Du libertarianisme : qu’il n’est pas nécessairement synonyme de liberté. Et de la disparition d’Albert Memmi, dont l’œuvre nous a aidés à mieux la concevoir. Ainsi que d’Anne Soupa, sa disciple inattendue, qui met son enseignement en pratique en postulant à l’archevêché de Lyon. Quelques brèves.

Les mesures d’urgence sanitaire de la période de confinement dont nous commençons juste à sortir n’avaient certes pas grand-chose d’agréable, et certaines doivent bien sûr être rigoureusement limitées dans le temps sous peine de restrictions effectives des libertés.

Mais j’avoue avoir de la peine à reconnaître ces « restrictions de libertés » dans certaines mesures qui ont été prises, et qu’on voudrait à toute force nous présenter comme « dérives liberticides ».

Une fois de plus, il conviendrait de mieux préciser le sens des mots, en particulier ce que nous entendons par ce terme si commun mais pourtant souvent confus et galvaudé de « liberté ».

Si, comme le dit Rousseau, alors que « l’impulsion du seul appétit est esclavage, l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » (Du Contrat Social, I,8) on ne voit pas en quoi l’attachement à quelques-uns de nos appétits, à nos conforts, voire à nos caprices individuels aurait à faire avec une Liberté majuscule qui, elle, ne peut se penser que dans une dimension communautaire et sociale, et ne peut prendre corps que par la médiation d’une Loi ayant pour but de préserver le bien commun.

C’est une attitude quelque peu adolescente qui consiste à considérer la Loi et l’Interdit qu’elle suppose comme brimade ou oppression. On ne peut nier bien sûr que certaines lois peuvent l’être, et il est nécessaire d’entretenir sur ce point une vigilance rigoureuse. Mais la fonction première et essentielle de la Loi, qui s’accompagne nécessairement au dire de Kant d’une « contrainte qui conduit à l’usage de la liberté », est de nous libérer de l’enfermement de la pulsion en opérant une rupture, instauratrice de notre humanité. Ainsi, pour l’anthropologue, l’interdit de l’inceste constitue-t-il la « règle d’or de la société », l’instauration d’un ordre de l’échange contre l’ordre de la confusion ; le psychanalyste y reconnaît, lui, la condition de la structuration et de la survie du désir, par l’instauration d’une « frontière » qui lui évite de se dissoudre dans l’indétermination fusionnelle et le « fantasme de toute puissance », etc. etc.

Peut-être faudrait-il alors raison garder, et ne pas confondre de façon bien rapide et quelque peu infantile liberté et refus de toute contrainte, confusion qu’on rencontre sous des formes diverses dans des mouvements qui ont à voir avec ce qu’on nomme libertarianisme.

Car enfin, en quoi la limitation du nombre de députés présents dans l’hémicycle, le port du masque obligatoire dans certaines circonstances, la restriction des déplacements, la fermeture des frontières, la mise en quatorzaine des personnes arrivant de zones contaminées, etc. etc. devraient être considérés négativement comme « restrictions de libertés » plutôt que positivement comme libération d’un égoïsme autocentré, actes de solidarité responsable, garantie donnée à la liberté de chacun de ne pas être mis en danger par l’irresponsabilité d’autrui  ?

Sans doute suis-je indécrottablement old-fashioned, mais j’avoue avoir du mal à concevoir en quoi marcher sur le trottoir plutôt que sur la chaussée, m’arrêter aux feux rouges, ou passer par la douche ou le pédiluve avant d’entrer dans la piscine municipale pourraient constituer en quoi que ce soit des brimades et des « restrictions des libertés ».

Or ne pas porter de masque dans des lieux publics en période de grave pandémie, ne pas contrôler les déplacements de personnes potentiellement contaminées par un virus particulièrement contagieux n’est-il pas autrement plus grave que rentrer dans une piscine avec des pieds non lavés depuis la veille ?

On serait donc en droit d’attendre un peu plus de prudence et de bon sens, et un peu moins d’idéologie dans le maniement des termes de « restriction », voire de privation de liberté dans le contexte qui est le nôtre.

Si, comme cela paraît raisonnable, la liberté individuelle et en particulier dans les circonstances que nous avons connues celle de jouir de sa propre santé, n’existe que par la liberté d’autrui, il est plutôt inquiétant de constater à quel point certains défenseurs acharnés – soi-disant « de gauche » ou « anarchistes » – de libertés prétendues fondamentales peuvent faire cause commune avec certains exemplaires d’idéologies douteuses se faisant un titre de gloire du mépris de toute mesure de restriction ou de confinement.

Car, pour en revenir à mon post précédent, il n’est pas évident que les tendances sommairement et puérilement libertariennes d’un Trump ou d’un Bolsonaro, lointains héritiers du Docteur Mandeville (cf. aussi post précédent), aient grand-chose à voir avec ce qu’on est en droit de nommer Liberté.

Sans doute ce qu’on désigne comme « libertarianisme » est-il chose complexe, et les libertariens se présentent-ils de façon diversifiée, parfois même contradictoire.

Mais, comme le rappelait à juste titre M. Rocard dans mon post cité, les origines de la pensée libérale étaient marquées par une approche proprement moraliste. Cela vaut aussi pour la pensée libertarienne qui en est issue. Et tout comme dans le cas du libéralisme, les successeurs des pères fondateurs du libertarianisme sont loin d’avoir conservé une telle connotation.

Le cas est flagrant pour ce qui est de ses branches américaines, réduisant l’État à son minimum régalien, refusant l’impôt autant que la redistribution, les dépenses sociales autant que la solidarité en matière de santé ou la défense de la biodiversité, prônant la liberté individuelle comme valeur suprême au point de refuser, entre autres, toute loi contrôlant le commerce des armes à feu, etc.

Comme on l’a vu encore, de telles théories conçoivent la nature humaine de façon fondamentalement optimiste, raison pour laquelle, dans un tel modèle, le déploiement d’une « liberté » individuelle sans régulation est censé aboutir de manière spontanée au bonheur de tous.

Il n’est donc pas étonnant que certaines rencontres puissent avoir lieu avec l’anarchisme, dans le cas en particulier des tendances dites anarcho-libertaires, tendances qui peuvent là encore se réclamer de l’optimisme anthropologique des pères fondateurs.

« Nous reconnaissons la liberté pleine et entière de l’individu ; nous voulons la plénitude de son existence, le développement libre de toutes les facultés. Nous ne voulons rien lui imposer et nous retournons ainsi au principe que Fourier opposait à la morale des religions, lorsqu’il disait : Laissez les hommes absolument libres ; ne les mutilez pas — les religions l’ont assez fait. Ne craignez même pas leurs passions : dans une société libre, elles n’offriront aucun danger » (P. Kropotkine, La morale anarchiste, Mille et Une Nuits, Paris 2004, p. 60).

Car il faut effectivement une certaine dose d’un tel optimisme anthropologique pour soutenir qu’un « développement libre de toutes les facultés » allant jusqu’à la désinhibition des passions et l’abolition des sur-moi individuels et sociaux « n’offre aucun danger » et puisse contribuer au bonheur de tous…

Il est permis au contraire de trouver particulièrement inquiétantes et dangereuses certaines rencontres entre mouvements libertariens d’origine anarcho-libertaire et groupements néo-nazis.

Et ce genre de rapprochement de plus en plus fréquent ne concerne pas hélas que les États-Unis

Il serait donc pertinent de ne pas entretenir une confusion pour le moins ambiguë entre la Liberté et ce qu’en font certaines interprétations quelque peu simplistes d’un libertarianisme bien loin d’être au-dessus de tout soupçon.

*****

On éprouve toujours de la tristesse à la disparition d’un personnage qui a été une référence dans notre cheminement intellectuel, mais aussi tout simplement humain.

Tristesse plus vive encore quand elle s’accompagne d’hommages plutôt insignifiants, loin d’être à la mesure de l’importance d’une pensée et de sa trace dans l’Histoire des hommes.

Cela n’est pourtant pas très surprenant, car Albert Memmi a été tout au long de sa vie « guelfe avec les gibelins et gibelins avec les guelfes », n’ayant pour seul guide qu’un intransigeant désir de rigueur et de vérité.

Et on le sait, cette devise érasmienne implique qu’on est le plus souvent honni à la fois par les guelfes et par les gibelins…

Loin des poncifs marxisants ou autres, et des abords idéologiques réducteurs, A. Memmi a donc dénoncé aussi bien les abus du colonisateur et la « mystification » qu’il opère sur le colonisé (Portrait du Colonisé précédé de Portrait du Colonisateur, Paris, Correa, 1957),

« Les ambiguïtés de l’affirmation de soi ».

Le colonisé s’accepte comme séparé et différent, mais son originalité est celle délimitée, définie par le colonisateur. (…)
(…) Un auteur noir s’est évertué à nous expliquer que la nature des noirs, les siens, n’est pas compatible avec la civilisation mécanicienne. Il en tirait une curieuse fierté. En somme, provisoirement sans doute, le colonisé admet qu’il a cette figure de lui-même proposée, imposée par le colonisateur. Il se reprend, mais il continue à souscrire à la mystification colonisatrice (op. cit. p.164).
Ce mécanisme n’est pas inconnu : c’est une mystification. L’idéologie d’une classe dirigeante, on le sait, se fait adopter dans une large mesure par les classes dirigées (…). En consentant à cette idéologie, les classes dominées confirment, d’une certaine manière, le rôle qu’on leur a assigné. Ce qui explique, entre autres, la relative stabilité des sociétés ; l’oppression y est, bon gré mal gré, tolérée par les opprimés eux-mêmes (id. ibid. p. 117).

que la perversion du décolonisé par le culte du chef, la corruption ou les divers mythes identitaires ou victimaires :

Il faut enfin en venir à l’essentiel : rien ne peut remplacer la prise en main des peuples par eux-mêmes, comme ils l’ont fait lors des décolonisations. Ils doivent récupérer leurs richesses et, pour cela, commencer par se débarrasser des raïs et des caudillos, putschistes et complices des possédants, internes et externes, des líder máximo, titre comique de Fidel Castro, et des combattants suprêmes, titre paranoïaque de Bourguiba vieillissant, ainsi que des imams politiciens et des mythes compensateurs qui perpétuent la stagnation sinon la régression. C’est seulement cette liberté retrouvée qui permettrait le dosage pragmatique de la part nécessaire de libéralisme économique et celle d’une économie dirigée, selon les besoins spécifiques de chacun et de chaque situation (Portrait du décolonisé arabo-musulman et de quelques autres, Gallimard, Paris, 2004, p.58).

Ces différents « portraits » constituant de géniaux passe-partout qui permettent de comprendre avec finesse aussi bien la discrimination des afro-américains que l’oppression des palestiniens, ou encore la situation de la femme dans l’église*, mais aussi les errements possibles, voire inévitables, de tout mouvement de libération.

Car si Albert Memmi était très profondément humaniste, il n’avait rien du « bisounours ».

Son approche rappelle la théorie des « umori » de Machiavel, qui soutient qu’un antagonisme insurmontable existe du simple fait que « le peuple désire n’être ni commandé ni opprimé par les grands, et que les grands désirent commander et opprimer le peuple » (Le Prince, IX) ; ceci contre des représentations (aristotélicienne, marxistes, anarchistes ou autres) professant que la Cité, la Polis, est un être naturel tendant nécessairement à une harmonie qui finit – avec ou sans « dialectique » – par surmonter les tensions.

Loin de cette vision optimiste à laquelle il a aussi été fait allusion ci-dessus à propos des prétentions libertariennes, Memmi le réaliste considère que l’homme est par nature – et reste – un prédateur.

Et si, bien entendu, la réduction de cette violence prédatrice constitue l’un des buts essentiels du Politique, nul ne peut affirmer que cette composante de l’humain puisse être un jour éradiquée.

(Cf. par ex. à la fin de cette conférence, la « question du public » : « quand le colonisé devient le colonisateur »).

L’Histoire est le milieu des hommes comme ils sont, espace de leur liberté dans sa dimension tragique, et non le champ où s’accomplirait quelque nécessaire processus d’ordre métaphysique.

Mentionnons encore l’apport capital d’A. Memmi en ce qui concerne l’analyse du racisme :

« Sa définition du racisme, proposée dans la Nef en 1964 et reprise dans l’Encyclopædia Universalis, fait encore référence : «Le racisme est la valorisation, généralisée et définitive, de différences réelles ou imaginaires, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de justifier ses privilèges ou son agression». Elle constitue une remarquable synthèse des éléments constitutifs de l’attitude raciste : l’insistance sur des différences, que celles-ci soient réelles ou imaginaires, leur valorisation au profit du raciste, leur absolutisation par la généralisation et leur caractère définitif et, enfin, leur utilisation contre autrui en vue d’en tirer profit.

À cette précision définitionnelle, Memmi ajoute une grande lucidité. En effet, contrairement à la vulgate dominante, il ne limite pas le champ des différences valorisées au registre biologique mais, au contraire, met l’accent sur leur caractère polymorphe : «En fait, l’accusation raciste […] tantôt part de la biologie, tantôt de la culture, pour généraliser ensuite à l’ensemble de la personnalité, de la vie et du groupe de l’accusé. Quelquefois, le trait biologique est hésitant ou même absent. En somme, nous nous trouvons devant un mécanisme infiniment plus varié, plus complexe, et malheureusement plus courant que peut le laisser croire le terme strict de racisme». Il faudrait, ajoutait-il, songer à le remplacer par un autre mot, ou une locution, qui exprimerait à la fois la variété et la parenté des démarches racistes : l’«hétérophobie». Dès lors, si nous sommes tous exposés à l’hétérophobie, en tant que donnée spontanée inscrite dans notre condition, le racisme, lui, est un phénomène social qui se singularise en empruntant aux traditions culturelles de chacun. Il est donc une illustration particulière d’un mécanisme plus vaste ». (Alain Policar, dans Libération).

Il faudrait bien sûr parler encore du talent proprement littéraire d’Albert Memmi dans ses romans le plus souvent autobiographiques, en particulier la Statue de sel, et Agar, marqués par toute la richesse de sa triple culture, arabe, juive et française, de ses nombreux essais et articles, etc.

Je me contenterai d’évoquer pour finir une profession de foi de ce grand humaniste :

Si les hommes étaient raisonnables, sinon rationnels, ils verraient qu’ils ont intérêt, puisqu’ils sont destinés à vivre ensemble, à rechercher ce qui les rapproche plutôt que ce qui les différencie, donc les oppose : autrement dit des dénominateurs communs. Ce n’est pas le lieu de les énumérer exhaustivement ni d’exposer en détail ce que pourraient en être les modalités pratiques ; il faut bien laisser quelque chose aux politiques. Et ce n’est pas le dessein de ce livre qui se veut surtout une description ordonnée. Nous avons cependant assez suggéré qu’il faut commencer par l’éradication de l’extrême pauvreté grâce à une plus juste répartition et une meilleure gestion des richesses ; lesquelles devront appartenir à tous et non à quelques-uns ; y compris les énergies naturelles. La suppression radicale de la corruption et du despotisme en sont les conditions préalables. La promotion d’une morale universelle est évidemment à ce prix. Cette morale comportera nécessairement la laïcité, car, sans elle, c’est encore la séparation et la guerre. La laïcité n’est pas l’interdiction de pratiquer ses rites religieux, ce qui serait une autre tyrannie ; elle est un accord institutionnel pour protéger la liberté de pensée de tous, y compris des agnostiques, contre les ingérences des Églises et les exigences de tous les fanatismes. Il faudrait, pour cela, en finir avec la confusion entre les appartenances religieuses et les appartenances sociales, entre la religion et la culture, entre l’islam-culture et l’islam-démographie. Un Arabe n’est pas indissolublement un croyant islamiste, pas plus qu’un juif n’est obligatoirement un habitué de la synagogue, ni un Français un paroissien fidèle. Il faudrait inventer des termes nouveaux qui expriment ces distinctions. La laïcité est la condition première d’un universalisme véritable, celui qui, sans traquer les singularités, les transcende. Cela signifie également un véritable droit international, non truqué comme il l’est souvent encore, qui, sans méconnaître les traditions locales ou coutumières, s’impose à eux, avec des sanctions, et des forces pour les faire appliquer ; sans lesquelles il serait un vain formalisme. Pour réaliser ce programme, il faudrait enfin que nous nous convainquions tous de notre solidarité ; dans le monde qui se construit tous les jours, personne ne peut plus faire cavalier seul. La solidarité n’est pas seulement un concept philosophique et moral, c’est une nécessité pratique, sans laquelle nous vivrions dans une tourmente permanente. Et enfin, contre les emportements des passions et les aveuglements des préjugés, suivre, autant que possible, les suggestions de la rationalité, condition de toutes ces mesures, mère du développement des sciences et des arts, et même d’une morale commune. La seule issue enfin serait l’instauration d’une véritable organisation internationale et d’en finir avec des instances partisanes. (Portrait du décolonisé… op.cit. p.61).

Pas grand-chose à ajouter à ce beau programme. Si ce n’est le courage de le mettre en œuvre.

Merci, Monsieur Memmi, de nous en avoir indiqué le chemin avec tant de persévérance !

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*Et puisque j’avais utilisé Albert Memmi dans un post traitant de la condition de la femme dans l’Église catholique, quelle plus belle illustration donner de la fécondité de ses idées que cette initiative d’Anne Soupa présentant sa candidature comme archevêque de Lyon ?

https://www.pourannesoupa.fr/

Je suis sûr que M. Memmi se réjouirait de cette courageuse rébellion contre une colonisation séculaire.

« La révolte est la seule issue à la situation coloniale, qui ne soit pas un trompe l’œil, et le colonisé le découvre tôt ou tard. Sa condition est absolue et réclame une solution absolue, une rupture et non un compromis » (Portrait du Colonisé, op.cit. p. 155).

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Ajout du 21/06:

La disparition d’une autre très grande figure, que l’intransigeance dans la recherche de la vérité rapproche d’Albert Memmi :

https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2020/06/21/zeev-sternhell-historien-israelien-specialiste-du-fascisme-est-mort_6043620_3382.html

Tout comme dans le cas de Memmi, la disparition rapide de l’article de la « Une » du site au profit de réflexions de fond concernant le caractère indispensable ou non de la pénétration dans la vie sexuelle et autres informations essentielles illustre une fois de plus le discernement et le niveau d’exigence éducative de nos chers médias.

« Un homme ça s’empêche ». Une femme aussi. De « l’affaire Asia Argento » et d’un bisounoursisme infantile qui, en confondant conviction et responsabilité entrave l’agir éthique et politique.

Au vu du nombre de commentaires qu’elle sucite, « L’affaire Asia Argento » semble émoustiller les esprits et risque fort de défrayer la chronique durant les quelques jours de vacance qui nous restent.

On pouvait pourtant s’attendre à quelque événement de ce genre.

Sauf à cultiver cette incorrigible propension à un bisounoursisme binaire qui, de façon récurrente, fausse notre approche de la « verità effettuale della cosa », selon les termes de Machiavel, pour lui substituer un manichéisme infantile.

En nous faisant décréter une fois pour toute quels sont les bons et quels sont les méchants, il nous empêche d’appréhender l’humain dans sa complexité, et donc d’envisager quelques remèdes possibles, éthiques et politiques, aptes à améliorer sa condition d’une façon qui ne relève pas du pur fantasme.

Cette disposition à l’infantilisme se développe pourtant à partir de constats qui se fondent sur une réalité indiscutable et sur la légitime indignation qu’elle suscite :

Car il y a bien une exploitation du faible par le puissant, du pauvre par le riche, du prolétaire par le capitaliste.

Il y a un racisme qui a instauré et qui instaure encore une discrimination entre les êtres humains.

Il y a un colonialisme qui a instauré et qui instaure encore, sous des formes diverses – néo-colonialisme, nationalismes, etc. – l’aliénation de peuples ou de minorités.

Il y a une homophobie qui a instauré et qui maintient un déni de reconnaissance et de droit envers des catégories de personnes.

Il y a un sexisme qui, à l’évidence, a historiquement institué et maintient une inégalité entre les sexes, inégalité qui s’accompagne d’oppression, d’humiliations, d’abus divers et d’injustices.

Tout cela relève du constat de fait, indéniable.

Et tout cela exige de notre éthique, de notre droit, de nos institutions politiques, qu’il y soit porté remède de la façon la plus efficace possible.

Et il faut savoir gré à Mme Argento d’avoir œuvré en ce sens.

 

Mais il semble aussi relever de l’indéniable constat de fait que l’humain, sous sa forme sexuée – homme et femme – demeure partout et en tous temps le même.

« Pensant pour ma part à la façon dont procèdent les choses, j’estime que le monde a toujours été pareil et que toujours il y a eu en lui autant de bien que de mal … », nous dit encore Machiavel (Discours sur la première décade de Tite Live, II, Avant-propos, Œuvres, Robert Laffont, Paris 1996, p. 292).

Pour rendre notre agir cohérent et opératoire, il ne suffit pas, à la manière du « partisan de l’éthique de conviction » dont nous parle M. Weber (Le savant et le politique, Plon 1959, 10/18, Paris 1993, p. 172-173) de ne se sentir « ‘’responsable’’ que de la nécessité de veiller sur la flamme de la pure doctrine afin qu’elle ne s’éteigne pas » (…) « Nous devons répondre des conséquences prévisibles de nos actes », en prenant en compte autant que possible la complexité de l’humain.

Il est donc bien sûr indispensable de remédier à l’exploitation du faible par le puissant. Cela n’est pas négociable. Mais il serait infantile de penser qu’une « société sans classe » ou autre paradis fantasmé mettra fin définitivement à l’exploitation et aux conflits. Cela relèverait de la pure conviction, et non de la responsabilité.

Il est indispensable de remédier à toute ségrégation raciste. Cela n’est pas négociable. Mais il serait infantile de penser qu’un noir, un jaune, un rouge, serait, en soi, meilleur qu’un blanc. Respecter le droit d’autrui doit inclure que cet autrui est tout simplement un humain, et non un idéal fantasmé. Le fait qu’un noir, un jaune, un rouge ou encore un migrant, quelle que soit sa couleur de peau, soit tout autant qu’un autre capable de délits ou de crimes n’entache en rien le droit (dont le droit d’asile) qui cherche à établir les normes auxquelles tous les humains doivent s’efforcer de rendre leur agir adéquat.

Il est indispensable de remédier à toute domination coloniale, néocoloniale, à tout déni du droit des minorités. Cela n’est pas négociable. Mais il serait infantile de penser qu’un être décolonisé serait par essence meilleur qu’un autre. Le droit inaliénable qu’a tout humain de ne pas être colonisé, s’il doit être fermement inscrit dans ces normes qui font l’honneur de l’humanité, ne changera pas pour autant le fait. On le sait, l’indispensable reconnaissance de leur droit légitime n’a pas été synonyme pour les peuples décolonisés d’un accès à un monde sans guerres ni violence.

Il est indispensable de remédier à toute discrimination homophobe. Cela n’est pas négociable. Mais il serait infantile de penser que les homosexuel.le.s seraient autre chose que des êtres humains comme les autres, avec leurs richesses et leurs faiblesses, et donc aussi avec leurs éventuelles limites et incohérences.

Pour en revenir à ce qui nous occupe, il est donc tout aussi indispensable de remédier à toute discrimination sexiste. Cela n’est pas négociable. Mais il serait tout aussi infantile de penser que les femmes ne sont pas des hommes comme les autres, et comme telles susceptibles de délits et de crimes, comme nous le rappelle peut-être (car la prudence s’impose face à l’emballement médiatique …) à son corps défendant Mme Argento.

On peut bien sûr regretter qu’il faille un début à ce genre de révélations, mais cela reste hélas de l’ordre du banal et du prévisible.

Mais une fois cette évidence reconnue, en quoi donc la nécessité et la légitimité des mouvements féministes dans leurs diverses expressions devraient-elles être mises en question par le comportement de certaines, comme voudraient nous le faire croire bien des commentaires ?

Les délits d’un africain ou d’un chinois n’invalident pas la lutte anti-raciste, ni les excès d’un homosexuel le combat contre l’homophobie.

Loin d’en remettre en cause les exigences, délits et crimes ne font que manifester notre faillibilité et notre difficulté à adhérer aux impératifs éthiques et aux normes juridiques dont nous percevons cependant la nécessité vitale.

Merci donc, Mme Argento, pour votre contribution à ce qui est et restera un incontestable progrès du droit des femmes.

Mais, vous le savez désormais, revendiquer et défendre le droit n’est pas suffisant.

Le droit est une structure formelle qui ne vit que par l’adhésion consciente et libre de personnes qui décident, au-delà de ce qui est, de faire être ce qui doit être.

Et c’est là que vous avez failli. Car, comme le disait Camus par la voix de son père (Le premier Homme, Folio, p. 78) : « Un homme, ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme, ou sinon… ».

Une femme aussi. Une femme aussi doit savoir « s’empêcher ». Faire être l’éthique et respecter le droit de toutes et de tous en luttant contre la pulsion lorsque celle-ci peut nuire à autrui ou le détruire. Et non se contenter de la simple conviction et de « la flamme de la pure doctrine ».

« Ou sinon… »

 

Cette allusion à la sentence si simple et si puissante du père de Camus, qui semble avoir structuré l’essentiel de l’éthique de son fils, me renvoie à ce qui me paraît être une confusion inhérente à bien des discussions autour de la « loi contre les violences sexuelles et sexistes » promue par Marlène Schiappa, en particulier en ce qui concerne le débat à propos de « l’âge légal du consentement » lors de la qualification des crimes sexuels sur mineur.e.s.

Car, si la détermination d’un « âge du consentement » est bien entendu nécessaire au regard de la loi, cela ne me paraît pas devoir être la question essentielle dans le cas des délits ou des crimes sexuels concernant les mineurs. Cette question du consentement restant par contre primordiale quand il s’agit de rapports entre personnes adultes.

Dans le cas d’un rapport entre adulte et mineur, la question essentielle concerne la responsabilité de l’adulte, et non le consentement ou non du mineur. Le délit ou le crime réside dans l’incapacité, ou le refus (qui qualifiera alors la perversité) de l’adulte de « s’empêcher », de se maîtriser. Car quelle que soit l’attitude de l’enfant, la responsabilité ne doit incomber qu’à l’adulte.

Évaluer le degré de consentement est chose difficile dans le cas des adultes. Dans le cas des mineurs, cela risque fort de mener sur des voies erronées en ce qui concerne la qualification de la responsabilité pénale.

Car là encore, un certain  bisounoursisme  bien éloigné de la psychologie réelle semble vouloir exonérer les enfants de tout consentement aux sollicitations sexuelles.

Or, c’est loin d’être le cas. Même si cela peut gêner ou démythifier une certaine vision de l’enfance, la réalité se révèle plus complexe.

On pourrait bien sûr évoquer la « Lolita » de Nabokov dont les douze ans ne modèrent pas la nymphomanie.

Mais tous les enseignants et éducateurs qui ont eu des contacts avec les adolescent.e.s savent combien la prudence et la capacité de « s’empêcher » sont de règle s’ils ne veulent pas s’engager – et engager leurs élèves – dans de bien répréhensibles aventures.

Pour ma part, entre autres exemples, j’ai connu un homme ayant commis la faute de céder aux avances débridées et réitérées d’une gamine de treize ans.

Non que le fait de reconnaître que la Lolita ait été l’instigatrice de la chute de l’adulte disculpe la responsabilité de ce dernier.

Bien au contraire.

Être un homme, une femme, un adulte, c’est justement être capable de « s’empêcher », de s’interdire face aux avances d’un enfant en demande, d’un enfant « consentant », dont il est si facile de profiter.

Car le consentement d’un enfant ne peut être assimilé à celui d’un adulte.

Il devrait faire partie de l’expérience de tout adulte de savoir que tout.e adolescent.e est une « bombe pulsionnelle » capable de tout, que l’adulte se doit d’accompagner sur son chemin de maturité afin que la puissance vitale brute et désordonnée qui habite l’enfant puisse trouver les chemins qui ne nuiront ni à lui-même ni aux autres.

Bien plus que la question du consentement ou non de l’adolescent.e (car chez lui ou elle, il peut justement y avoir un type d’attente, voire de provocation qui ne demande qu’à consentir), c’est donc bien la question de la capacité de l’adulte à « s’empêcher » qui est centrale.

Et, comme le reconnaît Camus suivant la leçon de son père, c’est bien l’attitude de l’homme qui ne « s’empêche » pas qui qualifie le crime, indépendamment de ce que peut être l’attitude de l’enfant dont le consentement, même s’il a lieu, ne peut être qualifié de responsable, et ne peut donc en aucun cas disculper le délit ou le crime de l’adulte.

« Un homme ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme ».

On ne peut accepter que le droit, en reconnaissant chez l’adolescent.e un consentement peut être effectif mais qui n’est chez lui qu’une ébauche imparfaite d’une maturité qui se cherche, éventuellement à travers la séduction, la transgression voire la provocation, disculpe l’adulte et charge nos enfants d’une responsabilité qui risquerait de les écraser.

« Ou sinon… »

D’une transition intellectuelle comme condition de la transition énergétique et démographique. Et encore et toujours du déni et du jésuitisme de certaines de ses justifications.

Les récentes déclarations de Nicolas Hulot à propos de l’impossibilité de tenir le calendrier annoncé de sortie du nucléaire

http://abonnes.lemonde.fr/energies/article/2017/11/09/avis-de-tempete-entre-nicolas-hulot-et-les-ecologistes_5212519_1653054.html

ainsi que celles, moins médiatisées de la ministre allemande de l’environnement Barbara Hendricks au sujet de l’impossibilité de parvenir à une réduction de 40% des gaz à effet de serre produits par l’Allemagne d’ici à 2020

« Das Ziel, die Emissionen um 40 Prozent im Vergleich zu 1990 zu reduzieren, stammt aus dem Jahr 2007. Jetzt sehen wir, dass maximal 32,5 Prozent möglich sind. »

„L’objectif de réduire nos émissions [de gaz à effet de serre] de 40% par rapport à 1990 date de 2007. Nous voyons maintenant que le possible ne sera que de 32,5% au maximum »

(Rheinische Post, 07/11/2017. cf. aussi Le Courrier International 1410 du 9 au 15/11/2017 p. 9).

commencent à confronter ce qu’il faut bien nommer une simple « idéologie anti-nucléaire » relevant de l’affect et de l’émotion à la réalité des exigences de l’écologie réelle.

http://huet.blog.lemonde.fr/2017/11/10/nucleaire-les-chiffres-et-les-mots-dhulot/

Il est pourtant à prévoir que ce genre de confrontation ne fait que commencer, tant l’omerta bien-pensante sur le sujet n’a été que partiellement levée.

Ainsi, lorsque Barbara Hendricks, dans des propos rapportés par le même journal, affirme que « le nouveau gouvernement doit prendre en 2018 des décisions en ce qui concerne la sortie du charbon » (« Die neue Regierung muss 2018 Entscheidungen zum Kohleausstieg treffen« ), elle oublie de préciser que, la sortie du nucléaire ayant été préférée à la sortie du charbon pour des raisons essentiellement démagogiques, cette dernière, qui doit avoir lieu d’urgence si l’Allemagne veut tenir les engagements qu’elle a pris, l’obligera nécessairement à échafauder de véritables usines à gaz. Celles-ci, on le sait, ne feront jamais que remplacer une énergie productrice de gaz à effet de serre par une autre.

On se souvient qu’aux dires mêmes du Fraunhofer Institut, il sera en effet nécessaire d’installer en Allemagne une capacité de production de 95 GW de centrales à gaz, soit une puissance supérieure à celle produite par notre actuel équipement nucléaire.

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2017/01/30/transition-energetique-versus-usine-a-gaz-ou-gazogene-a-propos-de-quelques-articles-et-emissions-recentes/

Une sortie trop improvisée du nucléaire, du côté français cette fois, et pour de semblables raisons démagogiques, nous plongerait dans une situation comparable, puisque d’après les calculs de RTE mentionnés par Sylvestre Huet dans l’article cité ci-dessus,

« si l’on maintenait l’objectif de diminuer de 75% à 50% la part du nucléaire dans la production électrique, il faudrait d’une part renoncer à stopper les centrales à charbon (3000 MW), mais en outre construire 11 000 MW de centrales à gaz, soit un doublement du parc à gaz actuel. Une telle stratégie aboutirait fatalement à augmenter les émissions de CO2 du système électrique ainsi qu’à élever fortement le prix de l’électricité »

Perspective confirmée et même largement amplifiée par les calculs de J.M. Jancovici,

https://jancovici.com/transition-energetique/renouvelables/100-renouvelable-pour-pas-plus-cher-fastoche/

qui hérisseront bien entendu – comme d’habitude – les démagogues et les idéologues anti-nucléaires mentionnés plus haut (à charge pour eux de produire des estimations aussi documentées…) mais feront je l’espère réfléchir les écologistes partisans d’une transition urgente vers un monde décarboné.

Transition effective, bien loin de celle annoncée à grand fracas médiatique, qui apparaît hélas de plus en plus comme un nouveau subterfuge permettant à l’hydre productiviste et consumériste de renouveler une fois de plus son règne maléfique.

Car aux marchés juteux de l’éolien et du solaire, voici que s’ajoute celui de la voiture électrique, appelée à dilapider de façon tragique énergie, métaux, lithium, cobalt, etc. pour le plus grand bonheur du capitalisme, le plus grand malheur de nos écosystèmes déjà entrés en agonie, et pour conforter la promesse rassurante – mais combien éphémère – d’un « retour » de la croissance et d’un maintien des emplois.

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2017/08/28/a-propos-du-retour-de-la-croissance-et-des-croissants-de-fernand-raynaud/

http://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2017/11/13/apres-un-plateau-de-trois-ans-les-emissions-mondiales-de-co2-repartent-a-la-hausse_5214002_3244.html

(sur les mirages entretenus de la voiture électrique, cf. par ex.:

https://jancovici.com/transition-energetique/transports/la-voiture-electrique-est-elle-la-solution-aux-problemes-de-pollution-automobile/

et sur l’entrée frénétique dans l’ère périlleuse de « l’économie lithium » et de « l’économie cobalt » :

http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2017/11/05/les-batteries-au-lithium-bouleversent-des-pans-entiers-de-l-industrie_5210504_3234.html

https://reporterre.net/Corruption-pollution-consommation-les-ravages-du-lithium-en-Argentine

http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2017/11/24/cobalt-du-sang-sur-les-batteries_5219724_3234.html

etc.

 

Tout cela nous renvoie bien sûr à « l’appel des 15 000 » scientifiques de 184 pays, dont le contenu a été récemment publié.

http://abonnes.lemonde.fr/planete/article/2017/11/13/le-cri-d-alarme-de-quinze-mille-scientifiques-sur-l-etat-de-la-planete_5214185_3244.html

Appel ô combien nécessaire et dont on pourrait penser naïvement qu’il devrait faire l’objet d’un large consensus.

On en est pourtant loin, et même si cela provoque l’étonnement, ce n’est hélas, une fois de plus, pas surprenant.

Car, rompant un habituel tabou, ses articles 8 et 13 conseillent de :

8 : réduire encore le taux de fécondité en faisant en sorte qu’hommes et femmes aient accès à l’éducation et à des services de planning familial, particulièrement dans les régions où ces services manquent encore.

13 : déterminer à long terme une taille de population humaine soutenable et scientifiquement défendable tout en s’assurant le soutien des pays et des responsables mondiaux pour atteindre cet objectif vital.

Il n’en faut apparemment pas plus pour soulever discussions et polémiques dont l’émission « 28 Minutes » du 15/11, sur Arte, nous donne quelques exemples.

https://www.arte.tv/fr/videos/075223-058-A/28-minutes/

Mais une fois de plus, on s’étonne (sans surprise…) de la façon dont le débat est d’emblée biaisé, par la présentation même :

Vers 15 mn : « Pour sauver la planète, faut-il changer radicalement les modes de vie et de consommation, ou faut-il mettre moins d’enfants au monde ?» nous demande-t-on.

Mais pourquoi poser cette question sous la forme d’une alternative, d’un aut/aut, ou bien/ou bien ?

Quel genre d’idéologie – évidemment largement développée dans le reste de l’émission – se cache donc sous cette manière d’aborder le problème ?

Alors qu’on sait que les trop rares documents sérieux (rapport Meadows, déclaration « des 15 000 » de la revue Bioscience) recommandent expressément d’agir à la fois sur les deux leviers, celui du changement radical du mode de vie et celui de la régulation démographique.

Et nous voilà donc partis une fois de plus sur les habituelles approches exclusives, puisque M. Gaël Giraud, confirmant l’approche qui est, on le sait, celle du Pape (cf. vers 30mn dans l’émission)

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/08/15/rien-de-nouveau-sous-frere-soleil-a-propos-des-langues-regionales-et-de-la-demographie-pontificale/

affirme que le problème ne relève pas « d’une question de natalité, mais de sobriété énergétique des plus riche, 10% des plus riches émettant 50% des émissions de gaz à effet de serre » (vers15mn45).

[ajout du 24/11: dans la même veine, cf. aussi l’article du même Gaël Giraud ]:

http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2017/11/24/climat-la-priorite-est-de-reduire-le-train-de-vie-des-plus-riches-pas-la-natalite-des-plus-pauvres_5219657_3212.html

Qui donc le nie, mon cher Père ?

Mais en quoi ce constat devrait-il faire perdre de vue une évidence massive:

le milliard d’africains supplémentaire dans 25 ans, tout comme les centaines de millions d’asiatiques, etc. comme il est dit vers 21mn52, qui comme le soutient le même jésuite « ne sont pas ceux qui posent un problème écologique », n’auront absolument plus, dans 20 ans et encore moins dans 80, la faible empreinte écologique qu’ils ont actuellement.

[sur cette expression, voir mes réflexions dans la dernière partie de mon post de 09/2016] :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2016/09/21/du-ridicule-ter-quand-eirikr-zemmour-donne-des-lecons-de-francais-a-mohamed-et-que-les-plaisanteries-gauloises-ne-conviennent-pas-a-m-sarkozy-qui-devrait-plutot-approfondir-la-question-demograp/

Car l’une des énormes failles du débat est bien là : on réfléchit à empreinte écologique constante quand il s’agit de parler des pays en développement.

Or, s’il est vrai qu’actuellement le poids en Hag (hectares globaux. Cf. post ci-dessus) d’un américain est de 10 fois supérieur à celui d’un africain, il n’en sera plus du tout de même dans 20 ans ou dans 80 !

Il ne s’agit certes pas « d’instrumentaliser » l’argument démographique « pour cacher la responsabilité des plus riches » comme le font certains (cf. encore mes remarques sur M. Sarkozy dans le post ci-dessus).

La plupart des défenseurs sérieux de la régulation démographique sont les premiers à dénoncer cette responsabilité.

Mais seulement de se rendre compte que, comme ce fut le cas pour la Chine, pour l’Inde, etc., la croissance démographique s’accompagnera inévitablement d’une croissance de la production et de la consommation, et donc de l’empreinte écologique.

Les 3 ou 4 milliards d’humains supplémentaires à l’orée du XXIIème siècle ne se contenteront certainement pas (et de façon tout-à-fait légitime, en un certain sens) des 0,63hag actuels d’un habitant du Burundi, ou des 0,75 d’un habitant du Bangla Desh, et les 0,36 planètes nécessaires à un haïtien ou un africain en 2017 vont rapidement devenir les 2,11 planètes du chinois actuel, voire nettement plus.

Qui oserait en effet soutenir tant soit peu sérieusement que, compte tenu de ce qui a été dit plus haut concernant la capacité jamais prise en faute du capitalisme d’inventer sans cesse de nouvelles formes de consumérisme permettant de maintenir la mythologie de la croissance, l’Afrique et ses 4,5 milliards d’habitants à l’horizon 2100 pourraient y échapper ?

De même, les progrès de l’éducation provoqueront un important accroissement de la demande légitime de bien être.

[sur la question de la pertinence des prévisions de croissance démographique, cf. toutefois :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2016/06/29/de-diogene-en-politique-ainsi-que-des-lapins-de-fibonacci-et-de-la-facon-pernicieuse-dont-ils-grignotent-nos-previsions-autant-economiques-que-demographiques-quelques-breves/   ]

Et la question posée par une croissance démographique doublée d’une croissance économique tellement prévisible (et déjà largement en cours) de pays dits « pauvres » ne concerne pas que la seule disponibilité alimentaire, terrestre et halieutique, mais aussi la quantité et de la qualité de l’eau douce, la production d’énergie, les réserves de matières premières,

[sur la notion de « peak everything » cf :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2016/01/07/apprendre-le-chemin-de-lenfer-pour-leviter-ou-revenir-enfin-au-politique-reflexion-sur-leffondrement-avec-philippe-bihouix-pablo-servigne-et-raphael-stevens/

la destruction de la biosphère, de la biodiversité, etc.

On en est désormais assuré, le XXIème siècle verra la disparition des ours blancs, des éléphants, des gorilles, grands singes et de bien d’autres espèces encore. Est-il concevable qu’une Afrique à 4,5 milliards d’habitants dans un monde à 11 milliards puisse rattraper ces crimes contre la biodiversité ?

Sur ce point, l’exemple du Niger utilisé par M. Boillot manque totalement de pertinence : en quoi ses prévisions d’une densité confortable dans un pays harmonieusement développé s’accordent-elles avec un monde dont 65% de la population habiteront les villes en 2025, et plus de 80% dans de nombreux pays ? Le Nigeria et Lagos, et non le Niger constituent sans doute des images bien plus précises de l’Afrique de demain.

De la même manière, laisser entendre que la question de l’optimum de population mondiale n’aurait pas de réponse (vers 22mn) frise la supercherie: les éléments mentionnés ci-dessus (épuisement des ressources naturelles, « peak everything », réchauffement climatique, baisse des réserves halieutiques, chute catastrophique de la biodiversité, etc. etc. etc.) montrent clairement que si nous ne savons effectivement pas déterminer quel chiffre inférieur aux 7,5 milliards d’habitants que nous sommes actuellement sur terre serait souhaitable pour assurer au mieux la permanence de l’espèce humaine, il est au moins de plus en plus certain que tout dépassement de ce chiffre augmentera désormais considérablement les probabilités de crises encore plus graves.

Pour ma part, mon expérience de l’humanité, riche mais aussi pauvre, m’a démontré, hélas, qu’il est bien plus difficile de renoncer à une voiture et à la magie des dernières technologies électroniques ou autres – surtout quand tant d’incitations économiques, publicitaires, etc. savamment instillées nous y incitent – qu’à la naissance d’un enfant supplémentaire.

La frugalité heureuse est certes indispensable, et, en tant que quasi végétarien de longue date et quelques autres caractéristiques, je suis le premier à en partager entièrement le projet.

Mais nous sommes confrontés à l’urgence.

Et il paraît bien illusoire de penser qu’aux échéances brèves qui conditionnent désormais notre survie dans des conditions acceptables, la conversion de 11 milliards de personnes à ce type d’idéal soit la solution miracle aux problèmes auxquels nous sommes confrontés.

Mieux vaut donc mettre toutes les chances de notre côté, et comme nous le disent les « 15 000 », le rapport Meadows et d’autres analyses sérieuses, envisager ensemble, entre autres composantes, le paramètre économique et le paramètre démographique.

Car « Nous mettons en péril notre avenir en refusant de modérer notre consommation matérielle intense mais géographiquement et démographiquement inégale, et de prendre conscience que la croissance démographique rapide et continue est l’un des principaux facteurs des menaces environnementales et même sociétales ». (Manifeste des 15 000.  C’est moi qui souligne).

On en vient alors à se demander :

Dans quel but s’acharner à vouloir nier ce qui semble relever de l’évidence et de la simple raison ?

En l’occurrence le fait que cette indispensable stabilisation, mieux décroissance économique globale (même si celle-ci doit bien sûr s’effectuer de manière équitable, car la décroissance des riches doit s’accompagner d’une croissance raisonnée des pauvres) doit se conjuguer de façon elle aussi indispensable, avec une stabilisation, mieux, une décroissance démographique elle aussi sélective en fonction des différences d’empreinte écologique.

Et pourquoi donc persévérer dans un tel déni ?

Avec l’âge, je m’aperçois de plus en plus que le fonctionnement humain semble relever de mécanismes fondamentaux, finalement peu nombreux, et qui s’enracinent sans doute pour la plupart dans notre petite enfance. Il est en effet fort probable que nous restions jusqu’à la fin de notre vie de grands enfants…

J’ai en particulier fait état, dans quelques-uns de mes derniers posts,

du « fantasme de toute puissance », qui me semble expliquer bien des choses dans le domaine politique tout autant que religieux, mais aussi cette étrange frénésie qui nous pousse à croire de façon totalement irrationnelle à la possibilité d’une croissance infinie dans un monde fini ;

de l’antagonisme entre les constantes normatives « à valeur propulsive », qui permettent aux organismes de se maintenir en vie malgré les conditions changeantes de leur environnement, et les constantes normatives « pathologiques », à valeur répulsive « exprimant la mort en elles de la normativité » (G. Canguilhem, Le normal et le pathologique, Paris, PUF 1998 (7) p. 137) ; le difficile équilibrage de ces constantes rendant compte lui aussi d’une grande partie de nos comportements, psychiques, sociaux, politiques, religieux, etc.;

ou encore du « wiederholungzwang », dont parle Freud, cette pulsion de répétition qui fait que nous nous enfermons dans des névroses morbides qui elles aussi empêchent tout renouvellement de nos manières d’être et de penser…

Qu’il me soit permis d’évoquer un autre aspect, auquel j’ai déjà fait allusion: la curieuse démission de l’esprit critique devant l’argument d’autorité. Il se conjugue d’ailleurs bien souvent avec quelques uns des précédents.

Ce mécanisme fréquent, qui se manifeste en particulier dans les organisations fortement structurées et dans lesquelles certaines personnes occupent la fonction de « maître à penser », de « gourou », etc. entraîne, chez des esprits pourtant par ailleurs clairvoyants et pertinents, une étonnante perte de discernement et de bon sens dès qu’entre en jeu la parole d’un « maître », d’un « Guide », d’un « Pape », une « ligne du parti », etc.

J’en avais fait état à propos des étonnantes allégations de Lucetta Scaraffia, féministe catholique, pourtant capable de justifier n’importe quelle incongruité dès qu’il s’agit de défendre la parole d’un Pape:

(cf. la deuxième partie du post :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2017/06/25/a-propos-de-quelques-demissions-recentes-et-de-remarques-de-p-rosanvallon-et-sur-ladmirable-mme-seyran-ates-et-la-situation-des-femmes-dans-la-mosquee-et-dans-leglise-sur-l/   )

Certes, les motivations sont diverses, et les arguments de M. Boillot, légitimes bien que très contestables du fait des éléments évoqués ci-dessus, ne relèvent certainement pas de ce mécanisme*.

Mais que dire lorsqu’un père jésuite, d’une compétence par ailleurs largement reconnue, reprend quasiment mot pour mot des thèses qui sont, depuis bien longtemps, celles du magistère catholique ?

Bien sûr, une exégèse « à la Dupanloup »,

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2013/11/26/archi-archives-de-stultitia-2006-ne-pas-hurler-avec-les-dupanloup/

soutiendra que les autorités catholiques ont toujours été ouvertes à la question démographique, et quelques théologiens courageux, comme Henri Wattiaux ou Bernard Holzer s’engagent courageusement contre l’emprise de certaines constantes normatives « pathologiques ».

Mais il s’agit d’exceptions et en faire la règle relèverait une fois de plus de la supercherie.

Car il faut le reconnaître, dans la production de l’Église sur le sujet,

« un simple décompte montre que les déclarations strictement natalistes sont bien plus nombreuses que les déclarations de natalisme raisonné. En outre, le natalisme raisonné est restreint à la seule survie de la famille, et ne tient nullement compte de l’intérêt général (surpopulation nationale ou régionale). Il découle de ce natalisme fondateur que la doctrine officielle de l’Église est presque muette sur le problème posé aux pays en voie de développement par une croissance démographique trop soutenue. En fait, la position de l’Église sur le lien population-développement est restée constante depuis la première conférence de l’ONU sur la population (Bucarest 1974): il n’est pas prouvé qu’une trop forte croissance démographique soit néfaste, même dans les pays très pauvres, et l’accent doit être mis avant tout sur la répartition économique (le partage mondial des richesses et  l’échange égal). (…). Les autres positions de l’Église découlent « naturellement » de cette doctrine fondamentale : refus absolu de l’avortement (au risque d’admettre une surmortalité féminine liée à des avortements clandestins) même si la famille n’est pas en mesure d’accueillir économiquement le nouveau venu ; admission du bout des lèvres de pratiques de limitation des naissances, à condition qu’elles ne recourent pas à des moyens chimiques (seule est admise la méthode Billing, à l’efficacité faible hors des milieux favorisés de l’Europe occidentale). (R. Valette, Le catholicisme et la démographie. Église, population mondiale, contrôle des naissances. Éditions de l’Atelier/Éditions ouvrières, Débattre 1996. Recension dans: Population, 1997, vol. 52).

Bucarest 1974, R. Valette 1996, Laudato Si 2015, Gaël Giraud 2017: « Rien de nouveau sous Frère Soleil », comme je le disais dans mon post du 15 août 2015.

Ni en ce qui concerne l’approche de la question démographique;

Ni en ce qui concerne la question de la contraception qui lui est liée : si les pays catholiques sont peut-être ceux dont la natalité est la plus basse, comme le dit M. Giraud, il faut rappeler que la maîtrise par les femmes de leur sexualité et de leur fécondité ne s’est aucunement réalisée avec l’Église catholique, mais bien et toujours contre elle.

Et si l’accès au développement et à l’éducation des femmes en particulier constitue en effet un élément essentiel de la transition démographique, la maîtrise de la contraception que ces avancées rendent possible n’est là encore due qu’au combat des femmes, et certes pas à la bienveillance quelque peu paternaliste et infantilisante d’une institution noyautée par les mâles.

Dommage donc qu’une personne aussi compétente et avisée que M. Giraud se laisse prendre par ce genre de discours issus d’une dogmatique intemporelle sans rapport avec les urgences écologiques.

Le courage, la pertinence scientifique et l’équilibre de « l’appel  des 15000 » demandait une approche autrement réfléchie.

 

*Ajout du 23/11:

Le dogmatisme religieux irréfléchi, catholique en particulier, constitue une partie des motivations qui rendent compte de la permanence du déni en ce qui concerne la question démographique.

Mais un tel déni relève bien sûr aussi d’autres raisons.

Parmi celles-ci, on pourrait évoquer le fait qu’une limitation généralisée des naissances met en cause l’une des dynamiques animales et humaines les plus puissantes et les plus partagées, celle de la procréation et de la parentalité. La plupart d’entre nous sommes en effet impliqués dans cette dynamique, et, étant sur ce point juges et parties, déjà mères et pères de famille ou ayant l’intention de le devenir, il est difficile d’attendre de nous une analyse impartiale de la question.

Il faut pourtant répéter qu’une approche telle que celle d’A. Weisman

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/03/27/politique-demagogie-demographie-une-petite-recension-dalan-weisman-compte-a-rebours-jusquou-pourrons-nous-etre-trop-nombreux-sur-terre/

ne prône une politique généralisée de l’enfant unique que sur 3 ou 4 générations, le temps de revenir à un optimum démographique compatible avec notre environnement. Une fois atteint cet optimum, une politique le plus possible respectueuse du taux de remplacement (environ 2,05 enfants par femme) qui n’est pas très éloigné de la situation que connaissent actuellement bien des pays, pourrait se substituer à la politique de l’enfant unique.

Une telle perspective n’a donc rien d’inaccessible. Encore moins s’agit-il d’un terrorisme malthusien.  À mon sens, elle est même autrement réaliste que celle qui consiste à croire que l’être humain serait capable de renoncer à une bonne partie de son bien-être matériel, ce qui n’a jamais eu lieu que sous la contrainte ou par la guerre.

Comme nous le savons, la décroissance démographique s’est produite, elle, sans contrainte dans la plupart des pays développés. Dans notre situation d’urgence, il s’agirait seulement de l’accompagner et de l’accélérer.

Comme je le disais dans ma recension d’A. Weisman (cf. lien plus haut), en en citant les p. 255-267:

[l’Iran] après une période de politique nataliste forcenée, et devant la catastrophe démographique et la famine que celle-ci était sur le point d’entraîner, a adopté une politique incitative de réduction des naissances par l’enfant unique et par la mise à disposition gratuite des moyens contraceptifs (sans pour autant accepter l’avortement), qui a constitué un succès sans précédent qui pourrait servir d’exemple pour notre évolution future.

Hélas, cette politique sensée n’a pas été maintenue, et le retour de la croissance démographique pour des raisons de domination géopolitique représente à nouveau pour l’Iran une menace considérable :

http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/12/06/l-iran-menace-de-devenir-un-immense-desert_4535823_3244.html

Une incitation par des mesures fiscales adéquates accompagnées de mesures éducatives et de la gratuité des moyens contraceptifs – féminins comme masculins – pourrait avoir une efficacité réelle et rapide.

L’argument éculé et pernicieux de la « liberté » du choix du nombre des enfants étant de plus bien idéologique.

Il serait bon que quelques jésuites aillent enquêter sur le terrain pour savoir si les femmes qui ont 7 ou 8 enfants dans le Sahel ou au Pakistan l’ont librement choisi par respect de quelque précepte religieux nataliste ou par adhésion réfléchie à  l’enseignement de quelque pape ou Église ….

Il y a fort à parier qu’une enquête sur le sujet montrerait qu’une telle situation est due à la soumission des femmes au machisme ambiant qui impose le désir de l’homme, ainsi qu’aux contraintes sociales.

 

Une autre motivation importante en ce qui concerne le déni du péril démographique me paraît relever des séquelles d’une approche marxiste, consciente ou inconsciente, devenue un habitus de la classe intellectuelle.

Car si l’on postule en effet que la lutte des classes ou que l’antagonisme entre nantis et prolétaires constitue le seul moteur de l’histoire, alors, bien entendu, la question démographique ne se pose pas en tant que telle. Seule se pose celle de l’élimination du capitalisme, unique responsable de tous les maux de notre monde.

Accédons d’abord au Matin du Grand Soir et à son Royaume, et tout le reste nous sera donné de surcroît, y compris la fin du réchauffement climatique, la résolution de la question énergétique et le bien être des 11 milliards d’habitants de la planète à l’horizon 2100 dans une société mondiale délivrée de la guerre et autres crises.

C’est hélas la persistance d’un logiciel de ce genre qui a rendu nos analyses incapables de prendre en compte, entre autres choses, le soi-disant « retour du religieux » jusque dans ses formes pathologiques (cf. EI), la permanence de revendications patriotiques (cf. Catalogne), etc., etc.

N’en déplaise à Marx et à ses héritiers conscients ou inconscients, il y a un bug, ou du moins une insuffisance de l’algorithme. Le paramètre économique est certes important, mais il n’est pas le seul à prendre en compte dans les évolutions de l’histoire. Et les lendemains qui chantent de l’égalité entre pays riches et pays pauvres, s’ils sont bien entendu à rechercher, ne résoudront pas par miracle la question démographique.

Il est d’ailleurs piquant de constater combien ces deux dogmatismes – catholique et marxiste – se conjuguent pour conforter ce qui relève du déni…

 

Ajout du 24/11:

Un article qui tombe à point pour illustrer ce qui précède:

http://www.lavoixdunord.fr/272369/article/2017-11-24/philippines-echec-du-planning-familial-des-ong-la-rescousse#

Sans commentaires…

 

 

 

PMA. L’éthique supposerait-elle l’incohérence ?

Je précise tout d’abord – cela ne surprendra en rien les lecteurs de ce blog – que je ne « roule » pour personne, et certes pas pour des émanations soi-disant « catholiques » du type de la Manif pour tous. J’ai toujours défendu sur ce blog les revendications des homosexuels, leur droit à la reconnaissance et au mariage en particulier.

Mes remarques de ce jour se situent essentiellement au niveau d’une exigence de cohérence.

Car je dois reconnaître mon étonnement.

Même si je suis, pour ma part, partisan d’une prévalence sans ambiguïté des droits de l’enfant sur le droit à l’enfant, que l’on soit hétérosexuel comme homosexuel (cf. l’enfant l’Oréal », selon l’expression du Dr. J.P. Matot : « un enfant, parce que je le vaux bien »),

la référence à « une revendication de liberté et d’égalité dans l’accès aux techniques [médicales] pour répondre à un désir d’enfant »

http://www.lemonde.fr/societe/article/2017/06/27/le-comite-d-ethique-deverrouille-le-debat-sur-la-procreation-medicalement-assistee_5151717_3224.html

par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) me paraît marquée d’une incohérence fondamentale :

Outre bien sûr des questions juridiques en suspens concernant le statut du donneur et le droit de la filiation, comment peut-on accepter, en vue de résoudre ce que le CCNE nomme une question d’égalité, de promouvoir une inégalité flagrante, puisque certains enfants vont donc se trouver dans la situation d’avoir droit à une représentation de la diversité des sexes à leur naissance (le fait d’avoir une mère et un père), alors que d’autres en seront privés ?

Les droits de l’adulte à « l’égalité » sont-ils donc à ce point à privilégier par rapport aux droits de l’enfant ?

Si une telle relativisation des droits de l’enfant constitue un choix de société, il faudrait alors l’énoncer clairement, et ne pas se contenter de quelques remarques pudiques, voire désinvoltes, concernant « les conséquences pour l’enfant », considérations qui sont bien loin d’être à la hauteur des interrogations éthiques.

 

Une deuxième incohérence est flagrante.

Car comment accepter « l’ouverture de l’IAD à toutes les femmes », et donc aux lesbiennes, sans prendre en compte  la «  souffrance induite par une infécondité résultant d’orientations personnelles » que peuvent ressentir nombre d’homosexuels hommes ? Pour pallier ce qui est présenté plus haut comme une inégalité, voilà qu’on ouvre une nouvelle inégalité, sexiste cette fois. Les hommes n’auraient-ils donc pas les mêmes droits que les femmes ?

Le fait d’accepter la PMA dans le cas des lesbiennes tout en refusant vertueusement la GPA (refus que je partage entièrement, cf. mes réflexions sur ce point sous le « mot-clef » ci-contre ) est donc au minimum une incohérence, voire une supercherie ou un « cheval de Troie » qui prépare, en dépit des artifices rhétoriques, une autorisation à terme de la GPA. Car celle-ci est bien l’unique façon de rétablir une « égalité » qui se trouve rompue par la discrimination instaurée par l’autorisation de la PMA pour toutes les femmes.

Là encore, s’il s’agit d’un choix de société, il faut l’annoncer clairement, et ne pas se cacher derrière des incohérences qui ouvrent la porte à la supercherie.

 

Enfin, ne va-ton pas un peu vite en besogne ? Car une autre question éthique fondamentale est celle de l’accès à la médecine à des fins non thérapeutiques.

Sur ce point, il peut paraître en effet bien léger d’invoquer des « souffrances induites » par des caractéristiques « résultant d’orientations personnelles ».

On le sait, l’évaluation de telles souffrances dans le cas de demandes de modifications de l’identité sexuelle fait l’objet de protocoles psychologiques et médicaux très exigeants.

Qu’en sera-t-il de l’évaluation de telles « souffrances » dans le cas de l’homosexualité féminine ? Ne risque-t-on pas de passer un peu facilement de la « souffrance » au caprice ?

Plus largement, l’utilisation de la médecine à des fins non-thérapeutiques constitue de nos jours l’une des « boîtes de Pandore » les plus problématiques en ce qui concerne l’avenir de l’humanité. Peut-être serait-il sensé de ne pas créer à la légère des jurisprudences sur lesquelles il risque d’être bien difficile de revenir.

Qu’en sera-t-il désormais des critères de la « souffrance » ? Je peux souffrir très réellement de me sentir trop petit, ou de ne pas courir aussi vite que les autres. Telle cette personne pourvue de jambes normales, mais  qui demandait à ce qu’on lui pose des prothèses de titane pour courir plus vite.

Certains envisagent avec sérieux le marché juteux – et désormais bientôt accessible – de la greffe d’utérus chez l’homme en vue de pallier la « souffrance induite par une infécondité » que ressentent certains.

La difficulté d’évaluer la « souffrance » ouvre donc la porte à une casuistique fort complexe, qui risque de donner lieu à bien des abus, et certainement des trafics.

De plus, son invocation dans le cas de l’homosexualité risque de ramener le vieux spectre dépassé de l’assimilation de celle-ci à une maladie.

Or, je ne pense pas qu’il s’agisse là d’un retour souhaitable.

 

Je pense pour ma part que la diversité des « orientations personnelles » possibles fait signe vers une incomplétude foncière caractéristique de notre condition d’être humain.

De la même façon que certaines et certains sont attirés par l’autre sexe, certaines et certains sont attirés par le même.

De la même façon que certaines ou certains sont attirés par la maternité ou la paternité, certaines ou certains ne se conçoivent pas dans cette orientation de vie.

On sait que, contre certaines idéologies, religieuses en particulier, le fait d’assumer ce refus a ouvert à des approches fécondes d’une féminité et d’une masculinité dissociées de la maternité et de la paternité. Dissociation revendiquée d’ailleurs lors des mouvements de libération sexuelle des années 70…

Or, chaque orientation de vie entraîne à la fois des richesses et des deuils. Les deux aspects constituant notre chemin d’accès à la maturité, qui passe par le fait d’assumer cette incomplétude qui est la nôtre.

L’engagement dans la voie de l’hétérosexualité entraîne pour moi le deuil de l’homosexualité, et inversement. Et même le fait d’être bisexuel ou transgenre entraîne le deuil de la voie qui permet de se réaliser dans une seule de ces orientations.

L’une des grandes « souffrances » de notre temps n’est-elle pas alors d’avoir laissé penser qu’il pourrait y avoir des « orientations » où tout pourrait se réaliser à la fois sans souffrance et sans deuil ?

L’urgence serait peut-être alors, pour lutter véritablement contre la « souffrance », de savoir dépasser l’illusion de la complétude, du « fantasme de toute puissance » qui en constitue incontestablement l’une des sources essentielles.

À propos de quelques démissions récentes et de remarques de P. Rosanvallon. Et sur l’admirable Mme Seyran Ates et la situation des femmes dans la mosquée et dans l’Église. Sur l’ambiguïté des « emplois verts ». Enfin, sur la corrida et la mort d’Iván Fandiño. Quelques brèves.

Ouf ! voilà donc terminée cette longue séquence politique, avec son lot de (relatifs) bouleversements et de surprises.

Il faut désormais espérer que le dépassement de quelques sectarismes stupides et de comportements caractéristiques d’une opposition « pavlovienne » puisse contribuer à l’intérêt général, au sens où l’entendait H. Védrine mentionné dans le post précédent.

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2017/05/23/un-bref-hommage-a-un-grand-homme-de-lislam-et-une-lecture-dhubert-vedrine-en-guise-de-reflexion-sur-notre-nouveau-president-son-programme-et-son-gouvernement/

Entre autres chantiers, reste maintenant à restaurer une confiance en la démocratie dont le taux d’abstention nous montre qu’elle est dangereusement émoussée.

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2017/04/28/le-ventre-est-encore-fecond-dou-a-surgi-la-bete-immonde-a-propos-dun-avertissement-urgent-de-b-brecht-et-sur-james-baldwin-les-populismes-et-la-necessite-de-revivif/

Les événements de ces derniers jours et le ménage qui a été fait au plus haut niveau montrent cependant qu’il y a là aussi quelques raisons d’espérer.

Tout en mettant en garde contre un « angélisme exterminateur », selon l’expression d’A. G. Slama, ainsi qu’un « maximalisme » démagogique délétère prompt à condamner avant même toute mise en examen,

http://www.la-croix.com/Debats/Editos/Maximalisme-2017-06-21-1200856973

il faut reconnaître qu’une dynamique semble engagée, qui va dans le bon sens (celui qui est d’ailleurs en vigueur dans la plupart des démocraties où la transparence n’est pas un vain mot – rappelons que la France demeure au 23ème rang mondial pour ce qui est de l’indice de corruption de Transparency International).

https://transparency-france.org/indices-de-transparency-international/

Mais l’effort est bien entendu encore à soutenir en ce qui concerne la « responsabilité politique ».

La responsabilité politique consiste, pour un responsable public, à prendre sur soi pour purger la défiance née des soupçons ­provoqués par certaines ­informations sur son comportement. Et pour cela à démissionner. La responsabilité politique implique la reconnaissance par ceux qui ont des fonctions politiques qu’il est de leur devoir d’être ceux qui payent, parfois, le prix du soupçon pour restaurer la ­confiance dans la démocratie. Au prix même de ce qui peut être ressenti comme une « injustice » quand il n’y a pas de délit à proprement parler.

Ce sont, à la limite, de nécessaires victimes expiatoires dans une société où l’opinion est aussi gouvernée par des passions qui se nourrissent des inachèvements de la démocratie et du manque de vertu des élites.

Car la démocratie repose sur la confiance, c’est-à-dire sur la possibilité de faire une hypothèse sur le comportement futur de quelqu’un. La confiance a une dimension cognitive : ce qu’on sait de la personne permet de préjuger de son comportement futur ; si l’on découvre que ce que l’on sait est incomplet ou erroné, cela ne peut que rompre la confiance et créer le trouble.

http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/06/15/pierre-rosanvallon-l-election-de-macron-redefinit-le-clivage-droite-gauche_5145247_3232.html?h=21

cf. encore

http://www.arte.tv/fr/videos/068401-208-A/28-minutes

et les remarques concernant le chantier qui demeure pour ce qui est de la lutte contre le lobbying, les conflits d’intérêts, etc. (à partir de 25mn dans l’émission ci-dessus).

Car l’arrivée bienvenue au gouvernement de compétences issues de la société civile implique que ces personnes ont fait leurs preuves au sein d’entreprises, ou bien en ont côtoyé des instances dirigeantes. Cela peut laisser des traces, et la plus grande prudence sera donc de rigueur.

 

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Magnifique initiative que celle de Mme Seyran Ates,

http://abonnes.lemonde.fr/europe/article/2017/06/21/a-berlin-la-femme-qui-veut-liberaliser-la-mosquee_5148358_3214.html

qui va bien dans le sens de ce renouveau de l’Islam auquel travaillent avec courage tant de théologiennes et de théologiens.

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2017/05/23/un-bref-hommage-a-un-grand-homme-de-lislam-et-une-lecture-dhubert-vedrine-en-guise-de-reflexion-sur-notre-nouveau-president-son-programme-et-son-gouvernement/

Il est d’autant plus étrange de considérer les arguments retors de certaines théologiennes catholiques qualifiées de « féministes »

http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/06/05/religion-pour-une-meilleure-representation-des-femmes-dans-l-eglise_5138871_3232.html

Si Stultitia, en féministe invétérée, applaudit des deux mains lorsqu’on nous dit que :

L’Église est dirigée uniquement par des hommes, membres du clergé. Et cela, pour la ­culture occidentale d’aujourd’hui, c’est inacceptable. Dans des pays où les femmes ont ­obtenu l’égalité avec les hommes depuis des décennies, où on ne conçoit pas une organisation entièrement dirigée par des hommes, cette situation fait apparaître l’Église comme une institution d’une autre époque. C’est pour cela que beaucoup de femmes se détournent de la pratique religieuse, que les vocations religieuses féminines s’écroulent, alors que ce sont elles qui ont tenu l’Église debout au XXsiècle. Il est très difficile aux femmes de faire reconnaître leur rôle, de faire entendre leur voix dans toutes les structures ecclésiastiques, des plus hautes aux plus périphériques.

et qu’

Il serait en fait important de commencer par contrer le cléricalisme croissant de l’Église.

elle est tout de même un peu étonnée par les réflexions suivantes :

[Cécile Chambraud] Pourquoi renoncer à poser la question du sacerdoce pour les femmes ?

[Lucetta Scaraffia] Parce que c’est une bataille perdue d’avance, qui affaiblit la position des femmes. Mais aussi pour une autre raison, plus profonde : aujourd’hui, le sacerdoce est l’unique « carrière » interdite aux femmes, autrement dit l’unique profession seulement masculine. Il sert par là à maintenir un obstacle symbolique à la confusion du rôle des genres, et cela n’est pas négatif. Il n’est pas dit que tout le monde doive faire les mêmes choses.

Le problème de fond, ce n’est pas de faire les mêmes choses, mais d’avoir la même autorité, le même droit à la parole et à être entendu. Bien sûr, parce qu’elle a déjà été expérimentée dans d’autres confessions, la voie du sacerdoce semble être la plus facile et la plus sûre pour l’égalité. Mais la position de l’Eglise qui défend la fertilité – concrète et symbolique – de la différence entre les sexes implique de choisir un autre chemin, qui peut se révéler plus fructueux.

 

Comme je l’avais signalé (voir en particulier),

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/01/31/des-papes-de-la-pedophilie-de-lordination-des-femmes-et-de-quelques-autres-rudiments-de-theologie-sommaire/

le propre du christianisme est de réserver la terminologie sacrale et « sacerdotale » à la communauté chrétienne dans son ensemble, communauté considérée comme eschatologique et pour laquelle

Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. (Épître aux Galates 3, 26-29).

On sait que, pour les premiers chrétiens, une conséquence logique de cette affirmation messianique a été l’ouverture aux croyants « non juifs », parmi lesquels ont été aussi choisis les différents ministres  (« épiscopes », « presbytres », « papes » etc. »).

Pour les raisons culturelles et historiques évidentes que nous subissons encore en ce qui concerne la condition féminine, les implications de cette affirmation messianique révolutionnaire de St. Paul – qui fait qu’un non-juif tout autant qu’un esclave ou une femme peuvent devenir chrétiens, évêques ou papes – n’ont pas été développées à leur juste mesure en ce qui concerne le statut de la femme.

On sait aussi (cf. post du 31/01/2014 mentionné) qu’une régression historiquement très documentée vers une compréhension du « sacerdoce » en totale contradiction avec les données néotestamentaires a abouti à conférer aux mâles un « pouvoir sacral » qui les rend ontologiquement seuls capables « de [la] qualité de médiateur entre Dieu et les hommes » (Jean Eudes, Le Prêtre, associé de la Trinité, Mémorial de la vie ecclésiastique, 1re p; Œuvres complètes 3, 14-16. Cf. post cité).

Si, bien sûr, il est parfaitement légitime de vouloir maintenir une altérité, une « distinction de genre » ou une « différence entre les sexes » entre la femme et l’homme (cf. sur le sujet le terme « genre » dans les mots-clefs de ce blog) il est humainement aberrant et contraire au message évangélique de soutenir que :

aujourd’hui, le sacerdoce est l’unique « carrière » interdite aux femmes, autrement dit l’unique profession seulement masculine. Il sert par là à maintenir un obstacle symbolique à la confusion du rôle des genres, et cela n’est pas négatif. Il n’est pas dit que tout le monde doive faire les mêmes choses.

« Et surtout accéder aux responsabilités réelles dans l’Église, puisque celles-ci sont canoniquement liées au ‘’sacerdoce’’, et donc au pouvoir du mâle. Ontologiquement, par essence pour les catholiques, les femmes n’accèderont donc jamais qu’aux fonctions subalternes », ajoute Stultitia. «Aviateurs, médecins, ministres, etc.  On nous a déjà largement fait le coup de la ‘’carrière interdite’’, et de ‘’l’obstacle symbolique’’. La ficelle est un peu grosse… Heureusement, il y a des Seyran Ates pour lutter contre ce genre de balivernes. Mais il est vrai qu’elle est musulmane ».

« Et l’admirable, c’est qu’il se trouve des soi-disant féministes pour justifier de telles inepties », poursuit-elle.

Un tel aveuglement devant les stratégies employées par ceux qui cherchent à confisquer le pouvoir est en effet bien caractéristique de la « mystification » opérée par le « colonisateur », qui excelle à rendre le « colonisé » complice de sa propre colonisation, surtout quand il s’agit de celle des esprits.

(cf. en dernière partie du post suivant le commentaire du « Portrait du colonisé », d’Albert Memmi)

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/11/04/quelques-breves-sur-le-mythe-de-la-croissance-verte-et-sur-la-necessite-denvisager-une-economie-de-leffondrement-et-sur-pasolini-les-homosexuels-les-femmes-et-les-scandales-d/    )

« Mme Lucetta semble avoir un problème avec la figure du père. Elle a encore bien du travail à accomplir pour échapper à l’aliénation par l’idéologie de Papa – Tiens ! C’est drôle: ça veut dire Pape en italien… » poursuit Stultitia.

Surtout quand on lit quelques perles du genre :

Je crois que la position prise par Paul VI avec l’encyclique Humanae vitae – celle d’accepter la régulation des naissances avec les [seules] méthodes naturelles – a été une défense des femmes. Les méthodes naturelles se sont révélées efficaces sans altérer leur santé.

« Paul VI en apôtre du féminisme et précurseur des médecines douces maintenant ! Je m’en doutais bien. Quelle astuce Lucetta ne va-t-elle pas trouver pour justifier les décisions les plus douteuses de Papa ?

Sans doute son successeur actuel va-t-il alors s’empresser de recommander ce genre de produit :

http://fr.ubergizmo.com/2017/06/24/pilule-contraceptive-sans-hormones-plantes.html?utm_source=partner-3012&utm_medium=rss&utm_campaign=rss

Chiche ! Il faudra alors de toute urgence faire un addenda à Humanae Vitae.

Car ôtez-moi d’un doute : si une contraception ‘’naturelle’’ s’avérait réellement efficace pour réguler les naissances et libérer la sexualité féminine, notre Pape devrait en toute logique s’en faire le promoteur enthousiaste, non ? Ou bien n’ai-je pas compris quelque chose ? ».

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/01/26/ou-lon-apprend-comment-le-bon-pape-francois-preche-aux-petits-lapins-dans-le-jardin-enchante-de-double-injonction/

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Je suis toujours étonné quand je lis dans des articles des réflexions de ce genre :

« Les énergies renouvelables représentent près de 10 millions d’emplois dans le monde ».

http://www.lemonde.fr/energies/article/2017/05/24/les-energies-renouvelables-representent-pres-de-10-millions-d-emplois-dans-le-monde_5133443_1653054.html

Car enfin, le secteur de l’armement, l’industrie du tabac, etc.  représentent aussi des millions d’emplois.

Il faudrait tout de même commencer à parler de l’écologie en termes … d’écologie, et non en termes de développement et de maintien de l’emploi. Les deux choses peuvent parfois se rencontrer, certes, mais c’est loin d’être toujours le cas.

Créer des emplois à coup d’économie subventionnée, d’effets d’aubaine, et en montant des usines à gaz qui ne sont que l’illustration de mauvaises solutions et de mauvais choix, cela fait certes les affaires de certaines politiques démagogiques et de certains lobbies en recherche d’investissements juteux, mais cela peut aussi ne rien avoir à faire avec les enjeux écologiques :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2017/01/30/transition-energetique-versus-usine-a-gaz-ou-gazogene-a-propos-de-quelques-articles-et-emissions-recentes/

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Je ne suis pas spécialement “pro corrida”. En fait, je n’en ai vu que deux dans ma désormais longue vie.

Mais le monde de « l’afición » est un milieu que je respecte, et qui me paraît porteur d’interrogations importantes sur l’humain, l’animalité, la vie, la mort, la dignité, le courage, et bien d’autres choses encore.

Peut-être aussi parce certains de mes « grands hommes » en ont été fascinés.

A las cinco de la tarde…”

Aussi, quand je lis, à propos de la mort du torero Iván Fandiño

http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2017/06/19/ivan-fandino-ultime-chicuelina_5147171_3382.html?xtmc=corrida&xtcr=1

des commentaires tels que ceux que rapporte M. Pedro Cordoba (lui-même grand connaisseur de la corrida) :

Voici le communiqué publié en Espagne par l’Association animaliste AUCMA (je traduis). Tout est dit. « Hier deux animaux sont morts dans une arène. Le premier était un taureau, un animal irrationnel qui ne veut pas être là et moins encore être tué. Le deuxième était Iván Fandiño, un être humain rationnel qui contribuait matériellement à tuer le premier et ainsi à divertir le public. Nous regrettons profondément la mort du premier. Celle du second, NON.

J’avoue que je suis tout aussi scandalisé que lui par tant de bêtise.

 

Je l’ai dit quelquefois, je suis pour ma part essentiellement végétarien, pour des raisons de géopolitique (la surconsommation contemporaine de viande est un fléau sanitaire mais surtout écologique) autant que par respect des animaux.

Et je comprendrais donc – même si ce n’est pas mon cas – qu’un pur végétalien, un « végan » qui refuse de tuer tout animal et s’abstient donc de consommer des produits animaux, ait une légitimité pour s’opposer à la corrida.

Mais combien y a-t-il de purs végans au sein de l’AUCMA ou autres organismes similaires ?

Sans doute bien peu par rapport au nombre de ceux qui, au moment de déguster leur viande, se voilent pudiquement la face devant l’horreur des abattoirs si souvent dénoncée, tout en soulageant leur conscience en condamnant la corrida…

« Cachez ce sang que je ne saurais voir »…

Pour ma part, je ne suis donc pas « végan », mais seulement essentiellement végétarien. C’est-à-dire que je consomme du fromage (il m’est même arrivé d’en fabriquer dans une vie antérieure…), des œufs, du miel, etc. et qu’occasionnellement je mange de la viande. Cela non seulement par allergie au dogmatisme, ou parce que j’habite un de ces nombreux endroits du monde où l’élevage est la seule activité permise par l’environnement, mais aussi parce qu’il serait bien hypocrite de croire que la consommation de produits laitiers ne nécessite pas la mort des animaux.

Cependant, une longue fréquentation des éleveurs (je dis bien « éleveurs », car, tout comme il faut distinguer les chasseurs des « viandards », il faut distinguer les éleveurs des « producteurs de viande », hélas trop nombreux) m’a fait comprendre que tout éleveur digne de ce nom aime ses animaux, qu’il les respecte et les connaît par leurs noms. La plupart souffrent d’ailleurs de devoir les laisser partir dans des conditions catastrophiques vers des usines d’abattage où ils sont souvent massacrés de façon anonyme et indigne.

Car ce n’est pas avant tout la mort qui constitue le problème de l’élevage. Comme il existe une pêche responsable, il existe aussi un élevage responsable où l’animal, jusque dans sa mort, n’est pas transformé en marchandise. J’ai la chance de fréquenter des montagnes où je rencontre des vaches et des brebis heureuses, comme il existe des bêtes heureuses dans les élevages taurins. Ce qui fait problème, c’est l’industrialisation de la « production » intensive et concentrationnaire de viande et du massacre de masse, rendue indispensable du fait de la surconsommation de produits carnés (et de poisson) par une humanité en développement démographique non régulé.

Déjà, Vassili Grossman établit un lien entre l’abattage de masse des animaux et celui des humains dont il a été le témoin (par ex. p. 166 de Vie et Destin, dans Œuvres, Robert Laffont, Bouquins, Paris 2006).

Or, le fait culturel ancestral et universel d’un élevage digne et respectueux de l’animal me semble rencontrer en partie ce qui se passe dans l’arène.

Dans les deux cas, la mort de l’animal n’est pas escamotée, dissimulée à la vue et à la conscience bien-pensante dans quelque mouroir immonde. Elle est centrale. Comme est centrale cette vie animale qui a accompagné la nôtre, et qui se résout maintenant dans une mort qui est aussi la figure de la nôtre.

Mort et vie sont inscrites dans la réalité visible des choses, et assumer en conscience cette centralité dans la dignité et le respect me semble faire partie d’une très ancienne et remarquable forme de sagesse que j’ai pour ma part souvent rencontrée dans la société des éleveurs, des bergers, et dans la considération pour les animaux qui la caractérise. Considération qui peut aller jusqu’à l’admiration, dans le cas de la tauromachie.

Il n’est peut-être pas étonnant qu’une société qui dissimule, qui se dissimule la mort des animaux soit aussi celle qui dissimule le plus possible la mort des humains.

Et pourtant, on peut penser qu’en tout cela, la visibilité est fondamentale. L’homme est sans doute le seul animal à avoir une conscience approfondie de la mort, de la sienne propre comme de celle d’autrui, et de celle de cet autre particulier qu’est l’animal.

Et l’arène ne serait-elle pas justement l’un des lieux où cette particularité se rend visible, se met en scène ?

Lieu où se rejoue l’un de ces innombrables récits fondateurs, où l’émergence de la vie se trouve mystérieusement liée au sacrifice primordial.

Comme l’Univers prend naissance, dans le dixième livre du Rig-Veda, grâce à la mort assumée et au démembrement du « Purusha », l’Homme Cosmique ;

Comme le sang du taureau donne la vie en fertilisant la terre dans le culte de Mithra ;

Ou comme, pour la poétesse Marie Noël, le fond même de ce qui est serait à comprendre comme don réciproque :

« Et peut-être au commencement, chaque être, animal ou plante, se donnait à l’autre dans la joie » (Notes intimes, Paris, Stock 1959, p.33).

« Animal ou plante », car n’en déplaise aux végétaliens stricts, c’est bien le règne du vivant tout entier qui se constitue en régime de prédation. Marguerite Yourcenar prête à ce sujet une stimulante réflexion à Hadrien :

« Quant aux scrupules religieux du Gymnosophiste [c’était le nom que les grecs et latins donnaient aux sages orientaux végétariens, hindouistes, jaïns etc.] à son dégoût en présence de chairs ensanglantées, j’en serais plus touché, s’il ne m’arrivait de me demander en quoi la souffrance de l’herbe qu’on coupe diffère essentiellement de celle des moutons qu’on égorge, et si notre horreur devant les bêtes assassinées ne tient pas surtout à ce que notre sensibilité appartient au même règne » (Mémoires d’Hadrien, Gallimard , Folio 1974, p. 19).

Tout comme l’éthologie découvre de plus en plus la réalité de la sensibilité animale, la botanique contemporaine découvre, elle, celle des plantes.

Si donc le critère du respect de l’autre se reporte, légitimement, de son être conscient à son être sensible, pourquoi faudrait-il exclure le végétal de ce respect ? Et la surexploitation cupide et destructrice du règne végétal ne pose-t-elle pas, elle aussi, des problèmes éthiques ?

Faudrait-il donc devenir « respirien », se contenter d’air et d’eau fraîche (et d’un peu d’amour, tout de même) ? Mais, au-delà du fantasme, la façon vraiment humaine de se nourrir ne consisterait-elle pas en l’humble reconnaissance de notre condition foncière de prédateur, et, dans cette conscience, en la transfiguration de cette nécessité cruelle en respect et gratitude pour le don que nous fait l’autre de sa vie, qu’elle soit humaine, animale, végétale, ou peut-être même divine ?

Après tout, autant les antiques rituels d’abattage que la bénédiction des aliments n’avaient-ils pas pour but d’extraire notre nourriture de tous les jours du seul ordre trivial de l’utilitaire pour l’insérer dans celui du respect, de la reconnaissance, du don ?

Mais en ce qui concerne la corrida, il y a sans doute encore autre chose. Car l’animal d’élevage, même lorsqu’il est l’objet de l’égard et du respect de son éleveur, de la reconnaissance et de la gratitude de celui qu’il nourrit, même lorsqu’il n’est pas dissimulé dans les poubelles honteuses de notre société consumériste, demeure tout de même marqué par l’utilitaire. Son être ne peut totalement s’en extraire. Son animalité se définit d’abord par son utilité pour nous.

Mais, tout comme les animaux dont nous parlent certains récits de chasse (je pense en particulier au magnifique « Poids du papillon » de Erri de Luca), il se peut que le « toro bravo » de l’arène soit l’un des derniers représentants de cette animalité indomptable, sauvage, noble (tout ce vocable faisant partie du lexique de la corrida), radicalement irréductible au besoin que nous en avons. Fut-il affectif comme le montre l’explosion du nombre des animaux domestiques.

Animalité qui manifeste, dans sa dignité et l’éclat de sa beauté, toute la fascination et le danger de ce qui est « autre ».

Alors, me direz-vous, pourquoi ne pas la laisser vivre, tout simplement ? Pourquoi ne pas détourner l’épée ou le fusil, comme le fait, dans un geste magnifique, Mike (Robert de Niro), le chasseur de cerf de « Voyage au bout de l’enfer » (The Deer Hunter) de Michael Cimino ?

Je ne sais pas… Un tel geste a cours aussi dans la corrida, rarement toutefois, lorsque la noblesse de l’animal ne peut qu’en exiger la grâce.

Mais peut-être est-ce pour cela que, tout en admirant la corrida, je ne suis pourtant pas aficionado. Parce que je me sens probablement dans le fond plus proche de Mike que du torero.

Je laisse donc ici la parole à un plus aficionado que moi, le philosophe Francis Wolff. Car on peut enseigner à l’École normale supérieure et être un ardent défenseur de la corrida :

Il est possible qu’un jour, Élisabeth [Élisabeth de Fontenay, philosophe avec laquelle il débat dans l’émission dont le lieu se trouve ci-dessous], vous et vos amis gagniez et que la corrida soit interdite. Ne vous réjouissez pas trop vite ce jour-là.

J’espère être mort ce jour-là mais ne vous réjouissez pas trop vite. L’humanité n’a pas à y gagner grand-chose. Et l’animalité peut y perdre.

Que restera-t-il, pour peupler les rêves de l’humanité, de son autre qu’est l’animal, de son autre parfois redoutable, parfois nuisible, parfois admirable, lorsqu’il ne restera plus pour peupler ses rêves que des chats sur des moquettes à qui on aura coupé les ongles et coupé les couilles ; et que la seule relation que les hommes noueront en tous cas dans nos chaumières – pas en Afrique pas là où l’on sait encore ce qu’est l’animal redouté ou l’animal nuisible – que restera-t-il des rêves de l’humanité ? Nous l’aurons, et je le crains, vous les aurez appauvris. La corrida est un des lieux où se joue encore un rapport réel, risqué, humain avec l’animalité.

https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/face-la-corrida

Et me vient en mémoire la mort énigmatique du lieutenant Angustina, dans Le désert des Tartares de Dino Buzzati :

Que vouliez-vous dire, Iván Fandiño ? Vous vous en êtes allé sans achever votre phrase.

 « La voix du vent, montant du sombre précipice, est seule à répondre ». « Peut-être n’était-ce qu’une chose idiote et banale, peut-être un espoir absurde, peut-être aussi n’était-ce rien » (Livre de Poche, p. 143).

Peut-être…

Il n’empêche. Vous avez fait vivre pour moi quelque chose dont j’avoue avoir du mal à définir la beauté.

Que cherchiez-vous ? Peut-être un rêve. Peut-être un rien. Je ne sais pas…

Mais dans un monde souvent si bas et veule, je vous suis profondément reconnaissant d’en avoir exprimé le risque, et le mystère.

Por las gradas sube […]
con toda su muerte a cuestas.
Buscaba el amanecer,
y el amanecer no era.
Busca su perfil seguro,
y el sueño lo desorienta.
Buscaba su hermoso cuerpo
y encontró su sangre abierta.

(Par les gradins [il] monte
portant sur lui toute sa mort
Il cherchait le lever du soleil
mais l’aube n’était pas là.
Il cherche sa meilleure posture,
mais son rêve le désoriente.
Il cherchait son corps splendide,
et trouva son sang répandu).

F. García Lorca, Llanto por Ignacio Sánchez Mejías [je me suis permis de retirer le nom d’Ignacio pour dédier le poème à Iván].

Quelques brèves : sur le mythe de la croissance verte et sur la nécessité d’envisager une « économie de l’effondrement ». Et sur Pasolini, les homosexuels, les femmes, et les scandales dans l’Église catholique.

Il y a quelques semaines déjà, une recension par Hubert Guillaud de livres qui me paraissent essentiels, et sur lesquels j’espère pouvoir revenir.
Une fois de plus, je suis étonné que de tels ouvrages suscitent si peu d’échos, quand on les compare aux « subprimes de la pensée » ou autres inflations démagogico-politico-électorales dont se gargarisent les médias.

Quelques extraits de l’article :
http://internetactu.blog.lemonde.fr/2015/10/17/faut-il-prendre-leffondrement-au-serieux/#xtor=RSS-3208

« Les scénarios d’avenir énergétiquement vertueux, qui nous proposent de changer de modèle énergétique pour des solutions plus durables à base de solaire, d’éolien, d’hydraulique, de géothermie (…) sont tous basés sur des déploiements industriels ambitieux en matière d’énergie renouvelable – même si tous évoquent également, d’une manière plus ou moins appuyée, l’exigence à décroître.
Le problème, c’est le manque de disponibilité et de réserves de ressources en minerai et matières premières – ce que l’on appelle l’épuisement des éléments – pour capter, convertir et exploiter les énergies renouvelables.

L’insoluble équation des ressources

C’est ce qu’explique l’ingénieur Philippe Bihouix, spécialiste de la finitude des ressources, dans son livre, L’âge des low tech [Collection Anthropocène, Seuil 2015]. Nous avons jusqu’à présent toujours trouvé des solutions techniques pour remplacer les ressources épuisées ou en chercher de nouvelles et produire de nouvelles énergies. Alors qu’alternent dans les médias sérieux les pires constats concernant l’état de notre planète et les annonces tonitruantes de nouvelles percées technologiques, nous sommes confrontés à une contradiction qui sonne comme un défi insurmontable.
Ressource après ressource, dans son livre, Bihouix égraine l’état de décomposition des stocks. Après avoir exploité les ressources les plus concentrées, nous sommes amenés à exploiter des ressources de moins en moins concentrées et donc de plus en plus difficiles à extraire et qui nécessitent de plus en plus d’énergie pour être transformées. Comme il l’explique très bien dans cet article où il résume son livre: « Nous faisons face à ces deux problèmes au même moment, et ils se renforcent mutuellement : plus d’énergie nécessaire pour extraire et raffiner les métaux, plus de métaux pour produire une énergie moins accessible. »
(…)

Cela relativise bien sûr « Le mythe de la croissance verte »:

« Les technologies que nous espérons salvatrices ne font qu’ajouter à ces difficultés. « Car les nouvelles technologies vertes sont généralement basées sur des nouvelles technologies, des métaux moins répandus et contribuent à la complexité des produits, donc à la difficulté du recyclage », explique le spécialiste en prenant plusieurs exemples. Pour réduire les émissions de CO2 par kilomètre, sans renoncer à la taille ni aux performances des véhicules, la principale solution est de les alléger, ce qui rend ceux-ci non recyclables en fin de vie. Les bâtiments à basse consommation consomment aussi des ressources rares via l’électronique qui les équipe ou les matériaux qu’ils utilisent. Bref, le « macro-système technique » que l’on imagine pour l’avenir, bourré d’électronique et de métaux rares… n’est pas soutenable.
Même si des innovations techniques stimulantes peuvent apparaître, leur déploiement généralisé et à grande échelle prend du temps… Et l’ingénieur d’enterrer sous les chiffres la généralisation des énergies renouvelables à grande échelle.
« Eolien, solaire, biogaz, biomasse, biocarburants, algues ou bactéries modifiées, hydrogène, méthanation, quels que soient les technologies, les générations ou les vecteurs, nous serons rattrapés par un des facteurs physiques : impossible recyclage des matériaux (on installe d’ailleurs aujourd’hui des éoliennes et des panneaux solaires à base de matériaux que l’on ne sait pas recycler), disponibilité des métaux, consommation des surfaces, ou intermittence et rendements trop faibles. Les différentes énergies renouvelables ne posent pas forcément de problème en tant que tel, mais c’est l’échelle à laquelle certains imaginent pouvoir en disposer qui est irréaliste. (…) Il n’y a pas assez de lithium sur terre pour équiper un parc de plusieurs centaines de millions de véhicules électriques et pas assez de platine pour un parc équivalent de véhicules à hydrogène. »
(…)
La planète n’a pas de plan B

Pour Philippe Bihouix, il n’y a pas de plan B. Comme il le dit dans son article. « Il nous faut prendre la vraie mesure de la transition nécessaire et admettre qu’il n’y aura pas de sortie par le haut à base d’innovation technologique – ou qu’elle est en tout cas si improbable, qu’il serait périlleux de tout miser dessus. Nous devrons décroître, en valeur absolue, la quantité d’énergie et de matières consommées. »

Tout cela nous ramène à l’urgence d’envisager non plus une économie de la croissance indéfinie (y compris démographique), qui devrait être désormais hors de propos, mais bien une économie de la décroissance généralisée, voire à prendre en compte de façon lucide et rationnelle, comme le font Pablo Servigne et Raphaël Stevens, un avenir caractérisé par l’effondrement :

L’effondrement
Notre avenir hésite donc entre une lente submersion et un effondrement. Rien de réjouissant.
L’effondrement, c’est pourtant la piste qu’explorent Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans un autre livre de la collection anthropocène du Seuil, qui sonne comme une suite ou un prolongement au titre de Bihouix. Dans le très documenté Comment tout peut s’effondrer, Servigne et Stevens envisagent le pire : rien de moins que l’effondrement de notre civilisation.
(…)
Bihouix, Stevens, Servigne nous invitent à prendre conscience que nous devons apporter des réponses innovantes et technologiques plus adaptées aux contraintes qui sont les nôtres. Que le déni du changement climatique et de la finitude des ressources ne nous aidera en rien. Ils nous invitent à affronter nos peurs et à y répondre. À être courageux… et donc ambitieux.

À lire d’urgence, donc.

Mais qui prend vraiment la mesure, au niveau politique, de ces nouveaux défis, et qui montre « le courage » et « l’ambition » d’y répondre ?

Bien sûr, l’une des voies fondamentales vers la résolution partielle de ces problèmes doit être, en plus de la décroissance économique, l’urgente décroissance démographique, dont il a été souvent question sur ce blog.

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/03/27/politique-demagogie-demographie-une-petite-recension-dalan-weisman-compte-a-rebours-jusquou-pourrons-nous-etre-trop-nombreux-sur-terre/

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/08/15/rien-de-nouveau-sous-frere-soleil-a-propos-des-langues-regionales-et-de-la-demographie-pontificale/
etc.

Mais la fin de la politique de l’enfant unique en Chine montre bien la difficulté de faire admettre la nécessité de cette régulation démographique urgente, face à l’appel à court terme des Sirènes de la croissance, de la production et de la gestion confortable des retraites.

Comme de celles d’un expansionnisme territorial, qui a coutume d’accompagner dans l’Histoire les démographies fortes, et dont la Chine, avec un budget militaire devenu le deuxième au monde et la plus importante armée du globe en termes d’effectifs, nous donne désormais des exemples en Extrême Orient…

http://www.bilan.ch/economie-plus-de-redaction/depenses-militaires-de-chine-de-russie-explosent

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Ce 2 novembre, quarantième anniversaire de la mort de Pasolini.

Et, à ma connaissance, pas un hommage, où que ce soit.

Aucune de ces chaînes qui se disputent quelques guignols satisfaits n’a eu l’idée de diffuser l’une de ces merveilles que sont Accatone, Mamma Roma, Uccellacci e uccellini, l’Évangile selon Saint Matthieu ou autre Théorème.

Œuvres d’une extraordinaire profondeur humaine et d’une rare exigence éthique, dans leur attention aux pauvres, aux humiliés et où apparaissent tant de figures christiques.

Mais ce n’est certes pas non plus du côté de l’Église catholique qu’on trouvera quelque évocation de l’auteur de ces chefs-d’œuvre, en dépit du miraculeux grand prix de l’Office catholique international du cinéma attribué en 1968 à Théorème, erreur de casting due à un jury irresponsable d’ailleurs rapidement désavoué par l’Institution.

Car l’homme était homosexuel, communiste inclassable, scandaleux…

Et il ne faut tout de même pas mélanger les torchons et les serviettes…

C’est déjà bien assez de l’habituelle condescendance empreinte de commisération, qui va jusqu’à concéder, dans ses élans les plus charitables, que les homosexuels peuvent parfois se comporter comme des êtres moraux, ou, avec un cardinal probablement d’avant-garde, qu’on peut même « avoir de l’estime » pour des homosexuels et reconnaître qu’ils ont « des dons et des qualités » (« Quelle audace ! Mais jusqu’où ira donc notre Église ? », s’exclame Stultitia stupéfaite).

On est en effet très heureux de l’apprendre. Car sans de telles envolées prophétiques, on aurait eu du mal à s’en douter.

On est cependant en droit de s’interroger sur la légitimité spirituelle de telles sommités institutionnelles, lorsqu’elles donnent la preuve que, dans ses plus hautes manifestations, leur discernement éthique est encore loin d’atteindre celui de l’homme de la rue de bonne volonté. Alors même qu’elles prétendent s’arroger la charge de l’admission des hommes à la communion d’un Dieu de miséricorde…

Pour ma part, s’il est quelque chose comme un Paradis, et s’il m’est donné un jour de m’y aventurer (« On peut toujours espérer une erreur d’aiguillage », me dit Stultitia, optimiste), je confesse que j’aurai plus de joie à m’y entretenir avec Pasolini ou García Lorca, mon maître de toujours, qu’avec nombre de fauteurs d’Inquisitions, de prêcheurs de croisades ou de bénisseurs de bourreaux franquistes et leurs complices, qu’ils soient papes, évêques ou saints dûment estampillés.

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2013/11/22/inquisition-croisades-et-bisounourseries-pontificales/

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/01/04/de-la-lecture-de-lydie-salvayre-comme-therapie-contre-lalzheimer-spirituel-et-quil-ne-faut-pas-prendre-les-petites-filles-pour-des-enfants-de-choeur/

« Mais tu sais bien que la question ne se pose pas. Tu ne penses tout de même pas rencontrer des communistes dissidents ou des sodomites au Paradis » me dit Stultitia.

Soit.
Mais dans ce cas, j’avoue que je n’aurais pas grande estime pour le Maître des lieux. Et que j’irai sans doute voir ailleurs.

********

Et, pour rester dans la tonalité ecclésiastique, ces quelques extraits d’un article de Laurence Desjoyaux, concernant le récent « Synode sur la famille », tirés de l’hebdomadaire « La Vie » :

http://www.lavie.fr/debats/chretiensendebats/au-synode-cherchez-la-femme-29-10-2015-67802_431.php

Des femmes invisibles
Comme le pointe Lucetta Scaraffia dans Le Monde, nombre de femmes présentes au synode ne semblent pas s’offusquer outre mesure de la place qui leur est réservée. Beaucoup d’entre elles sont d’ailleurs invitées au titre de membre d’un couple. « J’ai bien essayé de partager mes impressions avec les quelques autres femmes présentes au synode, mais elles me regardaient toujours avec étonnement : pour elles, ce traitement était tout à fait normal. La plupart n’étaient là qu’en tant que membre d’un couple – au moment des interventions de clôture, j’ai entendu d’improbables récits de mariages narrés de concert avec le mari », narre la journaliste.
Pourtant, insiste-t-elle, « les femmes sont quasi invisibles. Et quand je les évoque, avec force, dans mes interventions, me plaignant de leur absence alors même qu’il s’agit de débattre de la famille, on me trouve « très courageuse ». Me voilà applaudie, remerciée même parfois ; je suis un peu surprise, puis je comprends qu’en parlant clairement je les ai dispensés de le faire. »

Dans une de ses interventions, publiée par La Vie, Lucetta Scaraffia n’a d’ailleurs pas hésité à dire clairement aux pères synodaux son regret sur cette faible place accordée aux femmes : « (…) dans le texte ou dans les débats, il est très peu question de nous, les femmes. Comme si les mères, les filles, les grand-mères, les épouses, c’est à- dire le cœur des familles, ne faisaient pas partie de l’Église, de cette Église qui comprend le monde, qui pense, qui décide. (…). Dans le monde les familles sont très différentes les unes des autres mais, dans toutes les familles, ce sont les femmes qui jouent le rôle principal et décisif pour en garantir la solidité et la durée. »

L’affaire du vote
Un événement a achevé de mettre les femmes à l’écart du processus de décision du synode sur la famille. L’impossibilité de voter pour les propositions finales. Une interdiction jugée d’autant plus injuste qu’un religieux non ordonné, le Frère Hervé Jeanson, prieur des Petits Frères de Jésus, a lui eu le droit de voter. Un droit qu’il a pensé un temps refuser par solidarité avec les religieuses femmes, comme il l’explique lors d’une conférence de presse au Vatican (…). « Moi-même j’ai été très mal à l’aise au mois de mai quand j’ai appris que le pape me donnait la permission d’être membre de plein droit (et donc de voter, ndlr). J’étais très mal à l’aise parce que avant la distinction c’était entre clercs et laïcs et maintenant ça devenait entre hommes et femmes, puisque les religieuses, elles sont trois, sont auditrice mais n’ont pas le droit de vote. C’est une question que moi-même je me suis posée en me demandant s’il fallait que j’accepte ou pas. »

Dans la revue America, le jésuite James Martin analyse : « C’est une grave erreur pour le synode. Auparavant, du moins de ce que j’en sais, il semble que l’ordination ait été la condition sine qua non pour voter. En plus des évêques, certains prêtres étaient donc nommés membres votants. Des arguments théologiques solides permettaient de le justifier (…) Maintenant, il semble que la condition pour pouvoir voter n’est pas d’être ordonné mais d’être un homme. (…) Pour moi, c’est une forme de sexisme. »

[Sur tout cela, voir la « différence ontothéologique » entre hommes et femmes, signalée dans la deuxième partie de :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/01/04/de-la-lecture-de-lydie-salvayre-comme-therapie-contre-lalzheimer-spirituel-et-quil-ne-faut-pas-prendre-les-petites-filles-pour-des-enfants-de-choeur/ 

Un article sur les femmes dans le texte final
Le synode, zéro sur les femmes ? Pas tout à fait. L’article 27 du texte final leur est consacré (…)
Comme le note le blogueur Koz, « quand je lis que le synode (et notamment ce passage, ndlr) souhaite une « valorisation de la responsabilité des femmes dans l’Église », « leur intervention dans les processus décisionnels, leur participation au gouvernement de quelques institutions » – et jusque la participation des femmes à la formation des « ministres ordonnés », point peu relevé d’ailleurs – il me paraît indispensable que cela se traduise en actes. »
Pour lui, il est dommage que l’Église prête le flanc à la critique en réduisant la place des femmes au synode à portion congrue. « C’est fort rageant, parce qu’il ne serait pas bien compliqué d’y remédier, parce que cela ne me paraît pas correspondre à la réalité de l’Église au quotidien, que nous avons bien d’autres enjeux à traiter, et que cela nous soumet inutilement aux critiques. »

Sœur Carmen Sammut, raconte, elle, qu’elle a accueilli avec soulagement cet article 27 dans le texte final du synode et qu’elle attend sa mise en œuvre : « samedi soir, j’ai eu la joie de voir, encore une fois, que l’Esprit Saint a le dernier mot, confie-t-elle à La Croix. Je suis heureuse que le texte final parle de la nécessité de défendre et de promouvoir la dignité de la femme, de la discrimination et des violences dont elle est souvent l’objet. Et il reconnaît que leur participation au sein de l’Église dans les processus de décision, dans la gouvernance de certaines institutions et dans la formation des prêtres, peut contribuer à une meilleure reconnaissance sociale des femmes. Nous attendons maintenant que ces déclarations soient mises en pratique. »

Déclarations extraordinaires, qu’on ne peut bien comprendre qu’en recourant aux fines analyses d’Albert Memmi, dans Le portrait du colonisé , Payot, Paris, 1973 :

« Je découvrais du même coup, en somme, que tous les Colonisés se ressemblaient ; je devais constater par la suite que tous les Opprimés se ressemblaient en quelque mesure » (p. 11).

Bien sûr, ces remarques valent pour la situation des femmes en général, mais aussi dans les religions et dans l’Église en particulier.

« Les ambiguïtés de l’affirmation de soi ».
Le colonisé s’accepte comme séparé et différent, mais son originalité est celle délimitée, définie par le colonisateur. (…)
(…) Oui, c’est bien cela, il en convient. Un auteur noir s’est évertué à nous expliquer que la nature des noirs, les siens, n’est pas compatible avec la civilisation mécanicienne. Il en tirait une curieuse fierté. En somme, provisoirement sans doute, le colonisé admet qu’il a cette figure de lui-même proposée, imposée par le colonisateur. Il se reprend, mais il continue à souscrire à la mystification colonisatrice (p.164).
« Ce mécanisme n’est pas inconnu : c’est une mystification. L’idéologie d’une classe dirigeante, on le sait, se fait adopter dans une large mesure par les classes dirigées (…). En consentant à cette idéologie, les classes dominées confirment, d’une certaine manière, le rôle qu’on leur a assigné. Ce qui explique, entre autres, la relative stabilité des sociétés ; l’oppression y est, bon gré mal gré, tolérée par les opprimés eux-mêmes » (p. 117).

C’est bien ce mécanisme de la « mystification » qui explique le regard étonné de ces femmes qui « ne semblent pas s’offusquer outre mesure de la place qui leur est réservée », dont parle plus haut Lucetta Scaraffia.

Mais quelle plus belle illustration de la dite « mystification » peut-on donner que celle qui consiste à faire accepter comme une promotion le fait que les femmes puissent participer à la formation de ceux qui les oppressent !

L’article 27, dans le texte final du synode « reconnaît que leur participation [celle des femmes] au sein de l’Église dans les processus de décision, dans la gouvernance de certaines institutions et dans la formation des prêtres, peut contribuer à une meilleure reconnaissance sociale des femmes » dit Sœur Carmen Sammut.

Sachant qu’une paranoïa institutionnelle et sacerdotale a écarté de façon « définitive » (sic) l’accès des femmes aux postes où s’exerce la responsabilité réelle, du fait de leur impossibilité « ontothéologique » de recevoir l’ordination dite « sacerdotale »,

Cf. là-dessus: http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/01/31/des-papes-de-la-pedophilie-de-lordination-des-femmes-et-de-quelques-autres-rudiments-de-theologie-sommaire/

le fait de les faire participer à la « formation des prêtres » devient un comble de l’ironie sournoise du colonisateur.

« Car elles devront bien enseigner à leurs élèves la lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis du 22 mai 1994, dans laquelle le pape Jean Paul II déclare : ‘’ C’est pourquoi, afin qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l’Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères (cf. Lc 22,32), que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église ‘’ », constate Stultitia en toute logique.

Ajoutons que la Congrégation pour la Doctrine de la Foi précise que ce document relève de « l’infaillibilité »…

« C’est donc aux femmes elles-mêmes que sera confié le soin de perpétrer les justifications  »théologiques » de la domination qu’elles subissent. Quel chef d’œuvre de la mystification colonisatrice ! » ajoute-t-elle, admirative.

Fort heureusement, le beau livre d’Albert Memmi se termine sur des notes optimistes: le colonisé peut guérir.

Mais,

« pour voir la guérison complète du colonisé, il faut que cesse totalement son aliénation : il faut attendre la disparition complète de la colonisation » (p. 168).

Ajoutons que cette guérison ne peut que servir à la santé du colonisateur lui-même :

« Certes, il y a un drame du colonisateur, qu’il serait absurde et injuste de sous-estimer. Car sa guérison suppose une thérapeutique difficile et douloureuse, un arrachement et une refonte de ses conditions actuelles d’existence. Mais on n’a pas vu assez qu’il y a drame aussi, plus grave encore, la colonisation continuant.
La colonisation ne pouvait que défigurer le colonisateur » (p. 171-172).

Quelle sera alors la solution qui permettra le rétablissement de la santé du colonisé aussi bien que celle du colonisateur ?
Memmi nous la dévoile sans équivoque :

« La révolte est la seule issue à la situation coloniale, qui ne soit pas un trompe l’œil, et le colonisé le découvre tôt ou tard. Sa condition est absolue et réclame une solution absolue, une rupture et non un compromis » (p. 155).

« C’est bien pourquoi il faut changer de paradigme », ajoute Stultitia, car, une fois encore, comme le dit Einstein, « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ».

PS : Au vu des « révélations » récentes de Gianluigi Nuzzi,

http://abonnes.lemonde.fr/international/article/2015/11/03/le-saint-siege-secoue-par-un-nouveau-vatileaks_4801818_3210.html

http://www.lemonde.fr/religions/article/2015/11/03/les-extraits-de-chemin-de-croix-de-gianluigi-nuzzi_4802184_1653130.html

http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/11/03/au-vatican-le-pape-lui-meme-est-vu-comme-un-intrus_4802047_3214.html

on pourrait penser que le pape a d’autres chats à fouetter que de s’occuper de questions théologiques.

Mais ce serait, je pense, une grave erreur.

Car il serait erroné de considérer que la grave « incurie curiale » dont témoignent les dites « révélations » relèverait de dysfonctionnements purement administratifs.

La racine est très probablement plus profonde : comme dans le cas des affaires de pédophilie, les incohérences et abus de pouvoir qu’elles révèlent ont été sans doute amplement favorisés par l’hypertrophie d’un pouvoir clérical fondé sur un dévoiement inhérent à la notion de « pouvoir sacré », elle-même blasphématoire.

De tels abus se manifestent donc bien sûr au niveau administratif, mais leur essence est avant tout théologique.

Leur résolution ne peut donc passer que par une révolution elle-même théologique (retour à la tradition biblique par l’évacuation du « contre sens » de la sacerdotalisation, reconsidération de la théologie des ministères et de l’habilitation aux fonctions sur des bases non cléricales, et donc réévaluation réelle – et non « mystificatrice » – de la place des femmes, etc.).
(Sur tout cela, cf. encore le post du 31/01/2014 mentionné ci-dessus).

Mais si François manifeste à l’évidence une volonté courageuse de s’attaquer aux symptômes, est-il vraiment en mesure, de par son approche théologique, d’extirper le mal à la racine ? Des remarques comme celles du jésuite James Martin mentionné plus haut semblent montrer que « le mode de pensée » qui a « engendré les problèmes » est encore bien vivant, et que le chemin, si tant est qu’il soit emprunté, risque pour le moins d’être bien long…

De la lecture de Lydie Salvayre comme thérapie contre l’Alzheimer spirituel. Et qu’il ne faut pas prendre les petites filles pour des enfants de chœur.

Comme beaucoup, je me suis réjoui des récents propos du pape François, qu’un éditorial du Monde (du 28/29/12) a qualifié de « pape putschiste » après sa « charge dévastatrice » contre la curie romaine.

http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/12/22/alzheimer-spirituel-narcissisme-le-severe-proces-du-pape-fait-a-la-curie_4545034_3214.html

Belle manifestation de courage et de lucidité en effet, et que l’on souhaite durable, même si l’on peut craindre que la curie en question ait plus d’un tour dans son sac.

Mais je voudrais revenir un peu sur la question de l’Alzheimer, dont l’un des signes, nous dit Wikipédia, « est la perte de mémoire, qui se manifeste par des difficultés à se souvenir des faits récemment appris ».

Il n’est certes pas de mon propos de nier que le christianisme est, aujourd’hui, le courant de pensée le plus persécuté au monde.

(cf. sur ce point l’ouvrage essentiel, sous la direction de J.-M. di Falco, T. Radcliffe et A. Riccardi , Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde, XO éditions, 2014).

Ni de me joindre au concert de ceux qui font de l’antichristianisme sommaire un fond de commerce dont la rentabilité ne semble pas se démentir.

Mais il est tout de même difficile de ne pas se rappeler que, pendant des décennies, l’invocation par les communistes de leur appartenance au « parti des fusillés » faisait figure d’argument définitif qui était censé réduire au silence les critiques sacrilèges émettant quelques réserves quant aux épurations staliniennes, au Goulag ou autres détails de l’Histoire.

On ne voit donc pas pourquoi le fait d’être, ou d’avoir été, incontestablement dans le camp des victimes, devrait faire oublier qu’on a soi-même été, incontestablement, du côté des bourreaux.

J’étais déjà intervenu, il y a quelques mois, pour évoquer l’étonnante amnésie qui avait frappé le pape François lors de l’un de ses premiers actes officiels d’importance, la béatification massive, le 13 octobre 2013, des dénommés « martyrs de la guerre civile espagnole ».

Voir :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2013/11/22/inquisition-croisades-et-bisounourseries-pontificales/

Car si, selon la Conférence épiscopale espagnole, 6 832 catholiques ont effectivement été tués au cours de la guerre civile, les victimes de la Croisade franquiste, copieusement bénie à tous les niveaux de la hiérarchie catholique, à commencer par les papes, se chiffrent, elles, par dizaines, voire centaines de milliers (selon Antony Beevor, historien reconnu du franquisme, le bilan de la répression nationaliste atteindrait les 200 000 victimes : La Guerre d’Espagne, Calmann-Lévy, 2006, pp. 180-181. D’autres historiens, Michael Richard, Gabriel Jackson, etc. parlent de 400 000).

Certes, les débats de chiffres apparaissent indécents devant de telles horreurs.

Mais pourquoi donc, de la part de la hiérarchie catholique, organiser de façon délibérée et rémanente le silence sur ces exécutions ?

Au milieu des actions de grâce à la gloire de la sainteté des « martyrs », le calvaire de ces malheureux innombrables ne méritait-il pas d’être au moins mentionné ?

Ne parle-t-on pas de « charité chrétienne » ?

Notre bon pape François serait-il donc lui aussi atteint de quelque symptôme « d’Alzheimer spirituel », et sur un sujet tout de même autrement important que les gargouillis, certes insupportables mais plutôt véniels, du marécage curial ?

Dans le post cité plus haut, j’avais dit que « l’oubli, l’omission, comme la justification des crimes du passé – et du présent – a toujours été, on le sait, un laissez-passer pour les crimes à venir ».

Et j’ai été heureux de trouver cette opinion confortée par la lecture du beau prix Goncourt de Lydie Salvayre quand elle évoque les propos du Bernanos des Grands cimetières sous la lune :

« Et tant pis si ses paroles manquent de mesure.

Et tant pis si elles sont imprudentes.

Elles le seront toujours moins que le déni (on sait d’expérience qu’un mal dénié réapparaît plus violemment). Elles le seront toujours moins que l’indifférence polie qui endort le cœur et engourdit la langue. Et elles le seront toujours moins que le silence (…). Aux yeux de Bernanos, l’Église espagnole, en se faisant la sous-traitante de la Terreur des nationaux, a perdu définitivement son honneur » (Pas pleurer, Seuil, 2014, p. 94).

Pour ma part, je n’aurais peut-être pas été aussi loin ; j’aurais peut-être accordé un sursis, quoique sans trop d’illusion, avant le « définitivement ». Mais il est vrai que le fait de voir l’actuelle Église d’Espagne entraîner dans la complicité le pape François, jusqu’à lui faire entériner par son silence les appels à la Croisade de la hiérarchie et le mutisme, voire la bénédiction de ses prédécesseurs Pie XI et Pie XII ne laisse pas de poser question…

Faut-il donc rappeler au Saint Père que Lydie Salvayre est psychiatre (ça ne s’invente pas !), et qu’à ce titre, elle est particulièrement qualifiée pour ce qui est du traitement de l’Alzheimer ?

Peut-être préconiserait-elle dans ce but quelques exercices de mémoire, qui utiliseraient toujours les écrits de Bernanos, par exemple :

« Que les rouges d’Espagne aient massacré des prêtres, ce n’était qu’une raison de plus, dit Bernanos, une raison déterminante pour prendre ouvertement la défense de leurs femmes et de leurs enfants innocents. À ses yeux de chrétien porté par l’esprit de l’Évangile et le cœur de Jésus, s’il est un abri sur terre, un lieu de miséricorde et d’amour, c’est au sein de l’Église qu’il se trouve » (id. ibid. p. 93).

Ou encore :

« L’épuration entreprise par les nationaux avec la bénédiction immonde du clergé est aveugle, systématique, et relève de la Terreur. Il hésite encore à le dire. Il hésite encore à franchir le pas. Il sait que celui-ci franchi, il devra aller jusqu’au bout, vaille que vaille. Et ce projet lui harasse l’âme. Mais les faits sont là : on ne comptait pas cinq cents phalangistes à Palma [de Majorque. C’est là que réside Bernanos durant la guerre civile] avant le pronunciamento, ils sont à présent « quinze mille grâce au recrutement éhonté organisé par les militaires » sous la direction d’un aventurier italien du nom de Rossi, lequel a fait de la Phalange « la police auxiliaire de l’armée chargée des basses besognes ». Et cette nouvelle Phalange de 36 terrorise le peuple palmesan. Exemple. Quelques jours après le coup d’État, deux cents habitants de la petite ville de Manacor sont jugés suspects, « tirés de leur lit en pleine nuit, conduits par fournées au cimetière, abattus d’une balle dans la tête, et brûlés en tas un peu plus loin ». L’évêque-archevêque de Palma a délégué là-bas l’un de ses prêtres en jupons qui, ses gros souliers pataugeant dans le sang, distribue les absolutions entre deux décharges, puis trace sur le front des morts à l’huile consacrée la croix qui leur ouvrira les portes du Ciel. Et Bernanos de noter : « J’observe simplement que ce massacre de misérables sans défense ne tira pas un mot de blâme, ni même la plus inoffensive réserve des autorités ecclésiastiques qui se contentèrent d’orga­niser des processions d’actions de grâce. » (id. ibid. p. 50-51).

« Pendant des mois, écrit Bernanos, « des équipes de tueurs, transportées de village en village par des camions réquisitionnés à cet effet, abattent froidement des milliers d’individus jugés suspects ». Et le très enfoiré archevêque de Palma, qui en est informé comme tout le monde, ne s’en montre pas moins, chaque fois qu’il le peut, et comme si de rien n’était, « aux côtés de ces exécuteurs dont quelques-uns ont notoirement sur les mains la brève agonie d’une centaine d’hommes ». Comme si de rien n’était, des prêtres distribuent à leurs ouailles des images de la sainte Croix entourée de canons (ma mère en conserve une dans sa malle à photos).

Comme si de rien n’était, des recrues carlistes portant le Sacré-Cœur de Jésus cousu sur leur chemise abattent au nom du Christ Roi des hommes qu’un simple mot a déclarés suspects. Comme si de rien n’était, l’épiscopat espagnol, vendu aux meurtriers, bénit la terreur que ces derniers instaurent in nomine Domini.

Et comme si de rien n’était, toute l’Europe catholique ferme sa gueule. » (id. ibid. p. 70-71).

Quel contraste entre le triomphalisme du pape lors de la « victoire » des nationalistes :

« Le 24 avril 1939, l’Éminentissime pape Pie XII, à peine élu, déclara : C’EST AVEC UNE JOIE IMMENSE QUE NOUS NOUS TOURNONS VERS VOUS, TRÈS CHERS FILS DE LA TRÈS CATHOLIQUE ESPAGNE, POUR VOUS EXPRIMER NOS FÉLICITATIONS PERSONNELLES EN RAISON DU DON DE LA PAIX ET DE LA VICTOIRE DONT DIEU A COURONNÉ L’HÉROÏSME DE VOTRE FOI ET DE VOTRE CHARITÉ. » (id. ibid. p. 278)

Et le Christ de Bernanos, dont Lydie Salvayre nous dresse une image éblouissante :

« Bernanos, de son côté, n’en finissait pas de méditer sur les événements d’Espagne, qui resteraient présents à son esprit jusqu’à la fin de ses jours et marqueraient à tout jamais sa pensée et sa foi. Les infamies de l’Église qui l’avaient glacé d’horreur, son cynisme, ses froides spéculations, sa prudence sénile l’amenaient paradoxalement à affirmer son amour du Christ avec une passion redoublée. Mais son Christ à lui n’était pas celui, magique, de la mère de Montse [Montse est la mère de Lydie Salvayre, qui entrecroise le récit de sa vie avec les textes de Bernanos], ni celui vindicatif et porté à voir le mal partout de dona Pura [qui fait partie de la belle famille de Montse], encore moins celui, potentesque, de l’évêque-archevêque de Palma. Son Christ à lui était simplement celui des Évangiles, celui qui secourait les mendiants, pardonnait aux larrons, bénissait les prostituées et tous les humbles et tous les déclassés et tous les va-nu-pieds chers à son cœur. Il était celui qui disait au jeune homme riche : Va, vends tes biens et donne-les aux pauvres. Il suffisait, bon sang, de lire les Évangiles ! Celui qui vomissait ceux-là qui parlent et ne font pas, ceux-là qui mettent de lourds fardeaux sur les épaules des autres alors qu’eux-mêmes se prélassent. Il suffisait d’ouvrir les Évangiles à n’importe quelle page ! Celui qui méprisait les vaines grandeurs et réservait ses foudres aux personnages en vue qui allaient bâfrer chez les puissants et fondaient de plaisir en s’entendant appeler maîtres.

Le Christ de Bernanos était assez proche, étonnam­ment, du Christ fraternel de Pier Paolo Pasolini, lequel voyait en la figure de Jésus et en ceux qui l’escortaient, sans foyers ni tombeaux, les pauvres réfugiés des drames d’aujourd’hui. Il était celui qui n’avait pas été mis en croix par les communistes ni par les sacrilèges, soulignait Bernanos avec sa mordante ironie, « mais par des prêtres opulents approuvés sans réserve par la grande bourgeoisie et les intellectuels de l’époque qu’on appelait des scribes ».

Fallait-il donc redire ces vérités premières aux prélats espagnols et à leurs dévots ?

Et que faisaient ces dévots de la grâce de Dieu qui ouvrait à deux battants les portes de l’amour? Ne devait-elle pas rayonner d’eux comme d’une ampoule électrique ? Où diable ces dissimulés cachaient-ils donc leur joie d’aimer les misérables ? Fallait-il leur répéter, en leur sonnant les cloches, que le Christ avait été un pauvre parmi les pauvres, comme plus tard le Poverello, qui annonça, sur les routes de l’Ombrie, le règne de la pauvreté. Mais « les dévots sont gens malins. Aussi longtemps que le Saint s’est promené à travers le monde aux côtés de la Sainte Pauvreté qu’il appelait sa dame, ils n’osaient encore trop rien en dire. Mais le Saint une fois mort, que voulez-vous ? ils se sont trouvés tellement occupés à l’honorer que la Pauvreté s’est perdue dans la foule en fête… La canaille dorée ou pourprée avait eu chaud. Ouf ! »

Aucune imposture aux yeux de Bernanos n’égalait celle-ci.

Il serait accusé, pour l’avoir écrit, de faire le jeu des communistes contre les nationaux que ses anciens amis soutenaient. » (id. ibid. p. 156-158).

Cet appel au Poverello d’Assise ne devrait-il pas ranimer la mémoire du pape François, qui l’a choisi pour modèle ?

Et l’encourager, au-delà de ses habituelles performances de communicant, à poser des actes enfin crédibles en faveur de tous ces « déclassés » et « va nu pieds » chers au cœur du Christ, ou du moins ceux que la « canaille dorée et pourprée » a décidé de désigner comme tels (homosexuels, divorcés ou autres abominables concubinaires) à défaut de remettre en question sa complicité avec les sanguinaires fauteurs de Croisade.

Une toute petite mention des quelques centaines de milliers de « misérables » mécréants froidement assassinés lors de la dernière – et si proche – grande Croisade catholique aurait donc été aussi un pas essentiel dans ce sens.

Une belle occasion manquée, hélas bien révélatrice de la permanence d’un état d’esprit…

Je ne cherche aucunement à « retourner le fer dans la plaie », car j’éprouve une sincère sympathie pour les efforts du pape François.

Je me demande simplement si l’ampleur du travail à accomplir ne dépasse pas, encore plus que ses forces, l’horizon de ce qu’il est capable de concevoir, peut-être même de ce qu’il accepte de concevoir…

« On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré » disait, paraît-il, Einstein.

Cf. :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/01/31/des-papes-de-la-pedophilie-de-lordination-des-femmes-et-de-quelques-autres-rudiments-de-theologie-sommaire/

Cela demande bien des renoncements, qui seuls sans doute pourraient venir à bout de « l’Alzheimer spirituel ». Or, qui peut se flatter de ne pas être quelque part « le jeune homme riche » ?

« Mais, affligé de cette parole, il s’en alla tout triste ; car il avait de grands biens » (Évangile de Marc, X,22).

Et quels « biens » sont plus pernicieux que ceux entassés par des siècles d’habitus ecclésiastiques ?

 

Mais, pour terminer sur une note plus plaisante, Stultitia, dont on connaît la piété, m’a raconté sa veillée de Noël dans une grande paroisse, pas spécialement intégriste, d’une grande ville du grand Sud-Ouest.

Quel ne fut pas son étonnement de constater que les « servants d’autel » (autrement dit « enfants de chœur ») y étaient tous de sexe masculin !

Comment ? Ne se gargarise-t-on pas, dans les milieux autorisés, de grands discours sur la « promotion des femmes dans l’Église » et autres ronflantes déclarations ?

Ne pourrait-on alors entreprendre de donner aux filles les mêmes responsabilités qu’aux garçons, en commençant à un si humble niveau ?

Pour ma part, depuis belle lurette, j’ai pris l’habitude d’estimer l’état d’avancement et de légitimité d’une institution ou d’un type de gouvernement par la place qu’ils confèrent aux femmes. C’est en général un signe qui ne trompe pas.

Mais Pouce ! Diront de doctes théologiens : « il est bien entendu que le service de l’autel n’est pas interdit aux femmes. Mais comme ce service a souvent constitué un premier pas vers la vocation dite ‘’sacerdotale’’, et que seuls les hommes peuvent accéder à une telle vocation, il convient donc de faire en sorte de privilégier le recrutement des garçons pour le service d’autel ».

Par exemple :

« Pour bien saisir la pensée de l’Église au sujet de la liturgie, il convient de lire les instructions dans leur totalité. Or dans le cas des servants d’autel, nous voyons qu’il est clairement dit, au n°47des nouvelles normes liturgiques de 2004, que les filles ou les femmes peuvent être admises à ce service de l’autel au jugement de l’évêque diocésain ; dans ce cas il faut suivre les normes établies à ce sujet (note 122). Que disent ces normes que l’on prend généralement soin d’omettre ? Elles donnent des instructions pratiques en six points (cf. Lettre de la Congrégation pour le culte divin aux présidents des conférences épiscopales, 15 mars 1994). Le cinquième point dit clairement ceci :Tout en respectant la décision que, pour des raisons déterminées selon les conditions locales, certains Évêques ont adoptée, le Saint-Siège rappelle qu’il sera toujours très opportun de suivre la noble tradition du service de l’autel confié à de jeunes garçons qui a eu pour effet depuis un temps immémorial le développement des futures vocations sacerdotales. Ainsi, l’autorisation de l’Évêque ne peut, en aucun cas, exclure du service de l’autel les hommes en particulier les jeunes garçons. L’obligation de continuer à favoriser l’existence de ces groupes d’enfants de chœur demeurera donc toujours. »

http://paroissesvexinouest.pagesperso-orange.fr/pdf/edvservantes201307.pdf

et bien d’autres démonstrations similaires.

Essayons donc de décortiquer sans céder à l’hilarité (« Hilarité ? Pourquoi ?», demande Stultitia avec son air le plus sérieux…) ces puissants sophismes qui ont fait couler bien de l’encre dans les Landerneau ecclésiastiques :

1)      Filles et garçons sont bien entendu égaux devant le service de l’autel.

2)      Mais, comme le disait Orwell dans « La ferme des animaux », « certains sont plus égaux que d’autres ».

3)      La raison de ce « surcroît d’égalité » de certains est que le service dévolu aux femmes dans l’Église (sauf rares exceptions celui de balayer les locaux, de préparer les bouquets, de faire quelques lectures et autres tâches valorisantes) ne peut en aucun cas être comparé au « service » réservé aux hommes, qui étant seuls dignes de bénéficier de la sacra potestas

(sur tout cela cf. :

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/01/31/des-papes-de-la-pedophilie-de-lordination-des-femmes-et-de-quelques-autres-rudiments-de-theologie-sommaire/

et tout particulièrement l’extraordinaire développement théologique de Fernand Raynaud)

et donc d’être, dans le « sacerdoce », « les associés de la très sainte Trinité; (…) les coopérateurs du Tout-Puissant en ses plus grandes œuvres.» (Jean Eudes, Le Prêtre, associé de la Trinité, Mémorial de la vie ecclésiastique, 1re p; Œuvres complètes 3, 14-16), ont seuls le droit de parler d’autorité pendant que les autres se taisent, de confisquer à leur profit le titre de « célébrant » de la liturgie, etc.

4)      La discrimination entre les sexes dans les services d’Église est donc fondée sur l’être même des personnes. Elle est donc ontologique, je dirais même plus « ontothéologique ». Raison pour laquelle, en définitive, les petites filles ne sont pas franchement les bienvenues comme « servantes d’autel ». CQFD.

(Rappelons en passant qu’une telle argumentation surréaliste serait impossible dans le judaïsme, le christianisme, ou encore l’islam, pour lesquels la notion de Sacra Potestas est un blasphème, puisque la seule « efficacité » d’une célébration liturgique est due à la promesse de Dieu actualisée dans le mémorial, et non à une quelconque « puissance » ou un quelconque « pouvoir » des hommes. Sur tout cela, cf. encore les « rudiments de théologie sommaire » exposés par Desideriusminimus dans le post cité plus haut).

 

« Mais sans doute Rome, dont François est l’évêque, fait-elle exception, en réconciliant l’Église avec des pratiques plus chrétiennes. Et il est probable qu’on y voit partout des petites filles ‘’servantes d’autel’’, qui préparent, par la base, cette grande promotion des femmes dans l’Église », me dit Stultitia, rêveuse.

Il suffit en effet de jeter un œil sur les retransmissions de cérémonies.

« On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré » disait, paraît-il, Einstein….

 

Et meilleurs vœux à toutes et à tous !

Politique, démagogie, démographie. Une petite recension d’Alan Weisman : « Compte à rebours. Jusqu’où pourrons-nous être trop nombreux sur terre ? »

J’ai de plus en plus de mal à parler d’économie et de politique.

Bon, proclamer que l’économie doit être régulée par le politique, qu’elle doit se mettre au service de l’homme, dénoncer la spéculation financière et le capitalisme sauvage tout en refusant le retour à un socialisme autoritaire d’avant la chute du mur, ce genre d’incantation est à la portée du premier pape venu, suivi en cela par tous les Bush, Poutine ou autres Xi Jinping.

Je ne vois donc pas la nécessité d’abonder une fois de plus dans ce genre d’éthique de la conviction.

Connaissez-vous d’ailleurs quelqu’un qui conseille d’exploiter les travailleurs, de développer les inégalités, de saccager les ressources naturelles ?

La question essentielle sera donc de savoir quels sont les moyens pratiques à employer pour atteindre sans trop de casse les objectifs proclamés. Et c’est bien là que les choses se compliquent, lorsqu’il faut se confronter à la verità effettuale della cosa, comme le dit Machiavel.

C’est bien dans cette confrontation que la politique dépasse la science et le discours pour devenir un « art », une application aux circonstances et aux événements.

Il est temps de faire un sort aux caricatures tenaces : notre démocrate florentin n’a que faire du « machiavélisme » cynique dont l’affublent ceux qui ne l’ont pas lu : toute sa vie est tournée vers la recherche du bien commun, du beneficio commune, et, confronté aux démagogies dangereuses des Savonarole et autres idéologues qui promettent à tout vent le paradis et « se sont imaginés des Républiques et monarchies qui n’ont jamais été vues ni connues pour vraies » (Le Prince, XV), il cherche à édifier, dans le monde tel qu’il est et avec les hommes tels qu’ils sont, un régime capable de résister aux aléas de la fortuna grâce à la vertu propre (virtù) du politique.

« Et Je la compare [la « fortuna »] à un de ces fleuves impétueux qui, lorsqu’ils se courroucent inondent les plaines, renversent les arbres et les édifices, arrachent de la terre ici, la déposent ailleurs; chacun fuit devant eux, tout le monde cède à leur fureur, sans pouvoir nulle part y faire obstacle. Et bien qu’ils soient ainsi faits, il n’en reste pas moins que les hommes, quand les temps sont calmes, y peuvent pourvoir et par digues et par levées, de sorte que, venant ensuite à croître, ou bien ils s’en iraient par un canal, ou leur fureur n’aurait pas si grande licence, ni ne serait si dommageable. Il en est de même de la fortune, qui manifeste sa puissance où il n ‘y a pas de force organisée pour lui résister, et qui tourne là ses assauts, où elle sait qu’on n’a pas fait de levées et de digues pour la contenir » (Le Prince, XXV).

Et c’est bien là le travail du politique : prévoir, construire des digues résistantes qui permettent de parer aux inondations et tsunamis à venir qui ne demandent qu’à emporter la Cité.

Cela exclut certes toute démagogie et tout gouvernement aux sondages de popularité. Car c’est l’exigence  d’une clairvoyance capable de discerner les signes des temps (riscontro coi tempi) et de prendre des décisions qui ne feront pas que des heureux.

Aussi est-il nécessaire au gouvernant « d’apprendre à pouvoir n’être pas bon, et d’en user et n’user pas selon la nécessité » (Le Prince XV).

Car il ne faut pas s’illusionner : « mantenere lo stato », maintenir un État viable qui permette une véritable solidarité et le bien-être des citoyens exigera en permanence efforts, sacrifices concrets, lutte contre les rentes et privilèges divers dont il serait trop facile de n’affubler que les « grands », remises en question dérangeantes :

« Ils voudraient un prédicateur qui leur apprenne le chemin du paradis, et moi je voudrais en trouver un qui leur apprenne celui du diable […]. Je crois que ce serait la vraie manière d’aller au paradis que d’apprendre le chemin de l’enfer, pour l’éviter »,( Lettre à Guichardin du 17 mai 1521).

 

Or on le sait, même si on ne veut pas l’admettre, bien des enfers sont désormais à nos portes.

L’un des plus pernicieux, à la source de nombreux autres, étant sans doute celui d’une croissance démographique non maîtrisée, qui menace directement à court terme la pérennité même de l’espèce humaine et de son environnement.

C’est pourquoi le livre d’Alan Weisman, « Compte à rebours. Jusqu’où pourrons-nous être trop nombreux sur terre ? » (traduit de l’anglais – États-Unis- par Pierre Reignier, Flammarion 2014), opère une œuvre politique salutaire, au sens machiavélien où il incite à la construction préventive de digues contre les cataclysmes à venir.

Commençons par la « parabole de Bartlett » (Albert Bartlett, physicien et professeur émérite de l’Université du Colorado) :

« Il commença par avouer ne pas savoir grand-chose sur l’hydrogène, mais connaître un peu son affaire en arithmétique et avoir une fascination particulière pour l’opération consistant à multiplier une donnée quelconque par deux, et pour les conséquences que cela peut avoir.

‘’Imaginez une bactérie, dit-il, unique représentante de son espèce, qui se reproduit par fission binaire [chaque minute]. Les deux bactéries qu’elle engendre sont bientôt quatre. Les quatre deviennent huit et ainsi de suite. Supposons que nous placions cette bactérie soli­taire dans un flacon à 11 heures précises, et qu’à midi nous consta­tions que le flacon est plein. À quelle heure était-il à moitié plein ?’’

La réponse est 11h 59.

Bartlett, crâne chauve entouré d’une couronne de mèches grises, laissa à son auditoire le temps d’assimiler cette information, avant de poursuivre:  ‘’À présent, imaginez que vous êtes une des bacté­ries de ce flacon. À quel moment prenez-vous conscience du fait que vous allez manquer de place ? À 11 h 55, quand le flacon n’est plein qu’au 1/32ème, c’est-à-dire quand 97% de son espace est encore vacant et ne semble qu’aspirer à être investi par vos projets de développement ?’’

L’assistance pouffa de rire. ’’Maintenant, supposez que les bac­téries, n’ayant plus qu’une minute devant elles, découvrent trois nouveaux flacons à occuper. Ouf! se disent-elles avec soulagement. Notre territoire habitable est quadruplé. Pareille trouvaille, c’est l’autosuffisance garantie en termes d’espace, n’est-ce pas ? ‘’

Sauf que pas du tout, bien sûr. Bartlett voulait faire comprendre à ses auditeurs que les quatre flacons seraient remplis exactement deux minutes plus tard.

Quand il s’agit de la population humaine, une telle croissance exponentielle n’a pas que des conséquences spatiales. En 1977, le président américain Jimmy Carter avait rappelé, dans une adresse à la nation, que ‘’pendant les années 1950, l’humanité a utilisé deux fois plus de pétrole que pendant les années 1940. Pendant les années 1960, nous en avons consommé deux fois plus que pendant les années 1950. Et pendant chacune de ces décennies, davantage de pétrole a été utilisé que pendant toute l’histoire de l’humanité jusqu’à notre époque’’. Vers la fin du XXème siècle, cepen­dant, ce taux de progression de la consommation avait inévitablement ralenti.

[Rappelons aussi « qu’au cours des cinquante prochaines années (…) nous devrons produire autant de nourriture qu’il en a été consommé durant toute l’histoire de l’humanité (p. 70-71).]

‘’Nous avons déjà cueilli tous les fruits des branches basses, dit Albert Bartlett. Aujourd’hui, il devient de plus en plus difficile d’attraper ceux qui restent. ‘’ (A. Weisman, op. cit. p. 45-46).

 

Il s’agit là d’une variante de l’histoire bien connue de l’empereur et de l’inventeur du jeu d’échec (qui demandait comme salaire de son invention la quantité de riz obtenue en plaçant 1 grain sur la première case, 2 sur la seconde, 4 sur la troisième et ainsi de suite sur toute les cases de l’échiquier. Ce qui finit par constituer une somme qui dépasse la production mondiale annuelle de riz).

Mais appliquée à notre situation démographique, elle ne laisse pas d’impressionner :

La population mondiale s’accroit, pour le moment, d’environ 220 000 habitants par jour, soit l’équivalent de la ville de Bordeaux, ce qui représente un accroissement d’une Allemagne ou d’une Égypte par an (id. ibid. p. 127).

Peut-on envisager sans risques la poursuite d’une telle croissance ?

La courbe exponentielle de la p. 57 nous montre qu’il a fallu attendre 1815 pour que la population humaine atteigne son premier milliard. Nous étions 1,6 milliard au début du vingtième siècle. En un peu plus d’un siècle, nous avons désormais dépassé les 7 milliards et nos enfants connaîtront un monde à 10 milliards d’habitants en 2082.

Se posent alors les questions soulevées par A. Weisman (p. 10) :

« Combien d’êtres humains notre planète peut-elle contenir et qui sont précisément ces hommes (que mangent-ils, comment se logent-ils, comment se déplacent-ils, où trouvent-ils de l’eau, de quelles réserves d’énergie disposent-ils…) ? »

Liste à laquelle on pourrait bien sûr ajouter, par exemple : que vont-ils encore pêcher, et dans quelle mer ? quelle sera l’état de la nature qui restera pour leur repos et leur loisir, quelle sera la place faite aux animaux, non seulement ceux que nous exploitons pour notre consommation, mais les animaux sauvages dont l’espace diminue tragiquement du fait de la surpopulation (cf. p. 135ss sur les gorilles), etc.

« Quelle ampleur l’écosystème terrestre doit-il avoir pour permettre à l’espèce humaine de se maintenir ? Autrement dit, quelles espèces et quels processus écologiques sont essentiels à notre survie » (cf. plus bas la « parabole des rivets »).

Bien sûr, on peut toujours soutenir de façon en partie légitime, avec les optimistes, que l’humanité a toujours su surmonter les crises auxquelles elle a été confrontée (« la nécessité a toujours été la mère de l’invention » p.53 ; mais comment ne pas noter que « l’invention » a été la plus grande consommatrice d’énergie : or, sur quelle source pouvons-nous désormais compter ?), que le véritable problème n’est pas celui de la surpopulation, mais celui de la répartition des richesses, alimentaires en particulier. Les pages 51 à 53 analysent sans concession ces arguments. On sait que nous gaspillons 1/3 de la nourriture produite, soit du fait du gaspillage proprement dit dans les pays riches, soit du fait des défauts de stockage dans les pays pauvres. On sait aussi que le fait d’arrêter de manger de la viande (p. 51-52), outre un gain sanitaire réel (p. 376) permettrait de dégager les ¾ de la surface cultivable, actuellement occupés par les cultures fourragères, rendant possible l’alimentation d’une population en proportion équivalente.

Mais, en dépit d’un certain activisme « végétalien », une telle évolution semble bien problématique à court terme : « il est également indéniable que la demande mondiale de viande ne chute pas ; au contraire, elle grimpe sans cesse » (p. 52. Voir aussi 376-377 : « paradoxe déprimant imputable aux lois du marché : si les nations les plus riches décidaient effectivement de manger moins de viande, son prix baisserait et les nations pauvres en consommeraient davantage » (p.376-377)).

Surtout, si elle n’est pas accompagnée d’une politique démographique préalable,  elle risque d’entraîner les mêmes effets induits que ceux causés par la « révolution verte », que nous soulignerons plus bas.

En tant que telle, la solution à la crise par la seule répartition plus équitable de la richesse est elle aussi insuffisante.

Certes, « ce sont essentiellement les pays pauvres qui contribuent à l’accroissement de la population. Ce sont des femmes pauvres qui mettent la plupart des bébés au monde. Pourtant, il paraîtrait gros­sièrement injuste d’attendre des plus faibles qu’ils sauvent la pla­nète à la suite des dégâts que les plus forts lui ont fait subir . ‘’Rejeter la responsabilité de la destruction de l’environnement sur la surpopulation, c’est dédouaner les vrais coupables’’, peut-on lire dans ‘’Ten Reasons to Rethink « Overpopulation  » ‘’, un article posté en 2006 sur PopDev, un site web piloté par Betsy Hartmann, militante pour la santé des femmes et directrice du programme ‘’Population et développement’’ du Hampshire College dans le Massachusetts. Et l’article de continuer: ‘’Considérons seulement les ressources: le cinquième le plus riche de la population mondiale en consomme 66 fois plus que le cinquième le plus pauvre. Les États-Unis sont les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre -et les plus récalcitrants à prendre la moindre mesure pour lutter contre le réchauffement. » (p. 52).

Mais le rééquilibrage, à l’évidence urgent et indispensable, de la répartition des biens demeurera lui aussi insuffisant en l’absence d’une politique résolue de limitation des naissances.

Il est inexact de penser, comme le fait par exemple Amartya Sen, que l’accès des populations – et en particulier des femmes – à plus d’éducation et à plus de bien être, malgré le caractère décisif que cela représente pour la transition démographique, serait suffisant à lui seul pour enrayer les évolutions en cours avant que la surpopulation ne fasse courir à la terre des risques peut-être insurmontables

(Le texte suivant ne provient pas de l’ouvrage d’A. Weisman) :

« Le problème de la population est certainement sérieux, mais ni à cause du « rapport entre l’accroissement naturel de la population et celui des subsistances », ni en raison d’une quelconque apocalypse imminente. Avec de plus grandes opportunités éducatives, la réduction des taux de mortalité, l’amélioration de la sécurité économique et une plus grande participation des femmes à la vie active et à la vie politique, on peut s’attendre à des réductions rapides du taux de natalité. C’est ce qui est en train de se produire partout dans le monde et le résultat a été un ralentissement considérable de la croissance démographique mondiale. La meilleure façon de traiter le problème de la population est d’aider à répandre ces processus partout ailleurs. Au contraire, la mentalité de l’urgence, fondée sur des croyances fausses en un cataclysme imminent, conduit à des mesures qui manquent de souffle et fortement contre-productives ». (« Il n’y a pas de bombe démographique », A. Sen, Esprit, novembre 1995).

Il s’agit là certes d’une évolution indispensable, et déjà en cours fort heureusement en de nombreuses parties du globe, mais qui ne peut enrayer à elle seule la « bombe démographique » qui n’est hélas toujours pas désamorcée.

Ces évolutions ne peuvent donc être suffisantes sans une politique de régulation des naissances préalable.

Il en irait de même en ce qui concerne la plupart des « théories de la décroissance » si celles-ci se contentaient de prôner une baisse du niveau de la consommation, et donc de la production, sans intégrer l’urgence de la limitation des naissances. Ce serait à l’évidence mettre la charrue avant les bœufs : la promotion, nécessaire encore une fois, d’une vie plus sobre pourrait condamner l’humanité à des crises économiques sans précédent, et à la misère, si la réduction de la production ne s’accompagnait de la réduction drastique du nombre des consommateurs.

Sur ce sujet, le débat entre Fred Pearce et Roger Martin, président d’OPT (Optimum Population Trust) est significatif. Je me permets de le reproduire longuement :

« Le journaliste Fred Pearce a récemment publié un livre, The Coming Population Crash, dans lequel il défend l’idée que la catastrophe annoncée ne surviendra pas. « La vérité, dit-il, c’est que le monde est bel et bien en train de désamorcer la bombe de la surpopulation. »

Le taux de fécondité global de la planète est descendu à 2,6 enfants par femme, explique-t-il, alors qu’il était de cinq enfants par femme il y a un peu plus d’une génération. « Et pas seulement dans les pays riches, où les femmes veulent faire carrière au lieu de rester coincées à la maison avec une ribambelle de gamins. La tendance est suivie par les femmes les plus pauvres et les moins éduquées du monde -celles que l’on montre en générai du doigt quand il est question de surpopulation. Même au Ban­gladesh, où les femmes se marient dès l’adolescence, la moyenne est tombée à trois enfants. Dans le plus grand pays catholique du monde, le Brésil, la plupart des femmes font maintenant deux bébés, pas davantage. Les prêtres peuvent protester tout ce qu’ils veulent, des millions de femmes choisissent de se faire stériliser. »

Pearce veut se focaliser sur cette bonne nouvelle: le monde va gagner la bataille de la population. Silence de plomb dans l’audi­toire, pas plus convaincu que les autres intervenants.

Il admet qu’il reste un problème: même avec ce nouveau taux de fécondité réduit, le monde comptera sans doute deux milliards d’individus supplémentaires d’ici le milieu du siècle, avant que la population ne commence à diminuer. À cause de l’élan démographique évoqué par John Guillebaud. « N’empêche, la croissance de la consommation est une menace bien plus grande pour la planète, désormais, que la croissance du nombre de ses habitants. Les 7 % d’humains les plus riches sont responsables de 50 % des émissions de dioxyde de carbone tandis que les 50 % les plus pauvres ne comptent que pour 7 % des émissions. Dans ces conditions, l’arrêt de la croissance de la population n’aura aucun impact sur le changement climatique. La bombe démographique est désamorcée. Pas le problème de la consommation. »

Son livre va même plus loin que ce qu’il avance ce soir-Ià : non seulement, grâce à la Révolution verte, le monde s’est libéré des prédictions malthusiennes d’Ehrlich, mais, explique-t-il dans un chapitre intitulé « L’hiver européen », « la pénurie de naissances est sur le point de plonger le continent dans une spirale du déclin […]. Sur le plan démographique, l’Europe est en sursis ».

Roger Martin, le président d’OPT, a sans doute en tête des images de villages sardes déserts et d’anciennes villes d’Allemagne de l’Est colonisées par les loups, lorsque vient son tour de parler. Sa voix est posée, mais ses joues pâles se colorent quand il déclare: « Ce n’est pas soit une chose, soit l’autre -la consommation ou les chiffres de la population. De toute évidence, les deux facteurs comptent. Et leur impact total, c’est la multiplication de l’un par l’autre. »

« Nous sommes tous d’accord, continue Martin, que la solution consiste à donner aux femmes la possibilité de contrôler leur fécondité. Et franchement, ça n’avance à rien de dire: « Oh, ne vous tracassez pas, c’est ce qui est en train de se passer de toute façon. » Il ne s’agit pas d’un processus automatique qui survient sans aucune intervention extérieure. Il faut amorcer ce changement, lui donner la priorité sur le plan budgétaire, financer des programmes qui lui donneront une réalité concrète. » Martin se tourne vers Pearce. « Il ne s’agit pas, Fred, de jeter la pierre aux pauvres, ajoute-t-il avant de regarder à nouveau le public: Fred aime bien nous mettre ce tort sur le dos. Il s’agit d’aider les pauvres à obtenir ce qu’ils veulent, c’est-à-dire des populations stables. »

Il est certes impératif, reconnaît Martin, que les émissions de carbone des riches diminuent radicalement. Mais si l’on veut voir s’instaurer un semblant d’égalité, les pauvres émettront quant à eux davantage de carbone. « Et plus nous serons nombreux, plus ce chiffre sera élevé. Plus tôt nous réduirons nos effectifs, par consé­quent, plus chacun pourra émettre de carbone et meilleure sera la qualité de vie à laquelle nous pourrons tous prétendre. »

Ce franc-parler provoque une certaine agitation dans le public. La question des émissions de carbone est en général suivie d’un appel au développement immédiat des énergies renouvelables. Rien de tel pourtant chez Martin, qui ne se fait pas d’illusion sur la capacité des énergies propres à remplacer à court-terme les combustibles fossiles. C’est pourquoi en attendant, poursuit-il, la solu­tion la plus porteuse d’espoir consiste à réduire le nombre d’humains qui en réclament chacun sa part. « Sinon, c’est simple, conclut-il. Chaque individu qui vient au monde fait baisser la ration de carbone de tous les autres. » (127-129).

Je suis d’une génération qui a été très rapidement sensibilisée à la question de la surpopulation.

Mais curieusement, alors même que j’étais lecteur des productions du Club de Rome (The Limits to growth, « Halte à la croissance », 1972), de René Dumont, et familier des « prédictions malthusiennes d’Ehrlich » dont il est question [Paul Ehrlich, biologiste, écologue et démographe, auteur entre autres en 1968 de « La bombe P », ouvrage dans lequel il met en garde contre le risque de surpopulation], je me suis – à tort – laissé prendre par une « mode » pernicieuse qui remettait en question ces « prédictions » sur la base de l’argument – justifié – qu’Ehrlich s’était trompé en annonçant pour l’immédiat des catastrophes démographiques qui ne se sont pas produites.

«Ehrlich était persuadé que le combat pour nourrir l’humanité était perdu. L’Inde, affirmait-il, serait incapable de faire vivre les 200 millions d’individus qui devaient grossir sa population d’ici 1980. Mais il s’est trompé, grâce notamment à l’action de biotechnologistes comme Norman Borlaug », lit-on dans Biomedical Ethics for Engineers, un manuel signé Daniel Vallero, professeur d’ingénierie environnementale à l’Université Duke. Raillerie classique: alors que le prophète de malheur Ehrlich annonçait la disette en Inde et au Pakistan, le glorieux Borlaug avait permis à ces deux pays de parvenir à l’autosuffisance agricole dès le milieu des années 1970. Conclusion classique: en permet­tant à des millions d’individus supplémentaires de manger et de survivre, Norman Borlaug avait étouffé les cris de panique d’Ehrlich et de Malthus au sujet de la surpopulation » (p. 69-70).

Norman Borlaug, acteur essentiel de la « Révolution » verte, a reçu le prix Nobel de la paix pour la mise au point d’hybrides de blé semi-nain, à haut rendement, qui ont permis de quadrupler la production en inde et au Pakistan, en particulier (p. 323), contribuant ainsi de façon exceptionnelle à la lutte contre la famine.

Ainsi le progrès scientifique, allié à l’éducation qui favorisait la réduction des naissances et donc la « transition » démographique allaient-ils ridiculiser les prédictions alarmistes des « pessimistes », pourtant tout aussi scientifiques que les « optimistes ».

Soit. Et je me suis donc rangé à cette idée, largement véhiculée par les apôtres d’une idéologie dominante virant à la pensée unique qui reprenait le mythe d’une croissance infinie qui faisait si bien l’affaire d’un capitalisme sans frein comme sans vergogne, qui fait ses choux gras de l’accroissement exponentiel du nombre des producteurs et des consommateurs.

C’était aller un peu vite en affaire, comme le montre A. Weisman.

Car Borlaug était le premier à reconnaître les limites de la « révolution verte », et son risque consubstantiel, celui de rendre possible justement une croissance effrénée de la population dont elle ne pourrait plus, à terme, assurer les besoins alimentaires. Le ver était dans le fruit, la « révolution verte » ne faisait que retarder les échéances, ou, bien pire, rendre possible des échéances à terme encore plus dramatiques, si elle ne s’accompagnait pas d’une urgente régulation des naissances. Il ne fallait donc pas, comme on l’a fait avec une coupable insouciance, opposer Borlaug à Ehrlich, mais les tenir tous les deux ensemble, comme le réclamait Borlaug lui-même dans son discours de réception du prix Nobel :

« Nous sommes face à deux forces contraires, le pouvoir scientifique de la production alimentaire et le pouvoir biologique de la reproduction humaine. L’homme a fait des progrès fantastiques, depuis quelque temps, pour ce qui est de maîtriser potentiellement ces deux puissances oppo­sées. La science, l’esprit d’invention, la technologie lui ont livré des maté­riaux et des méthodes qui permettent d’augmenter de façon substantielle, et parfois spectaculaire, ses réserves alimentaires […]. L’homme a aussi acquis les moyens de réduire avec efficacité et humanisme le rythme de la reproduction humaine. Il utilise ses pouvoirs pour augmenter le rythme et l’ampleur de la production alimentaire. Mais il n’exploite pas encore de façon adéquate son potentiel pour limiter la reproduction humaine […] ».

Il n’y aura pas de progrès durables, dans la guerre contre la faim, tant que les gens qui luttent pour augmenter la production alimen­taire et ceux qui luttent pour contrôler la population n’auront pas uni leurs forces.

Au fond, disait souvent Borlaug, la Révolution verte avait donné au monde une génération d’avance, à peu près, pour résoudre le problème de la surpopulation. Durant toute la fin de sa vie, alors même qu’il continuait ses recherches pour nourrir les millions de bouches que son travail avait ajoutées au recensement global, il siégea aux comités de direction de diverses organisations consacrées à la gestion des populations » (p. 70).

Les remarques de Sackville Hamilton (directeur du centre de recherche international de biologie génétique de l’IRRI, aux Philippines), concernant les recherches prometteuses en ce qui concerne l’amélioration de la photosynthèse du riz (le fameux « riz C4 ») vont dans le même sens :

« Tous les progrès susceptibles d’apparaître dans les années à venir [en particulier bien sûr les OGM] n’auront de toute façon qu’une portée limitée : ‘’Avec cette banque de graines, nous pouvons relever à peu près tous les défis que nous lancera le monde (de nouvelles maladies, le changement climatique). Sauf un : l’augmentation de la population. Car nous ne pouvons pas indéfiniment augmenter la quantité de nourriture que nous produisons’’ » (p. 208-209).

Cela s’avère en effet physiquement impossible et écologiquement désastreux, comme nous en faisons déjà l’expérience :

–          Dégradation des sols surexploités : « À l’aide de projections mathématiques, Holdren [collaborateur d’Ehrlich] montra que si la civilisation humaine ne cessait de s’étendre, il lui faudrait user d’une quantité terrifiante d’engrais artificiel – indéfiniment et avec de graves conséquences sur la chimie des sols » (p. 97-98).

–          Réchauffement climatique qui contrecarre d’ores et déjà la production agricole : « Plus la température est élevée la nuit, plus la plante doit investir d’énergie dans la transformation des sucres au lieu de la consacrer à sa croissance. Ce phénomène coïncide avec une baisse de 15%, en moyenne, des rendements du riz IR8, la variété ‘’miracle’’ de l’IRRI, celle qui a permis d’éviter la famine en Asie dans les années 1960 » (p. 205). « Les seuils au-delà desquels les rendements chutent – 28,8° C en moyenne pour le maïs, 30°C pour le soja – sont bien réels, incontestables. Les fermiers américains, comme leurs confrères indiens, ne le constatent déjà que trop clairement » (p. 373).

–          (voir aussi les millénaires nécessaires pour rendre cultivables les sols hyper acides des taïgas qui vont se dégeler du fait du réchauffement (p. 374)

Etc.

C’est ici qu’il faut prendre en compte l’enseignement de la « parabole des rivets », que racontent Paul Ehrlich et sa femme Anne :

« Un voyageur surprend un mécanicien qui escamote discrètement des rivets, ici et là, sur une aile de l’avion dans lequel il va embarquer. Le mécanicien explique que la compagnie aérienne peut tirer un très bon prix de ces rivets. Mais il n’y a rien à craindre, affirme-t-il au passager apeuré: l’avion possède des milliers de rivets et peut très bien se passer d’un certain nombre d’entre eux. D’ailleurs, précise-t-il, il y a déjà quelque temps qu’il en fait sauter une poignée avant chaque décollage et regardez: l’aile de l’avion n’est pas encore tombée, n’est-ce pas ?

Le hic, c’est qu’il est impossible de savoir quel rivet escamoté sera celui de trop. Aux yeux du passager il est insensé d’en suppri­mer ne serait-ce qu’un seul. Pourtant, concluent les Ehrlich à la fin de la parabole, sur le vaisseau spatial que l’on appelle la Terre, les humains escamotent les rivets à une fréquence croissante. ‘’Un écologue ne peut pas davantage prédire les conséquences de l’extinction d’une seule espèce que le passager d’un avion ne peut évaluer le risque que constitue la perte d’un unique rivet’’. » (p.96).

Notre impact sur l’environnement ne cesse de s’accroître, nous le savons. Déjà catastrophique alors que nous ne sommes « que » 7 milliards, que sera-t-il lorsque nous serons 10 milliards ? Les « rivets » sautent les uns après les autres. L’exemple des abeilles, chères à Einstein, devrait nous inciter à réfléchir d’urgence à la viabilité de l’avion, et à prendre les mesures en conséquence.

Quelles peuvent donc être ces mesures ?

Nous l’avons vu, bien que nécessaires, la seule réponse par une amélioration de la répartition des richesses alimentaires, un accroissement de la production agricole, tout comme l’invocation incantatoire des miracles du progrès technique ne peuvent résoudre la question que pose une expansion indéfinie de la population dans le milieu fini que constitue notre environnement.

Il faut donc réduire au plus vite cette expansion. Tous les autres remèdes s’avèrent insuffisants sans cette condition préalable.

Se posent alors trois questions essentielles :

Tout d’abord, quelle est la population optimale que la terre peut porter ?

Sachant que :

« La population optimale (…) ne signifie pas le nombre maximal d’indivi­dus susceptibles d’être entassés dans les différents pays comme des poulets en batterie, mais le nombre d’humains qui peuvent mener en même temps une vie confortable, agréable, et sans compromettre les chances des générations futures à connaître le même sort. Dans cette optique, chaque membre de cette population optimale doit avoir au minimum la garantie d’être nourri, logé, scolarisé, soigné, de ne souffrir d’aucun préjugé, racial ou autre, et de gagner sa vie. (…) ». (p. 107)

Il ne s’agit pas non plus de « retour à une existence buco­lique, préindustrielle. [Selon les Ehrlich] la population optimale devait ‘’être assez importante pour que la diversité culturelle de l’humanité soit pré­servée’’, et elle devait être par endroits suffisamment dense pour permettre l’existence d’ ’’une masse critique de créativité intellectuelle, artistique et technologique’’. Il fallait que les humains soient assez nombreux pour avoir ‘’des villes vastes et stimulantes – tout en conservant de substantiels territoires laissés à la nature’’.

Cependant, cette population optimale devrait aussi être suffisamment réduite pour garantir la sauvegarde de la biodiversité, à la fois pour des raisons pratiques – l’humanité ne peut vivre sans la nourriture, l’air, les matériaux, l’eau que fournit la nature -et morales: ‘’Nous estimons que Homo sapiens, espèce dominante de la planète, se doit d’assurer la pérennité de l’existence de ses seuls autres compagnons vivants connus dans l’univers’’ » (p. 107).

Des différentes modélisations complexes (p. 107-109) opérées par Ehrlich et ses collaborateurs sur la base de ce cahier des charges, il ressort que la population optimale devrait se situer entre 1,5 milliard et 2 milliards d’habitants, soit la population de notre terre en 1930, « au moment où le procédé Haber-Bosch [qui a rendu possible l’utilisation de l’azote dans les engrais] commença à être commercialisé dans le monde entier. La quasi-totalité de l’humanité vivait encore de végétaux qui poussaient grâce à la seule lumière du soleil, pas avec l’aide de combustibles fossiles. Ces deux mil­liards d’humains pouvaient être nourris sans engrais artificiel, ou très peu, ce qui limitait les pressions subies par les sols, les eaux de ruissellement et l’atmosphère: l’azote agricole est une des principales sources de protoxyde d’azote, qui est à la fois un polluant et le plus puissant gaz à effet de serre après le CO2 et le méthane. » (p.108-109).

En fait, la révolution introduite par les engrais azotés, puis la « révolution verte », ont permis des gains de productivité agricoles qui ont certes évité des famines dans l’immédiat (p.410), mais aussi lancé l’humanité dans l’accroissement démographique exponentiel qu’elle connaît depuis un siècle, et qui risque de la mener à sa perte par la ruine de son environnement. Il s’agirait alors, tout en gardant le bénéfice des progrès techniques accomplis depuis cette époque, de revenir à un nombre d’humains raisonnable, conciliable avec le maintien durable de cet environnement vital.

Si l’on veut revenir rapidement à cette population optimale, la deuxième question sera alors : « Existe-t-il un moyen pacifique et moralement acceptable de convaincre les humains de toutes les cultures, religions, nationalités, tribus du monde qu’il est dans leur intérêt de faire moins d’enfants ? » (p. 10).

« Si l’espèce humaine continue sur la même voie, nous serons plus de dix milliards en 2100.

Supposons cependant -de façon purement théorique -que le monde entier adopte demain une politique de l’enfant unique. À la fin de ce siècle, nous serions de nouveau 1,6 milliard d’habitants. Le chiffre de 1900 ». (p.403)

(À partir de ce moment, bien sûr, la politique de l’enfant unique pourrait être abandonnée et la régulation démographique pourrait se baser sur le taux de remplacement, d’environ 2,05 enfants par femme).

Comment donc  promouvoir pour le siècle à venir une telle politique de l’enfant unique ? On le sait, la tâche est compliquée par nombre d’idéologies et de positionnements religieux.

Nous avons vu plus haut ce qu’il en est du « bien-fondé » d’une idéologie d’un progrès scientifique tout puissant et d’une croissance illimitée qui, au lieu de résoudre la question, n’a fait en définitive que l’amplifier.

Certaines approches religieuses ont aussi une responsabilité historique écrasante dans le développement de ce phénomène qui peut mener l’humanité, si ce n’est à sa perte, du moins à des troubles extrêmement graves (guerres – les « guerres pour l’eau » ont déjà commencé au Moyen Orient…- massacres, famines, etc.).

A. Weisman souligne sans ménagement les aberrations de la communauté juive intégriste des haredim de Méa Shéarim, à Jérusalem, engagée dans une compétition de lapinisme au nom de la foi, et en vue de gagner la guerre démographique avec la population palestinienne. Le problème étant qu’Israël détient déjà, « avec 740 habitants au kilomètre carré, la plus forte densité de tous les pays occidentaux » (p. 20-21). « D’ici le milieu du siècle, si rien ne change, le nombre d’humain entassés entre la mer et le Jourdain aura presque doublé pour dépasser 21 millions d’individus. Même le miracle de la multiplication des pains et des poissons ne suffirait pas, loin de là, à subvenir à leurs besoins » (p. 18-19).

Et pourtant, comme le montre l’exemple cité de Jeremy Benstein, il existe des ressources exégétiques pour contester « de l’intérieur » la lecture littérale infantile et suicidaire des textes opérée par les haredim : dans le midrash, « Dieu adresse aussi un avertissement à Adam : ‘’Prends soin de ne pas corrompre et détruire Mon monde, car si tu l’abimes, personne ne viendra après toi réparer les dégâts » (p. 21-22).

Il ajoute : « Dieu ne dit pas : ‘’Soyez féconds et multipliez-vous à l’infini autant que vous pouvez’’. Il dit : ‘’Soyez féconds, multipliez-vous et remplissez la terre » (p. 22).

On le sait, une telle sagesse exégétique n’est pas le fait des autorités du catholicisme qui persévèrent dans une aberrante condamnation des moyens contraceptifs modernes, dont les conséquences, outre sur l’accroissement démographique, sont considérables en ce qui concerne l’avortement et ses séquelles sur la santé des femmes :

« Quand la république des Philippines accéda à l’indépendance en 1946, elle comptait déjà 18 millions de citoyens. Et aujourd’hui les Philippins sont près de 100 millions: alors que la population mondiale a quadruplé en un siècle, celle de ce pays a quintuplé en moitié moins de temps.

L’une des principales raisons de cette évolution démographique, c’est que les Philippines modernes –(…) est le pays le plus catho­lique d’Asie et, disent certains, le dernier bastion de l’empire théocratique du Vatican » (p. 187).

« Quelque 750 000 avortements illégaux [sont] pratiqués aux Philippines chaque année. La majorité consiste soit à introduire des cathéters à la propreté douteuse dans l’utérus, soit à provoquer des contractions avec des potions à base de plantes comme la pamparegla, des extraits de makabuhay, une plante grimpante aussi utilisée comme pesticide, ou des surdoses de médicaments contre les ulcères. Autre solution, les femmes trouvent une hilot ( une masseuse et chiropra­ticienne, en philippin) qui repère au toucher la masse étrangère présente dans l’abdomen -et l’écrase entre ses mains. Pendant cette opération, qui doit durer jusqu’à ce que les saignements commencent, les femmes mordent une couverture pour contenir leurs hurlements » (p.192).

Quelques responsabilités (ou faudrait-il dire irresponsabilités ?) sont d’ailleurs au passage clairement désignées :

« En 1966, à une majorité de soixante-neuf votes contre dix, les membres religieux et laïques de la Commission pontificale sur la population et la régulation des naissances se prononcèrent pour que l’Église autorise la contraception. Cinq des membres minori­taires soumirent une opinion divergente fondée sur les écrits d’un archevêque polonais, Karol Wojtyla, qui deviendrait lui-même pape douze ans plus tard [Et qui sera donc bientôt canonisé]. Annuler l’interdit sur la contraception, affirma en substance ce groupe, équivaudrait à saper l’infaillibilité pontificale. Les deux jugements ayant filtré dans la presse avant que le pape et son entourage aient pu réagir, Paul VI, très en colère, répondit par une encyclique, Humanae Vitae, qui se ralliait à l’opinion de la minorité ».

(voir aussi la dénonciation du lobbying actif du Vatican pour que la question de la surpopulation ne soit pas abordée au Sommet de la Terre de Rio en 1992 – p. 393 -, ainsi que la lutte permanente des évêques philippins contre la contraception – p. 209 -, etc.).

[Sur le fait que, 50 ans après Humanae Vitae, l’Église catholique maintienne cette position, cf. la fin de mon post « Des papes, de la pédophilie… » dans les « archives » de janvier, en particulier la citation de G. Canguilhem.]

En définitive, en dépit des fondamentalistes et contrairement à des opinions courantes sur le sujet, les attitudes les plus responsables émanent d’une partie de la communauté musulmane, y compris lorsqu’il s’agit de l’Iran d’après la « révolution islamique ». Saigné à blanc par la guerre avec l’Irak, l’Iran, après une période de politique nataliste forcenée, et devant la catastrophe démographique et la famine que celle-ci était sur le point d’entraîner, a adopté une politique incitative de réduction des naissances par l’enfant unique et par la mise à disposition gratuite des moyens contraceptifs (sans pour autant accepter l’avortement), qui a constitué un succès sans précédent qui pourrait servir d’exemple pour notre évolution future (p. 255-267).

Une telle réussite reposant en partie sur la compatibilité du Coran avec la contraception, en particulier à travers l’interprétation de textes tels que celui du verset 233 de la sourate al-Baqara, qui stipule  : « Les mères qui veulent donner un allaitement complet allaiteront leurs bébés deux ans complets », ce qui a pour conséquence un espacement des naissances (p. 251).

« Qari Abdul Basid, imam de la splendide mosquée Shah Jahan de Thatta [au Pakistan], ajoute: ‘’Dans les années 1960, les gouvernements ne consultaient pas les imams. On se fichait de marcher ou non sur la bonne voie. Alors les gens ont refusé la planification familiale.’’ Désormais, les imams expliquent à la prière du vendredi que l’islam professe la nécessité d’être en bonne santé et de bien se nourrir -et ils répètent la directive de la sourate al-Baqara, selon laquelle un enfant a droit à deux années complètes du lait de sa mère.

Les imams donnent la préférence à l’allaitement, en guise de contraception, mais ils acceptent aussi la pilule et les préservatifs » (p.252).

Car, comme le dit avec sagesse le Sultan El-Hadji Ali Zaki, de Maradi, au Niger : « Allah ne veut pas que nous ayons des enfants que nous sommes incapables de nourrir ou d’élever correctement » (p. 220).

De façon encourageante, l’exemple de l’Iran montre donc sur une échelle importante, que, même au cœur d’une société marquée par la religion, une politique de l’enfant unique sous forme d’incitation pacifique et moralement acceptable, selon les termes de notre cahier des charges (et non d’obligation violente comme cela a pu être le cas en Chine ou en Inde) peut aboutir à des résultats rapides en vue de réduire au maximum les risques d’éclatements liés à la surpopulation.

Cette politique doit bien entendu s’appuyer sur une extension résolue de la mise à disposition des moyens de contraception :

« Actuellement, 80 millions de personnes s’ajoutent à la popula­tion mondiale chaque année -un million tous les quatre jours et demi. Si [l]es femmes n’avaient pas accès à la contraception, l’huma­nité grossirait d’un million de nouvelles bouches à nourrir tous les deux jours et demi. Cela représenterait sept villes comme Pékin supplémentaires chaque année, au lieu des quatre que nous vaut déjà la fécondité mondiale actuelle » (p. 383).

Cet effort indispensable doit donc encore être accru, en particulier grâce au développement de la contraception masculine (p. 380-381).

Nous en arrivons ainsi à notre troisième question :

« S’il s’avère, enfin, que la population de la terre, pour durer, doit être inférieure aux dix milliards d’habitants, voire plus, vers lesquels nous nous dirigeons, comment concevoir une économie adaptée à une population en baisse, puis à une population stabilisée, c’est-à-dire à une économie capable de prospérer sans dépendre d’une croissance infinie ? » (p. 10)

On s’en rend compte, la tâche est considérable. Elle est pourtant en partie préparée par la réflexion des « théoriciens de la décroissance » (cf. pour la France les travaux de Paul Ariès, Michel Lepesant, Serge Latouche, etc.), à condition de préciser au préalable que celle-ci ne peut être économiquement soutenable que si elle est associée à une politique résolue de décroissance démographique. Comment en effet imaginer, en dépit de toutes les incantations à la sobriété, une baisse de la production dans un contexte où la population augmente ? Le remède pourrait être pire que le mal…

Or, la nécessité de cette politique démographique préalable continue le plus souvent d’être ignorée. (J’ai été très surpris par exemple, lors de l’émission d’Artedu 25/03 intitulée « Nourrir à tous prix », que la question démographique n’ait pas été le moins du monde évoquée…).

Le problème essentiel sera évidemment, durant un siècle, celui du vieillissement de la population, et du renversement de la proportion entre les actifs et les non – ou moins – actifs, qui accentuera bien entendu la « question des retraites ».

Avec honnêteté, A. Weisman ne prétend pas résoudre le problème, ni même faire le tour de ses données, en dépit d’indications capitales qu’il nous fournit.

Il nous place essentiellement devant l’alternative qui est la nôtre, et qu’exprime Herman Daly en 2005 dans la revue Scientific American :

Le basculement vers l’économie durable « impliquerait un énorme changement d’état d’esprit, sur le plan intellectuel comme sur le plan affectif, de la part des économistes, des décideurs politiques et des électeurs. On pourrait même être tenté d’affirmer qu’un tel projet est irréalisable. Mais l’alternative à l’économie durable –l’économie indéfiniment croissante – est une impossibilité biophysique. Si je devais choisir entre m’attaquer à une impossibilité politique et m’attaquer à une impossibilité biophysique, je jugerais la seconde comme la plus impossible des deux et tenterais ma chance avec la première » (p. 302).

Est-il si impensable de revenir de façon démocratique, incitative et non coercitive, à un niveau de population comparable à celui des années 1930, en conservant et développant nos acquis technologiques (cf. question de la robotique, p. 283-284), et au vu des avantages écologiques, énergétiques, sanitaires, etc. que nous procurerait une telle évolution rompant avec la spirale insensée de l’accroissement frénétique du rendement, une fois surmontées les difficultés inhérentes à la phase de transition ?

Le chapitre sur le Japon, « pionnier d’une prospérité sans croissance » (283-315) est en cela fort instructif. Car le propre du Japon est justement qu’il est déjà engagé dans cette décroissance démographique, avec les conséquences qu’elle entraîne en ce qui concerne le vieillissement de la population et la gestion des dépenses sociales et des dépenses publiques.

Car en effet, le Japon « est le premier pays du monde à atteindre la fin de sa transition démographique » (p.287). « Sa population avait atteint un pic – un peu plus de 128 millions d’habitants. Elle diminue régulièrement depuis lors. En 2012, son chiffre était de 126,5 millions et continuait de chuter. Avant 2060, et même si l’espérance de vie continue de s’élever, le Japon aura de nouveau 86 millions d’habitants – le chiffre de 1950 » (p. 288).

Et force est de reconnaître qu’il ne s’en tire pas si mal. Ou du moins que les inévitables crises liées à la décroissance ne sont pas pires que celles liées à la croissance…

La fin de l’idéologie suicidaire de la croissance perpétuelle « qui implique non seulement l’invention permanente de nouveaux produits [on pourrait parler de la « gadgétisation de l’économie »] mais aussi la recherche constante de nouveaux consommateurs » (p. 291) et donc la croissance démographique, pourrait représenter une chance d’échapper enfin à la frénésie productiviste et aux immenses dégâts collatéraux qu’elle entraîne, au niveau économique, écologique, financier (p. 293. 300-304), sanitaire, etc.

Elle rendrait possible une vie plus « lente » (p. 310), plus tournée vers le qualitatif que vers le quantitatif, finalement plus humaine.

 

Mais ce post commence à prendre des proportions un peu trop importantes. Or, je ne voudrais pas que cette modeste tentative de synthèse serve de prétexte pour éviter de se confronter à ce livre, sans doute sujet à quelques inexactitudes marginales, mais riche et stimulant, même s’il peut paraître dérangeant et doit bien évidemment être soumis à discussion.

Il constitue en tout cas une base pour une réflexion enfin authentiquement politique, qui ne se limite pas aux habituels cocoricos natalistes et autres spéculations à courte vue sur la « crise des retraites ».

Car, alors que l’idéologie consumériste nous demande de faire des enfants pour qu’ils deviennent des consommateurs, faudrait-il donc en faire aussi pour la simple raison qu’on a besoin de cotisants ? Cette basse marchandisation et chosification de la personne humaine dépasse hélas les clivages « politiciens » jusqu’à s’affirmer chez des militants qui prétendent défendre des valeurs « humanistes » et/ou « religieuses ».

Il est donc grand temps de revenir au véritable politique, et à son souci d’un beneficio commune qui dépasse nos étroitesses à court terme.

Or, « il n’y a pas un seul problème sur la terre qui ne serait moins grave si nous étions moins nombreux » (p. 404).

Certes, la décroissance démographique ne peut constituer une panacée. Ce n’est pas elle non plus qui va résoudre automatiquement les questions éthiques qui traversent l’humanité depuis ses origines : les tensions et les guerres, les injustices et les inégalités ont existé lorsque nous étions quelques milliers d’habitants sur la terre, et elles existeront, que nous soyons 10 milliards ou 1 milliard.

« Il ne [s’agit] pas là de mettre fin aux inégalités. Les forces économiques qui les produisent sont trop puissantes, reconnaissaient Gretchen Daily [collaboratrice du couple Ehrlich] et les Ehrlich, par ailleurs sans illusions sur l’égoïsme et le nombrilisme des humains » (p.107).

La fonction « machiavélienne »du politique, qui consiste à gérer du mieux possible le fait de la propension des hommes au mal (« parce que les hommes sont méchants »… dit  Le Prince, XVII), quelles que soient les dimensions et les structures de ses sociétés, a donc encore de beaux jours devant elle…

Mais, au-delà des problèmes de scooter et de l’absurde yoyo démagogique des impôts, il est urgent d’en revenir à la verità effetuale della cosa.

C’est ce que fait Alan Weisman, en nous présentant peut-être l’une des meilleures propositions non-violentes (cf. p. 50-51. 413, etc.) pour « éviter le chemin de l’enfer » et c’est pourquoi il mérite nos remerciements, … et notre lecture.

 

Je n’ai pas trouvé beaucoup de recensions un peu conséquentes en français. C’est dommage !

Je signale cependant ces blogs qui présentent extraits et commentaires :

http://economiedurable.over-blog.com/article-compte-a-rebours-d-alan-weisman-122192856-comments.html#anchorComment

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/extraits-d-ouvrages/article/a-lire-absolument-compte-a-rebours-147427

http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/extraits-d-ouvrages/article/toujours-a-propos-de-compte-a-147601

Des papes, de la pédophilie, de l’ordination des femmes et de quelques autres rudiments de théologie sommaire.

La théologie, l’histoire des religions, tout comme la philosophie, sont bien sûr des mondes passionnants. Et je ne regrette pas de les avoir fréquentés.

Mais j’avoue que je m’y suis toujours senti quelque peu décalé.

Et que dire depuis que je fréquente ce mauvais génie de Stultitia !…

Mes véritables maîtres à penser étant Brassens, Franquin, Boby Lapointe et quelques autres – on ne se refait pas -, il est clair qu’il ne faut donc pas s’attendre de ma part à un cours de théologie classique.

Je vais donc me limiter pour aujourd’hui à un cours de théologie sommaire, à la manière de mes chers anciens.

Je regrette d’ailleurs que Chaval, artiste trop oublié, ne soit pas lui-même reconnu comme représentant de la théologie sommaire, qui pourrait être à la théologie classique ce que la pataphysique est à la méta du même nom (physique).

Son dessin des « Papes étonnés par un gratte-ciel », (que je n’ai hélas pas pu retrouver… [Mise à jour 06/2014 : Si, c’est fait!), ayant été l’un des rares à anticiper la démission du 28 février 2013 : depuis ce jour en effet, et pour la première fois depuis la fin du Grand Schisme d’Occident, deux papes peuvent se promener ensemble dans les rues de New-York. On ne saurait trop souligner l’importance d’un tel événement.

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Mais venons en donc au fait. Einstein – qui était aussi pataphysicien à ses heures – aurait dit : « On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré ».

Alors je voudrais montrer qu’en dépit du charme indéniable et du charisme du nouveau pape, l’Église catholique n’est pas encore près de sortir de quelques-unes de ses ornières. Car il faudrait avant tout pour cela se décider à changer quelques modes de pensée.

Et c’est ici l’intérêt de la théologie sommaire : elle réussit là où la théologie classique échoue, parce qu’il n’est pas dans ses habitudes de s’attarder outre mesure dans les modes de pensée.

En deux mots : la théologie classique fait croire qu’il y a dans l’Église catholique un problème de recrutement, la fameuse question des « vocations sacerdotales ».

Or, pour la théologie sommaire, ce problème est en fait un pseudo-problème, engendré par un certain mode de pensée, qu’on appellera « théodosien » pour faire court, du beau nom de l’empereur Théodose (379-395). Même si le théologien sommaire peut aussi faire long, au besoin, par exemple en allongeant ce moment théodosien jusqu’au moment « tridentin » qui désigne lui l’héritage du Concile qui s’est tenu à Trente de 1545 à 1563.

Il suffit donc de changer de mode de pensée pour résoudre ce qui n’a en fait jamais été un problème.

Car, alors que les « Églises » chrétiennes primitives comptaient quelques milliards de fidèles de moins que de nos jours, les « ministères », les services n’ont jamais manqué en leur sein, puisque l’apôtre Paul félicite les quelques dizaines de fidèles d’une communauté d’être « comblés de toutes les richesses, toutes celles de la parole et toutes celles de la connaissance », « si bien qu’il ne vous manque aucun don de la grâce » (St. Paul, Première Épître aux Corinthiens, 1, 5-7).

Il faut donc bien que certains modes de pensée induisent des problèmes qui n’en sont pas…

Hélas, ces pseudo-problèmes entraînent à leur tour de tragiques dégâts collatéraux, en particulier lorsqu’il s’agit de la question de la pédophilie.

D’où l’intérêt d’essayer de remettre les choses à l’endroit.

Essayons donc :

Dans la plupart des religions, la communication entre les hommes et Dieu est assurée par des instances et des lieux « sacrés », le « sacerdoce », le Temple, etc.

Pour le christianisme, cette rencontre entre Dieu et les hommes s’opère « une fois pour toutes », dans l’évènement unique de salut que constitue la passion et la résurrection du Christ. C’est cet événement qui est, non pas reproduit, bien sûr, mais rendu contemporain, « actualisé » à chaque célébration de Pâques (et donc dans chaque Eucharistie), tout comme la sortie d’Egypte est actualisée dans le rite, le « seder » de Pessah : « Resurrexit Dominus hodie »(aujourd’hui), chante la liturgie catholique ; « Nous étions esclaves du pharaon en Egypte, mais cette nuit ( הלילה הזה ) Dieu nous a délivrés d’une main puissante et d’un bras étendu », répond le père de famille à l’enfant qui l’interroge sur la raison d’être des rites de la Pâque juive.

Le rite, le mémorial, (le zikharon -זיכרון – pour le juif, l’anamnèse – ἀνάμνησις – pour le chrétien) introduit dans une dimension particulière du temps qui rend le croyant contemporain de l’événement de libération.

Dans le cas du chrétien, cette introduction par le Christ dans la communion avec Dieu est désormais le seul « sacerdoce » efficace. Le terme (ιερατευμα, « hierateuma ») dans le Nouveau Testament est dès lors réservé au Christ lui-même (dans l’Epître aux Hébreux), et, dans son prolongement, à la communauté des chrétiens dans son ensemble, toute entière conçue comme « sacerdotale » (Première épître de Pierre 2,5.9 ; Apocalypse 1,6 ; 5,10 ; 20,6). Jamais un disciple du Christ n’est considéré comme accomplissant un quelconque « sacerdoce » au sens de « médiation » entre Dieu et le peuple que ce terme pouvait revêtir dans les autres religions. Le terme ne s’applique donc qu’au Christ et à la communauté, seul sujet actif de la célébration liturgique (il est à noter qu’après la destruction du Temple de Jérusalem par Titus en 70, la notion de sacerdoce – כהנה – kehounah — connaîtra dans le judaïsme aussi une évolution qui en fera de plus en plus l’apanage d’Israël dans son ensemble). De la même façon, la référence au « sacré » va disparaître totalement des lieux de culte chrétiens (les premiers disciples du Christ vont adopter dans ce but comme lieu de leurs assemblées, non pas le temple – ιερον – hieron – mais le plan du marché public, la « basilique »).

Qu’on le veuille ou non, ce sont là les seules données du Nouveau Testament concernant la question du « sacerdoce ». Et leur simplicité réjouit le théologien sommaire.

Il n’y a plus en effet désormais de place pour la médiation sacrale du hiereus (celui qui exerce le sacerdoce) dans la communauté chrétienne, mais, en revanche, on va trouver des fonctions, des « ministères » très diversifiées, comme dans toutes les communautés humaines nécessairement structurées : celle par exemple de l’épiscopos, le « surveillant », qui, nous dit l’auteur de la première épître à Timothée (chap. 3, 2-5) doit avoir fait la preuve de ses capacités par sa responsabilité dans le mariage, le fait d’avoir bien élevé ses enfants, etc…

« Quelqu’un, en effet, qui ne saurait gouverner sa propre maison, comment prendrait-il soin d’une Église de Dieu ? »

Il prendra petit à petit la place dominante dans la structuration des assemblées. Il y a aussi l’Ancien, plus souvent les Anciens (presbuteroi) (qui reprennent la fonction des זכנים « zeqénim« , « sages » ou « conseillers » qu’on trouvait dans les communautés juives et qui n’ont rien à voir avec le sacerdoce). Anciens qui doivent eux aussi être des hommes ayant fait preuve dans leur vie conjugale, familiale et professionnelle de responsabilité et de sagesse, ; le serviteur (« diaconos« ), le prophète, l’apôtre, etc…

Certes, on se rend compte que, sauf quelques exceptions (« diaconesses » ou « veuves »), un tel panorama manque de femmes, mais on y reviendra. Car cela ne peut échapper à un théologien sommaire.

Tout comme la présidence de la Pâque juive est dévolue au père de famille, on peut penser qu’il en allait de même lors des célébrations liturgiques de ces juifs particuliers qui ne se savaient pas encore « chrétiens », le maître de maison ou le chef de communauté conduisant ce qui était perçu comme la célébration de la communauté dans son ensemble.

On se rend déjà compte que, dans l’accession aux fonctions de responsabilité dans les communautés, en particulier celle d’Anciens et d’Épiscopes, le fait de manifester un équilibre affectif dans une vie sexuelle équilibrée constitue un critère déterminant.

Car dans une telle approche de théologie sommaire, la question des responsabilités est abordée « à l’endroit » : si je suis un Ancien ou un « Surveillant » dans la communauté, ce n’est pas parce qu’un beau jour j’ai rêvé de l’être en me rasant le matin et que je me suis auto-institué tel sur la base d’une « vocation » bien ambiguë (pour ma part, dès que j’ai été en âge de me raser, j’ai rêvé de devenir président de la République, mais ce n’était sans doute pas suffisant…). Si je le suis, c’est parce que, tout au long de ma vie et de mon expérience, j’ai fait la preuve de mes capacités et que j’ai été choisi pour cela, « appelé », non par moi-même, mais par ceux qui m’ont reconnu ces aptitudes, au moins pour un temps.

Il va sans dire que cette reconnaissance doit dépasser les seules limites d’un groupe restreint : afin d’éviter un éparpillement des croyances qui mettrait en péril la communion entre les communautés, certaines personnes doivent veiller à ce que la diversité de celles-ci s’harmonise au niveau du partage d’un même message fondamental, celui que les premiers chrétiens nommaient le « kérygme » (κήρυγμα). La vie des communautés primitives se caractérisera donc aussi par la recherche de tels équilibres, dans laquelle la fonction de l’episcopos prendra un rôle déterminant..

Bien que l’attribution des services dans un groupe ait toujours et partout posé problème, comme on le sait (et les lettres des églises chrétiennes antiques en témoignent, bien sûr), on comprend qu’un tel mode de fonctionnement puisse écarter des responsabilités des personnes manquant de la maturité nécessaire pour les assumer. Celui qui a fait preuve d’une vie affective équilibrée au vu et au su de la communauté pendant des années, et dont l’équilibre fait partie des qualités d’Ancien qu’on lui reconnaît, a bien évidemment moins de risques de manifester une perversion sexuelle que celui, qui malgré sa bonne foi possible, s’engage, sans expérience sur le long terme dans un genre de vie particulier tel que celui qui comporterait une exigence de célibat.

Il s’agit là d’une simple constatation de bon sens dont on s’étonne qu’elle ait tant de mal à être reconnue comme telle, alors même qu’elle était de mise aux origines du christianisme et qu’elle paraît si évidente à tout théologien sommaire normalement constitué.

Alors, pourquoi de telles réticences ?

Il serait certes bien long d’en énumérer les causes. Stultitia tient cependant à la disposition des amateurs une bibliographie particulièrement fournie sur le sujet, que je vais essayer de synthétiser sans trop de caricatures.

On sait que l’un des moments essentiels de l’évolution théologique du christianisme a été sa rencontre avec l’Empire romain ainsi qu’avec sa religion, rencontre dont les effets se font donc véritablement sentir vers la fin du IVème siècle, sous l’empereur Théodose. Cette évolution s’explique sans doute à l’origine par des mobiles louables. Dans un monde qui se caractérise par l’inconsistance du pouvoir politique, l’Église, désormais institution reconnue, va remplir le rôle de pouvoir de substitution, en particulier en ce qui concerne la défense et la prise en charge des pauvres. Ainsi l’évêque a-t-il pu être qualifié de « pater pauperum » (père des pauvres. St. Jérôme, Épitre 52,6). Mais il faut bien reconnaître que les conséquences d’une telle réussite ont été durablement pernicieuses.

En particulier parce qu’elle va induire dans le christianisme un décalque des modèles juridiques et religieux de l’Empire.

C’est à ce moment en effet que va se préciser ce qu’on a pu nommer la « sacerdotalisation des ministères ».

Dans les communautés anciennes, nous l’avons vu, le choix des responsables est dévolu au groupe dans son ensemble. Une telle pratique demeure longtemps la norme.

Ainsi Cyprien de Carthage (200-258) défend-il, contre le pape Etienne, la nomination des évêques par l’assemblée toute entière :

« Il faut que là où l’on doit ordonner un chef pour le peuple fidèle, les évêques de la province se rassemblent et que l’élection de l’évêque se fasse en présence du peuple, qui connaît la vie et a pu apprécier la conduite de chacun en vivant près de lui. Nous voyons que les choses se sont ainsi passées chez vous pour l’ordination de Sabinus, notre collègue. C’est par le suffrage de toute la communauté des frères, et des évêques, qui ou étaient présents, ou avaient écrit, que l’épiscopat lui a été déféré » (Épître 67).

Et le pape Léon le Grand (vers 400-461) affirme, de son côté : « Celui qui les conduit tous doit être choisi par tous » (Ad Anastasium, Patrologie Latine, 54, 634).

Mais, on le sait, les procédures démocratiques peuvent être difficiles à gérer ; et dans le but d’en neutraliser les remous, la coutume va peu à peu apparaître chez les évêques de nommer eux-mêmes leurs propres successeurs, comme on le lit par exemple chez Saint Augustin  (354-430. Lettre 123, trad. Poujoulat et Raulx, Bar-Le-Duc 1864):

« Je suis donc allé à Milève, et, la miséricorde de Dieu aidant, on a tranquillement accepté le successeur que Sévère avait désigné de son vivant; le peuple a volontiers accueilli la volonté de l’évêque défunt, du moment qu’il en a eu connaissance. Un certain nombre, toutefois , se montrait contristé de quelque chose qui n’avait pas été fait; notre frère Sévère, croyant qu’il suffisait de désigner son successeur à son clergé, n’en avait rien dit au peuple; de là la tristesse de quelques-uns ».

Les communautés vont donc être de plus en plus dépossédées de la nomination de leurs ministres et ceux-ci vont s’inscrire dans les modèles institutionnels de l’Empire.

Dans un même temps, l’élément fondamental de la théologie du Nouveau Testament que constituait le déplacement radical du vocabulaire sacerdotal se voit occulté par un retour à la terminologie sacrale, au départ pour des raisons de parallélisme allégorique entre les deux « Testaments » (la Bible juive connaissant l’institution sacerdotale) puis pour des raisons plus complexes, spécialement des raisons de pouvoir et de politique. En particulier, le sens du terme « Ancien » (presbuteros, prêtre), choisi à l’origine pour éviter toute connotation sacrale, va être désormais absorbé par cette sacralité qu’il avait pour but de refuser.

L’influence du néo-platonisme aidant, on s’achemine ainsi vers la conception de « hiérarchies ecclésiastiques » (cf. Denys l’Aréopagite) douées de pouvoirs sacrés quasi magiques de par une plus grande proximité des sphères spirituelles. Le droit romain va désormais justifier la division de la société chrétienne en deux ordres, (ordines), celui des clercs et celui des laïques, en deux genres de vie, le « spirituel » et le « charnel » : « Duos ordines, clericorum et laicorum ; duae vitae, spiritualis et carnalis » (Etienne de Tournai, Summa, Prologue).

Car bien loin du solide bon sens des communautés primitives pour lesquelles la maturité sexuelle constituait un critère important dans le choix des responsables, ce sera désormais une continence sacrale fondée sur une dépréciation néo-platonicienne du corps, totalement à l’opposé de l’anthropologie judéo-chrétienne, qui va constituer la condition indispensable de l’accession aux responsabilités ecclésiastiques. Une telle sacralisation rituelle de la pureté sexuelle, excluant bien évidemment la femme, se structurera logiquement par la suite au niveau du droit canon dans l’obligation du célibat.

On arrive ainsi à l’image du prêtre telle que l’a consacrée le concile de Trente : « clerc » séparé du « laïque » du fait de son appartenance à un « ordre » supérieur dans la stratification des « hiérarchies spirituelles », qui lui confère un « caractère sacerdotal », une « différence essentielle », ontologique, de par sa plus grande proximité des « réalités célestes », il a retrouvé les caractéristiques du médiateur des religions païennes, qui lui permettent de jouir sans partage de cette « sacra potestas » (puissance sacrée) qui rend possible la « consécration » magique des offrandes et la transsubstantiation de la matière.

(notons au passage qu’un contre sens durable sur la signification d’un terme latin – le verbe exeritur transformé en exercetur – dans le formulaire liturgique du Sacramentum Veronense a rendu possible de comprendre l’Eucharistie de façon blasphématoire comme un « renouvellement » magique du sacrifice du Christ par l’intermédiaire du prêtre, alors qu’il s’agit, nous l’avons vu, d’un « mémorial efficace » – avec toute la densité que comporte ce terme dans la tradition juive – célébré par toute la communauté).

La prégnance du modèle indo-européen des « trois fonctions » cher à Georges Dumézil est bien entendu patente dans ce schéma féodal qui distingue les oratores (les « priants »), les bellatores (les « combattants »), et les laboratores (les « travailleurs »).

On arrive ainsi à cette auto-compréhension qui a profondément caractérisé la « spiritualité sacerdotale » durant des siècles :

« Le Fils de Dieu vous associe avec lui dans ses plus nobles perfections et dans ses plus divines actions: car il vous rend participants de sa qualité de médiateur entre Dieu et les hommes, de sa dignité de juge souverain de l’univers, de son nom et de son office de Sauveur du monde, et de plusieurs autres excellences dont il est orné; et il vous donne pouvoir d’offrir avec lui à son Père le même sacrifice qu’il lui a offert sur la croix (…) N’êtes-vous pas envoyés de Dieu pour former son Fils Jésus dans les cœurs? Si bien que vous avez une merveilleuse alliance avec les trois Personnes éternelles; vous êtes les associés de la très sainte Trinité; vous êtes les coopérateurs du Tout-Puissant en ses plus grandes œuvres.» (Jean Eudes, Le Prêtre, associé de la Trinité, Mémorial de la vie ecclésiastique, 1re p; Œuvres complètes 3, 14-16).

On comprend qu’une telle vocation, qui élève le clerc tellement au-dessus de la vie « charnelle » du simple laïque ait pu susciter l’enthousiasme. Ce n’est pas rien d’être « participants de (l)a qualité de médiateur entre Dieu et les hommes » et « coopérateurs du Tout Puissant en ses plus grandes œuvres » ! Et on sait que de nombreux prêtres se sont acquittés de cette tâche avec une réelle sainteté.

Mais on est bien loin de la spiritualité évangélique, pour laquelle la seule médiation « sacerdotale » qui subsiste est celle du Christ et de la communauté des croyants dans son ensemble.

Et après tout, les religions païennes, fondées sur la médiation du prêtre et son « pouvoir sacré », ont aussi donné bien des exemples de sainteté.

À part que ce sont des religions païennes…

Une spiritualité « sacerdotale » de ce type a donc été dominante jusqu’au concile de Vatican II, et il faut bien dire qu’il en est demeuré des séquelles non négligeables.

Y compris dans les textes de ce même concile !

Car on est très surpris de constater les récurrences de ce prurit sacerdotal, alors même qu’il serait aisé, si on faisait l’effort de « changer de mode de pensée » de réenvisager la question des ministères sur des bases plus saines et plus évangéliques.

Mais il demeure un « caractère sacerdotal », une « différence d’essence et non de degré », « ontologique », entre le « sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel », etc. ; toutes expressions dont la pérennité douteuse dans le bagage de la « tradition » ouvre encore de beaux jours à une herméneutique à la Dupanloup….. (cf. dans les archives mon post : « Ne pas hurler avec les Dupanloup »).

Car il s’agit là de ne surtout pas perdre la référence à la sacralité spécifique du prêtre !

Au besoin en s’aidant de quelques tricheries propres à étonner le théologien sommaire : « S. Paul recourt occasionnellement au vocabulaire cultuel pour parler de son ministère apostolique (Ph.2,17 ; Rm 1,9 ; 15,16). Celui-ci est en effet un ‘’service sacré’’ destiné à la sanctification des hommes » (P. Grelot, article Sacerdoce dans : P. Poupard ed. Dictionnaire des religions, II, p. 1761).

Mais, Mr. Grelot, où voyez-vous donc, dans les textes que vous citez, la moindre référence à un « service sacerdotal » autre que celui qui est reconnu par le Nouveau Testament à tous les chrétiens ? Les termes « thusia » (oblation) ou « leitourgia » (liturgie) utilisés par Paul n’ont aucun rapport avec la racine ιερ – hier- (hiereus, etc.) – bien évidemment à dessein et en cohérence avec toute la théologie néo-testamentaire – et donc aucune connotation sacerdotale particulière.

« La participation au sacerdoce du Christ à laquelle sont appelés évêques et prêtres fait de leur ministère un ministère sacerdotal (souligné) » (P. Eyt, id. ibid. p. 1762).

Mais, Mr. Eyt, pourquoi ne pas résolument privilégier des expressions telles que celle de « ministère presbytéral », puisque les textes fondateurs prennent bien garde de ne parler que de cela et d’évacuer encore une fois totalement la notion de sacerdoce, et que cela n’a jamais compromis les pratiques sacramentelles des communautés ?

La seule explication qui s’impose au théologien sommaire est celle-ci :

On peut se passer de bien des choses, mais pas du « pouvoir sacral », de la « sacra potestas ».

http://www.ina.fr/video/I05133720

Or, il est hélas plus qu’évident que la confiscation du discernement communautaire en ce qui concerne le choix des ministres, et en particulier l’évaluation de leur habilitation affective à exercer leurs fonctions, est un élément essentiel pour rendre compte des pratiques pédophiles qui entachent l’Église catholique, et ceci probablement depuis bien longtemps.

Vraisemblablement depuis que l’attachement au « pouvoir sacré » a étouffé le bon sens des critères en vigueur dans les premières communautés pour le choix des ministres : « mari d’une seule femme, sobre, pondéré, de bonne tenue, hospitalier, capable d’enseigner (…) sachant bien gouverner sa propre maison et tenir ses enfants » (I Timothée 3, 2-5).

Ainsi, sans nier les réussites magnifiques auxquelles a pu donner lieu une certaine « spiritualité sacerdotale », les révélations de ces dernières années obligent à constater qu’un tel système idéologique a aussi attiré à lui ou engendré les perversions sexuelles, de par la collusion monstrueuse et pathogène qu’il entretient entre la continence, le célibat et le « pouvoir sacré ».

Ainsi que par l’exclusion « ontologique » du féminin qui lui est consubstantielle, puisque la femme, ne pouvant être ordonnée est donc incapable de participer aux « excellences dont [le Fils de Dieu] est orné » (Jean Eudes, op.cit) et ne peut être coopératrice « du Tout-Puissant en ses plus grandes œuvres »(id. ibid). Par essence, elle doit se contenter des petites et des lots de consolation.

Parmi bien d’autres textes sur le sujet, on citera celui de la lettre apostolique Ordinatio Sacerdotalis du 22 mai 1994 :

« Afin qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l’Église, je déclare, en vertu de ma mission de confirmer mes frères (cf. Lc 22,32), que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église ».

Et celui du Catéchisme de l’Église Catholique :

« Le Seigneur Jésus a choisi des hommes pour former le collège des douze apôtres, et les apôtres ont fait de même lorsqu’ils ont choisi les collaborateurs qui leur succéderaient dans leur tâche. Le collège des évêques avec qui les prêtres sont unis dans le sacerdoce, rend présent et actualise jusqu’au retour du Christ le collège des douze. L’Église se reconnaît liée par ce choix du Seigneur lui-même. C’est pourquoi l’ordination des femmes n’est pas possible ».

Diantre ! Les rédacteurs de ces textes censés faire autorité ne se sont donc pas rendus compte, après quelques vingt-et-un siècles, que les « hommes » en question étaient tous des juifs, et que, depuis saint Paul, les successeurs des apôtres ne sont plus nécessairement juifs ?

« Car tous, vous êtes, par la foi, fils de Dieu, en Jésus Christ. Oui, vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ.

Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ.

Et si vous appartenez au Christ, c’est donc que vous êtes la descendance d’Abraham ; selon la promesse, vous êtes héritiers ». (Épître aux Galates 3, 26-29).

Comme le reconnaissent les exégètes, ce texte constitue une proclamation solennelle de ce qui est reconnu par les chrétiens comme l’accomplissement des temps messianiques, dans lesquels « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ».

Il est donc étonnant qu’un très éminent représentant de la théologie classique, en un poste de responsabilité certes on ne peut plus élevé, et de très éminents théologiens classiques aient pu produire des déclaration de cet ordre, qui manifestent hélas – outre la surreprésentation classique du terme sacerdoce (cf. Fernand Raynaud ci-dessus…) – une incompréhension affligeante de ce qui constituait pour les premiers chrétiens une composante essentielle du messianisme.

Car de deux choses l’une : soit les temps messianiques sont accomplis, pour les chrétiens. Et dans ce cas on ordonne des évêques non juifs, et on ordonne des femmes.

Soit ils ne sont pas accomplis, le Christ n’étant pas le Messie. Et on n’ordonne ni femmes, ni évêques non juifs.

Après tout, pourquoi pas ? Mais dans ce cas-là, on a la cohérence de changer de religion, dit la théologie sommaire.

Et pourtant, outre la simple question de la légitimité, les femmes étant statistiquement moins sujettes aux perversions de type pédophile, en nommer aux postes de responsabilité aurait sans doute contribué à éviter l’ampleur de certaines catastrophes…

Dommage !

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(dessin de Plantu).

Sans doute de telles remarques nous ramènent-elle, peut être à la psychanalyse, au moins à la philosophie.

Pensons à la profonde définition de la santé et de la maladie par G. Canguilhem, en fonction de la capacité ou de l’incapacité pour un organisme vivant de produire de façon dynamique de la normativité face au renouvellement et à l’évolution de son environnement : « Parmi les allures inédites de la vie, il y en a de deux sortes. Il y a celles qui se stabilisent dans de nouvelles constantes, mais dont la stabilité ne fera pas obstacle à leur nouveau dépassement éventuel. Ce sont des constantes normales à valeur propulsive. Elles sont vraiment normales par normativité. Il y a celles qui se stabiliseront sous forme de constantes que tout l’effort anxieux du vivant tendra à préserver de toute éventuelle perturbation. Ce sont bien encore des constantes normales, mais à valeur répulsive, exprimant la mort en elles de la normativité. En cela elles sont pathologiques ». (Le normal et le pathologique, Paris, PUF 1998 (7) p. 137).

Ces constantes « que tout l’effort anxieux tendent à préserver d’éventuelles perturbations », et qui expriment l’état pathologique de « la mort de la normativité » sont celles-là même qui rendent impossible la résolution des problèmes, par incapacité de sortir des modes de pensée qui les ont engendrés.

Car une chose est de proclamer que les portes sont ouvertes, autre chose est d’accepter de sortir.

Or, comme dans « l’Ange Exterminateur », c’est bien là que le bât blesse….

Souhaitons donc au pape François d’être capable de faire ce pas !

(c’est un extrait du final de la version italienne. L’espagnole est indisponible et je n’ai pas trouvé hélas la française).

Ajout du 13/05/2016 :

Un rapide petit codicille à ce texte (qui devrait par ailleurs être précisé sur quelques points. J’y reviendrai sans doute).

La raison en est l’intention du pape « d’entrouvrir la porte de l’Église aux femmes ».

http://www.lemonde.fr/religions/article/2016/05/12/le-pape-francois-ouvre-la-voie-du-diaconat-aux-femmes-dans-l-eglise_4918505_1653130.html

Magnifique terminologie : pas question d’ouvrir. On « entrouvre »…

Et extraordinaire théologie !

Ainsi, non content de confirmer les allégations les plus pathologiques (au sens de  Canguilhem cf. ci-dessus) de ses prédécesseurs

[« Le sacerdoce réservé aux hommes est une question qui ne se discute pas », a-t-il écrit dans son encyclique Evangelii gaudium (2013)]

voilà qu’on définit implicitement des zones réservées à l’intérieur de la théologie sacramentelle, alors même que l’approche devrait en être globale et unitaire.

Parce qu’il faut bien satisfaire à l’esprit du temps et donner à croire de façon démagogique (et contre toute évolution de fond) qu’on œuvre pour la promotion de la femme, on entérine la division des sacrements en sacrements de première et de deuxième classe.

Ceux de deuxième classe pouvant donc être administrés par les diacres et les femmes, sortes d’êtres humains incomplets [soit définitivement, par essence, dans le cas de la femme, soit qu’ils n’ont pas encore accédé au statut de « coopérateurs du Tout-Puissant en ses plus grandes œuvres » (cf. Jean Eudes), statut qu’il leur reste toutefois possible d’acquérir du seul fait ontologique de leur caractéristique sexuelle] ;

ceux de première classe étant réservés aux seuls êtres capables de détenir ontologiquement et définitivement donc la « sacra potestas » qui leur ouvre, outre la présidence de l’Eucharistie, les postes de responsabilité dans l’Église catholique : les mâles.

On reste stupéfait de constater la capacité qu’a une institution de ruiner sa propre cohérence théologique et spirituelle, et avec elle sa crédibilité, dans le seul but de sauvegarder la sanctuarisation d’un « pouvoir sacral» qui n’a rien à faire avec le christianisme, dont on est en droit de penser qu’il ouvre des voies totalement à l’opposé (cf. encore Épître aux Galates 3, 26-29, citée plus haut).

Dommage aussi de voir un pape en apparence bien intentionné compromettre sa crédibilité en s’enferrant dans des impasses théologiques relevant moins du bon sens que des sketches de Fernand Raynaud (cf. encore ci-dessus).

Hélas pour l’Église catholique, Canguilhem, Buñuel et Einstein restent plus que jamais d’actualité !

cf. aussi:

http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2015/11/04/quelques-breves-sur-le-mythe-de-la-croissance-verte-et-sur-la-necessite-denvisager-une-economie-de-leffondrement-et-sur-pasolini-les-homosexuels-les-femmes-et-les-scandales-d/

Ajout du 16/03/2017:

Peut-être une petite ouverture, en ce qui concerne l’ordination d’hommes mariés (de « viri probati », c’est-à-dire de personnes qui, conformément à la tradition du presbytérat telle qu’elle apparaît dans le Nouveau Testament (cf. ci-dessus, citation de I Timothée 3, 2-5), ont fait leurs preuves durant 10, 20, 30 ou 40 ans devant une communauté, laquelle peut donc attester qu’ils ne sont ni pédophiles, ni violeurs, etc., et qu’ils sont en mesure d’exercer des responsabilités).

http://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Pape/Se-dirigeton-vers-lordination-dhommes-maries-2017-03-09-1200830644

Ce serait une avancée certaine, même si elle sera loin de résoudre tous les problèmes, ce qui n’a pas manqué bien sûr d’être souligné, de façon parfois ambiguë par nombre de commentaires, qui utilisent manifestement cet argument pour justifier le statu quo.

Or, ne nous y trompons pas : ce n’est pas parce qu’une mesure théologiquement justifiée ne résout pas tous les problèmes qu’elle n’en est pas moins indispensable.

La nécessité fondamentale étant d’assurer la cohérence d’un discours et d’un agir si l’on veut en asseoir la crédibilité.

On regrette cependant qu’une telle avancée soit liée aux circonstances et apparemment réservée à certaines régions en manque de prêtres « classiques » plus qu’a une réflexion fondamentale sur la question des ministères (cf. post ci-dessus).

http://www.la-croix.com/Le-pape-Francois-envisage-reflexion-autour-lordination-hommes-maries-2017-03-09-1200830541

Encore une fois, si, pour le judaïsme, un problème concernant le « recrutement » des « ministres » de ses célébrations essentielles (Chabbat, Pessah, etc.) est inconcevable, c’est tout simplement parce que celles-ci sont demeurées ce qu’elles devaient être, des événements familiaux et communautaires présidés par les responsables de familles ou de communautés, et non par une caste cléricale détentrice d’une « sacra potestas », et dont la réduction ou la disparition signifierait alors effectivement la fin des célébrations.

Or, pour le judaïsme comme pour le christianisme primitif, du moment qu’il y a une assemblée de croyants, il y a nécessairement (on pourrait dire par définition, mais avant tout par foi en la Promesse) les personnes affectées à la vie de cette assemblée.

Je me permets de reprendre quelques lignes du post ci-dessus :

« Alors que les « Églises » chrétiennes primitives comptaient quelques milliards de fidèles de moins que de nos jours, les « ministères », les services n’ont jamais manqué en leur sein, puisque l’apôtre Paul félicite les quelques dizaines de fidèles d’une communauté d’être « comblés de toutes les richesses, toutes celles de la parole et toutes celles de la connaissance », « si bien qu’il ne vous manque aucun don de la grâce » (St. Paul, Première Épître aux Corinthiens, 1, 5-7). »

Si « le Chabbat a bien plus gardé les juifs que les juifs le chabbat », selon l’adage, alors il y aurait un contre-sens essentiel, blasphématoire, à priver de Chabbat ou de Pessah une communauté sous prétexte de l’absence de « ministres ». C’est d’ailleurs proprement inconcevable, le judaïsme résidant précisément dans la « mémoire efficace » des événements fondateurs de l’Histoire d’Israël, tels qu’ils sont signifiés à travers les fêtes et les célébrations.

Et si de façon identique « c’est l’Eucharistie qui fait l’Église », comme se plaisent à le répéter bien des théologiens (apparemment souvent sans en comprendre le sens…), alors il y a un contre sens essentiel à priver d’Eucharistie une communauté chrétienne. Ce devrait être tout aussi inconcevable, mais cela a tout de même été conçu du fait de l’altération institutionnelle décrite dans le post ci-dessus.

Un tel contre-sens radical n’a été rendu possible dans le catholicisme que parce que le besoin d’assujettissement des communautés au pouvoir clérical a primé sur la compréhension de la célébration et de son caractère essentiel à la vie et l’existence même de la communauté.

Faire qu’il y ait, au Brésil ou ailleurs, des communautés « chrétiennes » qui ne connaissent l’Eucharistie qu’une ou deux fois par an par « manque de prêtres » (selon la phraséologie de l’institution ecclésiastique) alors qu’il y a parmi elles des femmes et des hommes parfaitement capables d’assurer la présidence d’une célébration est un non-sens absolu et une incompréhension totale, blasphématoire, de ce qu’est le christianisme dans son essence et de ce que devrait être, par conséquent, une communauté, une Église chrétienne.

C’est privilégier de façon « pathologique » (au sens de G. Canguilhem, cité plus haut) le pouvoir clérical, jusqu’à priver les communautés de l’événement fondateur qui seul les rassemble et les fait vivre.

C’est la structure cléricale qui doit survivre ! Qu’importe ce qu’il peut advenir de la communauté chrétienne, et ce qu’il en advient. Il est plus légitime de réduire un peuple à la famine plutôt que de lui donner à manger par des mains qui n’ont pas reçu l’onction de la caste sacerdotale et de la « sacra potestas« .

Or, à l’attention de celles et ceux qui pensent que le retour à un minimum de cohérence chrétienne à travers l’ordination de « viri probati » (et/ou de femmes…) serait secondaire par rapport aux nécessités « missionnaires »,

http://religion-gaulmyn.blogs.la-croix.com/mariage-des-pretres-beaucoup-de-bruit-pour-rien/2013/09/13/

http://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Pape/Ordination-dhommes-maries-Ce-nest-pas-la-solution-car-ce-nest-pas-le-probleme-2017-03-09-1200830629

il faut tout de même rappeler que l’élément essentiel qui rend une communauté crédible et attirante, c’est avant tout sa cohérence.

À travail égal, le salaire des femmes risque hélas de demeurer encore longtemps inférieur à celui des hommes, et le fait de promouvoir une plus grande égalité ne résoudra certes pas tous les problèmes de l’emploi et du chômage.

Serait-ce une raison pour que les partis politiques ne considèrent pas l’affirmation de l’égalité comme une priorité ?

Et c’est bien avant tout le courage de ce genre d’affirmations qui rend un parti, une religion, une Église, dynamiques et « missionnaires », témoignant de ces valeurs « propulsives » qui sont tout simplement (cf. encore G. Canguilhem cité ci-dessus), la marque de la vie.