Il y a quelques semaines déjà, une recension par Hubert Guillaud de livres qui me paraissent essentiels, et sur lesquels j’espère pouvoir revenir.
Une fois de plus, je suis étonné que de tels ouvrages suscitent si peu d’échos, quand on les compare aux « subprimes de la pensée » ou autres inflations démagogico-politico-électorales dont se gargarisent les médias.
Quelques extraits de l’article :
http://internetactu.blog.lemonde.fr/2015/10/17/faut-il-prendre-leffondrement-au-serieux/#xtor=RSS-3208
« Les scénarios d’avenir énergétiquement vertueux, qui nous proposent de changer de modèle énergétique pour des solutions plus durables à base de solaire, d’éolien, d’hydraulique, de géothermie (…) sont tous basés sur des déploiements industriels ambitieux en matière d’énergie renouvelable – même si tous évoquent également, d’une manière plus ou moins appuyée, l’exigence à décroître.
Le problème, c’est le manque de disponibilité et de réserves de ressources en minerai et matières premières – ce que l’on appelle l’épuisement des éléments – pour capter, convertir et exploiter les énergies renouvelables.L’insoluble équation des ressources
C’est ce qu’explique l’ingénieur Philippe Bihouix, spécialiste de la finitude des ressources, dans son livre, L’âge des low tech [Collection Anthropocène, Seuil 2015]. Nous avons jusqu’à présent toujours trouvé des solutions techniques pour remplacer les ressources épuisées ou en chercher de nouvelles et produire de nouvelles énergies. Alors qu’alternent dans les médias sérieux les pires constats concernant l’état de notre planète et les annonces tonitruantes de nouvelles percées technologiques, nous sommes confrontés à une contradiction qui sonne comme un défi insurmontable.
Ressource après ressource, dans son livre, Bihouix égraine l’état de décomposition des stocks. Après avoir exploité les ressources les plus concentrées, nous sommes amenés à exploiter des ressources de moins en moins concentrées et donc de plus en plus difficiles à extraire et qui nécessitent de plus en plus d’énergie pour être transformées. Comme il l’explique très bien dans cet article où il résume son livre: « Nous faisons face à ces deux problèmes au même moment, et ils se renforcent mutuellement : plus d’énergie nécessaire pour extraire et raffiner les métaux, plus de métaux pour produire une énergie moins accessible. »
(…)
Cela relativise bien sûr « Le mythe de la croissance verte »:
« Les technologies que nous espérons salvatrices ne font qu’ajouter à ces difficultés. « Car les nouvelles technologies vertes sont généralement basées sur des nouvelles technologies, des métaux moins répandus et contribuent à la complexité des produits, donc à la difficulté du recyclage », explique le spécialiste en prenant plusieurs exemples. Pour réduire les émissions de CO2 par kilomètre, sans renoncer à la taille ni aux performances des véhicules, la principale solution est de les alléger, ce qui rend ceux-ci non recyclables en fin de vie. Les bâtiments à basse consommation consomment aussi des ressources rares via l’électronique qui les équipe ou les matériaux qu’ils utilisent. Bref, le « macro-système technique » que l’on imagine pour l’avenir, bourré d’électronique et de métaux rares… n’est pas soutenable.
Même si des innovations techniques stimulantes peuvent apparaître, leur déploiement généralisé et à grande échelle prend du temps… Et l’ingénieur d’enterrer sous les chiffres la généralisation des énergies renouvelables à grande échelle.
« Eolien, solaire, biogaz, biomasse, biocarburants, algues ou bactéries modifiées, hydrogène, méthanation, quels que soient les technologies, les générations ou les vecteurs, nous serons rattrapés par un des facteurs physiques : impossible recyclage des matériaux (on installe d’ailleurs aujourd’hui des éoliennes et des panneaux solaires à base de matériaux que l’on ne sait pas recycler), disponibilité des métaux, consommation des surfaces, ou intermittence et rendements trop faibles. Les différentes énergies renouvelables ne posent pas forcément de problème en tant que tel, mais c’est l’échelle à laquelle certains imaginent pouvoir en disposer qui est irréaliste. (…) Il n’y a pas assez de lithium sur terre pour équiper un parc de plusieurs centaines de millions de véhicules électriques et pas assez de platine pour un parc équivalent de véhicules à hydrogène. »
(…)
La planète n’a pas de plan BPour Philippe Bihouix, il n’y a pas de plan B. Comme il le dit dans son article. « Il nous faut prendre la vraie mesure de la transition nécessaire et admettre qu’il n’y aura pas de sortie par le haut à base d’innovation technologique – ou qu’elle est en tout cas si improbable, qu’il serait périlleux de tout miser dessus. Nous devrons décroître, en valeur absolue, la quantité d’énergie et de matières consommées. »
Tout cela nous ramène à l’urgence d’envisager non plus une économie de la croissance indéfinie (y compris démographique), qui devrait être désormais hors de propos, mais bien une économie de la décroissance généralisée, voire à prendre en compte de façon lucide et rationnelle, comme le font Pablo Servigne et Raphaël Stevens, un avenir caractérisé par l’effondrement :
L’effondrement
Notre avenir hésite donc entre une lente submersion et un effondrement. Rien de réjouissant.
L’effondrement, c’est pourtant la piste qu’explorent Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans un autre livre de la collection anthropocène du Seuil, qui sonne comme une suite ou un prolongement au titre de Bihouix. Dans le très documenté Comment tout peut s’effondrer, Servigne et Stevens envisagent le pire : rien de moins que l’effondrement de notre civilisation.
(…)
Bihouix, Stevens, Servigne nous invitent à prendre conscience que nous devons apporter des réponses innovantes et technologiques plus adaptées aux contraintes qui sont les nôtres. Que le déni du changement climatique et de la finitude des ressources ne nous aidera en rien. Ils nous invitent à affronter nos peurs et à y répondre. À être courageux… et donc ambitieux.
À lire d’urgence, donc.
Mais qui prend vraiment la mesure, au niveau politique, de ces nouveaux défis, et qui montre « le courage » et « l’ambition » d’y répondre ?
Bien sûr, l’une des voies fondamentales vers la résolution partielle de ces problèmes doit être, en plus de la décroissance économique, l’urgente décroissance démographique, dont il a été souvent question sur ce blog.
Mais la fin de la politique de l’enfant unique en Chine montre bien la difficulté de faire admettre la nécessité de cette régulation démographique urgente, face à l’appel à court terme des Sirènes de la croissance, de la production et de la gestion confortable des retraites.
Comme de celles d’un expansionnisme territorial, qui a coutume d’accompagner dans l’Histoire les démographies fortes, et dont la Chine, avec un budget militaire devenu le deuxième au monde et la plus importante armée du globe en termes d’effectifs, nous donne désormais des exemples en Extrême Orient…
http://www.bilan.ch/economie-plus-de-redaction/depenses-militaires-de-chine-de-russie-explosent
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Ce 2 novembre, quarantième anniversaire de la mort de Pasolini.
Et, à ma connaissance, pas un hommage, où que ce soit.
Aucune de ces chaînes qui se disputent quelques guignols satisfaits n’a eu l’idée de diffuser l’une de ces merveilles que sont Accatone, Mamma Roma, Uccellacci e uccellini, l’Évangile selon Saint Matthieu ou autre Théorème.
Œuvres d’une extraordinaire profondeur humaine et d’une rare exigence éthique, dans leur attention aux pauvres, aux humiliés et où apparaissent tant de figures christiques.
Mais ce n’est certes pas non plus du côté de l’Église catholique qu’on trouvera quelque évocation de l’auteur de ces chefs-d’œuvre, en dépit du miraculeux grand prix de l’Office catholique international du cinéma attribué en 1968 à Théorème, erreur de casting due à un jury irresponsable d’ailleurs rapidement désavoué par l’Institution.
Car l’homme était homosexuel, communiste inclassable, scandaleux…
Et il ne faut tout de même pas mélanger les torchons et les serviettes…
C’est déjà bien assez de l’habituelle condescendance empreinte de commisération, qui va jusqu’à concéder, dans ses élans les plus charitables, que les homosexuels peuvent parfois se comporter comme des êtres moraux, ou, avec un cardinal probablement d’avant-garde, qu’on peut même « avoir de l’estime » pour des homosexuels et reconnaître qu’ils ont « des dons et des qualités » (« Quelle audace ! Mais jusqu’où ira donc notre Église ? », s’exclame Stultitia stupéfaite).
On est en effet très heureux de l’apprendre. Car sans de telles envolées prophétiques, on aurait eu du mal à s’en douter.
On est cependant en droit de s’interroger sur la légitimité spirituelle de telles sommités institutionnelles, lorsqu’elles donnent la preuve que, dans ses plus hautes manifestations, leur discernement éthique est encore loin d’atteindre celui de l’homme de la rue de bonne volonté. Alors même qu’elles prétendent s’arroger la charge de l’admission des hommes à la communion d’un Dieu de miséricorde…
Pour ma part, s’il est quelque chose comme un Paradis, et s’il m’est donné un jour de m’y aventurer (« On peut toujours espérer une erreur d’aiguillage », me dit Stultitia, optimiste), je confesse que j’aurai plus de joie à m’y entretenir avec Pasolini ou García Lorca, mon maître de toujours, qu’avec nombre de fauteurs d’Inquisitions, de prêcheurs de croisades ou de bénisseurs de bourreaux franquistes et leurs complices, qu’ils soient papes, évêques ou saints dûment estampillés.
« Mais tu sais bien que la question ne se pose pas. Tu ne penses tout de même pas rencontrer des communistes dissidents ou des sodomites au Paradis » me dit Stultitia.
Soit.
Mais dans ce cas, j’avoue que je n’aurais pas grande estime pour le Maître des lieux. Et que j’irai sans doute voir ailleurs.
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Et, pour rester dans la tonalité ecclésiastique, ces quelques extraits d’un article de Laurence Desjoyaux, concernant le récent « Synode sur la famille », tirés de l’hebdomadaire « La Vie » :
http://www.lavie.fr/debats/chretiensendebats/au-synode-cherchez-la-femme-29-10-2015-67802_431.php
Des femmes invisibles
Comme le pointe Lucetta Scaraffia dans Le Monde, nombre de femmes présentes au synode ne semblent pas s’offusquer outre mesure de la place qui leur est réservée. Beaucoup d’entre elles sont d’ailleurs invitées au titre de membre d’un couple. « J’ai bien essayé de partager mes impressions avec les quelques autres femmes présentes au synode, mais elles me regardaient toujours avec étonnement : pour elles, ce traitement était tout à fait normal. La plupart n’étaient là qu’en tant que membre d’un couple – au moment des interventions de clôture, j’ai entendu d’improbables récits de mariages narrés de concert avec le mari », narre la journaliste.
Pourtant, insiste-t-elle, « les femmes sont quasi invisibles. Et quand je les évoque, avec force, dans mes interventions, me plaignant de leur absence alors même qu’il s’agit de débattre de la famille, on me trouve « très courageuse ». Me voilà applaudie, remerciée même parfois ; je suis un peu surprise, puis je comprends qu’en parlant clairement je les ai dispensés de le faire. »Dans une de ses interventions, publiée par La Vie, Lucetta Scaraffia n’a d’ailleurs pas hésité à dire clairement aux pères synodaux son regret sur cette faible place accordée aux femmes : « (…) dans le texte ou dans les débats, il est très peu question de nous, les femmes. Comme si les mères, les filles, les grand-mères, les épouses, c’est à- dire le cœur des familles, ne faisaient pas partie de l’Église, de cette Église qui comprend le monde, qui pense, qui décide. (…). Dans le monde les familles sont très différentes les unes des autres mais, dans toutes les familles, ce sont les femmes qui jouent le rôle principal et décisif pour en garantir la solidité et la durée. »
L’affaire du vote
Un événement a achevé de mettre les femmes à l’écart du processus de décision du synode sur la famille. L’impossibilité de voter pour les propositions finales. Une interdiction jugée d’autant plus injuste qu’un religieux non ordonné, le Frère Hervé Jeanson, prieur des Petits Frères de Jésus, a lui eu le droit de voter. Un droit qu’il a pensé un temps refuser par solidarité avec les religieuses femmes, comme il l’explique lors d’une conférence de presse au Vatican (…). « Moi-même j’ai été très mal à l’aise au mois de mai quand j’ai appris que le pape me donnait la permission d’être membre de plein droit (et donc de voter, ndlr). J’étais très mal à l’aise parce que avant la distinction c’était entre clercs et laïcs et maintenant ça devenait entre hommes et femmes, puisque les religieuses, elles sont trois, sont auditrice mais n’ont pas le droit de vote. C’est une question que moi-même je me suis posée en me demandant s’il fallait que j’accepte ou pas. »Dans la revue America, le jésuite James Martin analyse : « C’est une grave erreur pour le synode. Auparavant, du moins de ce que j’en sais, il semble que l’ordination ait été la condition sine qua non pour voter. En plus des évêques, certains prêtres étaient donc nommés membres votants. Des arguments théologiques solides permettaient de le justifier (…) Maintenant, il semble que la condition pour pouvoir voter n’est pas d’être ordonné mais d’être un homme. (…) Pour moi, c’est une forme de sexisme. »
[Sur tout cela, voir la « différence ontothéologique » entre hommes et femmes, signalée dans la deuxième partie de :
Un article sur les femmes dans le texte final
Le synode, zéro sur les femmes ? Pas tout à fait. L’article 27 du texte final leur est consacré (…)
Comme le note le blogueur Koz, « quand je lis que le synode (et notamment ce passage, ndlr) souhaite une « valorisation de la responsabilité des femmes dans l’Église », « leur intervention dans les processus décisionnels, leur participation au gouvernement de quelques institutions » – et jusque la participation des femmes à la formation des « ministres ordonnés », point peu relevé d’ailleurs – il me paraît indispensable que cela se traduise en actes. »
Pour lui, il est dommage que l’Église prête le flanc à la critique en réduisant la place des femmes au synode à portion congrue. « C’est fort rageant, parce qu’il ne serait pas bien compliqué d’y remédier, parce que cela ne me paraît pas correspondre à la réalité de l’Église au quotidien, que nous avons bien d’autres enjeux à traiter, et que cela nous soumet inutilement aux critiques. »Sœur Carmen Sammut, raconte, elle, qu’elle a accueilli avec soulagement cet article 27 dans le texte final du synode et qu’elle attend sa mise en œuvre : « samedi soir, j’ai eu la joie de voir, encore une fois, que l’Esprit Saint a le dernier mot, confie-t-elle à La Croix. Je suis heureuse que le texte final parle de la nécessité de défendre et de promouvoir la dignité de la femme, de la discrimination et des violences dont elle est souvent l’objet. Et il reconnaît que leur participation au sein de l’Église dans les processus de décision, dans la gouvernance de certaines institutions et dans la formation des prêtres, peut contribuer à une meilleure reconnaissance sociale des femmes. Nous attendons maintenant que ces déclarations soient mises en pratique. »
Déclarations extraordinaires, qu’on ne peut bien comprendre qu’en recourant aux fines analyses d’Albert Memmi, dans Le portrait du colonisé , Payot, Paris, 1973 :
« Je découvrais du même coup, en somme, que tous les Colonisés se ressemblaient ; je devais constater par la suite que tous les Opprimés se ressemblaient en quelque mesure » (p. 11).
Bien sûr, ces remarques valent pour la situation des femmes en général, mais aussi dans les religions et dans l’Église en particulier.
« Les ambiguïtés de l’affirmation de soi ».
Le colonisé s’accepte comme séparé et différent, mais son originalité est celle délimitée, définie par le colonisateur. (…)
(…) Oui, c’est bien cela, il en convient. Un auteur noir s’est évertué à nous expliquer que la nature des noirs, les siens, n’est pas compatible avec la civilisation mécanicienne. Il en tirait une curieuse fierté. En somme, provisoirement sans doute, le colonisé admet qu’il a cette figure de lui-même proposée, imposée par le colonisateur. Il se reprend, mais il continue à souscrire à la mystification colonisatrice (p.164).
« Ce mécanisme n’est pas inconnu : c’est une mystification. L’idéologie d’une classe dirigeante, on le sait, se fait adopter dans une large mesure par les classes dirigées (…). En consentant à cette idéologie, les classes dominées confirment, d’une certaine manière, le rôle qu’on leur a assigné. Ce qui explique, entre autres, la relative stabilité des sociétés ; l’oppression y est, bon gré mal gré, tolérée par les opprimés eux-mêmes » (p. 117).
C’est bien ce mécanisme de la « mystification » qui explique le regard étonné de ces femmes qui « ne semblent pas s’offusquer outre mesure de la place qui leur est réservée », dont parle plus haut Lucetta Scaraffia.
Mais quelle plus belle illustration de la dite « mystification » peut-on donner que celle qui consiste à faire accepter comme une promotion le fait que les femmes puissent participer à la formation de ceux qui les oppressent !
L’article 27, dans le texte final du synode « reconnaît que leur participation [celle des femmes] au sein de l’Église dans les processus de décision, dans la gouvernance de certaines institutions et dans la formation des prêtres, peut contribuer à une meilleure reconnaissance sociale des femmes » dit Sœur Carmen Sammut.
Sachant qu’une paranoïa institutionnelle et sacerdotale a écarté de façon « définitive » (sic) l’accès des femmes aux postes où s’exerce la responsabilité réelle, du fait de leur impossibilité « ontothéologique » de recevoir l’ordination dite « sacerdotale »,
le fait de les faire participer à la « formation des prêtres » devient un comble de l’ironie sournoise du colonisateur.
« Car elles devront bien enseigner à leurs élèves la lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis du 22 mai 1994, dans laquelle le pape Jean Paul II déclare : ‘’ C’est pourquoi, afin qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l’Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères (cf. Lc 22,32), que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église ‘’ », constate Stultitia en toute logique.
Ajoutons que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi précise que ce document relève de « l’infaillibilité »…
« C’est donc aux femmes elles-mêmes que sera confié le soin de perpétrer les justifications »théologiques » de la domination qu’elles subissent. Quel chef d’œuvre de la mystification colonisatrice ! » ajoute-t-elle, admirative.
Fort heureusement, le beau livre d’Albert Memmi se termine sur des notes optimistes: le colonisé peut guérir.
Mais,
« pour voir la guérison complète du colonisé, il faut que cesse totalement son aliénation : il faut attendre la disparition complète de la colonisation » (p. 168).
Ajoutons que cette guérison ne peut que servir à la santé du colonisateur lui-même :
« Certes, il y a un drame du colonisateur, qu’il serait absurde et injuste de sous-estimer. Car sa guérison suppose une thérapeutique difficile et douloureuse, un arrachement et une refonte de ses conditions actuelles d’existence. Mais on n’a pas vu assez qu’il y a drame aussi, plus grave encore, la colonisation continuant.
La colonisation ne pouvait que défigurer le colonisateur » (p. 171-172).
Quelle sera alors la solution qui permettra le rétablissement de la santé du colonisé aussi bien que celle du colonisateur ?
Memmi nous la dévoile sans équivoque :
« La révolte est la seule issue à la situation coloniale, qui ne soit pas un trompe l’œil, et le colonisé le découvre tôt ou tard. Sa condition est absolue et réclame une solution absolue, une rupture et non un compromis » (p. 155).
« C’est bien pourquoi il faut changer de paradigme », ajoute Stultitia, car, une fois encore, comme le dit Einstein, « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ».
PS : Au vu des « révélations » récentes de Gianluigi Nuzzi,
on pourrait penser que le pape a d’autres chats à fouetter que de s’occuper de questions théologiques.
Mais ce serait, je pense, une grave erreur.
Car il serait erroné de considérer que la grave « incurie curiale » dont témoignent les dites « révélations » relèverait de dysfonctionnements purement administratifs.
La racine est très probablement plus profonde : comme dans le cas des affaires de pédophilie, les incohérences et abus de pouvoir qu’elles révèlent ont été sans doute amplement favorisés par l’hypertrophie d’un pouvoir clérical fondé sur un dévoiement inhérent à la notion de « pouvoir sacré », elle-même blasphématoire.
De tels abus se manifestent donc bien sûr au niveau administratif, mais leur essence est avant tout théologique.
Leur résolution ne peut donc passer que par une révolution elle-même théologique (retour à la tradition biblique par l’évacuation du « contre sens » de la sacerdotalisation, reconsidération de la théologie des ministères et de l’habilitation aux fonctions sur des bases non cléricales, et donc réévaluation réelle – et non « mystificatrice » – de la place des femmes, etc.).
(Sur tout cela, cf. encore le post du 31/01/2014 mentionné ci-dessus).
Mais si François manifeste à l’évidence une volonté courageuse de s’attaquer aux symptômes, est-il vraiment en mesure, de par son approche théologique, d’extirper le mal à la racine ? Des remarques comme celles du jésuite James Martin mentionné plus haut semblent montrer que « le mode de pensée » qui a « engendré les problèmes » est encore bien vivant, et que le chemin, si tant est qu’il soit emprunté, risque pour le moins d’être bien long…