pas sanctionner une injure, mais ayons le tact de ne pas en faire un symbole de la liberté d’expression.

https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/31/pour-l-archeveque-de-toulouse-on-ne-se-moque-pas-impunement-des-religions_6058021_3224.html

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Ajout du 02/11 :

Allez, pour la route, encore deux petits commentaires à des articles de journaux:

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-est-la-persistance-du-deni_6057989_3232.html

Parmi des dénonciations bien entendu nécessaires du déni de l’islamisme, on s’étonne de la fixette sur le voile, qui décrédibilise le propos. Ainsi, une fois de plus, le vêtement – féminin, cela va de soi – revient-il au cœur de la polémique. Outre la méconnaissance de la diversité des raisons du port du voile, les signataires veulent-ils engager la laïcité française sur la voie d’un contrôle autoritaire de la façon de se vêtir, avec, en prime pour éviter le sexisme, un contrôle de la longueur des barbes et une interdiction du port du T-shirt du Che ? Ce serait certes une réussite qui ferait de la France la seule émule de l’Iran et de l’Arabie Saoudite parmi les nations occidentales. Belle réussite, incontestablement. 

https://www.la-croix.com/Famille/Hommage-Samuel-Paty-dit-Lettre-instituteurs-Jaures-2020-10-31-1201122262

Il faut que les enfants « démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. Il faut leur montrer la grandeur de la pensée ; il faut leur enseigner le respect et le culte de l’âme en éveillant en eux le sentiment de l’infini qui est notre joie, et aussi notre force » [extrait de la « Lettre aux instituteurs« , de Jean Jaurès] . Un éternel merci, M. Jaurès. Cela vaut mieux en effet que de leur montrer les fesses du prophète Mahomet.

Et à l’usage des partisans du déni:

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/jean-francois-bayart-que-le-terme-plaise-ou-non-il-y-a-bien-une-islamophobie-d-etat-en-france_6057987_3232.html

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Ajout du 03/11 :

Ce remarquable article d’Oliver Mongin et Jean Louis Schlegel, dont je ne saurais assez souligner le caractère essentiel:

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/03/les-defenseurs-de-la-caricature-a-tous-les-vents-sont-aveugles-sur-les-consequences-de-la-mondialisation_6058263_3232.html

et mon modeste commentaire :

Un grand merci pour ce plaidoyer si intelligent pour une rationalité sans équivoque, dans un monde où la désinhibition des forces de l’irrationnel semble délibérément promue de bien des côtés. Pour quels intérêts ? Qu’est-ce donc qui se manifeste et qui monte à travers un tel vacarme ?  « Le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde ». 

Je me permets d’ajouter un commentaire de Claustaire à cet article:

Naguère, on brandissait la chemise ensanglantée du camarade tué par l’ennemi, parfois le drapeau ensanglanté qu’on ne voulait pas renier, aujourd’hui, nous sommes bien condamnés à brandir des caricatures pour dénoncer le massacre dont ils auront été l’alibi.

Rappelons que notre hymne national, lui aussi plein de sang répandu, a été composé dans un Strasbourg assiégé et menacé de massacre par de « féroces ennemis ».

Et parce qu’il se défendrait maintenant par des dessins pour dénoncer le rêve d’une théocrature mortifère, on ose venir donner des leçons de politesse ou de décence à un pays dont les fonctionnaires, journalistes, prêtres, enseignants, ou passants dans une rue de fête nationale peuvent être abattus, écrasés, égorgés par la barbarie islamiste ? Barbarie qu’on ose présenter comme l’oeuvre “d’un fou” solitaire alors qu’elle est désormais dans l’air du temps et que nous pouvons en être victime au coin de la rue, que nous vivions à Londres, Paris, Bruxelles ou Vienne. Damned !

Ainsi que la réponse que je me suis senti obligé de lui faire :

La première réponse n’ayant pas été publiée, je réitère avec une seconde version. Peut-être avais-je manqué à la bienséance, que je félicite Le Monde de sauvegarder, en écrivant des mots que la décence réprouve:

@Claust. Désolé, mais personne n’est «condamné» à montrer le c..l et les co..les de Mahomet à la face du monde. Les islamistes en jubilent, car cela leur fournit un excellent alibi pour vendre leurs provocations assassines et leur stratégie de l’escalade aux fidèles musulmans, comme nous le constatons. Quant à ces fidèles, en France ou ailleurs, et en particulier beaucoup de jeunes dont je me suis occupé, ils ne retirent de ces provocations grossières de bobos du nouveau «pastis-party» (cf. le tea-party aux USA)* en train de se consolider en France, qu’humiliation, rancœur et ressentiment qui poussent les plus fragiles vers des pentes bien dangereuses. Il est grand temps de passer de proclamations aussi grandiloquentes qu’abstraites que dénonce l’article au constat de la réalité.

[* auquel on pourrait bien sûr ajouter le « saucisson-pinard parti« , son allié].

[Il y a quelques années, une quarantaine de députés ont commémoré la fête nationale autour d’un apéritif « saucisson-pinard » au sein même de l’Assemblée nationale. Les banquets révolutionnaires s’en prenaient certes aux particularismes, mais c’était au nom de l’universalisme, dans une volonté d’intégration. Ici, on se trouve face à des repas organisés pour exclure l’autre, qui n’en est pas moins citoyen] (article de P. Birnbaum cité).

Étonnant ! Après avoir été publiés pendant quelques minutes, voici que certains de mes commentaires et réponses sont maintenant effacés ! Le Monde aurait-il pris sa carte au Pastis-Party ?

Bon. À la troisième tentative, une version où il n’est question que de « fesses » finit par passer.

Et encore cet article, dont le remarquable équilibre contraste avec la virulence étonnamment guerrière de certains commentaires qu’il suscite:

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/02/william-marx-l-allergie-nationale-au-fait-religieux-est-une-erreur-intellectuelle-et-une-faute-politique_6058164_3232.html

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Ajout du 04/11 :

Oliver Mongin et Jean Louis Schlegel ont judicieusement évoqué, dans l’article mentionné précédemment, la notion hégélienne « d’universel abstrait » pour évoquer les convictions morales qui, pour garder les mains pures, refusent de prendre en compte le caractère concret des situations historiques. On aurait pu aussi rappeler la pique de Péguy contre l’impératif moral kantien: « Le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains » (Victor-Marie, Comte Hugo, Pléiade T III, p. 331).

Ainsi, qu’importe si projeter les caricatures de Mahomet sur des édifices publics contribue à faire lever en France et dans le monde de nouveaux djihadistes : au moins aurons nous affirmé nos convictions. Na!

Ayant projeté pour ma part un post sur la distinction conceptuelle, ô combien utile mais hélas trop oubliée, qu’opère Max Weber entre « éthique de conviction » et « éthique de responsabilité », je suis tombé sur cet article de 2015 qui dit mieux que moi ce que je pensais développer. Je le recommande donc chaudement aux amateurs.

https://www.liberation.fr/societe/2015/01/19/charlie-ethique-de-conviction-contre-ethique-de-responsabilite_1184055

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Ajout du 05/11 :

Petite remarque édifiante suite à la lecture de cet article:

https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/04/jean-messiha-quitte-le-rassemblement-national_6058496_823448.html

Après l’assassinat de Samuel Paty, l’économiste s’était laissé aller à écrire le 29 octobre, sur son compte Twitter, « il est temps de dire que l’islam est incompatible avec la République » –, alors que Marine Le Pen avait déclaré quatre jours auparavant : « Je ne crois pas qu’il y ait une religion qui soit incompatible avec la République. » Elle a sèchement mis les choses au point le 30 octobre sur BFM-TV : « C’est moi qui détermine la ligne du mouvement. »

À la lecture d’une multitude de commentaires qui stigmatisent le « choc des civilisations », l’incompatibilité de l’islam avec notre République, notre démocratie ou notre culture, etc. il faut bien convenir qu’il s’avère urgent de créer un nouveau parti à la droite du RN, dont la modération ne suffit plus, aux dires de M. Messiha. Peut-être le Pastis-Parti, et son allié le Saucisson-Pinard parti dont il est question plus haut feront-ils l’affaire ?

Quelques réflexions bien rapides sur Spinoza, à l’occasion d’un commentaire de Claustaire.

[Comme je me suis un peu laissé emporter par mes réflexions, je publie en « post » ce qui devait être une réponse au commentaire suivant de Claustaire] :

Bonjour,

Un peu de lecture pour quand vous serez revenu (et en pleine forme, je l’espère et le souhaite).

Comme je vous sais spinoziste invétéré, je souhaiterais vous soumettre certaines pages d’un blogueur spinoziste, que je viens de découvrir.

Voici la première page qu’il consacre à une réflexion sur Spinoza, le Coran et d’autres saints textes dits incréés.

Si vous acceptez ce « cadeau », je vous laisserai évidemment tout le temps qui vous semblera nécessaire pour explorer ce blog et me dire ce que vous en pensez.

Cordialement
C.S.

Bonjour Claustaire.

Je redescends enfin de ma montagne, plus tard que prévu, (plus on se fait vieux, plus descendre prend du temps vous diront tous les montagnards…) et je trouve votre « commentaire » et votre lien sur Spinoza.

Vous m’honorez fort en me qualifiant de « Spinoziste invétéré ». En fait, si j’admire Spinoza, je ne suis pas pour autant spinoziste, ou du moins je ne le suis plus, pour des raisons dont j’avais assez longuement débattu dans une discussion avec « Polaire ».

https://stultitiaelaus.com/2014/07/30/entraide-empathie-bienveillance-de-kropotkine-a-hobbes-et-retour-2/

Quant au blog de Jean-Pierre Vandeuren dont vous me donnez le lien, je le trouve une fois de plus caractéristique de certaines caricatures plutôt sommaires dont est l’objet depuis quelques décennies la pensée de Spinoza : on en fait, de façon au demeurant très légitime, un apôtre de la tolérance contre le fanatisme, de la liberté de pensée et de l’approche historico-critique des textes religieux, mais en le réduisant généralement à une sorte de laïcardité parfaitement anachronique, si ce n’est à un athéisme militant à la Onfray, en oubliant tout simplement, parce qu’on ne prend pas la peine de le lire, le caractère avant tout profondément spirituel de sa pensée.

Certes, il s’agit d’une spiritualité autre que celle du judaïsme, du christianisme et de l’islam (même s’il faudrait rappeler les influences indéniables de la pensée musulmane sur son évolution spirituelle, cf. par ex. : https://www.erudit.org/fr/revues/philoso/2010-v37-n2-philoso3970/045184ar/ ) qui se caractérise par un monisme de type panthéiste (ou pan-en-théiste, si l’on veut, dans la mesure ou pour Spinoza tout n’est pas Dieu, mais tout est « en Dieu »). Ce n’est pas pour rien qu’il fut exclu de la synagogue et frappé de la malédiction des bannis ; qu’il fut vilipendé par des générations de penseurs chrétiens, etc.

Mais, pour ma part, je n’hésiterai pas à le présenter avant tout comme un mystique. En témoigne en particulier tout le Livre V de L’Éthique (« La suprême vertu de l’Esprit est de connaître Dieu » prop. XXVII ; « Quoique cet Amour pour Dieu n’ait pas eu de commencement, il a pourtant toutes les perfections de l’Amour » prop. XXXIII, scolie) etc. etc.

En dépit de la différence des approches théologiques, on croirait entendre du Jean de la Croix !

De plus, ce même genre de caricature sommaire, due à un manque de lecture ou à une compréhension trop rapide de son exégèse historico-critique, frappe également la pensée de Spinoza en ce qui concerne ses considérations sur le rôle et la fonction des religions « révélées », et l’approche très fine et nuancée qui est la sienne.

Là encore, il suffit de lire en particulier le Traité théologico-politique :

(pour plus de facilité, j’utilise la version de Wikisource. Je citerai simplement : Traité) :

https://fr.wikisource.org/wiki/Trait%C3%A9_th%C3%A9ologico-politique ).

« Mais, avant d’aller plus loin, je veux marquer ici expressément (quoique je l’aie déjà fait) l’utilité et la nécessité de la sainte Écriture, ou de la révélation, que j’estime très-grandes. Car, puisque nous ne pouvons, par le seul secours de la lumière naturelle, comprendre que la simple obéissance soit la voie du salut, puisque la révélation seule nous apprend que cela se fait par une grâce de Dieu toute particulière que la raison ne peut atteindre, il s’ensuit que l’Écriture a apporté une bien grande consolation aux mortels. Tous les hommes en effet peuvent obéir, mais il y en a bien peu, si vous les comparez à tout le genre humain, qui acquièrent la vertu en ne suivant que la direction de la raison, à ce point que, sans ce témoignage de l’Écriture, nous douterions presque du salut de tout le genre humain ». (Traité XV)

En fait, ce qui est systématiquement oublié par ceux qui trouvent un intérêt idéologique à réduire la pensée de Spinoza à un intellectualisme ou un rationalisme simpliste qui n’est certes pas le sien, c’est que le salut de l’âme par la « connaissance du troisième genre » telle qu’elle est présentée au Livre V de l’Éthique n’est pas la seule voie qu’il reconnaît.

Puisque

« Nous avons montré dans le chapitre précédent que la loi divine, cette loi qui nous rend vraiment heureux et nous enseigne la vie véritable, est commune à tous les hommes ; et comme nous l’avons déduite de la seule considération de la nature humaine, il faut reconnaître qu’elle est innée et comme gravée au fond de notre âme ». (Traité V).

 il y a un salut possible pour les non –sages, les non-savants, les non-philosophes.

Le spinozisme ne se limite pas à une gnose élitiste à l’usage des intellectuels branchés ou bobos.

Outre la « connaissance du troisième genre », dont l’accès « difficile autant que rare » et impossible sans un effort conséquent (cf. Éthique, prop. XLII, scolie) explique que « bien peu, si vous les comparez à tout le genre humain (…) acquièrent la vertu en ne suivant que la direction de la raison » (Traité XV), la simple obéissance des humbles aux révélations des Écritures qui enseignent l’amour du prochain et la vie selon la justice leur ouvre la voie de cette béatitude éternelle promise à ceux qui vivent selon l’Esprit.

« Ensuite cette même Écriture enseigne très-clairement, en une infinité de passages, ce que chacun doit faire pour obéir à Dieu ; toute la loi ne consiste qu’en cet unique point : notre amour pour notre prochain ; ainsi personne ne peut douter qu’aimer son prochain comme soi-même, ainsi que Dieu l’ordonne, c’est effectivement obéir et être heureux selon la loi, et qu’au contraire le dédaigner ou le haïr, c’est tomber dans la rébellion et dans l’opiniâtreté. Enfin tout le monde reconnaît que l’Écriture n’a pas été écrite et répandue seulement pour les doctes, mais pour tous les hommes de tout âge et de toute condition » (Traité XIV).

(…)

« Mais j’exposerai en peu de mots les conséquences qui en résultent, savoir : 1° que la foi n’est point salutaire en elle-même, mais seulement en raison de l’obéissance, ou, comme le dit Jacques (chap. II, vers. 17), que la foi, à elle seule et sans les œuvres, est une foi morte ; voyez à ce sujet tout le chapitre II de cet apôtre ; 2° il s’ensuit que celui qui est vraiment obéissant a nécessairement la foi vraie et salutaire ; car l’esprit d’obéissance implique nécessairement l’esprit de foi, comme le déclare expressément le même apôtre (chap. II, vers. 18) par ces paroles : Montre-moi ta foi sans les œuvres, et je te montrerai ma foi d’après mes œuvres. Et Jean, dans l’Epître I (chap. IV, vers. 7, 8), s’exprime ainsi : Celui qui aime (à savoir, le prochain) est né de Dieu et il connaît Dieu ; mais celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est charité. » (id.ibid).

(…)

« C’est encore ce qu’enseigne expressément le même apôtre au verset 13 de ce même chapitre : Par là nous connaissons, dit-il, que nous demeurons en lui et qu’il demeure en nous, parce qu’il nous a fait participer de son esprit, c’est-à-dire parce qu’il nous a donné la charité. Or il avait dit auparavant que Dieu est charité : d’où il infère (d’après ses principes, universellement admis de son temps) que quiconque a la charité a véritablement l’esprit de Dieu. Il y a plus : de ce que personne n’a vu Dieu, il en conclut que personne n’a le sentiment ou l’idée de Dieu que par la charité envers le prochain, et par conséquent que personne ne peut connaître d’autre attribut de Dieu que cette charité en tant que nous y participons » (id. ibid.).

Tout cela nous informe sur la profondeur du catéchisme de Spinoza, totalement oubliée du plus grand nombre de ces pseudo-adeptes qui en réduisent la pensée de façon fallacieuse et arbitraire :

« Maintenant je ne crains plus d’énumérer les dogmes de la foi universelle, ou les dogmes fondamentaux de l’Écriture, lesquels (comme cela résulte très-évidemment de ce que j’ai exposé dans ces deux chapitres) doivent tous tendre à cet unique point, savoir : qu’il existe un Être suprême qui aime la justice et la charité, à qui tout le monde doit obéir pour être sauvé, et qu’il faut adorer par la pratique de la justice et la charité envers le prochain. On détermine ensuite facilement toutes les autres vérités, savoir : 1° qu’il y a un Dieu, c’est-à-dire un Être suprême, souverainement juste et miséricordieux, le modèle de la véritable vie ; car celui qui ne sait pas ou qui ne croit pas qu’il existe ne peut lui obéir ni le reconnaître comme juge ; 2° qu’il est unique, car c’est une condition, de l’aveu de tout le monde, rigoureusement indispensable pour inspirer la suprême dévotion, l’admiration et l’amour envers Dieu ; car c’est l’excellence d’un être par-dessus tous les autres qui fait naître la dévotion, l’admiration et l’amour ; 3° qu’il est présent partout et que tout lui est ouvert ; car si l’on pensait que certaines choses lui sont cachées, ou si l’on ignorait qu’il voit tout, on douterait de la perfection de sa justice, qui dirige tout ; on ignorerait sa justice elle-même ; 4° qu’il a sur toutes choses un droit et une autorité suprêmes ; qu’il n’obéit jamais à une autorité étrangère, mais qu’il agit toujours en vertu de son absolu bon plaisir et de sa grâce singulière ; car tous les hommes sont tenus absolument de lui obéir, et lui n’y est tenu envers personne ; 5° que le culte de Dieu et l’obéissance qu’on lui doit ne consistent que dans la justice et dans la charité, c’est-à-dire dans l’amour du prochain ; 6° que ceux qui, en vivant ainsi, obéissent à Dieu, sont sauvés, tandis que les autres qui vivent sous l’empire des voluptés sont perdus ; si, en effet, les hommes ne croyaient pas cela fermement, il n’y aurait pas de raison pour eux d’obéir à Dieu plutôt qu’à l’amour des plaisirs ; 7° enfin, que Dieu remet leurs péchés à ceux qui se repentent, car il n’est point d’homme qui ne pèche ; car si cette réserve n’était établie, chacun désespérerait de son salut, et il n’y aurait pas de raison de croire à la miséricorde de Dieu ; mais celui qui croit cela fermement, savoir, que Dieu, en vertu de sa grâce et de la miséricorde avec laquelle il dirige toutes choses, pardonne les péchés des hommes, celui, dis-je, qui pour cette raison s’enflamme de plus en plus dans son amour pour Dieu, celui-là connaît réellement le Christ selon l’esprit, et le Christ est en lui » (id. ibid.).

Notons au passage la très grande considération dans laquelle Spinoza, le juif, tient la personne du Christ. Considération elle aussi délibérément ignorée des caricatures sommaires comme des récupérations idéologiquement réductrices, qu’elles soient rationalistes ou athées. Peut-être pourrait-on même avancer que c’est en Christ « voie du salut » (Traité I) et « bouche même de Dieu » (Traité IV) que se réconcilient pour notre philosophe la voie des humbles, celle du Traité, et la voie du Sage telle que la présente le livre V de l’Éthique.

Bien que je ne sois donc pas spinoziste, je ne saurais donc trop conseiller de lire Spinoza.

Mais de le lire lui, plutôt que de suivre quelques interprètes qui ont la fâcheuse tendance de le réduire à leur petite mesure.

Spinoza n’a rien de ce laïcard dogmatique ni de cet athée matérialiste quelque peu simpliste que veulent en faire certains.

[cf. la façon dont il récuse par anticipation toute qualification de « matérialisme » dans la Lettre VIII à Oldenburg, que j’ai citée plusieurs fois : «Toutefois, ceux qui pensent que le Traité théologico-politique veut établir que Dieu et la nature sont une seule et même chose (ils entendent par nature une certaine masse ou la matière corporelle), ceux-là sont dans une erreur complète »
(Œuvres de Spinoza, traduction par Émile Saisset, Charpentier, 1861, III, pp. 365-367. Correspond à la lettre LXXIII dans l’édition de la Pléiade, p. 1282 )].

Nous avons tellement de choses à retenir d’urgence de lui, en particulier le respect inconditionnel de la liberté de pensée, liberté dont il a témoigné courageusement en dépit des persécutions et des procès.

Mais liberté de toute la pensée, et de toutes les pensées.

« Que si nous remarquons enfin que la fidélité de chaque citoyen à l’égard de l’État, comme à l’égard de Dieu, ne se juge que par les œuvres, à savoir, par la charité pour le prochain, nous ne douterons plus qu’un État excellent n’accorde à chacun autant de liberté pour philosopher que la foi, nous l’avons vu, peut lui en accorder ». (Traité XX : On établit que dans un État libre chacun a le droit de penser ce qu’il veut et de dire ce qu’il pense).

Cordialement.

Du libertarianisme : qu’il n’est pas nécessairement synonyme de liberté. Et de la disparition d’Albert Memmi, dont l’œuvre nous a aidés à mieux la concevoir. Ainsi que d’Anne Soupa, sa disciple inattendue, qui met son enseignement en pratique en postulant à l’archevêché de Lyon. Quelques brèves.

Les mesures d’urgence sanitaire de la période de confinement dont nous commençons juste à sortir n’avaient certes pas grand-chose d’agréable, et certaines doivent bien sûr être rigoureusement limitées dans le temps sous peine de restrictions effectives des libertés.

Mais j’avoue avoir de la peine à reconnaître ces « restrictions de libertés » dans certaines mesures qui ont été prises, et qu’on voudrait à toute force nous présenter comme « dérives liberticides ».

Une fois de plus, il conviendrait de mieux préciser le sens des mots, en particulier ce que nous entendons par ce terme si commun mais pourtant souvent confus et galvaudé de « liberté ».

Si, comme le dit Rousseau, alors que « l’impulsion du seul appétit est esclavage, l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » (Du Contrat Social, I,8) on ne voit pas en quoi l’attachement à quelques-uns de nos appétits, à nos conforts, voire à nos caprices individuels aurait à faire avec une Liberté majuscule qui, elle, ne peut se penser que dans une dimension communautaire et sociale, et ne peut prendre corps que par la médiation d’une Loi ayant pour but de préserver le bien commun.

C’est une attitude quelque peu adolescente qui consiste à considérer la Loi et l’Interdit qu’elle suppose comme brimade ou oppression. On ne peut nier bien sûr que certaines lois peuvent l’être, et il est nécessaire d’entretenir sur ce point une vigilance rigoureuse. Mais la fonction première et essentielle de la Loi, qui s’accompagne nécessairement au dire de Kant d’une « contrainte qui conduit à l’usage de la liberté », est de nous libérer de l’enfermement de la pulsion en opérant une rupture, instauratrice de notre humanité. Ainsi, pour l’anthropologue, l’interdit de l’inceste constitue-t-il la « règle d’or de la société », l’instauration d’un ordre de l’échange contre l’ordre de la confusion ; le psychanalyste y reconnaît, lui, la condition de la structuration et de la survie du désir, par l’instauration d’une « frontière » qui lui évite de se dissoudre dans l’indétermination fusionnelle et le « fantasme de toute puissance », etc. etc.

Peut-être faudrait-il alors raison garder, et ne pas confondre de façon bien rapide et quelque peu infantile liberté et refus de toute contrainte, confusion qu’on rencontre sous des formes diverses dans des mouvements qui ont à voir avec ce qu’on nomme libertarianisme.

Car enfin, en quoi la limitation du nombre de députés présents dans l’hémicycle, le port du masque obligatoire dans certaines circonstances, la restriction des déplacements, la fermeture des frontières, la mise en quatorzaine des personnes arrivant de zones contaminées, etc. etc. devraient être considérés négativement comme « restrictions de libertés » plutôt que positivement comme libération d’un égoïsme autocentré, actes de solidarité responsable, garantie donnée à la liberté de chacun de ne pas être mis en danger par l’irresponsabilité d’autrui  ?

Sans doute suis-je indécrottablement old-fashioned, mais j’avoue avoir du mal à concevoir en quoi marcher sur le trottoir plutôt que sur la chaussée, m’arrêter aux feux rouges, ou passer par la douche ou le pédiluve avant d’entrer dans la piscine municipale pourraient constituer en quoi que ce soit des brimades et des « restrictions des libertés ».

Or ne pas porter de masque dans des lieux publics en période de grave pandémie, ne pas contrôler les déplacements de personnes potentiellement contaminées par un virus particulièrement contagieux n’est-il pas autrement plus grave que rentrer dans une piscine avec des pieds non lavés depuis la veille ?

On serait donc en droit d’attendre un peu plus de prudence et de bon sens, et un peu moins d’idéologie dans le maniement des termes de « restriction », voire de privation de liberté dans le contexte qui est le nôtre.

Si, comme cela paraît raisonnable, la liberté individuelle et en particulier dans les circonstances que nous avons connues celle de jouir de sa propre santé, n’existe que par la liberté d’autrui, il est plutôt inquiétant de constater à quel point certains défenseurs acharnés – soi-disant « de gauche » ou « anarchistes » – de libertés prétendues fondamentales peuvent faire cause commune avec certains exemplaires d’idéologies douteuses se faisant un titre de gloire du mépris de toute mesure de restriction ou de confinement.

Car, pour en revenir à mon post précédent, il n’est pas évident que les tendances sommairement et puérilement libertariennes d’un Trump ou d’un Bolsonaro, lointains héritiers du Docteur Mandeville (cf. aussi post précédent), aient grand-chose à voir avec ce qu’on est en droit de nommer Liberté.

Sans doute ce qu’on désigne comme « libertarianisme » est-il chose complexe, et les libertariens se présentent-ils de façon diversifiée, parfois même contradictoire.

Mais, comme le rappelait à juste titre M. Rocard dans mon post cité, les origines de la pensée libérale étaient marquées par une approche proprement moraliste. Cela vaut aussi pour la pensée libertarienne qui en est issue. Et tout comme dans le cas du libéralisme, les successeurs des pères fondateurs du libertarianisme sont loin d’avoir conservé une telle connotation.

Le cas est flagrant pour ce qui est de ses branches américaines, réduisant l’État à son minimum régalien, refusant l’impôt autant que la redistribution, les dépenses sociales autant que la solidarité en matière de santé ou la défense de la biodiversité, prônant la liberté individuelle comme valeur suprême au point de refuser, entre autres, toute loi contrôlant le commerce des armes à feu, etc.

Comme on l’a vu encore, de telles théories conçoivent la nature humaine de façon fondamentalement optimiste, raison pour laquelle, dans un tel modèle, le déploiement d’une « liberté » individuelle sans régulation est censé aboutir de manière spontanée au bonheur de tous.

Il n’est donc pas étonnant que certaines rencontres puissent avoir lieu avec l’anarchisme, dans le cas en particulier des tendances dites anarcho-libertaires, tendances qui peuvent là encore se réclamer de l’optimisme anthropologique des pères fondateurs.

« Nous reconnaissons la liberté pleine et entière de l’individu ; nous voulons la plénitude de son existence, le développement libre de toutes les facultés. Nous ne voulons rien lui imposer et nous retournons ainsi au principe que Fourier opposait à la morale des religions, lorsqu’il disait : Laissez les hommes absolument libres ; ne les mutilez pas — les religions l’ont assez fait. Ne craignez même pas leurs passions : dans une société libre, elles n’offriront aucun danger » (P. Kropotkine, La morale anarchiste, Mille et Une Nuits, Paris 2004, p. 60).

Car il faut effectivement une certaine dose d’un tel optimisme anthropologique pour soutenir qu’un « développement libre de toutes les facultés » allant jusqu’à la désinhibition des passions et l’abolition des sur-moi individuels et sociaux « n’offre aucun danger » et puisse contribuer au bonheur de tous…

Il est permis au contraire de trouver particulièrement inquiétantes et dangereuses certaines rencontres entre mouvements libertariens d’origine anarcho-libertaire et groupements néo-nazis.

Et ce genre de rapprochement de plus en plus fréquent ne concerne pas hélas que les États-Unis

Il serait donc pertinent de ne pas entretenir une confusion pour le moins ambiguë entre la Liberté et ce qu’en font certaines interprétations quelque peu simplistes d’un libertarianisme bien loin d’être au-dessus de tout soupçon.

*****

On éprouve toujours de la tristesse à la disparition d’un personnage qui a été une référence dans notre cheminement intellectuel, mais aussi tout simplement humain.

Tristesse plus vive encore quand elle s’accompagne d’hommages plutôt insignifiants, loin d’être à la mesure de l’importance d’une pensée et de sa trace dans l’Histoire des hommes.

Cela n’est pourtant pas très surprenant, car Albert Memmi a été tout au long de sa vie « guelfe avec les gibelins et gibelins avec les guelfes », n’ayant pour seul guide qu’un intransigeant désir de rigueur et de vérité.

Et on le sait, cette devise érasmienne implique qu’on est le plus souvent honni à la fois par les guelfes et par les gibelins…

Loin des poncifs marxisants ou autres, et des abords idéologiques réducteurs, A. Memmi a donc dénoncé aussi bien les abus du colonisateur et la « mystification » qu’il opère sur le colonisé (Portrait du Colonisé précédé de Portrait du Colonisateur, Paris, Correa, 1957),

« Les ambiguïtés de l’affirmation de soi ».

Le colonisé s’accepte comme séparé et différent, mais son originalité est celle délimitée, définie par le colonisateur. (…)
(…) Un auteur noir s’est évertué à nous expliquer que la nature des noirs, les siens, n’est pas compatible avec la civilisation mécanicienne. Il en tirait une curieuse fierté. En somme, provisoirement sans doute, le colonisé admet qu’il a cette figure de lui-même proposée, imposée par le colonisateur. Il se reprend, mais il continue à souscrire à la mystification colonisatrice (op. cit. p.164).
Ce mécanisme n’est pas inconnu : c’est une mystification. L’idéologie d’une classe dirigeante, on le sait, se fait adopter dans une large mesure par les classes dirigées (…). En consentant à cette idéologie, les classes dominées confirment, d’une certaine manière, le rôle qu’on leur a assigné. Ce qui explique, entre autres, la relative stabilité des sociétés ; l’oppression y est, bon gré mal gré, tolérée par les opprimés eux-mêmes (id. ibid. p. 117).

que la perversion du décolonisé par le culte du chef, la corruption ou les divers mythes identitaires ou victimaires :

Il faut enfin en venir à l’essentiel : rien ne peut remplacer la prise en main des peuples par eux-mêmes, comme ils l’ont fait lors des décolonisations. Ils doivent récupérer leurs richesses et, pour cela, commencer par se débarrasser des raïs et des caudillos, putschistes et complices des possédants, internes et externes, des líder máximo, titre comique de Fidel Castro, et des combattants suprêmes, titre paranoïaque de Bourguiba vieillissant, ainsi que des imams politiciens et des mythes compensateurs qui perpétuent la stagnation sinon la régression. C’est seulement cette liberté retrouvée qui permettrait le dosage pragmatique de la part nécessaire de libéralisme économique et celle d’une économie dirigée, selon les besoins spécifiques de chacun et de chaque situation (Portrait du décolonisé arabo-musulman et de quelques autres, Gallimard, Paris, 2004, p.58).

Ces différents « portraits » constituant de géniaux passe-partout qui permettent de comprendre avec finesse aussi bien la discrimination des afro-américains que l’oppression des palestiniens, ou encore la situation de la femme dans l’église*, mais aussi les errements possibles, voire inévitables, de tout mouvement de libération.

Car si Albert Memmi était très profondément humaniste, il n’avait rien du « bisounours ».

Son approche rappelle la théorie des « umori » de Machiavel, qui soutient qu’un antagonisme insurmontable existe du simple fait que « le peuple désire n’être ni commandé ni opprimé par les grands, et que les grands désirent commander et opprimer le peuple » (Le Prince, IX) ; ceci contre des représentations (aristotélicienne, marxistes, anarchistes ou autres) professant que la Cité, la Polis, est un être naturel tendant nécessairement à une harmonie qui finit – avec ou sans « dialectique » – par surmonter les tensions.

Loin de cette vision optimiste à laquelle il a aussi été fait allusion ci-dessus à propos des prétentions libertariennes, Memmi le réaliste considère que l’homme est par nature – et reste – un prédateur.

Et si, bien entendu, la réduction de cette violence prédatrice constitue l’un des buts essentiels du Politique, nul ne peut affirmer que cette composante de l’humain puisse être un jour éradiquée.

(Cf. par ex. à la fin de cette conférence, la « question du public » : « quand le colonisé devient le colonisateur »).

L’Histoire est le milieu des hommes comme ils sont, espace de leur liberté dans sa dimension tragique, et non le champ où s’accomplirait quelque nécessaire processus d’ordre métaphysique.

Mentionnons encore l’apport capital d’A. Memmi en ce qui concerne l’analyse du racisme :

« Sa définition du racisme, proposée dans la Nef en 1964 et reprise dans l’Encyclopædia Universalis, fait encore référence : «Le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier ses privilèges ou son agression». Elle constitue une remarquable synthèse des éléments constitutifs de l’attitude raciste : l’insistance sur des différences, que celles-ci soient réelles ou imaginaires, leur valorisation au profit du raciste, leur absolutisation par la généralisation et leur caractère définitif et, enfin, leur utilisation contre autrui en vue d’en tirer profit.

À cette précision définitionnelle, Memmi ajoute une grande lucidité. En effet, contrairement à la vulgate dominante, il ne limite pas le champ des différences valorisées au registre biologique mais, au contraire, met l’accent sur leur caractère polymorphe : «En fait, l’accusation raciste […] tantôt part de la biologie, tantôt de la culture, pour généraliser ensuite à l’ensemble de la personnalité, de la vie et du groupe de l’accusé. Quelquefois, le trait biologique est hésitant ou même absent. En somme, nous nous trouvons devant un mécanisme infiniment plus varié, plus complexe, et malheureusement plus courant que peut le laisser croire le terme strict de racisme». Il faudrait, ajoutait-il, songer à le remplacer par un autre mot, ou une locution, qui exprimerait à la fois la variété et la parenté des démarches racistes : l’«hétérophobie». Dès lors, si nous sommes tous exposés à l’hétérophobie, en tant que donnée spontanée inscrite dans notre condition, le racisme, lui, est un phénomène social qui se singularise en empruntant aux traditions culturelles de chacun. Il est donc une illustration particulière d’un mécanisme plus vaste ». (Alain Policar, dans Libération).

Il faudrait bien sûr parler encore du talent proprement littéraire d’Albert Memmi dans ses romans le plus souvent autobiographiques, en particulier la Statue de sel, et Agar, marqués par toute la richesse de sa triple culture, arabe, juive et française, de ses nombreux essais et articles, etc.

Je me contenterai d’évoquer pour finir une profession de foi de ce grand humaniste :

Si les hommes étaient raisonnables, sinon rationnels, ils verraient qu’ils ont intérêt, puisqu’ils sont destinés à vivre ensemble, à rechercher ce qui les rapproche plutôt que ce qui les différencie, donc les oppose : autrement dit des dénominateurs communs. Ce n’est pas le lieu de les énumérer exhaustivement ni d’exposer en détail ce que pourraient en être les modalités pratiques ; il faut bien laisser quelque chose aux politiques. Et ce n’est pas le dessein de ce livre qui se veut surtout une description ordonnée. Nous avons cependant assez suggéré qu’il faut commencer par l’éradication de l’extrême pauvreté grâce à une plus juste répartition et une meilleure gestion des richesses ; lesquelles devront appartenir à tous et non à quelques-uns ; y compris les énergies naturelles. La suppression radicale de la corruption et du despotisme en sont les conditions préalables. La promotion d’une morale universelle est évidemment à ce prix. Cette morale comportera nécessairement la laïcité, car, sans elle, c’est encore la séparation et la guerre. La laïcité n’est pas l’interdiction de pratiquer ses rites religieux, ce qui serait une autre tyrannie ; elle est un accord institutionnel pour protéger la liberté de pensée de tous, y compris des agnostiques, contre les ingérences des Églises et les exigences de tous les fanatismes. Il faudrait, pour cela, en finir avec la confusion entre les appartenances religieuses et les appartenances sociales, entre la religion et la culture, entre l’islam-culture et l’islam-démographie. Un Arabe n’est pas indissolublement un croyant islamiste, pas plus qu’un juif n’est obligatoirement un habitué de la synagogue, ni un Français un paroissien fidèle. Il faudrait inventer des termes nouveaux qui expriment ces distinctions. La laïcité est la condition première d’un universalisme véritable, celui qui, sans traquer les singularités, les transcende. Cela signifie également un véritable droit international, non truqué comme il l’est souvent encore, qui, sans méconnaître les traditions locales ou coutumières, s’impose à eux, avec des sanctions, et des forces pour les faire appliquer ; sans lesquelles il serait un vain formalisme. Pour réaliser ce programme, il faudrait enfin que nous nous convainquions tous de notre solidarité ; dans le monde qui se construit tous les jours, personne ne peut plus faire cavalier seul. La solidarité n’est pas seulement un concept philosophique et moral, c’est une nécessité pratique, sans laquelle nous vivrions dans une tourmente permanente. Et enfin, contre les emportements des passions et les aveuglements des préjugés, suivre, autant que possible, les suggestions de la rationalité, condition de toutes ces mesures, mère du développement des sciences et des arts, et même d’une morale commune. La seule issue enfin serait l’instauration d’une véritable organisation internationale et d’en finir avec des instances partisanes. (Portrait du décolonisé… op.cit. p.61).

Pas grand-chose à ajouter à ce beau programme. Si ce n’est le courage de le mettre en œuvre.

Merci, Monsieur Memmi, de nous en avoir indiqué le chemin avec tant de persévérance !

****

*Et puisque j’avais utilisé Albert Memmi dans un post traitant de la condition de la femme dans l’Église catholique, quelle plus belle illustration donner de la fécondité de ses idées que cette initiative d’Anne Soupa présentant sa candidature comme archevêque de Lyon ?

https://www.pourannesoupa.fr/

Je suis sûr que M. Memmi se réjouirait de cette courageuse rébellion contre une colonisation séculaire.

« La révolte est la seule issue à la situation coloniale, qui ne soit pas un trompe l’œil, et le colonisé le découvre tôt ou tard. Sa condition est absolue et réclame une solution absolue, une rupture et non un compromis » (Portrait du Colonisé, op.cit. p. 155).

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Ajout du 21/06:

La disparition d’une autre très grande figure, que l’intransigeance dans la recherche de la vérité rapproche d’Albert Memmi :

https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2020/06/21/zeev-sternhell-historien-israelien-specialiste-du-fascisme-est-mort_6043620_3382.html

Tout comme dans le cas de Memmi, la disparition rapide de l’article de la « Une » du site au profit de réflexions de fond concernant le caractère indispensable ou non de la pénétration dans la vie sexuelle et autres informations essentielles illustre une fois de plus le discernement et le niveau d’exigence éducative de nos chers médias.

Du mépris d’autrui et de ses conséquences en Syrie et en Palestine. Et aussi de ma nièce Mila, qui fort heureusement ne fait pas la une des médias.

Il y a certes bien des façons d’insulter et de mépriser l’humanité en autrui.

La plus terrible étant la destruction physique et psychique délibérée, surtout lorsqu’elle s’accompagne d’une lâcheté qui, depuis maintenant des années, équivaut à une complicité tacite.

Démission lors du franchissement de la « ligne rouge » par les forces syriennes, reculades diverses qui permettent en ce moment même aux pires tyrans et à leurs alliés de s’octroyer le droit de vie et de mort sur des milliers de civils, au mépris de « valeurs » qu’il faut désormais se résoudre à écrire avec des guillemets, tellement le choix d’une « politique transactionnelle » les supplante, aux dires du courageux docteur Pitti (environ 14mn dans l’émission).

La France, l’Europe, le monde « regardent ailleurs ».

Quatre millions de personnes menacées, 700 000 déplacés pris entre les feux de tyrans qui s’affrontent, cela pèse bien peu face à la nécessité de demeurer les « vassaux de Poutine » selon le même Raphaël Pitti, et de ne pas trop importuner d’autres Erdogan.

Bien triste démonstration d’une absence de courage politique doublée d’une tragique inexistence de l’Europe.

Bien sûr, on invoquera plutôt la « Realpolitik », terme dont la consonance germanique évoque de façon inquiétante un certain Munich.

Car si faire de la diplomatie, ce n’est pas démissionner mais discuter avec nos ennemis et non pas avec nos amis, comme nous le répètent certains sages, encore faudrait-il être en capacité de le faire.

Or cela ne semble pas être le cas.

Au moins faudrait-il alors avoir ce minimum de courage et d’honneur qui permet encore de nommer par son nom la barbarie, de distinguer « moindre mal » et « intolérable ».

Mais ce n’est désormais plus le cas non plus.

Bien triste présent donc, qui, comme tous les Munich de l’Histoire, laisse présager de bien tristes lendemains.

*

Entre autres abdications devant la « fatalité », l’accueil ô combien timide et complaisant accordé à l’inqualifiable « plan de paix » concocté en privé par Trump et Netanyahou, véritable camouflet au droit des Palestiniens et plus largement au droit international.

Pour le fin connaisseur de la politique israélienne qu’est Ronen Bergman (environ 6mn50 dans l’émission), un tel plan est « une recette parfaite pour la guerre ».

Tandis qu’un personnage aussi mesuré qu’Élie Barnavi se montre surpris :

Ce qui est le plus étonnant, c’est la réaction de l’Europe, notamment de la France. Quand on pense que la France, qui était tout de même le champion de l’État palestinien, loue, même de manière mesurée, les efforts de paix du président Trump, c’est quand même extraordinairement curieux.

Et même si, comme le souligne le même Barnavi, les Palestiniens peuvent avoir leur part de responsabilité pour ce qui est de l’échec de certaines propositions antérieures, le désintérêt de la communauté internationale pour la cause palestinienne ouvre grand la porte aux « solutions » proposées par les plus extrémistes des Hamas, Hezbollah et autres manœuvres d’un Iran dont les missiles et les capacités nucléaires peuvent sous peu considérablement changer la donne.

Nouvel exemple de l’incroyable inconséquence de soi-disant « responsables » politiques, et de la tragique capitulation de ceux qui s’en font tacitement les complices.

Le danger n’a jamais été aussi grand, mais on se contente de siffloter et de regarder ailleurs jusqu’à la catastrophe, si tant est que le déni constitue l’un des ressorts essentiels des comportements humains.

*

Cela n’a sans doute pas la même importance, mais je ne peux m’empêcher de rapprocher de telles situations d’autres inconséquences, bien franco-françaises, celles-là.

Il se trouve qu’une de mes petites nièces se nomme Mila.

Et je ne pourrais accepter qu’elle reçoive des menaces de mort, quoi qu’elle ait pu dire ou faire, et de quelque personne que ce soit.

Mais je suis tout de même stupéfait qu’une bonne partie de la presse bien-pensante n’éprouve pas de difficulté à élever au rang de « critique » ce qui relève de l’insulte ordurière et nauséabonde.

Car les mots ont un sens.

Et si j’ai plusieurs fois montré mon attachement à la liberté d’expression et au refus du délit de blasphème, je serais désolé que la Mila que j’aime puisse un jour s’abaisser à des invectives aussi agressives, abjectes et dégradantes.

Sans doute Dieu, s’il existe, est-il bien au-dessus de nos grotesques injures.

Mais pour beaucoup, il fait partie de la famille et suscite, qu’on le veuille ou non, un investissement existentiel et affectif profond. Or, il n’est pas sans conséquences prévisibles d’insulter quelqu’un de la famille.

Comme je le montrais dans le post mentionné ci-dessus, il y a un temps pour tout. Le kairos se montre déterminant.

Les insultes ordurières et autres vocables sordides peuvent ne pas prêter à conséquence dans une société équilibrée et pacifiée.

Mais il n’en va pas de même dans des sociétés comme la nôtre, où discriminations avérées et tensions à fleur de peau peuvent à tout moment dégénérer en tragiques affrontements.

Si MM. Trump et Netanyahou font le choix de mépriser ouvertement des Palestiniens, plongeant tout le Moyen Orient dans des dangers non négligeables, je serais pour ma part bien meurtri de voir ma petite nièce cultiver la voie de la provocation en se postant devant une synagogue ou une mosquée, fussent-elles virtuelles, pour déclarer que :

« Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir ».

Je me permets de reprendre tels quels mes propos d’il y a quelques années dans le post mentionné ci-dessus, car le contexte n’a hélas pas changé :

Face à cette situation, on ne peut qu’exprimer de la réserve face à l’argument – certes en partie légitime – qui consiste à dire qu’un athée (…) n’est pas tenu de respecter la sensibilité ni les codes de ce qui ne fait pas partie de son univers de pensée. Cela vaudrait aussi pour chaque croyant par rapport aux croyances qui ne sont pas la sienne.

Soit.

Il me semble cependant difficile de concevoir ce qu’on appelle laïcité sans faire place à ce qu’Orwell nommait la « common decency », qui est peut-être tout simplement la reconnaissance d’un commun dénominateur éthique qui seul rend possible la vie en société.

Un tel « respect de l’autre », qui pourrait en être l’une des traductions, n’est certes pas en opposition avec l’indispensable liberté d’expression. C’est même lui qui est à l’origine des paragraphes de la loi de 1881 que j’ai mentionnés plus haut.

Le thème rencontre aussi sur bien des points la question de l’autocensure.

Bien sûr, en tant qu’athée, rien ne m’empêche de rentrer dans une synagogue sans me couvrir la tête, de garder mes chaussures dans une mosquée, ou de visiter une église ou un temple bouddhiste torse nu, avec mon chien et mes accessoires de plage.

Mais cela porte un nom, qui est au moins la goujaterie, sans doute aussi l’incivilité, peut-être tout simplement l’imbécillité.

Or, il est tout de même permis de penser qu’on peut être athée sans être forcément goujat, incivil ou imbécile. C’est du moins ce que j’ai toujours essayé de faire comprendre à mes élèves.

Hélas, tout comme les adultes, les élèves en question m’ont donné bien des fois la preuve, par leur grossièreté, voire leur obscénité insigne, qu’il arrive bien souvent à l’imbécillité de faire de la résistance. Imbécillité doublée par les temps qui courent d’une agressivité verbale totalement désinhibée.

Ce ne serait pas grand-chose si cela restait au niveau de la plaisanterie de mauvais goût.

Mais tout comme les outrances d’un Trump font peser de graves hypothèques sur la paix au Moyen Orient, les injures ordurières et provocatrices mettent gravement en péril le vivre ensemble au sein d’une nation qui expérimente de façon souvent difficile sa propre diversité et la complexité inhérente à toute coexistence de cultures, de religions et d’opinions.

Une telle expérience ne demande qu’à être un profond enrichissement collectif.

Alors, de grâce, ne la laissons pas sombrer sous les assauts de la bêtise et de l’agressivité.

Et il serait souhaitable que certains médias et autres idéologues apparemment incapables de comprendre ce que signifie le terme « laïcité » cessent de qualifier d’héroïsme ce qui n’est jamais que dangereuse imbécillité.

Car il serait bien illusoire de penser qu’il n’y a chez nos jeunes que des Greta Thunberg.

Là encore, il importe de sortir du déni.

Comme nous le montre à l’évidence l’histoire de notre humanité, certains parmi les jeunes d’aujourd’hui seront les artisans des conflits de demain.

*

*

Ajout du 16/02:

Deux liens à des articles courageux:

https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Syrie-peut-empecher-catastrophe-humanitaire-Idlib-2020-02-15-1201078456

et sur le blog de Jean Pierre Filiu:

https://www.lemonde.fr/blog/filiu/

Le garçon qui criait au loup. Ou d’une manière bien discutable de faire valoir des arguments pertinents dans les débats de bioéthique.

Un berger, qui menait son troupeau assez loin du village, se livrait constamment à la plaisanterie que voici. Il appelait les habitants du village à son secours, en criant que les loups attaquaient ses moutons. Deux ou trois fois les gens du village s’effrayèrent et sortirent précipitamment, puis ils s’en retournèrent mystifiés. Mais à la fin il arriva que des loups se présentèrent réellement. Tandis qu’ils saccageaient le troupeau, le berger appelait au secours les villageois ; mais ceux-ci, s’imaginant qu’il plaisantait comme d’habitude, se soucièrent peu de lui. Il arriva ainsi qu’il perdit ses moutons.

Cette fable montre que les menteurs ne gagnent qu’une chose, c’est de n’être pas crus, même lorsqu’ils disent la vérité.

Ésope, Fables, Traduction par Émile Chambry . Société d’édition « Les Belles Lettres », 1926 (pp. 139-140).

 

Quelques articles parus dans le quotidien « La Croix » du mercredi 3 janvier, suite à un sondage sur la bioéthique

https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Ethique/SONDAGE-Les-Francais-et-la-bioethique-2018-01-03-1200903298

me font irrésistiblement penser à cette fable.

En particulier, sous le titre général : « Quelles peuvent être les implications du libéralisme en matière sociétale », celui de Jean Léonetti : « La loi du plus fort risque de l’emporter » ; et celui du P. Bruno Saintôt, « Les consensus éthiques sont fragilisés ».

https://www.la-croix.com/Debats/Forum-et-debats/Bioethique-loi-fort-risque-lemporter-2018-01-03-1200903269

[Ajout du 11/01: le curieux amalgame opéré par Mgr. Aupetit, lorsqu’il s’agit de bioéthique, entre euthanasie, assistance au suicide en fin de vie et eugénisme (!) me paraît relever d’un mécanisme identique qui privilégie « la voix de son maître » sur une conscience éthique réfléchie et … autonome

http://abonnes.lemonde.fr/religions/article/2018/01/11/mgr-aupetit-archeveque-de-paris-aujourd-hui-on-n-a-pas-le-droit-de-parler-de-dieu-sinon-on-gene_5240111_1653130.html ].

 

Je suis pour ma part depuis bien longtemps opposé à toute forme de GPA ainsi qu’à l’extension de l’Insémination Artificielle avec Donneur (IAD) à toutes les femmes hors des cas thérapeutiques.

Ceci pour des raisons de cohérence éthique et philosophique que j’ai plusieurs fois exposées.

(Voir par exemple) :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2017/06/27/pma-lethique-supposerait-elle-lincoherence/

À ce titre, je me trouve donc généralement en accord avec MM. Léonetti et Saintôt lorsqu’ils traitent de ces questions.

Mais il me paraît de simple bon sens de distinguer ce qui doit l’être.

En l’occurrence, les questions de l’IAD, de la PMA et de la GPA doivent faire l’objet d’une approche spécifique, qui ne peut en aucun cas se confondre avec celle de la fin de vie, de l’assistance au suicide, par exemple.

Il s’agit tout simplement de problématiques distinctes.

Pourquoi faudrait-il alors rassembler sous une même rubrique, comme le font nos auteurs dans les articles mentionnés, des questions aussi différentes, et qui devraient donc faire l’objet d’abords différents ?

Qu’y a-t-il de commun en effet entre :

  • une utilisation non thérapeutique de la médecine, dans le cas de l’IAD ou GPA, fondée sur une revendication « d’égalité » confondue de façon simpliste avec la similitude (cf. mon post du 27/06/2017 ci-dessus) et qui entraîne un déni du droit de l’enfant à bénéficier de la représentation de la diversité des sexes à sa naissance (et donc une réelle inégalité cette fois) en dehors de tout consentement possible de la personne potentielle de l’enfant, ou encore une instrumentalisation de la femme dans la cas de la GPA ;
  • et le cas du suicide d’une personne adulte, exemple utilisé en outre de façon bien tendancieuse, dans le but évident de discréditer toute possibilité d’assistance à la décision intime de mettre fin à sa propre vie lorsque celle-ci est irrémédiablement condamnée. Décision qui constitue un cas si particulier de « suicide » qu’elle pourrait porter un autre nom, et qui ne peut surtout pas être assimilée à l’euthanasie comme le font nos auteurs avec une légèreté bien discutable ;
  • ou encore le cas de la vente d’organe, de la prostitution ou de l’euthanasie, etc.

Or il nous est pourtant affirmé :

« C’est dans cette même logique que nous prohibons la vente d’organes, la prostitution, le recours aux mères porteuses ou l’euthanasie » (J. Léonetti, art. cité.).

Désolé, M. Léonetti, mais il devrait faire partie du B.A BA d’une saine méthodologie scientifique que d’appliquer à ces questions différentes des « logiques » elles aussi différentes et spécifiques.

Il se trouve que j’ai moi-même essayé de réfléchir de façon différenciée à chacun de ces sujets :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/01/25/un-rein-sinon-rien-vente-dorganes-consentement-et-des-inquietantes-aventures-de-la-dignite/

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2013/12/13/prostitution-alienation-consentement-meres-porteuses-quelques-meditations-terminologiques-autant-que-peripateticiennes-avec-elisabeth-badinter-sylviane-agacinsky-rene-frydman-et-bien-d/

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/06/25/lethique-souci-de-lautre-ou-satisfaction-de-soi-qui-donc-est-le-sujet-de-la-gpa/

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/02/18/fin-de-vie-et-finitude-du-droit-a-propos-de-leuthanasie-du-suicide-assiste-et-du-consentement/

Et qu’une approche qui rassemble tout cela dans un aussi singulier inventaire à la Prévert m’est particulièrement incompréhensible.

Comment assimiler en effet les cas où le consentement d’un adulte présumé responsable est en jeu (en dépit de la difficulté, soulignée dans mes posts, de l’évaluation du caractère « éclairé » de ce consentement) – prostitution, demande consciente et réitérée d’une assistance à la fin de vie lorsque l’issue fatale prochaine est reconnue irrémédiable de façon collégiale –

et ceux où le seul désir des parents établit un enfant en situation d’inégalité (IAD « pour toutes », GPA) sans aucune interrogation sur son droit ?

Comment oser mettre sur le même plan le devoir d’assistance à la personne en danger (« ranimer un individu ayant fait une tentative de suicide »J. Léonetti, art. cité) et le respect de la décision d’une personne en fin de vie qui, en toute connaissance des moyens possibles de la soulager, choisit de façon consciente et réfléchie, pour des raisons qui relèvent de son inaliénable liberté, de ne pas les mettre en œuvre et « d’en finir » ?

Refuser de distinguer des questionnements aussi différents me semble présenter des dangers considérables en ce qui concerne la crédibilité d’une démarche éthique.

Car le fait de crier « au loup » dès qu’il est par exemple question de la moindre avancée au sujet du respect de la volonté exprimée d’une personne adulte en fin de vie risque – et c’est bien le cas – de rendre inaudible un discours qui revendique à juste titre une légitimité quand il s’agit en particulier du respect des droits de l’enfant face aux extravagances procréatrices présentes et à venir.

Pourquoi dès lors, maintenir une confusion aussi préjudiciable aux causes mêmes qu’on prétend servir ?

L’explication me semble hélas relativement évidente.

Elle relève de cette permanence des dogmatismes que j’avais évoquée dans quelques posts précédents. Par exemple:

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2017/11/16/dune-transition-intellectuelle-comme-condition-de-la-transition-energetique-et-demographique-et-encore-et-toujours-du-deni-et-du-jesuitisme-de-certaines-de-ses-justifications/

Ne chercherait-on pas en effet, en certains milieux, ecclésiastiques mais aussi d’un certain catholicisme en particulier, à rassembler sciemment dans une même approche abusivement globalisante des questions fort différentes, dans le but d’étendre le bien-fondé réel de certains arguments (concernant l’IAD et la GPA donc) et de certains combats à des questions beaucoup plus délicates, et sur lesquelles un certain dogmatisme moral a priori  perçu comme un et indivisible se révèle particulièrement inapproprié ?

Hélas, une telle approche court le risque de s’autodétruire en tant que réflexion éthique, du fait de son caractère hétéronome – on précisera plus bas ce qu’il faut entendre par là -, car elle ne fait que démontrer que ce qui prévaut en elle, c’est moins le souci de l’éthique que la défense d’un dogmatisme formel, au besoin au détriment du bien commun et du respect des personnes.

D’où son caractère inaudible  et son rejet légitime par l’opinion :

«On a déjà bien des fois entendu crier ‘’au loup’’. On nous a déjà fait le coup de l’interdiction du préservatif, de la pilule, on a refusé à des adultes consentants le droit de vivre ensemble en les humiliant par un étalage hystérique d’homophobie lors de certaines manifestations, etc. Et ce sont de tels donneurs de leçons dont on connaît les rengaines avant même qu’ils ouvrent la bouche qui prétendent maintenant faire la loi sur les questions de bioéthique ou de fin de vie ?».

Et Stultitia d’ajouter l’une de ses citations préférées: « Voilà la réponse. Et maintenant, quelle est la question? » (Woody Allen).

Il serait donc grand temps, pour qui veut être audible sur ce qui mérite réellement de l’être, d’interroger sérieusement quelques une de ces « rengaines ».

 

Et aussi d’arrêter de se tromper de combat en faisant croire, là encore de façon bien doctrinaire, que l’enjeu de fond pour qui cherche à préserver des valeurs en soi légitimes serait de les opposer frontalement à « l’éthique d’autonomie fondée sur la liberté de décider pour soi-même » (J. Léonetti, art. cité). Comme si autonomie et liberté de décision ne pouvaient s’articuler à des valeurs présumées « religieuses », ou avec une « éthique de la vulnérabilité » avec lesquelles elles seraient par essence incompatibles .

Car on est étonné de voir convoquées au banc des accusés, avec une légèreté surprenante en dépit de quelques précautions oratoires, aussi bien la notion complexe de libéralisme philosophique que celle d’autonomie et de liberté de conscience. N’y aurait-il pas là une ficelle bien grossière pour tenter de légitimer une approche encore une fois essentiellement dogmatique ?

On sait certes que le premier terme- libéralisme – fait l’objet d’un rejet partagé par un très large spectre de l’opinion, de la France Insoumise au Front National.

Il paraît donc ingénieux de surfer, d’une façon qui n’est pas exempte de démagogie, sur un tel rejet.

Mais si ce rejet peut en effet se comprendre et se justifier lorsqu’il s’agit de ce qu’on nomme « l’ultra libéralisme économique », du fait des ravages dont il est effectivement la cause, il serait cependant bien ambigu et tendancieux d’assimiler un tel dévoiement avec ce que serait le libéralisme dans son essence, et en particulier dans certaines de ses dimensions philosophiques et éthiques.

Or, bien au-delà de la simple dimension économique, ce sont bien celles-ci qui se trouvent visées par nos auteurs, qui renouent ainsi avec une tradition largement attestée.

Car pour n’en citer que quelques origines, il n’est pas inutile de rappeler qu’une telle récusation du « libéralisme », qui dépasse donc largement la critique de l’économie, rencontre rien de moins que l’anathème de la dixième section du Syllabus du pape Pie IX (datant de 1864, faut-il le rappeler) condamnant de façon virulente, avec « les principales erreurs de notre temps », le « libéralisme » comme étant l’une des causes essentielles de l’apostasie des temps modernes et de la dépravation des mœurs. Raison pour laquelle il doit être énergiquement dénoncé et rejeté. On sait que bien des textes ultérieurs de même tonalité se chargeront de poursuivre l’entreprise.

Et se trouvent donc particulièrement visés ces principes libéraux qui, en plaçant l’autonomie de l’être humain au cœur de son existence, individuelle comme sociale, entreprennent de le libérer – d’où le terme de libéralisme (lequel a mieux conservé dans le monde anglo-saxon son sens originaire) – de l’emprise des tendances pour le moins aliénantes que cherchent à lui imposer l’absolutisme monarchique et l’autorité ecclésiastique.

Rappelons en effet que la pensée libérale a essentiellement pour intention, chez ses pères fondateurs, Locke et Montesquieu en particulier, d’édifier des défenses contre l’absolutisme tel qu’il est imposé par le pouvoir politique, mais aussi bien évidemment par l’Église (cf. La Lettre sur la tolérance, de Locke) lorsque celle-ci prétend prescrire un culte déterminé.

C’est dans ce but que ces fondateurs ainsi que nombre de leurs successeurs (Kant en particulier) vont développer la riche notion d’autonomie, caractéristique essentielle de la personne consciente et responsable, capable de se soumettre librement à la loi parce qu’elle y reconnaît la marque de la raison, et non parce qu’une puissance extérieure, royale, ecclésiastique ou autre, lui intime l’ordre de le faire.

On comprend mieux dès lors que devant une telle revendication de liberté de conscience, de penser et d’agir, la résistance de telles autorités ait pu être acharnée. En particulier lorsqu’il s’agissait de défendre leurs prérogatives en ce qui concerne le contrôle de la vie morale, des comportements sexuels, etc.

Pour les dites autorités en effet, il ne peut bien sûr qu’être erroné de prétendre que : « La science des choses philosophiques et morales, de même que les lois civiles, peuvent et doivent être soustraites à l’autorité divine et ecclésiastique » (Syllabus, § VII. Erreurs concernant la morale naturelle et chrétienne, proposition 62).

D’où le rejet radical d’un tel libéralisme, car il est bien entendu tout aussi faux d’affirmer que « Le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne » (Syllabus, § X, Erreurs qui se rapportent au libéralisme moderne, Proposition 80).

Connaissant maintenant quelques antécédents de l’antilibéralisme en ce qui concerne la philosophie et l’éthique, on est donc désormais en droit d’éprouver des réserves lorsqu’on voit le libéralisme accusé sommairement de tous les maux, lui et sa composante fondamentale que constitue l’autonomie.

Quelles sont donc les raisons profondes de telles attaques ? Et quels sont les intérêts qu’elles défendent ?

Qui donc a peur de l’autonomie, et pourquoi ? Aurait-on à gagner à y renoncer ?

Ce qui précède nous suggère bien évidemment la réponse.

Et surtout, si elle est effectivement coupable, par quoi la remplacer ?

Y aurait-il encore, dans notre société, quelques relents inavoués de Syllabus, qui chercheraient la restauration de quelque dogmatique ou quelque catéchisme définissant enfin le bien moral sans risque d’erreur par la bouche de quelque infaillible autorité ?

Ce serait alors confondre l’indispensable autonomie qui définit l’acte éthique véritable avec cette « conformité à la morale » que dénonce Kant dans les « Fondements de la métaphysique des mœurs ». Conformité qui nous fait estimer le racisme moral parce qu’une certaine « morale » nous dit qu’il l’est, ou qui nous fait considérer qu’il est « moral » de brûler des juifs, des hérétiques, de décapiter des infidèles ou de fusiller des dissidents parce que notre religion ou notre athéisme nous disent qu’il est juste de le faire.

Car rappelons que l’opposé de l’autonomie est l’hétéronomie, qui est la « condition d’une volonté déterminée à agir par influence extérieure » (La philosophie de AàZ, Hatier 2011).

Mais de quelle influence s’agit-il alors ? De celle du pouvoir politique ? Du pouvoir religieux ? Du pape ? Du rabbin ? De l’imam  ou autre bonze ?

Étant foncièrement laïc, j’admets entièrement que de tels personnages respectables puissent avoir droit au chapitre sur les sujets d’éthique, de politique, etc. au même titre que des penseurs athées, agnostiques, etc. et contribuent à informer une réflexion délicate.

Car au dire de la plupart des théoriciens de l’autonomie, la pensée ne peut s’édifier ex nihilo, à partir de rien, et repose nécessairement sur un matériau qui dès toujours la précède.

Mais étant foncièrement laïc, je ne vois pas en quoi cette « influence extérieure », hétéronome, devrait aliéner la décision, elle aussi informée, d’un sujet libre et  responsable.

D’un sujet autonome donc, un sujet adulte qui se soumet à la loi par adhésion critique de son intelligence et de sa volonté à des propositions légitimement issues des horizons multiples d’une raison plurielle, et non par soumission infantile à une puissance quelconque, politique, religieuse, ou à un conformisme social.

Et j’ai donc bien du mal à comprendre, MM Léonetti et Saintôt, dans quel but il faudrait faire peser la suspicion sur cette idée d’autonomie, apport essentiel de la pensée libérale dans sa plus grande tradition philosophique telle qu’elle est illustrée par Locke, Montesquieu, Kant, Tocqueville, etc.

Idée certes à approfondir de façon critique, et qui constitue un idéal jamais entièrement réalisé, à remettre donc sans cesse sur le métier comme le font actuellement tant de philosophes, mais à propos de laquelle on pourrait paraphraser la définition que Churchill donne de la démocratie : le pire des concepts, à l’exception de tous les autres.

Comme vous le savez aussi, ce ne pourrait être qu’au prix d’une grossière caricature, voire d’une supercherie qu’on identifierait autonomie de la personne et individualisme égoïste qui « fait systématiquement primer l’individu sur le collectif » (J. Léonetti, art. cité).

Car l’histoire du concept d’autonomie, tout comme celle de la pensée libérale montre que l’individualisme égocentrique constitue en fait la trahison d’un projet qui confère une place essentielle à l’altruisme et à la solidarité.

Déjà, parmi bien des références possibles, la profonde conception de la sympathie entre les êtres humains qui, chez l’Adam Smith de la Théorie des sentiments moraux, m’interdit de faire souffrir autrui exclut de concevoir l’autonomie comme « mise en cause du modèle de solidarité » (B. Saintôt, art. cité). Et ce serait faire insulte à la grande majorité des penseurs libéraux que de ne pas reconnaître, avec J. Stuart Mill, que « les êtres humains se doivent de l’aide les uns aux autres pour distinguer le meilleur du pire, et doivent s’encourager à choisir le premier, comme à éviter le second » (Sur la liberté, Chapitre IV. Des limites de l’autorité de la société sur l’individu,§4, trad. O. Gaiffe).

On le sait, outre son importance capitale dans la philosophie contemporaine (cf. C. Castoriadis, M. Gauchet, etc. dans le post cité ci-dessous), cette idée d’autonomie apparaît tellement essentielle à nombre de penseurs juifs, chrétiens ou musulmans que même si elle s’articule nécessairement pour eux avec une hétéronomie fondatrice, ils la considèrent comme le don le plus précieux que Dieu lui-même offre à sa créature.

(voir quelques réflexion sur ce point dans :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/05/21/a-propos-de-que-faire-simon-leys-ou-les-habits-neufs-du-professeur-badiou-et-quand-marcel-gauchet-gagnerait-a-lire-levinas-et-pic-de-la-mirandole/      )

Il serait donc bienvenu que des penseurs aussi avisés que vous l’êtes ne se laissent pas aller à des caricatures faciles et des réductions tellement simplistes et dogmatiques qu’elles frôlent le mensonge.

Car ceux qui agissent ainsi ne gagnent qu’une chose, « c’est de n’être pas crus, même lorsqu’ils disent la vérité », nous rappelle le vieil Ésope. « Et il arriva ainsi que le berger perdit ses moutons ».

Or, vous avez incontestablement des vérités à dire. Je l’ai pour ma part souligné dans de nombreux posts.

Il serait donc bien dommage que trop de proximité avec certaines approches suspectes les rendent inaudibles.

 

Et une excellente année à toutes et à tous, dans la vive joie d’une pensée libre et toujours en recherche d’une authentique… autonomie !

Un bref hommage à un grand homme de l’Islam. Et une lecture d’Hubert Védrine, en guise de réflexion sur notre nouveau Président, son programme et son gouvernement.

Après la disparition de Malek Chebel il y a quelques mois, un autre Grand de l’Islam nous a quittés dans la nuit du 30 avril au 1er mai.

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/05/05/mohamed-talbi-l-eclaireur-du-coran_5123219_3212.html

L’homme était certes rugueux, intransigeant, et sa façon d’appliquer une indispensable critique historique à la charî’a tout en préservant la « sacralité du Coran » a provoqué bien des controverses et attiré bien des inimitiés.

Aussi bien du côté d’exégètes « libéraux » pour lesquels le Coran peut lui aussi, sans perdre son essence, se prêter à une analyse utilisant les ressources des techniques littéraires les plus modernes et le recours aux méthodes historico-critiques, que du côté bien sûr des traditionalistes et des intégristes, pour lesquels les attributs de la sacralité doivent être étendus à la charî’a elle-même.

Mais peut-être l’antagonisme était-il un peu forcé.

Dès le départ nous sommes ainsi devant deux approches principales du fait coranique, approches qui connaîtront par la suite de multiples nuances, et des ajustements successifs.

Première approche: Le Coran est, contenu et forme, l’ultime Parole de Dieu aux hommes, vérité et perfection, descendu sur le « Sceau des Prophètes », transmetteur intègre et fidèle du Message.

Deuxième approche: Le Coran est une production humaine socio-culturelle située au carrefour de plusieurs influences, donc historiquement conditionnée, et explicable par le milieu spatio-temporel de son élaboration.

Selon que l’on opte au départ pour l’une ou l’autre de ces approches, la réception et la lecture du Message changent du tout au tout. Notre objectivité, la seule qui nous soit humainement accessible, consiste à annoncer clairement la couleur en nous situant résolument dans la première approche (…) (M. Talbi et M. Bucaille, Réflexions sur le Coran, Seghers, Paris 1989, p.18).

Car on peut penser, comme nous l’a montré l’histoire de l’exégèse biblique, que ces deux approches ne sont peut-être pas si incompatibles, comme en témoignent par exemple les ouvrages de Youssef Seddik, plusieurs fois mentionnés sur ce blog, et qu’il semble quelque peu cavalier de ranger du côté des « désislamisés », selon les catégories de M. Talbi.

Quoi qu’il en soit de ce genre de débats qui alimenteront encore longtemps les écoles, il me semble que l’apport essentiel de Mohamed Talbi, inestimable pour notre temps, réside dans sa théologie de la liberté, qui marque toute son œuvre. Liberté comme don gratuit de Dieu offert à l’homme, et qui constitue à la fois sa tragédie et son plus grand honneur, sa « vertigineuse grandeur ».

Dieu n’aime pas le Mal et ne le veut pas. Mais la liberté exige que Dieu offre à l’homme la faculté réelle, et non seulement illusoire et sans risque, de choisir son camp : celui du Créateur, ou celui d’Iblîs. [« djin », esprit principe du mal, qui s’identifiera au « Satan » biblique] (…)

Les nuisances du Mal nous apparaissent ainsi comme la rançon inévitable et complémentaire de la liberté (…). Deux voies étaient en effet offertes à l’Adam céleste, avant qu’il ne prît possession de la planète Terre : une existence de Paradis, sans misère physique ni nudité spirituelle, mais aussi pratiquement sans liberté réelle; ou une vie de dur labeur, polluée par les nuisances engendrées par le moteur d’une vraie et authentique liberté. Adam opta pour la liberté. Il opta pour la condition humaine, avec la gratuité de ses révoltants et scandaleux malheurs –nuisances inéluctables à l’intérieur du système – mais aussi avec sa vertigineuse grandeur. « Une vie déchirée d’ardeur vaut mieux que la paix perpétuelle », ainsi commence un poème de M. Iqbal intitulé La Tentation de l’Homme. (…) M. Iqbal clôt son poème sur La tentation de l’Homme par ce vers :

« Qu’est-ce que la vie? La brûlure perpétuelle. » (id. ibid. p.132-133).

C’est bien de cette déchirure d’ardeur, de cette « brûlure perpétuelle » d’une liberté qui est en l’homme le projet même de Dieu qu’a témoigné M. Talbi tout au long de sa vie.

Et c’est elle qui lui a inspiré ses éclats les plus célèbres, en particulier contre la sacralisation blasphématoire d’une charî’a tout humaine, devenue pour le profit de certains la plus basse des idéologies politiques,

http://www.jeuneafrique.com/68602/archives-thematique/la-charia-ou-l-islam-il-faut-choisir/

opposée au caractère le plus authentique de l’Islam, car « l’Islam est né laïc » :

http://www.jeuneafrique.com/47883/politique/mohamed-talbi-l-islam-est-n-laec/

Liberté dont l’affirmation courageuse et obstinée,

« Je ne cesserai jamais de dire que l’islam nous donne la liberté, y compris celle d’insulter Dieu… »

http://www.lemonde.fr/europe/article/2006/09/22/mohamed-talbi-libre-penseur-de-l-islam_815801_3214.html

n’est certes pas du goût de ceux qui prétendent annexer la religion à leur projet d’asservissement.

« Durant deux siècles les musulmans vécurent, très bien, sans charia. Elle n’oblige aucun musulman en son âme et conscience. Seul le Coran oblige » : telle est la phrase clé de Mohamed Talbi que les générations futures retiendront sans doute. Il aurait souhaité qu’elles en fassent bon usage.

http://www.jeuneafrique.com/434019/societe/tunisie-mort-de-mohamed-talbi-penseur-dun-islam-moderne/

 

Nous le souhaitons aussi. Que ce magnifique héritage demeure et soit une source d’inspiration pour ceux qui se reconnaissent dans l’Islam comme pour les autres !

Et quel dommage que notre monde, et nos médias en particulier, aient pu négliger une telle voix si urgente et lui préférer la dangereuse insignifiance de tant de bateleurs…

 

PS: La nouvelle ce jour de l’attentat de Manchester ne fait que confirmer l’urgence d’un tel héritage.

 

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« Tu n’oublies rien ?», me demande Stultitia. « Il s’est pourtant passé bien des choses depuis ton dernier post ».

En effet ! Nous avons désormais un nouveau Président, et un nouveau gouvernement. Merci de me le rappeler.

Malgré mes convictions politiques plusieurs fois exposées

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2016/01/07/apprendre-le-chemin-de-lenfer-pour-leviter-ou-revenir-enfin-au-politique-reflexion-sur-leffondrement-avec-philippe-bihouix-pablo-servigne-et-raphael-stevens/

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/03/27/politique-demagogie-demographie-une-petite-recension-dalan-weisman-compte-a-rebours-jusquou-pourrons-nous-etre-trop-nombreux-sur-terre/

etc.

qui me font penser que les orientations politiques classiques (dans lesquelles j’inclue la plupart des approches dites « écologistes ») nous laissent bien loin des urgences du monde réel, de la « verita effettuale della cosa », selon les termes de Machiavel, je me risque pourtant à ajouter cet « exercice spéculatif » à la masse de commentaires déjà disponibles.

« Attitude schizophrénique », susurre Stultitia.

Peut-être…

Mais je voudrais y voir aussi un respect de la procédure démocratique qui, malgré ses limites (cf. post précédent), nous fournit en ce moment un nouveau « modèle » qu’il est nécessaire de prendre en considération et d’essayer de penser du mieux possible.

La vision exprimée dans mes posts mentionnés ci-dessus, que j’estime pour ma part indispensable de promouvoir, relevant plus, pour le moment du moins et en dépit de son urgence, d’une stratégie de « lanceurs d’alertes ». Car l’établissement à son sujet d’un certain consensus démocratique ne se produira sans doute que sur le long terme.

C’est donc sans trop me sentir schizophrène que je me risque à ces quelques réflexions.

Pour commencer, je n’ai pas boudé mon plaisir devant la large défaite de la candidate du FN, en dépit de la croissance préoccupante de son score en nombre de voix, et de la proportion des abstentions et des votes blancs ou nuls.

La France ne s’est pas laissé gagner par les sirènes, et il me semble que ce sursaut a marqué un soulagement en Europe comme peut-être aussi dans le monde : une certaine pente n’est pas nécessairement inéluctable. La « virtù » peut encore triompher des aléas et de la fatalité de la « fortuna ». Et un tel rappel redonne espoir. À nous maintenant de consolider les digues qui permettront de parer aux risques d’inondations à venir.

Peut-être la nouvelle configuration qui se profile permettra-t-elle de plus quelques avancées favorables à une telle consolidation.

J’avais mentionné dans mon dernier post une tribune d’Hubert Védrine qui me paraît fort pertinente en ce qui concerne l’approche « classique » du politique.

http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/03/21/hubert-vedrine-une-coalition-entre-gauche-et-droite-s-impose_5098157_3232.html?xtmc=vedrine&xtcr=3

Je voudrais continuer à m’y référer en l’élargissant à quelques citations de son petit livre, La France au défi, Paris, Fayard, 2014, qui, malgré quelques imprécisions et des remarques déjà dépassées, me semble suggérer avec autant de pédagogie que de rigueur ce que pourraient être quelques orientations rendues possibles par la relative « nouvelle donne » à laquelle nous assistons.

« Il n’y a rien d’idéologique dans ma démarche. Ni de partisan, moins que jamais », déclare l’auteur (op. cit. p.7 de l’édition électronique).

En dépit de désaccords concernant en particulier la politique étrangère

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2017/01/18/sur-une-distinction-difficile-mais-pourtant-indispensable-entre-moindre-mal-et-intolerable/

je n’éprouve aucune réticence à reconnaître qu’Hubert Védrine est en effet à l’heure actuelle l’un des rares politiques à pouvoir se prévaloir d’une approche dépassant autant que possible les clivages partisans.

Nous le savons – ou nous devrions le savoir… -, la France figure, avec les pays scandinaves en particulier, parmi les nations dont la dépense publique est la plus élevée au monde :

 Rappelons (…) que les dépenses publiques (État, collectivités locales et transferts sociaux) atteignent en France un record absolu : 57,1 % du PIB en 2013, contre 49,5 % en moyenne dans la zone euro et 45,3 % en Allemagne (op. cit. p.9 ).

[l’ouvrage date de 2014, mais les chiffres donnés n’ont évolué que de façon marginale].

Ajoutons que

Les dépenses en protection sociale et transferts sociaux atteignent en France 33 % du PIB » (id. ibid. p. 11). Et que les prélèvements obligatoires ont augmenté jusqu’à 45,3% du PIB (id. p. 10).

En passant, de tels chiffres suffisent bien sûr à invalider le slogan absurde et démagogique qui accuse la France d’être un pays « ultra-libéral » ; tout comme les accusations sommaires portées à temps et à contretemps contre tels politiciens (ceux de « la République en marche » entre bien d’autres) de « vouloir faire de la France un pays ultralibéral ». Car en partant de ces chiffres-là, il faudrait en effet bien plus qu’un quinquennat pour y parvenir ! En tout cas tout autre chose que les programmes relativement timides des politiciens mentionnés.

Si donc les mots ont une signification, mieux vaut ne pas abonder dans des contre-sens aussi ridicules.

La façon dont l’accusation infamante d’ultra-libéralisme a été utilisée à tout bout de champ par la candidate du FN lors de sa pitoyable prestation du débat d’avant le second tour laisse d’ailleurs percevoir sans ambiguïté de quel niveau d’analyse relève ce genre d’incantation, dont on sait aussi hélas qu’elle ne se limite pas au FN…

Une fois donc écarté ce fantasme stérile, le problème réel est alors de savoir si la France dispose des moyens économiques de maintenir un tel niveau d’État Providence, sans que celui-ci n’étouffe sous son propre poids :

Il est vrai que ces transferts gigantesques ont permis à la société française de résister à bien des chocs. Jacques Delors a rappelé à juste titre que c’est la marque d’un modèle européen de société « équilibrée » que les dépenses sociales y soient plus importantes – entre un quart et un tiers du PIB suivant les pays – que dans les autres ensembles développés de la planète où ils ne représentent « qu’» entre 15 et 20 %. Mais cela a un coût très élevé, qui risque de le devenir trop, dans un monde ouvert et compétitif. Les dépenses en protection sociale et transferts sociaux atteignent en France 33 % du PIB contre 25 % en moyenne dans la zone euro et 22 % pour l’OCDE. (id. p.11).

 

Car, on devrait le savoir aussi, un tel taux de dépense publique, qui place la France parmi les nations les plus redistributrices du monde, doit bien être financé par quelque chose.

J’habite une petite ville où bien des petites et moyennes entreprises ont du mal à maintenir la tête hors de l’eau. À l’image de mon garagiste qui employait 4 personnes il y a deux ans, et qui, écrasé par les charges, s’est vu contraint de licencier. Il travaille désormais tout seul, régulièrement jusqu’à 1 heure du matin.

Lors de sa première conférence de presse en novembre 2012, c’est le président Hollande lui-même qui avait dit : « La dépense publique atteint aujourd’hui 57 % de la richesse nationale. C’était 52 % il y a cinq ans. Est-ce qu’on vit mieux pour autant ? Est-ce que l’État est devenu plus juste, plus efficace ? Est-ce que cela a permis de réduire les inégalités ? Non ! » (id. p.9-10).

L’aveu est certes significatif de la part d’un président socialiste. Il n’empêche que depuis 2012, la situation ne s’est guère améliorée. Parlez-en à mon garagiste !

Notre « fiscalité devenue excessive et imprévisible [« les prélèvements obligatoires rapportés au PIB ont atteint en France, en 2012, 45,3% (seul le Danemark fait plus) (id. p. 10)] figure parmi les plus élevées du monde et est surtout anti-économique (…) le poids des dépenses publiques est trop lourd, sans que cela assure une meilleure efficacité des services publics que dans les pays européens comparables » (id. p. 38).

Mentionnons par exemple ce rapport de la Cour des Comptes montrant que «  900 000 fonctionnaires d’État déconcentrés seraient affectés aux mêmes tâches que 1,8 millions d’agents des collectivités locales !  » (id. p. 100).

Comment donc sauver notre État-providence, c’est-à-dire continuer à le financer sans tuer la poule aux œufs d’or, la vitalité entrepreneuriale qui le nourrit et le rend possible ?

En accord avec H. Védrine et bien d’autres, de gauche de centre ou de droite (de ceux qui ne cèdent aux incantations ni de l’ultralibéralisme ni d’un anti-ultralibéralisme mythifié), il me semble que c’est bien là la question essentielle que notre pays doit affronter.

Équation relativement simple, pourtant depuis longtemps énoncée et analysée, mais sur laquelle la France reste bloquée depuis quelques décennies.

Une fois écartées aussi les incantations protectionnistes de droite comme d’une certaine gauche,

Pascal Lamy souligne que le « protectionnisme ne marche pas dès lors que 40 % de nos exportations sont réalisées à partir de ce que nous importons ». Et un salarié sur deux travaille dans une entreprise multinationale. (id. p.22).

Il faut bien reconnaître qu’à l’évidence, il y a des pays qui gèrent cette équation bien mieux que nous.

Les exemples réels se situent plutôt du côté de l’Europe du Nord, ou de l’Allemagne dont les leçons, depuis qu’elles sont proférées, deviennent plus évidentes, plus admissibles, moins récusables après avoir été amendées par la grande coalition CDU/SPD, à tout le moins pour sortir de la phase aiguë dans laquelle nous sommes. (id. p. 22).

Ce ne sont pas en effet les rapports qui manquent sur le sujet (Rapport Rueff-Armand de 1960 ; Camdessus 2004 ; Commission pour la libération de la croissance française 2008 ; qui évoquent en particulier les cas du Canada, de la Suède, du Danemark, du Portugal, etc… (id. p.28).

À l’été 2013, Jean Pisani-Ferry, responsable du nouveau Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), évoque lui aussi la Suède- comme un exemple de réformes réussies dans les années 1990 – notamment grâce à un même régime de retraites pour tous – et le Japon comme contre-exemple d’une décennie perdue.

Il y a donc des leçons à tirer de l’expérience d’une petite dizaine de pays plus ou moins comparables au nôtre, en nous concentrant sur ceux qui ont un État providence très développé fondé sur la solidarité qu’ils ont voulu sauver en le réformant avant que sa faillite ne le fasse s’effondrer tout entier, et qui y sont parvenus malgré leurs jeux politiciens, un temps neutralisés. On aurait également intérêt à mieux connaître les méthodes autrichiennes de négociations dites « de partenariat social » (depuis la guerre, l’Autriche a été dirigée pour les deux tiers du temps par une coalition centre gauche/centre droit), de même que le programme de baisse des impôts et du coût du travail engagé à l’automne 2013, après la tentative inaboutie de Mario Monti, par le nouveau Premier ministre italien Enrico Letta pour sortir l’Italie d’une situation pire que celle de la France.

Mais il faut bien reconnaître que ces comparaisons internationales ne convainquent en France que les convaincus- les « libéraux » ou « sociaux-libéraux » et le monde économique, pour schématiser – et que la plupart des rapports en question sont restés lettre morte, à l’instar des éditoriaux récurrents de la presse économique allant dans le même sens. Le grand public pense d’abord chômage, il ne voit pas le lien étroit entre celui-ci et un code du travail trop protecteur, décourageant l’embauche, et il estime que tous ces bons apôtres ne comprennent rien aux problèmes « des gens ». (id. p.31-32).

À de tels exemples banalement « sociaux-démocrates » ou « sociaux-libéraux », on est bien entendu en droit de préférer, avec quelques charismatiques leaders politico-médiatiques, les modèles cubains ou vénézuéliens, voire maoïstes. Ce n’est pas mon cas.

On le sait aussi, une phraséologie populiste disqualifiant l’entreprise en l’assimilant aux abus certes réels de certains « patrons » ne contribue pas non plus à faciliter les choses.

[N’oublions pas non plus que « Sur les trois millions d’entreprises en France, 95 % sont des microentreprises », d’après le rapport de l’INSEE 2015

https://www.insee.fr/fr/statistiques/1906509?sommaire=1906539

et qu’ « En 2011, la France compte 3,1 millions de PME soit 99,8 % des entreprises, 48,7 % de l’emploi salarié (en équivalent temps plein). Elles réalisent 35,6 % du chiffre d’affaires et 43,9 % de la valeur ajoutée« . (c’est moi qui souligne)].

http://www.economie.gouv.fr/cedef/chiffres-cles-des-pme   ]

Certes, il existe – fort heureusement – les entreprises du CAC 40, « réussite extraordinaire » (id. p. 33), ainsi que – malheureusement cette fois – des multinationales spécialistes de l’évasion fiscale contre lesquelles il est urgent de sévir de façon appropriée, ainsi que des patrons rapaces auxquels il serait urgent que la loi et la fiscalité fassent rendre gorge.

[Pour ma part, si je peux revendiquer quelques années bac +, je n’ai jamais compris en quoi ce privilège m’autoriserait à gagner 50, 100 ou 300 fois plus qu’une personne ayant manié toute sa vie le marteau piqueur, et dont les statistiques disent que son espérance de vie est de 7 ans inférieure à la mienne. Je suis pour l’inversion de l’échelle des rémunérations en fonction de la pénibilité des tâches. À quoi servent donc des années d’étude, si elles n’engendrent pas un surcroît de responsabilité citoyenne, et n’amènent pas à faire comprendre qu’une échelle de 1 à 10, voire moins, outre son influence puissante sur la pacification sociale, serait largement suffisante pour « récompenser » ce que d’aucuns considèrent comme leurs « mérites », avec un infantilisme pitoyable (bébé fait mumuse avec ses soussous…) ?]

Mais réduire le monde de l’entreprise, comme le font de façon démagogique l’extrême droite et la gauche de la gauche, à une jungle de multinationales et de patrons voyous relève aussi d’une immaturité parfaitement contre-productive.

Le maintien dans l’opinion française, à un niveau beaucoup plus élevé que dans tous les autres pays développés – et d’ailleurs que partout ailleurs -, du rejet du « marché », du « capitalisme », la confusion des entreprises avec « les patrons » et la stigmatisation catégorielle de ces derniers, sans compter, répétons-le, la croyance en une « autre » politique dont la vertu première serait, bien sûr, de nous dispenser de réduire la dépense publique, compliquent grandement la problématique de la réforme en France. Même si, sous le discours protestataire, les Français sont peut-être plus lucides qu’on ne le croit. (id. p.32-33).

Comment donc vaincre « la résistance mentale à l’exemplarité des réformes accomplies par les autres » ? (id. p. 33).

Nous en sommes témoins :

presque toutes les tentatives de réforme s’enlisent dans un marécage politico-corporatisto-judiciaro-médiatique, ou prend deux à trois fois plus de temps que prévu. (id. p. 61).

Ceci en grande partie parce que, si les blocages ne sont surmontables que par la négociation entre partenaires sociaux, on le sait depuis longtemps,

ce dialogue suppose des syndicats forts, et des syndicats réformistes plus forts que ceux qui veulent et peuvent bloquer, aussi minoritaires soient-ils. Or les syndicats français sont tous faibles, peu représentatifs (environ 16 % des salariés dans le public, 7 % dans le privé), donc condamnés à la surenchère ou à ne pas prendre de risques par rapport à leur base maximaliste ou à leurs concurrents. Exception : la CFDT, très courageuse à certains moments. Les syndicats font partie du problème à résoudre. (id. p. 62).

Là encore, il serait bien entendu urgent d’œuvrer à un renouvellement de la culture syndicale, en faisant une place en ce domaine à l’exemplarité de nations qui nous entourent, chez lesquelles le syndicalisme n’a rien perdu de sa puissance.

Quoi qu’il en soit, la gauche n’a pas le choix. Il ne s’agit pas pour elle de se convertir à perpétuité à des politiques d’austérité, mais d’assumer avec courage une phase inévitable de réduction des dépenses publiques. Pour recouvrer demain souveraineté et capacité d’agir, la cigale doit se faire fourmi, au moins pour un temps. Mais beaucoup (près de 30 %) au PS et à la gauche de la gauche, ainsi qu’une large part des écologistes nient cette nécessité ou pensent, comme le Front national, que ces contraintes pourraient être abolies par une sortie de l’euro (ou de l’Europe). Pourquoi pas du système solaire ? (id. p. 87).

Mais ce travail de réforme est loin de se limiter à la gauche :

Nous n’avons donc pas le choix. Nous devons nous réformer davantage. La France, avec sa droite et sa gauche. Et c’est possible.(id. p. 89).

Un tel effort ne demandant pas de « dépasser » la dualité droite-gauche, ou de s’affirmer de façon probablement illusoire « ni de droite ni de gauche », mais d’arriver à travailler ensemble « avec sa droite et sa gauche » en effet, en une sorte de « comité de salut public » en vue de promouvoir quelques réformes essentielles à la survie de la vitalité économique, et donc de l’État providence.

Chaque participant conservant la liberté de se reconnaître « de droite » ou « de gauche », cette reconnaissance assumée permettant cependant un travail commun sur des points précis.

En cela, notre nouveau Président et son gouvernement représentent sans doute une chance.

Il n’y a donc rien de plus ridicule, de plus sectaire et stérile, de la part des partis, que d’excommunier les « hérétiques » qui font le choix de la coalition en les privant abusivement d’un ancrage dans lequel ils se reconnaissent, pour en faire des sortes d’apatrides politiques, alors qu’on peut parfaitement concevoir des alliances circonstancielles en vue de parvenir à des objectifs urgents et fondamentaux, comme cela se fait avec succès dans des pays qui nous entourent.

Même si les enquêtes auxquelles se réfère H. Védrine peuvent dater légèrement, on peut penser que les français sont encore prêts à comprendre ce type de stratégie, et l’urgence des enjeux qui la légitiment.

En septembre 2013, à la veille des élections allemandes, 63 % des Français considéraient ainsi que la France devrait s’inspirer du modèle allemand. Autre signe de disponibilité : 71 % des salariés du secteur privé approuvaient des compromis sur le temps de travail et les salaires en contrepartie d’un engagement à préserver l’emploi (Sofres, avril 2013). Signe de lucidité : 61 % des Français pensaient que la Sécurité sociale pouvait faire faillite (Opinion Way, septembre 2013). Et, signe de pragmatisme, à la question : « Qui pourrait sortir la France de la crise ? », ils répondaient à égalité : les gens (46 %), les dirigeants politiques (44 %), les entreprises (41 %). Autre sondage frappant : celui de la Sofres, pour Le Figaro du 3 décembre 2013, selon lequel 65 % des Français jugeaient que la France n’avait pas fait beaucoup d’efforts pour rester compétitive ; 27 % seulement la jugeaient bien placée dans la compétition ; 94 % trouvaient urgent d’entreprendre des réformes ; 61 % jugeaient nécessaire de faire des économies budgétaires, y compris sur les services publics ; 60 % jugeaient possible de réduire le nombre de fonctionnaires tout en ayant des services publics de qualité. S’agissait-il des mêmes Français que ceux que redoute tant, depuis des années, la classe politique ? (id. p. 98).

Ou que ceux du moins que certains syndicats essayent de nous présenter comme l’expression du « peuple » dans son ensemble…

Cela supposerait que tous les mécanismes autobloquants du « système » soient désamorcés. Mais cela supposerait aussi que la gauche du PS, les écologistes et la gauche de la gauche soient convaincus, entraînés ou alors empêchés d’entraver ce nouveau cours. Cela supposerait enfin que de nouvelles forces économiques et politiques le soutiennent résolument pour en assurer la réussite.(id. p. 101).

(…)

Une coalition pour la réforme ? (…)

Est-il utopique de penser que les Français ayant fini par ouvrir les yeux sur les enjeux et les défis de l’époque, observant le monde nouveau, constatant ce qui marche ou pas, jugeant positivement le « modèle » économique allemand et devenus de plus en plus lucides sur les problèmes de leur pays veuillent enfin interrompre ce glissement français et, ayant clarifié leur rapport à l’Europe, parviennent à se mettre d’accord, à l’initiative du Président et de la majorité du moment, pour mener à bien et en un laps de temps limité quelques réformes essentielles pour le redressement du pays ? Est-il utopique de penser qu’une coalition pour la réforme n’est pas impensable ? Qu’elle est même souhaitée par beaucoup ?

Si une telle « coalition majoritaire pour la réforme » parvenait à se constituer, une législature, voire une durée plus courte – deux à trois ans – pourrait y être consacrée. (…)

Les jeux partisans seraient mis entre parenthèses pour un temps bref et dans un but précis. L’accord politique le plus large serait recherché, dans la clarté, sur les objectifs et le calendrier, afin de réaliser de façon multipartisane quelques réformes vitales.

La France a bien su, pendant la IVe République, sous des majorités centristes à géométrie variable, et même sous la Ve, y compris à travers les alternances, poursuivre durablement, dans des contextes très différents, des programmes politiques aussi importants que la reconstruction, l’équipement du pays en infrastructures, le nucléaire civil et la dissuasion nucléaire, la sécurité sociale, la politique familiale, culturelle, étrangère (dans ses grandes lignes) et, pendant longtemps, la construction européenne.

L’idée peut paraître utopique et, de fait, tout semble interdire a priori une pareille approche. Au cours des dernières années, chaque alternance a débuté par une « rupture » proclamée à son de trompe, ou en tout cas par l’annulation systématique des mesures prises par l’équipe précédente (y compris, lors de l’alternance au sein de la droite), ce qui ne fait que dresser un camp ou un courant contre l’autre, sans jamais rassasier les maximalistes, et alimente la morosité générale et le rejet de la politique. Pourtant, c’est bien un accord « bipartisan » entre majorité et opposition, justifié par la gravité de la situation du pays, qui devrait être recherché sur quelques grandes questions, et ce le temps d’accomplir des réformes essentielles.

(…) Ce large accord, s’il était conclu, permettrait de neutraliser à la source, autant que faire se peut, les mécanismes permanents de rejet – dénaturation, opposition, intimidation, stérilisation, diversion, dramatisation factice – de la part des intérêts contrariés. Réactions connues. Peu surprenantes. Il n’est pas étonnant que les défavorisés veuillent préserver leurs (petits) avantages acquis, tout comme les classes moyennes, et les privilégiés conserver eux aussi leurs moyens ou gros avantages. Il n’empêche que le moment est venu de retrouver le sens perdu de l’intérêt général. Il ne s’agit pas d’orienter la politique de la France pour vingt ans, mais, ici et maintenant, de sortir de l’ornière. Et ne disons pas que ce serait faire le jeu des extrêmes : ceux-ci prospèrent avant tout sur le déni et l’impuissance publics.( id. p. 102-104).

 

Souhaitons donc à notre Président et à son gouvernement de comprendre la nécessité d’oser un « réformisme radical », selon la belle expression de Camus (id. p. 116), afin de contribuer à restaurer « la confiance en l’avenir » à « dissiper les tentations chimériques et vaincre la défiance ». (id. p. 116-117).

 

PS :

Quelques considérations iconoclastes, dont il serait bon qu’elles alimentent les débats entre le premier ministre et son ministre de l’écologie :

http://huet.blog.lemonde.fr/2017/05/11/le-soleil-le-vent-et-lelectricite/

Du ridicule (ter). Quand Eiríkr Zemmour donne des leçons de français à Mohamed ; et que les plaisanteries gauloises ne conviennent pas à M. Sarkozy, qui devrait plutôt approfondir la question démographique. Brèves.

(Éric est un prénom masculin scandinave, dérivé du vieux norrois Eiríkr (ou Eríkr). Wikipedia..

À la suite d’Antonio Damasio, j’avais il y a quelque temps souligné le rôle fondateur des émotions pour le développement de notre psychisme, tout en insistant sur la nécessité « de protéger la raison contre les vicissitudes que la perception anormale des émotions (ou les influences indésirables sur la perception normale) peut introduire dans le processus de prise de décision » A. Damasio, L’Erreur de Descartes, Poches Odile Jacob, Paris 2001, p. 331-332).

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/06/26/passion-raison-demagogie-et-droit-a-propos-de-lacquittement-du-docteur-bonnemaison/

Et voilà qu’un article du Spiegel, traduit dans le Courrier International (1349 du 8 au 14 septembre 2016, p. 10), précise justement, à propos des dernières élections en Allemagne, les perspectives inquiétantes qui nous attendent si on ne met pas tout en œuvre pour combattre une dynamique désormais évidente : celle qui privilégie l’émotion jusqu’à rendre les comportements inaccessibles aux faits comme à la raison.

« Il ressort néanmoins clairement du scrutin de dimanche [4 septembre dans le Land du Mecklembourg, tendance confirmée par le dernier scrutin de Berlin] que, tout au moins à l’Est, un nombre croissant d’électeurs se détournent du système politique démocratique en place ; que la bonne santé de l’économie, la création de nouvelles zones piétonnes ou l’afflux de touristes (trois critères qui sont remplis dans le nord-est du pays) ne jouent aucun rôle ; et qu’un parti est parvenu à attiser la peur des réfugiés, pourtant très peu nombreux dans le Land concerné. En bref : que l’émotion l’a emporté sur la raison. Les faits ? Ils ne comptent pas ». (c’est moi qui souligne).

 

On le sait, tout comme la montée de l’AfD en Allemagne, les controverses ahurissantes sur le voile ou le burkini (cf. posts précédents) ont récemment montré combien le rempart de la raison est fragile devant la montée de l’émotion, surtout lorsque celle-ci est savamment instrumentalisée dans des buts démagogiques ou mercantiles.

Et, bien qu’ils soient un ramassis de grossiers appels du pied à l’irrationnel et au mensonge, des livres comme ceux d’Eiríkr Zemmour n’en caracolent pas moins en tête des classements des ventes du moment.

http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/09/16/les-erreurs-chroniques-d-eric-zemmour_4998986_4355770.html

Le phénomène est en soi pour le moins inquiétant.

Et si l’enquête de l’Institut Montaigne met avant tout en lumière la forte intégration des français musulmans,

http://www.lemonde.fr/religions/article/2016/09/18/une-enquete-de-l-ifop-offre-un-portrait-nouveau-des-musulmans-de-france_4999468_1653130.html

la proportion de « rigoristes » dont le système de valeur serait, aux dires de l’enquête, « opposé aux valeurs de la République » (28% dont une moitié de jeunes), pose problème, bien qu’il ne faille en aucun cas identifier sommairement ce phénomène à celui de la « radicalisation ».

(cf. par exemple C. Dargent dans :

http://www.la-croix.com/Religion/France/Etude-musulmans-France-attention-terme-rigoriste-2016-09-19-1200790133 )

En outre, « ceux qui se replient [les « 28% » en question] connaissent très peu l’islam », comme le déclare sur BFMTV Laurent Bigorgne, maître d’œuvre de l’enquête.

http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/musulmans-de-france-ceux-qui-se-replient-connaissent-tres-peu-l-islam-861167.html

L’enquête montre encore que  dans cette frange des 28%. « les difficultés de l’intégration jouent un rôle majeur », et que, particulièrement chez les jeunes, la religion (même lorsqu’elle est mal connue) constitue un élément structurant de l’identité, qui permet de répondre en particulier au classique « désir d’individualisation des adolescents », comme le note Raphaël Liogier.

http://www.20minutes.fr/societe/1927143-20160919-enquete-institut-montaigne-cache-derriere-28-musulmans-ultras

 

Une question s’impose alors, déjà maintes fois évoquée dans les posts précédents :

Une partie de notre population, et en particulier de notre jeunesse, est déjà largement marginalisée et discriminée :

http://abonnes.lemonde.fr/emploi/article/2016/09/19/discrimination-a-l-embauche-situation-inquietante_4999970_1698637.html

(malgré le titre, l’enquête concerne à 80% des français).

Le fait qu’un certain Eiríkr lui assène de surcroît « qu’en France, il ne faut pas appeler son fils Mohamed »

http://www.gqmagazine.fr/pop-culture/news/videos/zemmour-reitere-ses-propos-nauseabonds-chez-ardisson/26351

tout comme on a pu affirmer impunément que « l’islam est la religion la plus con » ou « qu’il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe » n’est-il pas l’un des moyens les plus efficaces de mépriser les identités et, ce faisant, de fabriquer des terroristes ?

« Le risque, c’est d’alimenter ce repli identitaire par l’islamophobie. ‘’L’islamophobie peut provoquer des vocations chez les plus fragiles, insiste Raphaël Liogier. Les politiques jouent aux pompiers pyromanes à force de parler de burkini et de nourrir les stéréotypes.’’ Et les chercheurs de l’enquête de l’IFOP mettent en garde. ’’ Le pire serait que l’on réponde à la pulsion de révolte d’une partie des jeunes, fondée sur l’idée qu’il y a « eux » – les « impurs » – et « nous » – les musulmans fiers de l’être, mais victimes de l’islamophobie ambiante – par un discours politique fondé lui aussi sur cette dichotomie. Dans le contexte sécuritaire actuel, cette tentation sera difficile à éviter. Mais, il faut savoir résister aux provocations et à la haine. (…). La France peut faire la guerre à Daesh, elle ne peut pas entrer en guerre avec une partie de sa jeunesse’’. ». (Article de « 20Minutes » cité plus haut).

Il serait grand temps que les politiques et les médias, plutôt que d’entrer dans leur jeu, fassent comprendre à certains irresponsables que la manipulation de l’émotionnel et de l’irrationnel, si elle peut booster l’audimat, faire vendre des livres et apporter des bulletins dans les urnes, ne fait jamais que le jeu de ceux qui veulent nous détruire.

 

**********

 

En achevant cette première brève, voilà que je prends connaissance de quelques gauloiseries de M. Sarkozy :

« Dès que vous devenez français, vos ancêtres sont gaulois », déclare à Franconville notre trublion national, qui, tel « Doc » Emmett Brown dans « Retour vers le futur », invente maintenant la machine à changer d’ancêtres.

Mais, comme le disait si bien Brassens, tout comme « on a les Dames du temps jadis qu’on peut », on a les ancêtres qu’on peut. N’est-ce pas, M. Sarkozy ?

Et on ne voit pas bien l’intérêt de repeindre – ceux que nous pourrions du moins connaître -, tunisiens, espagnols, sénégalais, vietnamiens ou même hongrois, en gaulois pur sucre, aux tresses blondes et aux longues moustaches.

« D’ailleurs moi, mes ancêtres étaient romains, comme mon nom l’indique, s’indigne Stultitia. Gauloise, moi, jamais ! Ils sont fous ces gaulois ! ».

Dans la même veine, d’autres nous avaient récemment fait croire que nos ancêtres – gaulois aussi, sans doute… – avaient dû se confronter aux terribles invasions barbares qui ont amené dans notre si douce France les infâmes envahisseurs francs !

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/09/16/avec-marine-boutons-les-francs-hors-de-france/

Fort heureusement, contre les fables puériles et mensongères d’une « identité nationale » statique, qu’elle soit gauloise, franque, ou cro-magnonne, les historiens sérieux (cf. par ex. les « réponses » à ce dernier post, ainsi que les nombreuses réactions d’historiens qui fleurissent dans les médias

http://abonnes.lemonde.fr/big-browser/article/2016/09/20/les-profs-d-histoire-qui-detricotent-les-raccourcis-politiques-en-ligne_5000891_4832693.html

http://www.la-croix.com/France/Politique/Nos-ancetres-gaulois-une-invention-du-XIXe-siecle-2016-09-20-1200790415 ) etc…

nous apprennent que les entités nationales ne peuvent se concevoir que sous l’angle de l’ethnogenèse, c’est-à-dire d’un processus d’agglomération et d’intégration de strates diverses de populations, de cultures, de religions, etc. qu’unifie petit à petit un « récit » qui devient une « Histoire ».

Tranquillisons nous donc ! Aucun besoin d’avoir des ancêtres gaulois pour être français.

J’ai évoqué dans le post précédent la belle notion « d’identité narrative » que développe Paul Ricœur*, et qui me paraît autrement riche pour penser la constitution dynamique d’une nation que les délires d’assimilation « identitaire » hélas à la mode en ces temps de surenchères démagogiques.

Mais puisque M. Sarkozy fait référence à nos « ancêtres », Stultitia se permet de lui poser encore quelques petites questions :

  • Soit, admettons que les gaulois font partie du patrimoine de ces ancêtres si nombreux qui ont fait ce que nous nommons aujourd’hui la France. Mais pourquoi ne pas en évoquer d’autres ?
  • N’oubliez-vous pas un peu vite que, parmi cette riche collection d’ancêtres qui ont participé à la constitution de cette France dont vous défendez « l’identité », il y a aussi les révolutionnaires de 1789, ceux de 1848 et de la Commune, Victor Schoelcher, Frantz Fanon, et tant d’autres qui un jour se sont soulevés contre les aristocrates, puis les riches bourgeois suffisants et les bien- pensants qui prétendent décider de ce que doivent être la couleur, le vêtement, le prénom ou la religion du « bon français » ?
  • Et ces ancêtres-là ne sont-ils pas tout aussi vivants dans le patrimoine de notre nation que les gaulois ou les francs ?

Espérons donc que les prochaines échéances politiques montreront que nous restons proches de tels « ancêtres ».

 

*Note : de grâce, ce n’est pas parce qu’Emmanuel Macron a été un temps secrétaire de Paul Ricœur (dont il ne semble pas au demeurant avoir gardé grand-chose…), que mes références à Ricoeur constitueraient une profession de foi macronienne !

 

**********

 

Pourtant, me direz-vous, Sarkozy n’est-il pas  l’un des rares politiques à prendre en compte la question démographique, que j’estime essentielle ?

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/03/27/politique-demagogie-demographie-une-petite-recension-dalan-weisman-compte-a-rebours-jusquou-pourrons-nous-etre-trop-nombreux-sur-terre/

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2016/01/07/apprendre-le-chemin-de-lenfer-pour-leviter-ou-revenir-enfin-au-politique-reflexion-sur-leffondrement-avec-philippe-bihouix-pablo-servigne-et-raphael-stevens/  etc.

Cela devrait donc me réconcilier avec lui.

 

En effet, il faut lui reconnaître ce mérite. Le classique tabou sur la question a d’ailleurs fait que les médias se sont peu attardés à ces déclarations, préférant relever la remise en cause tellement incongrue du caractère anthropique du réchauffement climatique.

Certes, proposer des conférences mondiales régulières,  à l’image de la COP21, pour traiter de la question démographique, ne peut qu’aller dans le bon sens, et on ne peut qu’approuver une telle proposition.

http://www.lejdd.fr/Politique/Sarkozy-preconise-une-conference-mondiale-sur-la-demographie-783501

Mais il faudrait tout de même que son promoteur précise un peu mieux ses intentions.

Car de curieuses conceptions de la régulation démographique circulent depuis bien longtemps à l’extrême droite, et peuvent à l’occasion gagner la droite.

Celles qui tendraient à faire croire que la régulation démographique, c’est bon pour les « autres » : ces sauvages que sont les africains, les indiens, les chinois, etc.

Et que nous autres, occidentaux civilisés, nous pourrions continuer à privilégier des politiques natalistes à même de combler ce qui est présenté comme un déficit démographique mettant en péril, à terme, avec la sacro-sainte croissance, l’équilibre de nos systèmes de retraite.

Et M. Sarkozy, période électorale oblige, semble bien céder à de telles sirènes.

En juillet 2015, sur TF1, il s’inquiétait : « L’Afrique, 1 milliard d’habitants aujourd’hui, 2,3 milliards dans trente ans […] », avant d’évoquer le risque de voir « 600 millions de jeunes Africains sans travail, qui voudront venir vivre en Europe ».

http://www.20minutes.fr/politique/1925955-20160916-pourquoi-sarkozy-interesse-tant-crise-demographique

Et il y a quelques jours, dans Le Point, le chef des Républicains enfonce le clou: « Vous additionnez l’Europe et les Etats-Unis, on est moins de 800 millions dans un monde de 7 milliards de personnes. La civilisation européenne est devenue minoritaire. La démographie fait l’Histoire et non le contraire. »

(…)

Avec Nicolas Sarkozy, la démographie pourrait donc s’inviter dans le débat électoral de 2017, ce qui est en soi plutôt une bonne nouvelle, à l’heure où la planète vit de plus en plus « à crédit » sur ses ressources naturelles. À moins que cette noble cause ne soit que le nouveau paravent d’énièmes controverses sur les migrants et l’identité nationale…

http://www.lexpress.fr/actualite/politique/lr/pourquoi-nicolas-sarkozy-se-passionne-t-il-pour-la-demographie_1821703.html

Le voile est ainsi  levé : on perçoit désormais ce qui est en question : régulation démographique imposée d’un côté aux sauvages, aux pauvres et aux déshérités, renforcement ou maintien nataliste de l’autre, afin de sauvegarder le caractère majoritaire de la « civilisation européenne » et sa suprématie.

Et voilà que la bonne intention démographique prend des relents élitistes et racistes, bien en accord avec certaines tendances qui ont, partout en Occident, le vent en poupe, et contribueront probablement à remplir les urnes en 2017.

Or, on le sait, si l’on veut traiter le problème avec sérieux dans une perspective écologique et environnementale qui a pour but une réflexion rigoureuse sur l’avenir de l’humanité et non quelque effet de manche électoraliste, il faut prendre en compte des paramètres essentiels, au premier rang desquels celui de l’empreinte écologique.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Empreinte_%C3%A9cologique

« Une métaphore souvent utilisée pour l’exprimer est le nombre de planètes nécessaires à une population donnée si son mode de vie et de consommation était appliqué à l’ensemble de la population mondiale. » (article cité).

Cette empreinte écologique se mesure en « hectares globaux » (hag ; cf. encore article ci-dessus).

Or, cette notion nous enseigne que le poids en hag d’un américain du nord sur l’environnement et ses ressources est près de 10 fois supérieur à celui d’un africain ou d’un indien, celui d’un européen étant lui près de 5 fois supérieur.

Si le mode de vie américain était généralisé à l’ensemble de la population mondiale, nous aurions besoin de 5 planètes pour subvenir à nos besoins, 2,5 si c’était le mode de vie français. Alors que le mode de vie (actuel, bien sûr…) d’un indien ou d’un habitant du Burundi se contente largement de cette seule planète dont nous disposons.

De façon plus générale, « Considérons seulement les ressources: le cinquième le plus riche de la population mondiale en consomme 66 fois plus que le cinquième le plus pauvre. » (article cité par A. Weisman, Compte à rebours, jusqu’où pourrons-nous être trop nombreux sur terre ?, ouvrage mentionné plus haut, p. 52).

Il est certes essentiel et urgent de promouvoir une régulation démographique au niveau mondial, ainsi qu’une décroissance de la consommation dans le cas des plus riches, et une limitation de celle-ci dans le cas des plus pauvres, comme le préconisent les spécialistes sérieux sensibilisés à la question.

Cf. par ex. Mathis Wackernagel, Robert Walker, etc. mentionnés dans mon post :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/08/15/rien-de-nouveau-sous-frere-soleil-a-propos-des-langues-regionales-et-de-la-demographie-pontificale/

Mais laisser croire que l’effort devrait être porté unilatéralement par les populations pauvres de la planète alors que les riches (qui eux continueraient tranquillement à se multiplier et à consommer – « croissance » oblige…) sont depuis plusieurs générations la cause essentielle des catastrophes climatiques, écologiques, énergétiques, économiques, etc. que nous avons provoquées est une odieuse supercherie qui constitue une forme nouvelle et inacceptable de racisme et de colonialisme.

Pour être à la hauteur d’une ambition présidentielle, M. Sarkozy n’a donc pas que ses connaissances historiques à corriger radicalement.