De la promotion de la transidentité chez les enfants et les adolescents comme manifestation supplémentaire d’un fantasme infantile de toute puissance et d’un déni des limites. À propos de « La Fabrique de l’enfant transgenre ». Et de quelques rappels à propos de la Russie de Poutine.

Je terminais la rédaction du post ci-dessous lorsque j’ai appris l’invasion de l’Ukraine par le régime de Poutine.

Il en paraît du coup quelque peu déphasé.

Je le publie pourtant, car il est une illustration de ce déni que j’ai si souvent évoqué sur ce blog.

Et, dans le cas de la possibilité de la guerre à l’intérieur de notre zone de confort présumée invulnérable, qui est aussi généralement objet de déni, je rappelle une fois de plus l’opinion de J.P. Dupuy, auquel je me suis plusieurs fois référé :

« Nous tenons la catastrophe pour impossible dans le même temps où les données dont nous disposons nous la font tenir pour vraisemblable et même certaine ou quasi certaine. […] Ce n’est pas l’incertitude, scientifique ou non, qui est l’obstacle, c’est l’impossibilité de croire que le pire va arriver’’ (Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Seuil, 2002, p. 142-143).

À défaut de mieux, je renvoie aussi à ces posts qui constataient le caractère chronique des violations de l’état de Droit par le régime en place à Moscou depuis vingt ans.

Violations qui n’embarrassaient pas un candidat de l’époque, tout comme elles n’embarrassaient nullement, jusqu’à ce matin du moins (mais on n’est pas à une acrobatie près…), Mme Le Pen, M. Zemmour ou encore M. Mélenchon.

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Sans doute cherchons-nous tous à convaincre autrui que nos intérêts, nos goûts, nos idées valent la peine d’être partagés.

N’est-ce pas ce que je fais en ce moment même ?

Et sans doute cela peut-il engendrer de réels enrichissements mutuels, lorsque ce type d’échanges amène à la connaissance par exemple d’auteurs, d’artistes, de musiciens, ou à la découverte de pratiques culturelles, sportives, d’activités diverses.

Il y a incontestablement un certain plaisir à constater que des proches, des amis peuvent partager les mêmes intérêts que moi.

Mais cette dynamique d’échange et de partage trouve ses limites dans un type de prosélytisme pernicieux, que nous connaissons tous, et qui s’apparente à de la manipulation.

Je me souviens par exemple de l’un de mes amis de jeunesse, qui, particulièrement addict au cannabis, ne pouvait se passer de m’en proposer chaque fois que je venais la voir : « Allez ! C’est léger. Ça ne te fera pas de mal ! ». Peut-être… Mais décédé des suites de ses addictions multiples, il faut croire que ça ne lui a pas fait de bien non plus.

Ainsi en va-t-il souvent aussi des alcooliques qui s’autojustifient en cherchant à entraîner les autres dans leurs dérives.

Et l’une de mes collègues me racontait qu’une de ses élèves de terminale en grosses difficultés autant scolaires que psychiques, lui avait confié que sa mère lui avait offert son premier joint à l’âge de douze ans pour son anniversaire.

Car bien sûr, telle mère se devait d’avoir telle fille.

Et c’est de ce mécanisme d’un prosélytisme retors dont il est question dans le livre impressionnant et courageux de la pédopsychiatre Caroline Eliacheff et de la psychanalyste Céline Masson intitulé « La Fabrique de l’enfant transgenre. Comment protéger les mineurs d’un scandale sanitaire » (Éd. de l’Observatoire, Paris, février 2022).

Car si les cas de « dysphories de genre » chez les mineurs (trouble qui affecte des filles ou des garçons ne se reconnaissant pas dans leur sexe de naissance et désirant appartenir au sexe opposé) ont connu une croissance extraordinaire ces dix dernières années (selon les pays, les diagnostics ont augmenté de 1000 à 4000% nous disent les auteures), la raison en est moins dans le psychisme des enfants et des adolescents eux-mêmes – car le mal-être, les interrogations et troubles identitaires font partie des passages obligés de toute vie humaine, passages plus ou moins bien réussis selon les cas – que dans une complaisance nouvelles des adultes.

Y compris dans le corps médical, certains se font les complices d’une « subculture idéologique » (op. cit. p. 6 de l’édition numérique) pernicieuse, promue, aussi bien au niveau intellectuel qu’économique, et qui constitue un fonds de commerce entretenu par les réseaux sociaux.

Depuis une dizaine d’années voire davantage, les demandes de « changement de sexe » chez les enfants et les adolescents ont connu une explosion inédite tant aux États-Unis qu’en Europe.

Selon les pays, sur une période de dix à quinze ans, le diagnostic de « dysphorie de genre », qui traduit un sentiment d’inadéquation entre le sexe de naissance et le « ressenti », a augmenté de 1000 à 4000%. Le ratio des demandes de changement de sexe s’est inversé : les jeunes filles sont majoritaires, alors qu’antérieurement, il s’agissait de garçons. Selon certains spécialistes, « le sentiment d’identité de genre apparaît généralement vers l’âge de 2 ans et demi, 3 ans, et peut être verbalisé ou exprimé clairement dans le comportement ». Aussi surprenant que cela puisse paraître, à partir de 2 ans, on pourrait donc diagnostiquer une dysphorie de genre. Pour répondre à ces demandes, des centres dédiés se sont ouverts où des professionnels de l’enfance se spécialisent dans la transidentité.

C’est ce phénomène qui nous interpelle et non les choix des adultes transgenres appelées auparavant transsexuelles : elles ont toujours existé de façon très minoritaire et pas plus que d’autres minorités, elles ne doivent faire l’objet de discriminations. Que ces personnes aient « droit à l’indifférence », c’est-à-dire le droit de vivre de façon banalisée, voilà qui est incontestable : c’est un Impératif moral de toute société démocratique.

Mais aujourd’hui, il suffit de vouloir changer de sexe avec le blanc-seing du corps médical afin de le pouvoir. Les hormones et le scalpel, au même titre d’ailleurs qu’un hashtag numérique, vous transforme un garçon ou une fille à la fois dans la chair et sur les réseaux sociaux. La différence anatomique (et génétique) entre les sexes semble être un obstacle majeur à un épanouissement supposé ; s’en affranchir serait libérateur. Sous prétexte d’interroger le binarisme, on assiste à l’émergence d’un dogmatisme qui prétend – au nom d’une certaine idéologie – que l’anatomie n’est qu’un épiphénomène : l’enfant autodéterminé devrait pouvoir choisir son sexe en fonction de ses ressentis.

Dès lors, se posent des questions éthiques : à quel âge doit-on trancher dans le vif du sujet et rendre possible, mais à quel prix, la demande faite à la médecine de changer de sexe ?

Au risque (assumé) d’être qualifiées de transphobes, car nous n’adhérons pas à la doxa ambiante, mais avec la prétention (assumée également) de défendre les mineurs, y compris contre leur souhait, nous faisons l’hypothèse, corroborée par d’autres auteurs, que la trans identité (le besoin de vivre dans un genre différent du « sexe assigné à la naissance ») relève d’une subculture idéologique contagieuse via les réseaux sociaux, se rapprochant par maints aspects de l’emprise sectaire.

[voir par exemple en p. 23 : Les transitions sont toujours présentées comme un droit à s’autodéterminer, de façon positive et sans attendre, tandis que ceux qui font obstacle à une transition précoce (avec des arguments souvent fondés) se voient frappés de l’anathème de transphobes ou sont traités de « réactionnaires » et d’« ignorants »

Ou encore p. 24 : Vidéoblogs et sites dédiés, créés par des transgenres, se diffusent à l’échelle mondiale. Des millions de jeunes les consultent ou y sont abonnés. Ils s’approprient très rapidement de nouveaux signifiants auxquels ils se raccrochent sans esprit critique].

En tant que cliniciennes, confrontées à l’impact de ces idéologies sur le corps et le psychisme des enfants et des adolescents avec qui nous travaillons depuis de nombreuses années, il nous a paru impérieux de réagir, d’autant que ce sujet fascine les médias qui s’en font complaisamment l’écho. (op. cit. p. 5-6).

Ne craignons donc pas l’accusation de « transphobie », puisque, à la suite des auteures, cette réflexion reconnaît entièrement la légitimité du choix des adultes transgenres qui posent leur décision de façon mature et responsable, et étudions quelques aspects d’une évolution inquiétante.

De cette « fascination des médias » témoigne en particulier l’accueil la plupart de temps enthousiaste qui a été réservé au documentaire « Petite fille », de Sébastien Lifshitz, diffusé sur Arte en décembre 2020.

Petite Fille raconte l’histoire de Sasha, un garçon de 8 ans qui, selon sa mère, aurait exprimé très précocement le désir de devenir une fille « comme elle » quand il sera grand parce qu’il se sent fille. Ce qui est interprété comme un désir de « devenir une femme ».

Le rêve de Sasha est exaucé sans délai : c’est la seule réponse que lui fournissent les adultes ; au nom de l‘autodétermination de l’enfant, il peut devenir ce qu’il veut (id. ibid. p. 10).

(…)

Les médias ont célébré quasi unanimement Petite Fille. Télérama, donnant le ton, y a vu « un hymne à la tolérance déchirant et magnifique de sensibilité. Une ode lumineuse à la liberté d’être soi » (id. ibid. p.14).

Mais c’est bien ici qu’apparaît le questionnement essentiel : cette autodétermination, cette « liberté d’être soi », qui est effectivement l’un des privilèges les plus extraordinaires de l’être humain et constitue l’essentiel de sa dignité, comme l’exprimait déjà Pic de la Mirandole,

Je ne t’ai donné ni place déterminée, ni visage propre, ni don particulier, ô Adam, afin que ta place, ton visage et tes dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même. La nature enferme d’autres espèces en des lois par moi établies. Mais toi, que ne limite aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t’ai placé, tu te définis toi-même (De dignitate hominis, dans: Œuvres philosophiques, PUF 2001, p. 67)

 cette autodétermination ne peut être d’une part que la prérogative de l’homme adulte, or :

On peut croire que Sasha rêve d’être une fille et se sente fille, mais il est inconcevable qu’un enfant aussi jeune ait les moyens de comprendre les enjeux du « traitement médical » de son mal-être, ni même les conséquences qui en découlent : complications et renoncements jusqu’à la fin de ses jours. Inconcevable également qu’à 8 ans, il puisse appréhender la réalité d’une ablation de son appareil génital, dont l’usage sexuel lui est encore inconnu, tout autant que la sexualité de l’adulte. Sasha est à un âge où l’on fait confiance aux adultes, surtout lorsqu’ils lui veulent du bien : n’est-ce pas le cas du médecin qui a tout l’air de l’avoir compris et de ses parents qui approuvent le médecin ? Est-ce cela qu’on appelle le consentement ? (La Fabrique de l’enfant transgenre, op. cit. p. 15).

(…)

Les médecins ne peuvent ignorer les nombreuses études montrant que la majorité des enfants qui interrogent leur identité sexuée ne persisteront pas dans leur demande de transformation après la puberté (85% d’entre eux) (op.cit.p. 16).

Faut-il donc céder d’emblée à la demande de ces derniers, même lorsqu’elle est relayée par celle des parents ?

Dit-on à un garçon qui veut épouser sa maman (ou une fille son papa), que son désir peut se réaliser ? (op. cit. p. 16).

Comment comprendre dès lors ce besoin frénétique de la part de l’entourage, familial et médical, de précipiter le « traitement » ?

D’autre part, la doxa sartrienne certes datée mais toujours reprise ou implicite de nos jours chez nombre d’intellectuels, selon laquelle chez l’être humain « l’existence précède l’essence », n’a aucune raison d’imposer son diktat. Il reste parfaitement légitime de penser, avec E. Gilson par exemple, qu’« il semble invraisemblable que cette doctrine laisse à chacun le choix d’être homme, cheval, arbre, etc. » L’Être et l’Essence, Paris Vrin, 1981, p. 362).

Comme je le rappelais il y a déjà quelques années,

Le « tu te définis toi-même » de Pic de la Mirandole

[pour plus de précisions concernant pic de la Mirandole, voir aussi :

https://stultitiaelaus.com/2015/05/21/a-propos-de-que-faire-simon-leys-ou-les-habits-neufs-du-professeur-badiou-et-quand-marcel-gauchet-gagnerait-a-lire-levinas-et-pic-de-la-mirandole/ ]

pas plus que le « ce que je fais de ce qu’on a fait de moi » de Sartre ne permettra à un être humain sans définition préalable de se vouloir raton laveur ou aigle royal. On peut bien contester « l’essence » ou la « nature », mais il est tout de même difficile de refuser ce qu’on peut alors nommer une « condition humaine », et la forme sexuée sous laquelle nous en faisons l’expérience.

Si notre enracinement, individuel ou collectif, dans la nature (cf. la problématique écologique) n’est pas la prison qu’en font les essentialistes, il semble difficile de ne pas le considérer comme une référence fondatrice, qu’il paraît dangereux d’oublier sous peine de « Meilleur des mondes ». Y compris en ce qui concerne le fait de la différence sexuelle.

« Meilleur des mondes » ou fantasme transhumaniste bien discutable, car, selon toute évidence :

L’humain est faillible, sexué et mortel. (id. ibid. p. 64)

Comme disait Freud en paraphrasant Napoléon, « l’anatomie, c’est le destin ». Autrement dit, il y a toujours un sexe que nous n’avons pas. (id. ibid. p. 42).

Mais peut-on changer de sexe ? Légalement oui, mais biologiquement non. L’être humain est une espèce qui présente un dimorphisme sexuel dont la reproduction implique l’union de deux gamètes, mâle et femme. Il n’existe que deux sexes : mâle et femelle. « Femme » et « homme » sont définis en fonction de leur sexe respectif. Le sexe fait référence au sexe anatomique (mâle/femelle), lui-même déterminé génétiquement (XY pour les hommes, XX pour les femmes), au sexe légal (H/F), et aux rôles sociosexuels (le « genre » masculin/féminin interdépendant du « sexe »). Comme tous les autres mammifères, les humains se divisent donc en deux catégories ni plus, ni moins. La nature a quelquefois des ratés et un petit nombre d’enfants viennent au monde sans que le fameux « c’est un garçon » ou « c’est une fille » puisse être prononcé avec certitude au vu de leur appareil génital (id. ibid. p.41-42).

Encore une fois, il n’est nullement question de contester le fait que, dans un petit nombre de cas, « la nature ait des ratés », ni qu’il relève entièrement du droit d’une personne adulte et responsable de pouvoir changer légalement de sexe si elle le désire, ou même de mettre en œuvre autant que la biologie le permet les mesures qui accompagneront ce changement légal.

Ce n’est pas cela qui nous occupe ici, mais bien de dénoncer les dégâts d’un nouveau dogmatisme, d’une idéologie dont de plus en plus d’enfants font les frais dans leur psychisme et dans leurs corps de façon irrémédiable.

Idéologie qui constitue un fonds de commerce lucratif du point de vue intellectuel et médiatique comme aussi économique :

L’industrie transgenre génère d’énormes profits pour l’industrie pharmaceutique puisque ces personnes sont des patients qui nécessiteront des hormones à vie. Les organisations qui promeuvent cette idéologie sont financées par des grands groupes et de grandes fortunes. C’est un business très prolifique qui s’attaque à l’image du corps (op. cit. p.31).

Alors même qu’elle s’appuie sur des bases « philosophiques » plus que discutables (cf. plus haut) et parfaitement pseudo-scientifiques :

Quant à alléguer, comme le font certains militants universitaires, que le corps est une « construction sociale », c’est adhérer, comme l’écrit la sociologue Nathalie Heinich, « au sommet de la hiérarchie des slogans pseudo-savants » (La Fabrique de l’enfant transgenre, op. cit. p. 62).

Mais cette idéologie profite de façon indécente d’un marché inépuisable : celui du mal être réel d’enfants et d’adolescents qu’il est facile de manipuler dans une entreprise qui a beaucoup à voir avec les mécanismes classiques de l’endoctrinement sectaire.

Car sous peine de tomber sous l’accusation infamante de transphobie,

l’enfant, soutenu par ses parents, par le corps médical et par l’école avec plus de circonspection, devient le porte-parole de la cause trans face à une société tenue d’obtempérer sans coup férir aux injonctions communautaires imposées par des associations LGBT sous peine de faire entrave tant aux progrès sociaux qu’aux droits des futurs citoyens. Il est édifiant de voir que plusieurs institutions publiques ont déjà cédé par conformisme idéologique à la doxa (op. cit. p.16).

Et de plus en plus nombreux sont les médecins et les institutions qui cèdent, soit par faiblesse, soit par complicité avec cette doxa, au véritable terrorisme intellectuel qu’elle fait peser.

Il est difficile de ne pas évoquer la question de la pédophilie, et la promotion dont elle a pu faire l’objet de la part d’une certaine pensée « progressiste » prétendant libérer la sexualité des enfants alors qu’elle ne faisait que les prendre en otage dans le but de justifier un fantasme d’adultes.

La réflexion qui suit pourrait en effet s’y adapter de façon précise :

On peine à imaginer que des enfants puissent devenir des étendards brandis par des adultes pour faire valoir leur combat. C’est pourtant ce à quoi nous assistons en France et dans d’autres pays. Au nom d’un politiquement correct antidiscriminatoire et égalitariste dont les pratiques discursives sont plus que douteuses, il est de bon ton de considérer que les enfants auraient tout à gagner de ce pseudo-libéralisme (op.cit. p. 10).

Car dans le cas de la pédophilie et de l’inceste comme dans celui de la promotion de la transidentité et de la transsexualité chez les enfants et les adolescents, c’est en fait une même immaturité des adultes qui se manifeste, leur difficulté de plus en plus patente à accepter la limite, à dépasser le complexe de toute puissance qui caractérise le stade infantile ainsi qu’à assumer l’interdit qui le régule et l’apprentissage de la frustration.

Souhaitons donc que des mesures adéquates, inspirées de celles qui ont été mises en œuvre pour lutter contre l’inceste et la pédophilie, puissent voir le jour pour s’opposer à l’exploitation désastreuse de la dysphorie de genre par des personnes irresponsables ou mal intentionnées, exploitation amplifiée par les moyens de communication modernes.

Il est grand temps que nos sociétés consentent à devenir un peu plus adultes !

Rester humain, c’est se soumettre aux interdits fondamentaux et accepter de renoncer à sa toute-puissance en intériorisant des limites. Par l’éducation, des enfants de 3 ans en deviennent capables, à condition que les parents ne considèrent pas les interdits comme un frein à leur épanouissement. Les adultes qui promeuvent la transidentité n’auraient-ils jamais dépassé le stade de la toute-puissance infantile ? Ou faudra-t-il enseigner aux enfants à se méfier d’exprimer leurs désirs car ceux-ci risqueraient d’être exaucés ? (op. cit. p. 63-64).

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PS : Rappelons qu’une même campagne de propagande et de désinformation, y compris usant de l’anathème de l’homophobie – précurseur de la transphobie – contre tout opposant, a abouti à faire reconnaître, « au nom d’un politiquement correct antidiscriminatoire et égalitariste », la légitimité, puis la légalité de la « PMA pour toutes », qui ne peut pourtant se revendiquer d’aucune légitimité. En attendant comme prévu la GPA, dont la propagande a commencé dans les médias et sur les réseaux sociaux…

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Ajout:

Cet entretien avec Caroline Eliacheff et Céline Masson:

https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/caroline-eliacheff-celine-masson-l-accusation-de-transphobie-est-une-methode-d-intimidation_2167297.html

Quelques souvenirs de jeunesse, à propos de Madame X., d’inceste et de pédophilie. Et au passage, quelques remarques sur Claude Lévi-Strauss et Paul Ricœur.

Une fois n’est pas coutume, un petit souvenir en rapport avec quelques affaires qui font le buzz en ce moment.

Jeune étudiant au début des années 1970, j’eus en hypokhâgne une professeure de philosophie quelque peu surprenante pour un blanc bec frais émoulu de son lycée de sous-préfecture, mais cependant représentative d’une certaine faune intellectuelle de l’époque.

Appelons-la Mme X.

J’avoue à ma grande honte que je n’ai aucun souvenir du contenu proprement philosophique de ses cours, et que les notes prises sont depuis longtemps perdues.

Mais je garde en revanche une mémoire précise du personnage.

Entre autres nouveautés pour nos jeunes cervelles, Madame X. ne tarda pas à nous exposer sous toutes les coutures sa dévotion maoïste. Elle s’était évidemment mise à l’étude du chinois pour pénétrer plus profondément la pensée du Grand Timonier et devant les pauvres pequenauds que nous étions pour la plupart et qui ne connaissaient que Mao Tsé Toungue, elle prononçait Máo Zédōng (毛澤東 si vous préférez) avec l’auto-admiration caractéristique du petit enfant qui vient de réaliser pour la première fois tout seul l’opération requise sur son petit pot.

J’espère, hélas contre toute espérance, que cette étude, si tant est qu’elle ait été poursuivie, aura fini par la rapprocher de Simon Leys plus que de Maria Antonietta Macciocchi ou Alain Badiou.

Pour mieux préciser le profil de la dame, je me souviens encore qu’étant chargée de nous lire un avis ministériel mettant en garde contre les dangers de la drogue, elle s’était empressée de le compléter par un texte d’Antonin Artaud faisant une apologie effrénée de l’usage des stupéfiants.

Mais venons-en à ce qui nous occupe.

Car Mme X., qui évidemment n’en ratait pas une dès qu’il s’agissait de critiquer une forme de répression, se montrait bien entendu partisane de la dépénalisation de la pédophilie et même de l’inceste.

La légitimation de la pédophilie découlait bien sûr d’une interprétation extrémiste de la « révolution sexuelle » alors en vogue et largement partagée – en dépit de nombre de dénégations désormais aussi scandalisées que tartuffesques – par une certaine intelligentsia branchée.

Les coups de boutoir assénés contre une morale sexuelle à l’évidence contraignante et répressive par des théoriciens comme W Reich, des présumées expériences comme celle de Summerhill, les analyses généalogiques par Michel Foucault d’une normativité sexuelle expression d’un « pouvoir » imposant en particulier surveillance sans faille et punition de la sexualité de l’enfant ainsi qu’une psychiatrisation de toute « déviation », à commencer par l’homosexualité, etc., tout ceci constituait un bouillon de culture à la fois vivifiant et ambigu dans la mouvance de « l’après 68 ».

Sans nier la « libération » apportée par de tels courants, en particulier en ce qui concerne l’émancipation de la femme et les droits des homosexuels, il faut cependant reconnaître que quelques vers étaient dans le fruit, notamment en ce qui concerne les soi-disant bénéfices de l’extension d’une telle « libération » non seulement à la sexualité des enfants, mais aussi aux rapports entre ceux-ci et les adultes.

Et nombreux sont celles et ceux qui, dans l’enthousiasme pour le moins trouble de l’époque, ont avalé de tels vers sans le moindre discernement ni la moindre hésitation.

Mme X. était de ceux-là.

Contre les raisons quelque peu hypocrites de celles et ceux qui prétendent aujourd’hui qu’ils ou elles ont été « piégés », qu’ils ont signé telle ou telle pétition en toute bonne foi parce que, par exemple, elle exigeait la reconnaissance du droit des homosexuels, un même âge légal du consentement pour une relation hétérosexuelle que pour une relation homosexuelle, etc. mais sans se rendre compte qu’elles justifiaient aussi la pédophilie, il importe de revenir aux faits :

Quand on présente entre autres un procès de pédophiles comme

une simple affaire de  » mœurs « , où les enfants n’ont pas été victimes de la moindre violence, mais, au contraire, ont précisé aux juges d’instruction qu’ils étaient consentants (quoique la justice leur dénie actuellement tout droit au consentement) (…)

et qu’on critique le décalage entre

le caractère désuet de la loi et la réalité quotidienne d’une société qui tend à reconnaître chez les enfants et les adolescents l’existence d’une vie sexuelle (si une fille de treize ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire ?).

qu’on se nomme en particulier Louis Aragon, Francis Ponge, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Gilles Deleuze, André Glucksmann, Félix Guattari, Guy Hocquenghem, Bernard Kouchner, Jack Lang, Michel Leyris, Jean-François Lyotard, Gabriel Matzneff, Catherine Millet, Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers, Danielle Sallenave et bien d’autres,

il est tout de même difficile d’invoquer l’ignorance et la méprise, à moins de ne savoir ni lire ni écrire.

Et la seule attitude honnête et honorable est bien celle de M. Lang, qui ose enfin nommer un chat un chat et une connerie une connerie :

« C’est une connerie, je l’ai dit. On était très nombreux à l’époque à signer ça… C’était Daniel Cohn-Bendit, Michel Foucault… C’était une série d’intellectuels, c’était l’après-68 », a recontextualisé l’ancien ministre. « Et nous étions portés par une sorte de vision libertaire fautive […], et c’était une connerie inacceptable »

Mme X. faisait donc partie de celles et ceux qui, devant une classe d’hypokhâgne ou ailleurs, professaient sans sourciller ce genre de « conneries inacceptables ».

Dont acte.

Normalienne, agrégée, docteure, cela ne l’a en rien empêchée par ailleurs de poursuivre une carrière universitaire fort respectable, tout comme d’autres ont suivi sans encombre une carrière politique ou jouissent d’une postérité littéraire ou philosophique prestigieuse.

Il est à espérer que le temps ait apporté quelques nuances à ses convictions.

Mais on le sait, la complaisance courtisane vis-à-vis de la doxa du jour est l’une des meilleures assurances d’obtenir quelque promotion plutôt que de risquer de recevoir, comme Paul Ricœur, une poubelle sur la tête, ou de se voir ostensiblement ignoré durant quelques décennies par les chantres de la pensée unique…

Loin de moi l’idée d’une quelconque « chasse aux sorcières ». Mais un certain attachement à la « vieille école », ou peut-être le gâtisme inhérent à l’âge, me font penser qu’un minimum de rectitude éthique fait partie de la stature d’un auteur, surtout en philosophie.

Si on peut considérer à juste titre qu’un scientifique, un philosophe, un écrivain ou un artiste a du talent, voire du génie, il est plus rare et difficile de reconnaître en lui un « grand homme ».

Certes, nul n’est exempt de faiblesses, de moments d’égarement et d’erreurs de jeunesse. Et dans ces épisodes hélas si fréquents d’altération du jugement, tous ne portent pas le même degré de responsabilité. Il y a les maîtres et il y a les disciples. Il y a ceux qui mènent et il y a ceux qui suivent.

Mais dans tous les cas, la grandeur de l’humain me semble résider dans une capacité de maîtrise et de discernement.

Ainsi, tel monument de la philosophie aveugle devant un discours pédophile ou le totalitarisme évident de certains régimes, tel autre durablement encensé par des cohortes d’enseignants et de thésards en dépit de son engagement nazi et de son antisémitisme, peuvent bien être au dire de Kant d’habiles « artistes de la parole », mais ne seront jamais me semble-t-il de « grands hommes ». Il en va de même de tel photographe, amateur de jeunes nymphettes dénudées, longtemps adulé des foules comme artiste talentueux, de tel écrivain pédophile un temps à la mode, de telle gloire de notre littérature ayant pourtant produit d’immondes pamphlets antisémites, etc., etc.

Fort heureusement, la littérature et la philosophie ne se limitaient pas, à l’époque pas plus qu’aujourd’hui, au conformisme ou à la complicité avec le modèle dominant, et nombre d’auteurs et enseignants se révélaient capables de nourrir les exigences critiques de la pensée de leurs étudiants.

Toutefois, si l’omniprésence intellectuelle de la « révolution sexuelle » rendait facilement compte de la complaisance d’une certaine intelligentsia envers la pédophilie, il m’a été plus difficile de comprendre le pourquoi de la légitimation de l’inceste par Mme X. et ses semblables.

Car, si j’avais bien compris, structuralisme oblige, elle se présentait aussi comme disciple enthousiaste de Claude Lévi-Strauss.

Et dans ma petite tête d’étudiant, Lévi-Strauss était le théoricien de la centralité anthropologique de l’interdit de l’inceste, en tant « qu’Intervention » permettant la naissance de l’ordre spécifique de l’humain – l’ordre de la culture – et sa capacité de surmonter l’arbitraire des seules lois de la nature.

Le fait de la règle, envisagé de façon entièrement indépendante de ses modalités, constitue en effet, l’essence même de la prohibition de l’inceste. Car si la nature abandonne l’alliance au hasard et à l’arbitraire, il est impossible à la culture de ne pas introduire un ordre, de quelque nature qu’il soit, là où il n’en existe pas. Le rôle primordial de la culture est d’assurer l’existence du groupe comme groupe; et donc de substituer, dans ce domaine comme dans tous les autres, l’organisation au hasard. La prohibition de l’inceste constitue une certaine forme – et même des formes très diverses – d’intervention. Mais avant toute autre chose elle est intervention; plus exactement encore, elle est: l’Intervention.

Claude Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, Mouton, pp. 36-37.

Comment donc pouvait-on accepter qu’on remette en question cet interdit anthropologique aussi fondamental que fondateur ?

C’est sans doute plus tard que j’ai découvert la logique subtile qui permettait d’effectuer ce passage audacieux tout en se réclamant du Maître.

Car en effet, il reste permis de penser que, pour Lévi-Strauss, c’est l’interdit en tant que Règle qui est premier. Le fait que cet interdit touche l’inceste étant second.

C’est effectivement « le fait de la règle, envisagé de façon entièrement indépendante de ses modalités » qui est en tant que tel fondateur de la culture, et donc de l’humanité. Que cette règle concerne la structuration grammaticale du langage articulé ou l’inceste, cela est finalement secondaire.

L’un de mes buts essentiels a toujours été de placer la ligne de démarcation entre culture et nature, non dans l’outillage, mais dans le langage articulé. C’est là vraiment que le saut se fait ; supposez que nous rencontrions, sur une planète inconnue, des être vivants qui fabriquent des outils, nous ne serions pas sûrs pour autant qu’ils relèvent de l’humanité. En vérité, nous en rencontrons sur notre globe, puisque certains animaux sont capables, jusqu’à un certain point, de fabriquer des outils ou des ébauches d’outils. Pourtant nous ne croyons pas qu’ils ont accompli le passage de la nature à la culture. Mais imaginez que nous tombions sur des êtres vivants qui possèdent un langage, aussi différent du nôtre qu’on voudra, mais qui serait traduisible dans notre langage, donc des êtres avec lesquels nous pourrions communiquer…

G. Charbonnier, Entretiens avec C. Levi-Strauss, 10-18, 1969, p. 183-184.

Sur de telles bases anthropologiques, Mme X. s’estimait donc en droit de célébrer les noces monstrueuses de la libération sexuelle avec la levée de l’interdit de l’inceste.

« Vous voyez que le contenu de la règle est extraordinairement variable. Mais ce qui n’est pas variable, c’est qu’il existe une règle » (…).

« On pourrait très bien concevoir que nos sociétés évoluent progressivement vers un état où les anciens modes de régulation auront perdu toute espèce de valeur ou d’importance, et, où, par conséquent, ce ne sera plus que par l’effet d’un vestige de l’histoire, que nous continuons à appliquer, à pratiquer certaines interdictions ?D’ailleurs c’est une hypothèse que Durkheim lui-même avait faite : il s’était laissé aller à chercher ce qui se passerait dans une société où il n’y aurait pas de prohibition de l’inceste. Probablement que ça pourrait tout de même arriver à être une société, à condition de remplacer ces règles d’échange matrimonial, par d’autres formes de règles d’échange qui se situent sur d’autres plans et à d’autres niveaux, et disons, la plus grande liberté, la plus grande indépendance que nous prenons, au moins dans nos spectacles vis-à-vis de certaines règles sociales, traduit peut-être cette évolution manifeste qui est en train de se produire ».

C. Lévi-Strauss, Grands entretiens. Ina. 1969-1974. Partie 6 : Regards actuels. Chap. 51 : L’inceste contemporain.

« Évolution manifeste » qu’il n’est que trop facile de constater dans le monde du spectacle, mais qu’à la différence de Mme X. et d’autres, Claude Lévi-Strauss n’a jamais prônée dans le monde réel.

*

Ce rapide rappel des déviations et récupérations possibles, telles qu’elles sont illustrées par Mme X., d’une réflexion sur l’inceste uniquement fondée sur l’anthropologie, fût-elle structurale, et sur la sociologie m’incite à terminer en proposant de revenir à une approche finalement plus classique des fondements de l’interdit, qui d’ailleurs ne s’oppose aucunement aux abords anthropologique et sociologique, mais les complète.

Car en-deçà de la fonction essentiellement sociologique de l’interdit de l’inceste que nous décrit l’anthropologie de Lévi-Strauss, il me semble impossible d’évacuer le fondement essentiel de cette prohibition, dont l’approche relève de la psychanalyse, de la psychologie, de l’éthique et donc de la philosophie morale.

Dans une approche psychanalytique et psychologique, l’interdit est fondateur en même temps que libérateur, avant tout parce qu’il signifie la rupture d’un état de confusion (de l’enfant avec la mère, de la mère avec l’enfant, de l’enfant avec le père, du père avec l’enfant, de la sœur avec le frère ou du frère avec la sœur) pour instaurer un ordre qui sera celui de l’échange dans la reconnaissance de l’altérité, des altérités.

C’est ce décentrement, cet « acte d’arrachement » qui rend possible la naissance de l’éthique. « On entre véritablement en éthique, quand, à l’affirmation par soi de la liberté, s’ajoute la volonté que la liberté de l’autre soit » comme le dit P. Ricœur (Avant la loi morale : l’éthique, dans Encyclopédia Universalis, « Les enjeux », 1985).

À ce que Ricœur nomme « le pôle tu » succède, dans ce processus de naissance de notre être éthique, le « pôle il », qui se caractérise par la médiation de la Règle, de l’Interdit.

Ce « tournant de l’interdiction » est ce qui inscrit dans l’objectivité, dans un langage qui « interdit », qui dit entre, un « dit » neutre entre des subjectivités en vue de limiter le fantasme de toute puissance d’un besoin-désir par lequel nous resterions aliénés à notre être pulsionnel. Une telle limitation par l’interdit va désormais permettre l’institution, à travers la morale et le droit, d’une vie sociale fondée sur une reconnaissance respectueuse de l’autre, des autruis.

Les interdits fondamentaux (du meurtre, de l’anthropophagie, de l’inceste) accomplissent ainsi des exigences enracinées à la naissance même de notre conscience éthique, en les formulant de manière diverse dans le langage en fonction des cultures, au niveau de la morale ou des morales (qu’elles soient religieuses, athées, laïques, etc.) et en les instituant parallèlement dans le droit et le politique.

Ainsi, l’interdit qui se comprend pour Lévi-Strauss comme le moment instaurateur de la société est avant tout à concevoir comme instaurateur de notre humanité en tant qu’êtres capables d’éthique.

En d’autres termes, ce n’est pas sur la seule « anthropologie structurale » ou quelques « structures élémentaires de la parenté » que le législateur peut fonder le respect inconditionnel de l’interdit de l’inceste, mais sur le fait que cet interdit est indissociable de la naissance même de notre spécificité humaine, en tant que l’éthique en est constitutive.

Cela rend compte aussi, bien évidemment, de son universalité, qui précède sa fonction proprement sociale.

Limiter ce cheminement complexe par lequel nous devenons des êtres humains capables de société aux seules constituantes anthropologique ou sociologique, même si celles-ci constituent des éléments essentiels, en ignorant le caractère premier de la dimension éthique, risquerait d’aboutir au genre d’interprétations dangereusement simplistes et réductrices que nous proposait en son temps Mme X.

Interprétations ouvertes à tous les vents du relativisme et du laxisme, comme nous l’avons vu, du fait de cette évacuation du fondement irréductiblement éthique de l’interdit de l’inceste.

Les scandales actuels ne font hélas que témoigner des déviations pernicieuses de la philosophie lorsqu’on l’instrumentalise – consciemment ou inconsciemment – pour légitimer une bien pitoyable désinhibition des pulsions.

Souhaitons que les coupables parviennent enfin à une conscience plus claire de tels errements.

*

Pour ma part, je n’ai pas de rancune envers Mme X.

Même si cela ne m’a pas vacciné contre quelques engagements politiques discutables, je lui suis même reconnaissant de m’avoir tellement dégoûté du maoïsme que j’ai évité de perdre un temps précieux à ce genre de culte.

Sans doute une grâce mystérieuse (ou peut-être déjà l’influence de Stultitia…) m’a-t-elle aussi permis d’échapper au charme de la drogue tel que le chante Artaud aussi bien qu’aux genres de déviations sexuelles que s’empressait de justifier, voire de promouvoir, son enseignement.

D’autres à l’évidence n’ont pas eu cette chance.

Je ne cherche surtout pas à les disculper en les faisant passer pour des victimes. Car les pervers sexuels n’ont pas attendu le genre d’enseignement dispensé par Mme X. et ses semblables pour se manifester, comme on le sait.

Mais, pour l’honneur de la philosophie, je regrette toutefois que tant d’enseignants, souvent au plus haut niveau, se soient prêtés à de telles complicités avec si peu de discernement et parfois tant de morgue.

Bruits de guerres, Iran, incendies et autres Matzneff… Et meilleurs vœux tout de même !

On le sait, l’être humain est le plus dangereux prédateur qui soit.

Sans doute le seul prédateur à pouvoir tourner la prédation contre lui-même, soit directement jusqu’à l’anéantissement final, soit indirectement par la destruction d’autres espèces et d’un environnement qui lui est vital.

Les fantaisies des Trump, Khamenei et autres Kim Jong-un, ainsi que l’enterrement récent de l’accord de Vienne, nous rappellent opportunément, outre le Docteur Folamour du génial Kubrick,

certaines évidences évoquées par Robert Mc Namara :

« La combinaison de la nature faillible de l’être humain et des armes atomiques conduira à leur emploi. » (Cité par J.P. Dupuy, Hiroshima dessine notre futur atomique, propos recueillis par Aline Richard, La Recherche, 389, sept 2005).

On le sait, nous sommes plusieurs fois déjà passés à deux doigts de la guerre nucléaire généralisée.

Et le même J.P. Dupuy note combien cette incontestable faillibilité humaine se renforce encore d’une effrayante faillibilité technologique depuis que les puissances nucléaires automatisent les ripostes défensives.

On le sait aussi, c’est maintenant une évidence, la bombe environnementale est désormais devenue plus préoccupante encore que la menace nucléaire.

Ajoutons à cela les minables turpitudes dont peut être capable l’être humain, comme nous le montrent quotidiennement, parmi tant d’autres exemples d’abjections et corruptions diverses, les Matzneff et consorts, et nous obtenons un tableau bien peu réjouissant de la réalité qui est la nôtre.

*

Mais voilà que Stultitia m’interrompt :

« Tu es bien sûr de présenter là des vœux de bonne année ? Pour les réconforts et encouragements, c’est plutôt réussi ! »

Et m’oblige à répondre :

« Attends donc la suite ! Tu sais bien que souhaiter bonheur, santé, réussite n’est pas en mon pouvoir. Mais je n’ai pas dit pour autant mon dernier mot ! ».

Car voilà :

Il ne m’étonne en effet nullement que de tels désastres et de telles noirceurs constituent de façon irrécusable le tableau de notre monde. Comme le constatait déjà Machiavel, cela fait tout de même un bon moment que nous assistons aux prouesses de la nature humaine, et il faudrait être bien naïf pour s’en montrer surpris.

Mais il demeure tout de même autre chose.

Je ne prétends certes pas être Dieu. Et pourtant ce qui m’étonne est aussi ce qui l’étonne, lui, au dire de Péguy.

Car ce qui m’étonne, c’est l’espérance.

Ou du moins l’espoir.

L’espoir mystérieux de celles et ceux qui luttent, le plus souvent sans espoir de quelque résultat ou quelque reconnaissance que ce soit.

Ce qui m’étonne, c’est qu’au plus profond de la guerre et des innombrables démissions et lâchetés humaines qui l’accompagnent, il y ait, par exemple, un Franz Jägerstätter, petit paysan autrichien qui, contrairement à bien des « philosophes », artistes ou autres prix Nobel, a refusé obstinément, jusqu’à la mort, de céder à la honte nazie.

Ce qui m’étonne, c’est qu’alors que MM Aragon, Sartre, Lang, Mmes de Beauvoir, Millet, et toute une intelligentsia adule quelqu’un qui estime que pour une adolescente de quatorze ans, c’est un privilège « d’être attendue par un homme de cinquante ans à la sortie de son collège, (…) de vivre à l’hôtel avec lui, et de se retrouver dans son lit, sa verge dans la bouche à l’heure du goûter », il y ait le courage de Denise Bombardier, enfin reconnu à sa véritable valeur après des années de sarcasmes et d’isolement.

Un courage de la même trempe que celui qui animait un Simon Leys lorsque, confronté aux affabulations consciencieusement colportées par une intelligentsia dominante constituée d’intellectuel.le.s pareillement abêti.e.s, il s’élevait contre le règne d’un mensonge qui garde encore aujourd’hui de fervents adeptes parmi quelques maîtres à penser adulés par les foules.

Ce qui m’étonne, c’est qu’alors qu’il est si facile et confortable de se laisser séduire par la pensée du monde, les « vérités » savamment instillées par les Partis, les Églises, les bien-pensances à la mode, celles qui prétendaient par exemple un temps, par le prestige d’un Sartre et de bien d’autres que « la liberté de critique est totale en URSS », il existe de nos jours encore de par le monde des Panaït Istrati et des Victor Serge, des Sakharov et des Liu Xiaobo pour témoigner de la puissance de l’Esprit.

Ce qui m’étonne, c’est qu’alors que des autorités « religieuses » promettent d’accorder « cent jours d’indulgence à toute personne qui tuerait un marxiste », comme d’autres considèrent qu’on peut être bouddhiste et massacrer des rohingyas, il puisse toujours exister parmi nous des Mauriac, des Jägerstätter et des Bernanos pour exhorter à l’honneur de la désobéissance ;

Et tant d’autres existences portées par un désir d’éthique et de vérité qui font que l’impressionnante expérience de Milgram laisse malgré tout une latitude à la libre conscience du sujet.

Oui, ce qui m’étonne, c’est qu’au cœur des désordres épouvantables de ce monde qui est le nôtre et dont beaucoup profitent ou s’accommodent par lâcheté, il existe des vies, certaines connues, mais pour la plupart « cachées », qui donnent des raisons et le goût de ne pas désespérer.

Voilà donc ce que je nous souhaite pour l’année 2020 : que nos existences puissent se nourrir tant soit peu de cette force qui anime toutes celles et ceux qui décident d’y croire, jusqu’aux plus humbles et aux plus modestes, disparus sans traces dans quelque camp ou quelque goulag, ou dans la simple indifférence.

Et que l’impressionnante citation de George Eliot qui clôt le beau film de Terence Malick sur Franz Jägerstätter puisse être pour nous une source vivante d’inspiration.

« Car le bien croissant du monde dépend en partie d’actes non historiques ; et si les choses ne vont pas pour vous et moi aussi mal qu’elles auraient pu aller, nous en sommes redevables en partie à ceux qui ont vécu fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes délaissées. »

Bonne et heureuse année à toutes et à tous !

« Un homme ça s’empêche ». Une femme aussi. De « l’affaire Asia Argento » et d’un bisounoursisme infantile qui, en confondant conviction et responsabilité entrave l’agir éthique et politique.

Au vu du nombre de commentaires qu’elle sucite, « L’affaire Asia Argento » semble émoustiller les esprits et risque fort de défrayer la chronique durant les quelques jours de vacance qui nous restent.

On pouvait pourtant s’attendre à quelque événement de ce genre.

Sauf à cultiver cette incorrigible propension à un bisounoursisme binaire qui, de façon récurrente, fausse notre approche de la « verità effettuale della cosa », selon les termes de Machiavel, pour lui substituer un manichéisme infantile.

En nous faisant décréter une fois pour toute quels sont les bons et quels sont les méchants, il nous empêche d’appréhender l’humain dans sa complexité, et donc d’envisager quelques remèdes possibles, éthiques et politiques, aptes à améliorer sa condition d’une façon qui ne relève pas du pur fantasme.

Cette disposition à l’infantilisme se développe pourtant à partir de constats qui se fondent sur une réalité indiscutable et sur la légitime indignation qu’elle suscite :

Car il y a bien une exploitation du faible par le puissant, du pauvre par le riche, du prolétaire par le capitaliste.

Il y a un racisme qui a instauré et qui instaure encore une discrimination entre les êtres humains.

Il y a un colonialisme qui a instauré et qui instaure encore, sous des formes diverses – néo-colonialisme, nationalismes, etc. – l’aliénation de peuples ou de minorités.

Il y a une homophobie qui a instauré et qui maintient un déni de reconnaissance et de droit envers des catégories de personnes.

Il y a un sexisme qui, à l’évidence, a historiquement institué et maintient une inégalité entre les sexes, inégalité qui s’accompagne d’oppression, d’humiliations, d’abus divers et d’injustices.

Tout cela relève du constat de fait, indéniable.

Et tout cela exige de notre éthique, de notre droit, de nos institutions politiques, qu’il y soit porté remède de la façon la plus efficace possible.

Et il faut savoir gré à Mme Argento d’avoir œuvré en ce sens.

 

Mais il semble aussi relever de l’indéniable constat de fait que l’humain, sous sa forme sexuée – homme et femme – demeure partout et en tous temps le même.

« Pensant pour ma part à la façon dont procèdent les choses, j’estime que le monde a toujours été pareil et que toujours il y a eu en lui autant de bien que de mal … », nous dit encore Machiavel (Discours sur la première décade de Tite Live, II, Avant-propos, Œuvres, Robert Laffont, Paris 1996, p. 292).

Pour rendre notre agir cohérent et opératoire, il ne suffit pas, à la manière du « partisan de l’éthique de conviction » dont nous parle M. Weber (Le savant et le politique, Plon 1959, 10/18, Paris 1993, p. 172-173) de ne se sentir « ‘’responsable’’ que de la nécessité de veiller sur la flamme de la pure doctrine afin qu’elle ne s’éteigne pas » (…) « Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes », en prenant en compte autant que possible la complexité de l’humain.

Il est donc bien sûr indispensable de remédier à l’exploitation du faible par le puissant. Cela n’est pas négociable. Mais il serait infantile de penser qu’une « société sans classe » ou autre paradis fantasmé mettra fin définitivement à l’exploitation et aux conflits. Cela relèverait de la pure conviction, et non de la responsabilité.

Il est indispensable de remédier à toute ségrégation raciste. Cela n’est pas négociable. Mais il serait infantile de penser qu’un noir, un jaune, un rouge, serait, en soi, meilleur qu’un blanc. Respecter le droit d’autrui doit inclure que cet autrui est tout simplement un humain, et non un idéal fantasmé. Le fait qu’un noir, un jaune, un rouge ou encore un migrant, quelle que soit sa couleur de peau, soit tout autant qu’un autre capable de délits ou de crimes n’entache en rien le droit (dont le droit d’asile) qui cherche à établir les normes auxquelles tous les humains doivent s’efforcer de rendre leur agir adéquat.

Il est indispensable de remédier à toute domination coloniale, néocoloniale, à tout déni du droit des minorités. Cela n’est pas négociable. Mais il serait infantile de penser qu’un être décolonisé serait par essence meilleur qu’un autre. Le droit inaliénable qu’a tout humain de ne pas être colonisé, s’il doit être fermement inscrit dans ces normes qui font l’honneur de l’humanité, ne changera pas pour autant le fait. On le sait, l’indispensable reconnaissance de leur droit légitime n’a pas été synonyme pour les peuples décolonisés d’un accès à un monde sans guerres ni violence.

Il est indispensable de remédier à toute discrimination homophobe. Cela n’est pas négociable. Mais il serait infantile de penser que les homosexuel.le.s seraient autre chose que des êtres humains comme les autres, avec leurs richesses et leurs faiblesses, et donc aussi avec leurs éventuelles limites et incohérences.

Pour en revenir à ce qui nous occupe, il est donc tout aussi indispensable de remédier à toute discrimination sexiste. Cela n’est pas négociable. Mais il serait tout aussi infantile de penser que les femmes ne sont pas des hommes comme les autres, et comme telles susceptibles de délits et de crimes, comme nous le rappelle peut-être (car la prudence s’impose face à l’emballement médiatique …) à son corps défendant Mme Argento.

On peut bien sûr regretter qu’il faille un début à ce genre de révélations, mais cela reste hélas de l’ordre du banal et du prévisible.

Mais une fois cette évidence reconnue, en quoi donc la nécessité et la légitimité des mouvements féministes dans leurs diverses expressions devraient-elles être mises en question par le comportement de certaines, comme voudraient nous le faire croire bien des commentaires ?

Les délits d’un africain ou d’un chinois n’invalident pas la lutte anti-raciste, ni les excès d’un homosexuel le combat contre l’homophobie.

Loin d’en remettre en cause les exigences, délits et crimes ne font que manifester notre faillibilité et notre difficulté à adhérer aux impératifs éthiques et aux normes juridiques dont nous percevons cependant la nécessité vitale.

Merci donc, Mme Argento, pour votre contribution à ce qui est et restera un incontestable progrès du droit des femmes.

Mais, vous le savez désormais, revendiquer et défendre le droit n’est pas suffisant.

Le droit est une structure formelle qui ne vit que par l’adhésion consciente et libre de personnes qui décident, au-delà de ce qui est, de faire être ce qui doit être.

Et c’est là que vous avez failli. Car, comme le disait Camus par la voix de son père (Le premier Homme, Folio, p. 78) : « Un homme, ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… ».

Une femme aussi. Une femme aussi doit savoir « s’empêcher ». Faire être l’éthique et respecter le droit de toutes et de tous en luttant contre la pulsion lorsque celle-ci peut nuire à autrui ou le détruire. Et non se contenter de la simple conviction et de « la flamme de la pure doctrine ».

« Ou sinon… »

 

Cette allusion à la sentence si simple et si puissante du père de Camus, qui semble avoir structuré l’essentiel de l’éthique de son fils, me renvoie à ce qui me paraît être une confusion inhérente à bien des discussions autour de la « loi contre les violences sexuelles et sexistes » promue par Marlène Schiappa, en particulier en ce qui concerne le débat à propos de « l’âge légal du consentement » lors de la qualification des crimes sexuels sur mineur.e.s.

Car, si la détermination d’un « âge du consentement » est bien entendu nécessaire au regard de la loi, cela ne me paraît pas devoir être la question essentielle dans le cas des délits ou des crimes sexuels concernant les mineurs. Cette question du consentement restant par contre primordiale quand il s’agit de rapports entre personnes adultes.

Dans le cas d’un rapport entre adulte et mineur, la question essentielle concerne la responsabilité de l’adulte, et non le consentement ou non du mineur. Le délit ou le crime réside dans l’incapacité, ou le refus (qui qualifiera alors la perversité) de l’adulte de « s’empêcher », de se maîtriser. Car quelle que soit l’attitude de l’enfant, la responsabilité ne doit incomber qu’à l’adulte.

Évaluer le degré de consentement est chose difficile dans le cas des adultes. Dans le cas des mineurs, cela risque fort de mener sur des voies erronées en ce qui concerne la qualification de la responsabilité pénale.

Car là encore, un certain  bisounoursisme  bien éloigné de la psychologie réelle semble vouloir exonérer les enfants de tout consentement aux sollicitations sexuelles.

Or, c’est loin d’être le cas. Même si cela peut gêner ou démythifier une certaine vision de l’enfance, la réalité se révèle plus complexe.

On pourrait bien sûr évoquer la « Lolita » de Nabokov dont les douze ans ne modèrent pas la nymphomanie.

Mais tous les enseignants et éducateurs qui ont eu des contacts avec les adolescent.e.s savent combien la prudence et la capacité de « s’empêcher » sont de règle s’ils ne veulent pas s’engager – et engager leurs élèves – dans de bien répréhensibles aventures.

Pour ma part, entre autres exemples, j’ai connu un homme ayant commis la faute de céder aux avances débridées et réitérées d’une gamine de treize ans.

Non que le fait de reconnaître que la Lolita ait été l’instigatrice de la chute de l’adulte disculpe la responsabilité de ce dernier.

Bien au contraire.

Être un homme, une femme, un adulte, c’est justement être capable de « s’empêcher », de s’interdire face aux avances d’un enfant en demande, d’un enfant « consentant », dont il est si facile de profiter.

Car le consentement d’un enfant ne peut être assimilé à celui d’un adulte.

Il devrait faire partie de l’expérience de tout adulte de savoir que tout.e adolescent.e est une « bombe pulsionnelle » capable de tout, que l’adulte se doit d’accompagner sur son chemin de maturité afin que la puissance vitale brute et désordonnée qui habite l’enfant puisse trouver les chemins qui ne nuiront ni à lui-même ni aux autres.

Bien plus que la question du consentement ou non de l’adolescent.e (car chez lui ou elle, il peut justement y avoir un type d’attente, voire de provocation qui ne demande qu’à consentir), c’est donc bien la question de la capacité de l’adulte à « s’empêcher » qui est centrale.

Et, comme le reconnaît Camus suivant la leçon de son père, c’est bien l’attitude de l’homme qui ne « s’empêche » pas qui qualifie le crime, indépendamment de ce que peut être l’attitude de l’enfant dont le consentement, même s’il a lieu, ne peut être qualifié de responsable, et ne peut donc en aucun cas disculper le délit ou le crime de l’adulte.

« Un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme ».

On ne peut accepter que le droit, en reconnaissant chez l’adolescent.e un consentement peut être effectif mais qui n’est chez lui qu’une ébauche imparfaite d’une maturité qui se cherche, éventuellement à travers la séduction, la transgression voire la provocation, disculpe l’adulte et charge nos enfants d’une responsabilité qui risquerait de les écraser.

« Ou sinon… »

Du fantasme infantile de toute puissance et de son expression cléricale autant que politique. Réflexion sur la pédophilie et sur ce que nous révèle sur l’immaturité de nos dirigeants l’omniprésence des « affaires ».

Une « brève » supplémentaire pour me faire de nouveau le promoteur d’Élise Lucet et de son équipe (ainsi que de celle de Mediapart), à l’occasion du dernier numéro cette fois de Cash Investigation, concernant la pédophilie dans l’Église catholique :

http://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/cash-investigation/

Numéro riche en enseignements divers.

On pourra bien sûr objecter qu’il s’agit d’une « émission uniquement à charge et qui ne met pas en valeur tout ce qui a été fait depuis un an » ;

http://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/Le-porteparole-des-eveques-sur-la-pedophilie-Il-y-a-eu-une-culture-du-silence-Nous-voulons-la-briser-2017-03-22-1200833894

Pourtant la parole a été largement accordée à Mgr. Crépy, chargé de la lutte contre la pédophilie, qui a eu tout loisir de s’exprimer sur les actions entreprises, et il aurait été intéressant que des membres de l’Institution se manifestent pour étayer cette objection lors du débat final où ils étaient invités.

Le fait qu’ils aient préféré boycotter ce débat, en donnant par là même un exemple de mediabashing qui risque de ne pas rester à leur honneur, laisse entièrement à leur compte la charge de la preuve.

Car un certain étalage de tartufferie doucereuse, tel qu’il apparaît trop souvent dans le reportage, n’est en rien suffisant pour démonter des accusations dont la plupart sont très solidement documentées.

Rappelons que suite à l’interview à La Croix de Vincent Neymon, porte-parole adjoint de la Conférence des évêques de France, Emmanuel Gagnier, rédacteur en chef de Cash Investigation, avait fermement condamné des accusations qu’il estime diffamatoires :

http://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/La-reponse-de-Cash-investigation-a-lEglise-de-France-2017-03-21-1200833590?id_folder=1200819732&position=2

 

Mais je voudrais prendre un peu de recul par rapport à l’émission pour évoquer un aspect qui me paraît rapprocher la question de la pédophilie de celle des graves manquements à l’éthique politique tels qu’ils nous sont en ce moment révélés.

Car un lien réel me semble exister entre ces deux sujets, qui impliquent ce qu’on nomme en psychologie et en psychanalyse le « fantasme de toute puissance infantile », et les déviations pathologiques auxquelles il peut donner lieu.

Écoutons Stéphane Joulain, thérapeute familial et psychanalyste, en outre le seul religieux à s’être montré à la hauteur de la gravité des enjeux lors du reportage de Cash Investigation :

L’autorité liée à l’exercice des ordres permet à des pédophiles d’être très à l’aise avec la toute-puissance qui les habite et convient aussi très bien à leur difficulté à intégrer la loi comme cadre et interdit ; cela entretient chez les pédophiles le sentiment de l’immunité. En cela, la prêtrise est très proche d’une autre institution, le corps diplomatique, qui lui aussi compte de nombreuses affaires de pédophilie (trop souvent couvertes par les États ; il faut saluer les efforts fournis par les Nations unies qui ont commencé un travail de purge chez leurs fonctionnaires et dans les troupes de « la paix »).

http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/03/13/distinguer-celibat-et-pedophilie-par-stephane-joulain_1318666_3232.html

Et tentons une brève réflexion sur cette notion de « toute puissance ».

Cela nous demande un petit détour par la psychologie.

J’essaierai de maintenir ce rapide « résumé » dans une dimension relativement consensuelle qui nous évite de rentrer dans de complexes et interminables discussions d’écoles.

La psychologie et la psychanalyse nomment « fantasme de toute puissance » un état qui se construit chez le petit enfant à partir de la position d’un moi qui, expérimentant un état fusionnel avec la mère, ne connaît pas encore ses propres limites, et n’obéit qu’au « principe de plaisir » exigeant la satisfaction immédiate de ses besoins, dans un égocentrisme total et une intolérance à toute frustration. C’est un stade perçu comme celui d’une totale invulnérabilité, état où la Loi et l’interdit ne sont pas encore présents, et où l’interrogation sur les conséquences des actes (et donc l’éthique) ne se manifeste pas, du fait de la non prise en compte de l’existence réelle d’un autre que soi.

Les parents connaissent tous d’expérience « l’enfant-tyran » tel qu’il se présente dans les premières années de sa vie.

La confrontation au « principe de réalité » s’opérera en général après l’âge de trois ans par la rupture de cet état fusionnel d’omnipotence primitive (le rôle du père – autre de la mère – ou du moins du « référent paternel » étant généralement considéré comme capital dans ce processus de « défusion », qui rompt l’indifférenciation originelle par l’insertion de la « Loi », accomplissant ainsi la « castration symbolique » qui signifie le commencement de la fin du fantasme de totalité, de toute puissance). L’ensemble fusionnel mère-enfant ne sera plus dès lors la seule réalité au monde. Il va pouvoir désormais laisser place à l’apparition de « l’autre » (du père, des frères et sœurs, etc.), et permettra à l’enfant de se considérer non plus comme le seul existant digne d’intérêt, mais comme un être parmi d’autres, au cœur d’un monde où se confrontent et se limitent une pluralité de besoins et de désirs. On comprend que dans cette série de ruptures peut désormais prendre place l’interrogation éthique dans ses premières formulations, et la compréhension des normes morales. Et ainsi commence le long chemin qui mène à la maturité.

Maturité qui ne sera jamais, on le sait, qu’une perpétuelle construction au cours de notre vie, avec ses avancées et ses régressions, ses équilibres fragiles et transitoires, ses stabilisations dans des états plus ou moins durables qui, la plupart du temps, constitueront ce que nous nommons « normalité ».

Et c’est là que nous revenons à notre double thématique de la pédophilie et du politique.

Vers 57mn dans le reportage, celui qui est nommé le « père Albert », qui a agressé sexuellement plusieurs adolescents qui lui étaient confiés, nous donne une illustration quasiment paradigmatique de la persistance de ce « fantasme de toute puissance », qui indique une grave carence de maturité :

« En Guinée, j’étais un peu comme un intouchable. Je ne veux pas dire que je ne m’occupais plus des lois, mais je me sentais invulnérable ».

On est ici en présence des symptômes typiques de « l’état de toute puissance ». Sentiment d’invulnérabilité, quasi absence de prise en considération de la loi morale ou juridique, satisfaction égotiste de la pulsion de manière totalement désinhibée (sans doute favorisée par une expatriation quasi « coloniale »), sans interrogation morale ni souci du bien d’autrui

Comme je l’avançais dans un post précédent,

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/01/31/des-papes-de-la-pedophilie-de-lordination-des-femmes-et-de-quelques-autres-rudiments-de-theologie-sommaire/

il est fort probable qu’une certaine théologie « sacerdotale » fondée sur la notion de « pouvoir sacré » (sacra potestas) puisse constituer un terrain favorable pour ce qui est de l’expression d’un « fantasme de toute puissance », dont l’abus de pouvoir se justifie qui plus est par une dimension sacrale.

L’autorité liée à l’exercice des ordres permet à des pédophiles d’être très à l’aise avec la toute-puissance qui les habite et convient aussi très bien à leur difficulté à intégrer la loi comme cadre et interdit

Stéphane Joulain (art. cité) le confirme avec pertinence.

N’étant pour ma part ni psychanalyste ni psychiatre – encore moins juge – je ne suis aucunement habilité à évaluer ce qui relève proprement de pathologies susceptibles d’abord thérapeutique et ce qui relèverait de délits ou de crimes éthiquement et juridiquement condamnables.

On le sait toutefois, si les délits et les crimes peuvent s’enraciner dans des prédispositions psychiques marquées par la fragilité, il n’y demeure pas moins une part de responsabilité qui fait qu’ils relèvent aussi indéniablement du droit, ce que certains ont eu, semble-t-il, tendance à oublier un peu facilement.

Peut-être parce qu’ils partageaient (voire partagent encore) la même illusion sacrale d’une « toute puissance » au-dessus des lois humaines.

Souhaitons donc que des approches théologiques un peu plus cohérentes contribuent à délivrer les responsables religieux des fantasmes et illusions de ce type, et que celles et ceux qui exercent des services dans les communautés soient désormais choisis non pas en fonction de leur sexe, ni de leur état de vie, ni de leur connivence idéologique avec certaines visions cléricales marquées par la « toute puissance ».

Dans le choix de ceux qui exercent des responsabilités, qu’ils soient femmes, hommes, célibataires ou marié(e)s, le critère de la maturité psychologique et affective reconnue par l’ensemble de la communauté doit désormais retrouver une place essentielle, comme c’était le cas dans les Églises primitives pour le choix des « episcopoi » (des évêques) comme des « presbuteroi » (des Anciens), qui devaient être des « viri probati », des personnes ayant fait leur preuve, en particulier pour ce qui est de l’éthique sexuelle, indifféremment du fait que ce soit dans le mariage ou le célibat.

[cf. encore mon post cité ci-dessus : « Des papes, de la pédophilie… »].

Mais, je l’ai dit, il serait trop facile de penser que la question ne concernerait que L’Église catholique.

Déjà Stéphane Joulain nous met sur la piste de déviations similaires dans le monde de la diplomatie.

Et, bien que la justification « sacrale » y soit bien sûr moins développée que dans le cadre religieux (mais peut-être pas tout-à-fait absente…), on se rend compte en ce moment de façon particulière combien le « fantasme de toute puissance » et l’immaturité humaine qu’il suppose peuvent sévir dans notre monde politique.

Denise Lachaud, psychanalyste, avait publié il y a quelques années un ouvrage sur la mégalomanie (en particulier en politique), intitulé “La Jouissance du pouvoir” (Paris, Hachette, 1998).

Et on se souvient de « Sexus politicus », paru en 2006, (Albin Michel), qui contenait bien des révélations sur le « fantasme de toute puissance » de nombre de nos dirigeants, fantasme dont on sait qu’il a coûté à l’un d’entre eux une élection présidentielle.

Mais les symptômes ne se manifestent donc pas seulement par une désinhibition du « principe de plaisir » au niveau sexuel, fréquente en situation de pouvoir.

On s’en rend compte, exprimer la toute-puissance par le fait de privilégier la jouissance financière au-delà de toute éthique, en transgressant tout interdit et toute loi dans un sentiment d’invulnérabilité et un total mépris du bien d’autrui (en l’occurrence des deniers publics et des biens sociaux) relève là encore de façon clinique du « fantasme infantile de toute puissance ».

Souhaitons donc qu’un État de droit se montre capable de remettre à leur place celles et ceux qui manifestent de façon si évidente les symptômes de l’immaturité.

Pas plus que nos communautés religieuses, la dignité et l’honneur de la Chose Publique n’ont à s’accommoder des fantasmes infantiles et de la perversion de quelques-unes et de quelques-uns.

 

Ajout du 26/03:

Un article courageux et compétent du père Stéphane Joulain:

http://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/France/PereStephane-Joulain-Les-eveques-doivent-rendre-des-comptes-sur-leur-lutte-contre-la-pedophilie-2017-03-26-1200834833

Ajout du 31/03:

Ainsi qu’un article qui « prend la mesure » de la situation avec franchise et réalisme :

http://www.lavie.fr/debats/edito/pedophilie-prendre-la-mesure-28-03-2017-80953_429.php

 

 

 

Des papes, de la pédophilie, de l’ordination des femmes et de quelques autres rudiments de théologie sommaire.

La théologie, l’histoire des religions, tout comme la philosophie, sont bien sûr des mondes passionnants. Et je ne regrette pas de les avoir fréquentés.

Mais j’avoue que je m’y suis toujours senti quelque peu décalé.

Et que dire depuis que je fréquente ce mauvais génie de Stultitia !…

Mes véritables maîtres à penser étant Brassens, Franquin, Boby Lapointe et quelques autres – on ne se refait pas -, il est clair qu’il ne faut donc pas s’attendre de ma part à un cours de théologie classique.

Je vais donc me limiter pour aujourd’hui à un cours de théologie sommaire, à la manière de mes chers anciens.

Je regrette d’ailleurs que Chaval, artiste trop oublié, ne soit pas lui-même reconnu comme représentant de la théologie sommaire, qui pourrait être à la théologie classique ce que la pataphysique est à la méta du même nom (physique).

Son dessin des « Papes étonnés par un gratte-ciel », (que je n’ai hélas pas pu retrouver… [Mise à jour 06/2014 : Si, c’est fait!), ayant été l’un des rares à anticiper la démission du 28 février 2013 : depuis ce jour en effet, et pour la première fois depuis la fin du Grand Schisme d’Occident, deux papes peuvent se promener ensemble dans les rues de New-York. On ne saurait trop souligner l’importance d’un tel événement.

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Mais venons en donc au fait. Einstein – qui était aussi pataphysicien à ses heures – aurait dit : « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ».

Alors je voudrais montrer qu’en dépit du charme indéniable et du charisme du nouveau pape, l’Église catholique n’est pas encore près de sortir de quelques-unes de ses ornières. Car il faudrait avant tout pour cela se décider à changer quelques modes de pensée.

Et c’est ici l’intérêt de la théologie sommaire : elle réussit là où la théologie classique échoue, parce qu’il n’est pas dans ses habitudes de s’attarder outre mesure dans les modes de pensée.

En deux mots : la théologie classique fait croire qu’il y a dans l’Église catholique un problème de recrutement, la fameuse question des « vocations sacerdotales ».

Or, pour la théologie sommaire, ce problème est en fait un pseudo-problème, engendré par un certain mode de pensée, qu’on appellera « théodosien » pour faire court, du beau nom de l’empereur Théodose (379-395). Même si le théologien sommaire peut aussi faire long, au besoin, par exemple en allongeant ce moment théodosien jusqu’au moment « tridentin » qui désigne lui l’héritage du Concile qui s’est tenu à Trente de 1545 à 1563.

Il suffit donc de changer de mode de pensée pour résoudre ce qui n’a en fait jamais été un problème.

Car, alors que les « Églises » chrétiennes primitives comptaient quelques milliards de fidèles de moins que de nos jours, les « ministères », les services n’ont jamais manqué en leur sein, puisque l’apôtre Paul félicite les quelques dizaines de fidèles d’une communauté d’être « comblés de toutes les richesses, toutes celles de la parole et toutes celles de la connaissance », « si bien qu’il ne vous manque aucun don de la grâce » (St. Paul, Première Épître aux Corinthiens, 1, 5-7).

Il faut donc bien que certains modes de pensée induisent des problèmes qui n’en sont pas…

Hélas, ces pseudo-problèmes entraînent à leur tour de tragiques dégâts collatéraux, en particulier lorsqu’il s’agit de la question de la pédophilie.

D’où l’intérêt d’essayer de remettre les choses à l’endroit.

Essayons donc :

Dans la plupart des religions, la communication entre les hommes et Dieu est assurée par des instances et des lieux « sacrés », le « sacerdoce », le Temple, etc.

Pour le christianisme, cette rencontre entre Dieu et les hommes s’opère « une fois pour toutes », dans l’évènement unique de salut que constitue la passion et la résurrection du Christ. C’est cet événement qui est, non pas reproduit, bien sûr, mais rendu contemporain, « actualisé » à chaque célébration de Pâques (et donc dans chaque Eucharistie), tout comme la sortie d’Egypte est actualisée dans le rite, le « seder » de Pessah : « Resurrexit Dominus hodie »(aujourd’hui), chante la liturgie catholique ; « Nous étions esclaves du pharaon en Egypte, mais cette nuit ( הלילה הזה ) Dieu nous a délivrés d’une main puissante et d’un bras étendu », répond le père de famille à l’enfant qui l’interroge sur la raison d’être des rites de la Pâque juive.

Le rite, le mémorial, (le zikharon -זיכרון – pour le juif, l’anamnèse – ἀνάμνησις – pour le chrétien) introduit dans une dimension particulière du temps qui rend le croyant contemporain de l’événement de libération.

Dans le cas du chrétien, cette introduction par le Christ dans la communion avec Dieu est désormais le seul « sacerdoce » efficace. Le terme (ιερατευμα, « hierateuma ») dans le Nouveau Testament est dès lors réservé au Christ lui-même (dans l’Epître aux Hébreux), et, dans son prolongement, à la communauté des chrétiens dans son ensemble, toute entière conçue comme « sacerdotale » (Première épître de Pierre 2,5.9 ; Apocalypse 1,6 ; 5,10 ; 20,6). Jamais un disciple du Christ n’est considéré comme accomplissant un quelconque « sacerdoce » au sens de « médiation » entre Dieu et le peuple que ce terme pouvait revêtir dans les autres religions. Le terme ne s’applique donc qu’au Christ et à la communauté, seul sujet actif de la célébration liturgique (il est à noter qu’après la destruction du Temple de Jérusalem par Titus en 70, la notion de sacerdoce – כהנה – kehounah — connaîtra dans le judaïsme aussi une évolution qui en fera de plus en plus l’apanage d’Israël dans son ensemble). De la même façon, la référence au « sacré » va disparaître totalement des lieux de culte chrétiens (les premiers disciples du Christ vont adopter dans ce but comme lieu de leurs assemblées, non pas le temple – ιερον – hieron – mais le plan du marché public, la « basilique »).

Qu’on le veuille ou non, ce sont là les seules données du Nouveau Testament concernant la question du « sacerdoce ». Et leur simplicité réjouit le théologien sommaire.

Il n’y a plus en effet désormais de place pour la médiation sacrale du hiereus (celui qui exerce le sacerdoce) dans la communauté chrétienne, mais, en revanche, on va trouver des fonctions, des « ministères » très diversifiées, comme dans toutes les communautés humaines nécessairement structurées : celle par exemple de l’épiscopos, le « surveillant », qui, nous dit l’auteur de la première épître à Timothée (chap. 3, 2-5) doit avoir fait la preuve de ses capacités par sa responsabilité dans le mariage, le fait d’avoir bien élevé ses enfants, etc…

« Quelqu’un, en effet, qui ne saurait gouverner sa propre maison, comment prendrait-il soin d’une Église de Dieu ? »

Il prendra petit à petit la place dominante dans la structuration des assemblées. Il y a aussi l’Ancien, plus souvent les Anciens (presbuteroi) (qui reprennent la fonction des זכנים « zeqénim« , « sages » ou « conseillers » qu’on trouvait dans les communautés juives et qui n’ont rien à voir avec le sacerdoce). Anciens qui doivent eux aussi être des hommes ayant fait preuve dans leur vie conjugale, familiale et professionnelle de responsabilité et de sagesse, ; le serviteur (« diaconos« ), le prophète, l’apôtre, etc…

Certes, on se rend compte que, sauf quelques exceptions (« diaconesses » ou « veuves »), un tel panorama manque de femmes, mais on y reviendra. Car cela ne peut échapper à un théologien sommaire.

Tout comme la présidence de la Pâque juive est dévolue au père de famille, on peut penser qu’il en allait de même lors des célébrations liturgiques de ces juifs particuliers qui ne se savaient pas encore « chrétiens », le maître de maison ou le chef de communauté conduisant ce qui était perçu comme la célébration de la communauté dans son ensemble.

On se rend déjà compte que, dans l’accession aux fonctions de responsabilité dans les communautés, en particulier celle d’Anciens et d’Épiscopes, le fait de manifester un équilibre affectif dans une vie sexuelle équilibrée constitue un critère déterminant.

Car dans une telle approche de théologie sommaire, la question des responsabilités est abordée « à l’endroit » : si je suis un Ancien ou un « Surveillant » dans la communauté, ce n’est pas parce qu’un beau jour j’ai rêvé de l’être en me rasant le matin et que je me suis auto-institué tel sur la base d’une « vocation » bien ambiguë (pour ma part, dès que j’ai été en âge de me raser, j’ai rêvé de devenir président de la République, mais ce n’était sans doute pas suffisant…). Si je le suis, c’est parce que, tout au long de ma vie et de mon expérience, j’ai fait la preuve de mes capacités et que j’ai été choisi pour cela, « appelé », non par moi-même, mais par ceux qui m’ont reconnu ces aptitudes, au moins pour un temps.

Il va sans dire que cette reconnaissance doit dépasser les seules limites d’un groupe restreint : afin d’éviter un éparpillement des croyances qui mettrait en péril la communion entre les communautés, certaines personnes doivent veiller à ce que la diversité de celles-ci s’harmonise au niveau du partage d’un même message fondamental, celui que les premiers chrétiens nommaient le « kérygme » (κήρυγμα). La vie des communautés primitives se caractérisera donc aussi par la recherche de tels équilibres, dans laquelle la fonction de l’episcopos prendra un rôle déterminant..

Bien que l’attribution des services dans un groupe ait toujours et partout posé problème, comme on le sait (et les lettres des églises chrétiennes antiques en témoignent, bien sûr), on comprend qu’un tel mode de fonctionnement puisse écarter des responsabilités des personnes manquant de la maturité nécessaire pour les assumer. Celui qui a fait preuve d’une vie affective équilibrée au vu et au su de la communauté pendant des années, et dont l’équilibre fait partie des qualités d’Ancien qu’on lui reconnaît, a bien évidemment moins de risques de manifester une perversion sexuelle que celui, qui malgré sa bonne foi possible, s’engage, sans expérience sur le long terme dans un genre de vie particulier tel que celui qui comporterait une exigence de célibat.

Il s’agit là d’une simple constatation de bon sens dont on s’étonne qu’elle ait tant de mal à être reconnue comme telle, alors même qu’elle était de mise aux origines du christianisme et qu’elle paraît si évidente à tout théologien sommaire normalement constitué.

Alors, pourquoi de telles réticences ?

Il serait certes bien long d’en énumérer les causes. Stultitia tient cependant à la disposition des amateurs une bibliographie particulièrement fournie sur le sujet, que je vais essayer de synthétiser sans trop de caricatures.

On sait que l’un des moments essentiels de l’évolution théologique du christianisme a été sa rencontre avec l’Empire romain ainsi qu’avec sa religion, rencontre dont les effets se font donc véritablement sentir vers la fin du IVème siècle, sous l’empereur Théodose. Cette évolution s’explique sans doute à l’origine par des mobiles louables. Dans un monde qui se caractérise par l’inconsistance du pouvoir politique, l’Église, désormais institution reconnue, va remplir le rôle de pouvoir de substitution, en particulier en ce qui concerne la défense et la prise en charge des pauvres. Ainsi l’évêque a-t-il pu être qualifié de « pater pauperum » (père des pauvres. St. Jérôme, Épitre 52,6). Mais il faut bien reconnaître que les conséquences d’une telle réussite ont été durablement pernicieuses.

En particulier parce qu’elle va induire dans le christianisme un décalque des modèles juridiques et religieux de l’Empire.

C’est à ce moment en effet que va se préciser ce qu’on a pu nommer la « sacerdotalisation des ministères ».

Dans les communautés anciennes, nous l’avons vu, le choix des responsables est dévolu au groupe dans son ensemble. Une telle pratique demeure longtemps la norme.

Ainsi Cyprien de Carthage (200-258) défend-il, contre le pape Etienne, la nomination des évêques par l’assemblée toute entière :

« Il faut que là où l’on doit ordonner un chef pour le peuple fidèle, les évêques de la province se rassemblent et que l’élection de l’évêque se fasse en présence du peuple, qui connaît la vie et a pu apprécier la conduite de chacun en vivant près de lui. Nous voyons que les choses se sont ainsi passées chez vous pour l’ordination de Sabinus, notre collègue. C’est par le suffrage de toute la communauté des frères, et des évêques, qui ou étaient présents, ou avaient écrit, que l’épiscopat lui a été déféré » (Épître 67).

Et le pape Léon le Grand (vers 400-461) affirme, de son côté : « Celui qui les conduit tous doit être choisi par tous » (Ad Anastasium, Patrologie Latine, 54, 634).

Mais, on le sait, les procédures démocratiques peuvent être difficiles à gérer ; et dans le but d’en neutraliser les remous, la coutume va peu à peu apparaître chez les évêques de nommer eux-mêmes leurs propres successeurs, comme on le lit par exemple chez Saint Augustin  (354-430. Lettre 123, trad. Poujoulat et Raulx, Bar-Le-Duc 1864):

« Je suis donc allé à Milève, et, la miséricorde de Dieu aidant, on a tranquillement accepté le successeur que Sévère avait désigné de son vivant; le peuple a volontiers accueilli la volonté de l’évêque défunt, du moment qu’il en a eu connaissance. Un certain nombre, toutefois , se montrait contristé de quelque chose qui n’avait pas été fait; notre frère Sévère, croyant qu’il suffisait de désigner son successeur à son clergé, n’en avait rien dit au peuple; de là la tristesse de quelques-uns ».

Les communautés vont donc être de plus en plus dépossédées de la nomination de leurs ministres et ceux-ci vont s’inscrire dans les modèles institutionnels de l’Empire.

Dans un même temps, l’élément fondamental de la théologie du Nouveau Testament que constituait le déplacement radical du vocabulaire sacerdotal se voit occulté par un retour à la terminologie sacrale, au départ pour des raisons de parallélisme allégorique entre les deux « Testaments » (la Bible juive connaissant l’institution sacerdotale) puis pour des raisons plus complexes, spécialement des raisons de pouvoir et de politique. En particulier, le sens du terme « Ancien » (presbuteros, prêtre), choisi à l’origine pour éviter toute connotation sacrale, va être désormais absorbé par cette sacralité qu’il avait pour but de refuser.

L’influence du néo-platonisme aidant, on s’achemine ainsi vers la conception de « hiérarchies ecclésiastiques » (cf. Denys l’Aréopagite) douées de pouvoirs sacrés quasi magiques de par une plus grande proximité des sphères spirituelles. Le droit romain va désormais justifier la division de la société chrétienne en deux ordres, (ordines), celui des clercs et celui des laïques, en deux genres de vie, le « spirituel » et le « charnel » : « Duos ordines, clericorum et laicorum ; duae vitae, spiritualis et carnalis » (Etienne de Tournai, Summa, Prologue).

Car bien loin du solide bon sens des communautés primitives pour lesquelles la maturité sexuelle constituait un critère important dans le choix des responsables, ce sera désormais une continence sacrale fondée sur une dépréciation néo-platonicienne du corps, totalement à l’opposé de l’anthropologie judéo-chrétienne, qui va constituer la condition indispensable de l’accession aux responsabilités ecclésiastiques. Une telle sacralisation rituelle de la pureté sexuelle, excluant bien évidemment la femme, se structurera logiquement par la suite au niveau du droit canon dans l’obligation du célibat.

On arrive ainsi à l’image du prêtre telle que l’a consacrée le concile de Trente : « clerc » séparé du « laïque » du fait de son appartenance à un « ordre » supérieur dans la stratification des « hiérarchies spirituelles », qui lui confère un « caractère sacerdotal », une « différence essentielle », ontologique, de par sa plus grande proximité des « réalités célestes », il a retrouvé les caractéristiques du médiateur des religions païennes, qui lui permettent de jouir sans partage de cette « sacra potestas » (puissance sacrée) qui rend possible la « consécration » magique des offrandes et la transsubstantiation de la matière.

(notons au passage qu’un contre sens durable sur la signification d’un terme latin – le verbe exeritur transformé en exercetur – dans le formulaire liturgique du Sacramentum Veronense a rendu possible de comprendre l’Eucharistie de façon blasphématoire comme un « renouvellement » magique du sacrifice du Christ par l’intermédiaire du prêtre, alors qu’il s’agit, nous l’avons vu, d’un « mémorial efficace » – avec toute la densité que comporte ce terme dans la tradition juive – célébré par toute la communauté).

La prégnance du modèle indo-européen des « trois fonctions » cher à Georges Dumézil est bien entendu patente dans ce schéma féodal qui distingue les oratores (les « priants »), les bellatores (les « combattants »), et les laboratores (les « travailleurs »).

On arrive ainsi à cette auto-compréhension qui a profondément caractérisé la « spiritualité sacerdotale » durant des siècles :

« Le Fils de Dieu vous associe avec lui dans ses plus nobles perfections et dans ses plus divines actions: car il vous rend participants de sa qualité de médiateur entre Dieu et les hommes, de sa dignité de juge souverain de l’univers, de son nom et de son office de Sauveur du monde, et de plusieurs autres excellences dont il est orné; et il vous donne pouvoir d’offrir avec lui à son Père le même sacrifice qu’il lui a offert sur la croix (…) N’êtes-vous pas envoyés de Dieu pour former son Fils Jésus dans les cœurs? Si bien que vous avez une merveilleuse alliance avec les trois Personnes éternelles; vous êtes les associés de la très sainte Trinité; vous êtes les coopérateurs du Tout-Puissant en ses plus grandes œuvres.» (Jean Eudes, Le Prêtre, associé de la Trinité, Mémorial de la vie ecclésiastique, 1re p; Œuvres complètes 3, 14-16).

On comprend qu’une telle vocation, qui élève le clerc tellement au-dessus de la vie « charnelle » du simple laïque ait pu susciter l’enthousiasme. Ce n’est pas rien d’être « participants de (l)a qualité de médiateur entre Dieu et les hommes » et « coopérateurs du Tout Puissant en ses plus grandes œuvres » ! Et on sait que de nombreux prêtres se sont acquittés de cette tâche avec une réelle sainteté.

Mais on est bien loin de la spiritualité évangélique, pour laquelle la seule médiation « sacerdotale » qui subsiste est celle du Christ et de la communauté des croyants dans son ensemble.

Et après tout, les religions païennes, fondées sur la médiation du prêtre et son « pouvoir sacré », ont aussi donné bien des exemples de sainteté.

À part que ce sont des religions païennes…

Une spiritualité « sacerdotale » de ce type a donc été dominante jusqu’au concile de Vatican II, et il faut bien dire qu’il en est demeuré des séquelles non négligeables.

Y compris dans les textes de ce même concile !

Car on est très surpris de constater les récurrences de ce prurit sacerdotal, alors même qu’il serait aisé, si on faisait l’effort de « changer de mode de pensée » de réenvisager la question des ministères sur des bases plus saines et plus évangéliques.

Mais il demeure un « caractère sacerdotal », une « différence d’essence et non de degré », « ontologique », entre le « sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel », etc. ; toutes expressions dont la pérennité douteuse dans le bagage de la « tradition » ouvre encore de beaux jours à une herméneutique à la Dupanloup….. (cf. dans les archives mon post : « Ne pas hurler avec les Dupanloup »).

Car il s’agit là de ne surtout pas perdre la référence à la sacralité spécifique du prêtre !

Au besoin en s’aidant de quelques tricheries propres à étonner le théologien sommaire : « S. Paul recourt occasionnellement au vocabulaire cultuel pour parler de son ministère apostolique (Ph.2,17 ; Rm 1,9 ; 15,16). Celui-ci est en effet un ‘’service sacré’’ destiné à la sanctification des hommes » (P. Grelot, article Sacerdoce dans : P. Poupard ed. Dictionnaire des religions, II, p. 1761).

Mais, Mr. Grelot, où voyez-vous donc, dans les textes que vous citez, la moindre référence à un « service sacerdotal » autre que celui qui est reconnu par le Nouveau Testament à tous les chrétiens ? Les termes « thusia » (oblation) ou « leitourgia » (liturgie) utilisés par Paul n’ont aucun rapport avec la racine ιερ – hier- (hiereus, etc.) – bien évidemment à dessein et en cohérence avec toute la théologie néo-testamentaire – et donc aucune connotation sacerdotale particulière.

« La participation au sacerdoce du Christ à laquelle sont appelés évêques et prêtres fait de leur ministère un ministère sacerdotal (souligné) » (P. Eyt, id. ibid. p. 1762).

Mais, Mr. Eyt, pourquoi ne pas résolument privilégier des expressions telles que celle de « ministère presbytéral », puisque les textes fondateurs prennent bien garde de ne parler que de cela et d’évacuer encore une fois totalement la notion de sacerdoce, et que cela n’a jamais compromis les pratiques sacramentelles des communautés ?

La seule explication qui s’impose au théologien sommaire est celle-ci :

On peut se passer de bien des choses, mais pas du « pouvoir sacral », de la « sacra potestas ».

http://www.ina.fr/video/I05133720

Or, il est hélas plus qu’évident que la confiscation du discernement communautaire en ce qui concerne le choix des ministres, et en particulier l’évaluation de leur habilitation affective à exercer leurs fonctions, est un élément essentiel pour rendre compte des pratiques pédophiles qui entachent l’Église catholique, et ceci probablement depuis bien longtemps.

Vraisemblablement depuis que l’attachement au « pouvoir sacré » a étouffé le bon sens des critères en vigueur dans les premières communautés pour le choix des ministres : « mari d’une seule femme, sobre, pondéré, de bonne tenue, hospitalier, capable d’enseigner (…) sachant bien gouverner sa propre maison et tenir ses enfants » (I Timothée 3, 2-5).

Ainsi, sans nier les réussites magnifiques auxquelles a pu donner lieu une certaine « spiritualité sacerdotale », les révélations de ces dernières années obligent à constater qu’un tel système idéologique a aussi attiré à lui ou engendré les perversions sexuelles, de par la collusion monstrueuse et pathogène qu’il entretient entre la continence, le célibat et le « pouvoir sacré ».

Ainsi que par l’exclusion « ontologique » du féminin qui lui est consubstantielle, puisque la femme, ne pouvant être ordonnée est donc incapable de participer aux « excellences dont [le Fils de Dieu] est orné » (Jean Eudes, op.cit) et ne peut être coopératrice « du Tout-Puissant en ses plus grandes œuvres »(id. ibid). Par essence, elle doit se contenter des petites et des lots de consolation.

Parmi bien d’autres textes sur le sujet, on citera celui de la lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis du 22 mai 1994 :

« Afin qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l’Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères (cf. Lc 22,32), que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église ».

Et celui du Catéchisme de l’Église Catholique :

« Le Seigneur Jésus a choisi des hommes pour former le collège des douze apôtres, et les apôtres ont fait de même lorsqu’ils ont choisi les collaborateurs qui leur succéderaient dans leur tâche. Le collège des évêques avec qui les prêtres sont unis dans le sacerdoce, rend présent et actualise jusqu’au retour du Christ le collège des douze. L’Église se reconnaît liée par ce choix du Seigneur lui-même. C’est pourquoi l’ordination des femmes n’est pas possible ».

Diantre ! Les rédacteurs de ces textes censés faire autorité ne se sont donc pas rendus compte, après quelques vingt-et-un siècles, que les « hommes » en question étaient tous des juifs, et que, depuis saint Paul, les successeurs des apôtres ne sont plus nécessairement juifs ?

« Car tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus Christ. Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ.

Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ.

Et si vous appartenez au Christ, c’est donc que vous êtes la descendance d’Abraham ; selon la promesse, vous êtes héritiers ». (Épître aux Galates 3, 26-29).

Comme le reconnaissent les exégètes, ce texte constitue une proclamation solennelle de ce qui est reconnu par les chrétiens comme l’accomplissement des temps messianiques, dans lesquels « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ».

Il est donc étonnant qu’un très éminent représentant de la théologie classique, en un poste de responsabilité certes on ne peut plus élevé, et de très éminents théologiens classiques aient pu produire des déclaration de cet ordre, qui manifestent hélas – outre la surreprésentation classique du terme sacerdoce (cf. Fernand Raynaud ci-dessus…) – une incompréhension affligeante de ce qui constituait pour les premiers chrétiens une composante essentielle du messianisme.

Car de deux choses l’une : soit les temps messianiques sont accomplis, pour les chrétiens. Et dans ce cas on ordonne des évêques non juifs, et on ordonne des femmes.

Soit ils ne sont pas accomplis, le Christ n’étant pas le Messie. Et on n’ordonne ni femmes, ni évêques non juifs.

Après tout, pourquoi pas ? Mais dans ce cas-là, on a la cohérence de changer de religion, dit la théologie sommaire.

Et pourtant, outre la simple question de la légitimité, les femmes étant statistiquement moins sujettes aux perversions de type pédophile, en nommer aux postes de responsabilité aurait sans doute contribué à éviter l’ampleur de certaines catastrophes…

Dommage !

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(dessin de Plantu).

Sans doute de telles remarques nous ramènent-elle, peut être à la psychanalyse, au moins à la philosophie.

Pensons à la profonde définition de la santé et de la maladie par G. Canguilhem, en fonction de la capacité ou de l’incapacité pour un organisme vivant de produire de façon dynamique de la normativité face au renouvellement et à l’évolution de son environnement : « Parmi les allures inédites de la vie, il y en a de deux sortes. Il y a celles qui se stabilisent dans de nouvelles constantes, mais dont la stabilité ne fera pas obstacle à leur nouveau dépassement éventuel. Ce sont des constantes normales à valeur propulsive. Elles sont vraiment normales par normativité. Il y a celles qui se stabiliseront sous forme de constantes que tout l’effort anxieux du vivant tendra à préserver de toute éventuelle perturbation. Ce sont bien encore des constantes normales, mais à valeur répulsive, exprimant la mort en elles de la normativité. En cela elles sont pathologiques ». (Le normal et le pathologique, Paris, PUF 1998 (7) p. 137).

Ces constantes « que tout l’effort anxieux tendent à préserver d’éventuelles perturbations », et qui expriment l’état pathologique de « la mort de la normativité » sont celles-là même qui rendent impossible la résolution des problèmes, par incapacité de sortir des modes de pensée qui les ont engendrés.

Car une chose est de proclamer que les portes sont ouvertes, autre chose est d’accepter de sortir.

Or, comme dans « l’Ange Exterminateur », c’est bien là que le bât blesse….

Souhaitons donc au pape François d’être capable de faire ce pas !

(c’est un extrait du final de la version italienne. L’espagnole est indisponible et je n’ai pas trouvé hélas la française).

Ajout du 13/05/2016 :

Un rapide petit codicille à ce texte (qui devrait par ailleurs être précisé sur quelques points. J’y reviendrai sans doute).

La raison en est l’intention du pape « d’entrouvrir la porte de l’Église aux femmes ».

http://www.lemonde.fr/religions/article/2016/05/12/le-pape-francois-ouvre-la-voie-du-diaconat-aux-femmes-dans-l-eglise_4918505_1653130.html

Magnifique terminologie : pas question d’ouvrir. On « entrouvre »…

Et extraordinaire théologie !

Ainsi, non content de confirmer les allégations les plus pathologiques (au sens de  Canguilhem cf. ci-dessus) de ses prédécesseurs

[« Le sacerdoce réservé aux hommes est une question qui ne se discute pas », a-t-il écrit dans son encyclique Evangelii gaudium (2013)]

voilà qu’on définit implicitement des zones réservées à l’intérieur de la théologie sacramentelle, alors même que l’approche devrait en être globale et unitaire.

Parce qu’il faut bien satisfaire à l’esprit du temps et donner à croire de façon démagogique (et contre toute évolution de fond) qu’on œuvre pour la promotion de la femme, on entérine la division des sacrements en sacrements de première et de deuxième classe.

Ceux de deuxième classe pouvant donc être administrés par les diacres et les femmes, sortes d’êtres humains incomplets [soit définitivement, par essence, dans le cas de la femme, soit qu’ils n’ont pas encore accédé au statut de « coopérateurs du Tout-Puissant en ses plus grandes œuvres » (cf. Jean Eudes), statut qu’il leur reste toutefois possible d’acquérir du seul fait ontologique de leur caractéristique sexuelle] ;

ceux de première classe étant réservés aux seuls êtres capables de détenir ontologiquement et définitivement donc la « sacra potestas » qui leur ouvre, outre la présidence de l’Eucharistie, les postes de responsabilité dans l’Église catholique : les mâles.

On reste stupéfait de constater la capacité qu’a une institution de ruiner sa propre cohérence théologique et spirituelle, et avec elle sa crédibilité, dans le seul but de sauvegarder la sanctuarisation d’un « pouvoir sacral» qui n’a rien à faire avec le christianisme, dont on est en droit de penser qu’il ouvre des voies totalement à l’opposé (cf. encore Épître aux Galates 3, 26-29, citée plus haut).

Dommage aussi de voir un pape en apparence bien intentionné compromettre sa crédibilité en s’enferrant dans des impasses théologiques relevant moins du bon sens que des sketches de Fernand Raynaud (cf. encore ci-dessus).

Hélas pour l’Église catholique, Canguilhem, Buñuel et Einstein restent plus que jamais d’actualité !

cf. aussi:

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/11/04/quelques-breves-sur-le-mythe-de-la-croissance-verte-et-sur-la-necessite-denvisager-une-economie-de-leffondrement-et-sur-pasolini-les-homosexuels-les-femmes-et-les-scandales-d/

Ajout du 16/03/2017:

Peut-être une petite ouverture, en ce qui concerne l’ordination d’hommes mariés (de « viri probati », c’est-à-dire de personnes qui, conformément à la tradition du presbytérat telle qu’elle apparaît dans le Nouveau Testament (cf. ci-dessus, citation de I Timothée 3, 2-5), ont fait leurs preuves durant 10, 20, 30 ou 40 ans devant une communauté, laquelle peut donc attester qu’ils ne sont ni pédophiles, ni violeurs, etc., et qu’ils sont en mesure d’exercer des responsabilités).

http://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Pape/Se-dirigeton-vers-lordination-dhommes-maries-2017-03-09-1200830644

Ce serait une avancée certaine, même si elle sera loin de résoudre tous les problèmes, ce qui n’a pas manqué bien sûr d’être souligné, de façon parfois ambiguë par nombre de commentaires, qui utilisent manifestement cet argument pour justifier le statu quo.

Or, ne nous y trompons pas : ce n’est pas parce qu’une mesure théologiquement justifiée ne résout pas tous les problèmes qu’elle n’en est pas moins indispensable.

La nécessité fondamentale étant d’assurer la cohérence d’un discours et d’un agir si l’on veut en asseoir la crédibilité.

On regrette cependant qu’une telle avancée soit liée aux circonstances et apparemment réservée à certaines régions en manque de prêtres « classiques » plus qu’a une réflexion fondamentale sur la question des ministères (cf. post ci-dessus).

http://www.la-croix.com/Le-pape-Francois-envisage-reflexion-autour-lordination-hommes-maries-2017-03-09-1200830541

Encore une fois, si, pour le judaïsme, un problème concernant le « recrutement » des « ministres » de ses célébrations essentielles (Chabbat, Pessah, etc.) est inconcevable, c’est tout simplement parce que celles-ci sont demeurées ce qu’elles devaient être, des événements familiaux et communautaires présidés par les responsables de familles ou de communautés, et non par une caste cléricale détentrice d’une « sacra potestas », et dont la réduction ou la disparition signifierait alors effectivement la fin des célébrations.

Or, pour le judaïsme comme pour le christianisme primitif, du moment qu’il y a une assemblée de croyants, il y a nécessairement (on pourrait dire par définition, mais avant tout par foi en la Promesse) les personnes affectées à la vie de cette assemblée.

Je me permets de reprendre quelques lignes du post ci-dessus :

« Alors que les « Églises » chrétiennes primitives comptaient quelques milliards de fidèles de moins que de nos jours, les « ministères », les services n’ont jamais manqué en leur sein, puisque l’apôtre Paul félicite les quelques dizaines de fidèles d’une communauté d’être « comblés de toutes les richesses, toutes celles de la parole et toutes celles de la connaissance », « si bien qu’il ne vous manque aucun don de la grâce » (St. Paul, Première Épître aux Corinthiens, 1, 5-7). »

Si « le Chabbat a bien plus gardé les juifs que les juifs le chabbat », selon l’adage, alors il y aurait un contre-sens essentiel, blasphématoire, à priver de Chabbat ou de Pessah une communauté sous prétexte de l’absence de « ministres ». C’est d’ailleurs proprement inconcevable, le judaïsme résidant précisément dans la « mémoire efficace » des événements fondateurs de l’Histoire d’Israël, tels qu’ils sont signifiés à travers les fêtes et les célébrations.

Et si de façon identique « c’est l’Eucharistie qui fait l’Église », comme se plaisent à le répéter bien des théologiens (apparemment souvent sans en comprendre le sens…), alors il y a un contre sens essentiel à priver d’Eucharistie une communauté chrétienne. Ce devrait être tout aussi inconcevable, mais cela a tout de même été conçu du fait de l’altération institutionnelle décrite dans le post ci-dessus.

Un tel contre-sens radical n’a été rendu possible dans le catholicisme que parce que le besoin d’assujettissement des communautés au pouvoir clérical a primé sur la compréhension de la célébration et de son caractère essentiel à la vie et l’existence même de la communauté.

Faire qu’il y ait, au Brésil ou ailleurs, des communautés « chrétiennes » qui ne connaissent l’Eucharistie qu’une ou deux fois par an par « manque de prêtres » (selon la phraséologie de l’institution ecclésiastique) alors qu’il y a parmi elles des femmes et des hommes parfaitement capables d’assurer la présidence d’une célébration est un non-sens absolu et une incompréhension totale, blasphématoire, de ce qu’est le christianisme dans son essence et de ce que devrait être, par conséquent, une communauté, une Église chrétienne.

C’est privilégier de façon « pathologique » (au sens de G. Canguilhem, cité plus haut) le pouvoir clérical, jusqu’à priver les communautés de l’événement fondateur qui seul les rassemble et les fait vivre.

C’est la structure cléricale qui doit survivre ! Qu’importe ce qu’il peut advenir de la communauté chrétienne, et ce qu’il en advient. Il est plus légitime de réduire un peuple à la famine plutôt que de lui donner à manger par des mains qui n’ont pas reçu l’onction de la caste sacerdotale et de la « sacra potestas« .

Or, à l’attention de celles et ceux qui pensent que le retour à un minimum de cohérence chrétienne à travers l’ordination de « viri probati » (et/ou de femmes…) serait secondaire par rapport aux nécessités « missionnaires »,

http://religion-gaulmyn.blogs.la-croix.com/mariage-des-pretres-beaucoup-de-bruit-pour-rien/2013/09/13/

http://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Pape/Ordination-dhommes-maries-Ce-nest-pas-la-solution-car-ce-nest-pas-le-probleme-2017-03-09-1200830629

il faut tout de même rappeler que l’élément essentiel qui rend une communauté crédible et attirante, c’est avant tout sa cohérence.

À travail égal, le salaire des femmes risque hélas de demeurer encore longtemps inférieur à celui des hommes, et le fait de promouvoir une plus grande égalité ne résoudra certes pas tous les problèmes de l’emploi et du chômage.

Serait-ce une raison pour que les partis politiques ne considèrent pas l’affirmation de l’égalité comme une priorité ?

Et c’est bien avant tout le courage de ce genre d’affirmations qui rend un parti, une religion, une Église, dynamiques et « missionnaires », témoignant de ces valeurs « propulsives » qui sont tout simplement (cf. encore G. Canguilhem cité ci-dessus), la marque de la vie.