Attention ! Un moratoire ne doit pas se transformer en enterrement de première classe.

Bien sûr, si certains ne se privent pas de traiter Laurent Berger de « jaune » (sans gilet, mais il en a l’habitude…), on peut aussi penser que la prise en compte de ses propositions, dès le 18 novembre, de construire « un pacte social de la conversion écologique » aurait pu éviter bien des pertes de temps et des dégâts.

Il faut de même reconnaitre son courage d’aller à contre sens de la facilité démagogique lorsqu’il affirme :

L’annonce de la suspension d’un certain nombre de taxes ou d’augmentations prévues doit permettre une forme d’apaisement. Mais il ne faut surtout pas que cela remette en cause la transition écologique. Car il n’y aura pas de justice sociale sur une planète morte.

Car la démagogie, c’est d’essayer de faire croire qu’on pourrait maintenir le statu quo, et que le règne de la divine bagnole, qu’elle soit thermique ou électrique, aurait la promesse de l’éternité, tout comme la croissance économique, celle de la consommation ou du pouvoir d’achat. Et ceci quel que soit le degré de solidarité demandé aux plus riches, ISF, IFI ou pas..

Or, entretenir de tels mythes relève d’une grave duperie, qui entraînera des réveils bien difficiles.

Car il faudra bien réduire la voilure. Et si ce n’est pas de gré, ce sera hélas de force.

On peut se demander pourquoi des mesures d’un aussi grand bon sens et d’une telle urgence que celles qui devraient permettre de diminuer la part de l’automobile et des camions dans les transports, mesures dont le projet avait pourtant fait l’objet d’un large consensus des partis politiques lors du Grenelle de l’environnement de 2007, devraient être systématiquement vouées à l’échec.

Car après l’abandon de la redevance poids lourds en 2013 – mise en place sans problème en de nombreux pays d’Europe – voilà que se profile l’échec – salué par beaucoup comme une victoire – d’un renforcement de la fiscalité écologique.

Et c’est précisément sur cet échec que comptent certains qui, après en avoir soutenu le projet ou s’être livrés dans leurs programmes à des surenchères écologiques, retournent maintenant leurs vestes et dénoncent l’insuffisance d’un « moratoire » pour réclamer à grands cris une « annulation » définitive.

Pitoyable « transition » de la surenchère écologique à la surenchère démagogique.

De toute évidence, le vent ne fait pas tourner que les éoliennes…

Certes, comme le souligne entre bien d’autres Laurent Berger, les mesures d’accompagnement social et de justice fiscale qui auraient dû précéder de telles décisions ont gravement fait défaut. Les « gilets jaunes » l’ont rappelé de façon entièrement justifiée.

L’intérêt d’un véritable moratoire pourrait donc être de laisser du temps pour réfléchir à ce qui pourrait efficacement réduire enfin le règne de l’automobile, désastreux pour notre environnement, et tout simplement pour notre survie.

Dans un post précédent, je faisais allusion à des propositions cohérentes et réfléchies qui vont dans ce sens :

Une grande nation doit maintenant avoir l’audace et la lucidité de montrer la voie. Se contenter d’augmenter les taxes sur les combustibles fossiles sans planifier une alternative cohérente, c’est évidemment faire le lit du populisme. Où est cette cohérence aujourd’hui ? Plus de 5 milliards de recettes des taxes sur les carburants – de loin le premier poste de dépense de la transition énergétique – vont financer éoliennes et panneaux photovoltaïques, qui n’aident en rien à sortir des énergies fossiles. En effet, l’électricité française est déjà largement décarbonée, grâce à nos centrales nucléaires et à nos barrages. Pourquoi ne pas utiliser cet argent pour financer la fin des chaudières au fioul, et aider massivement les plus modestes à avoir un logement bien isolé du froid ?

Pourquoi ne pas aider les « gilets jaunes », et au fond tous les automobilistes, à acheter des véhicules vraiment plus économes en carburant, en imposant des malus bien plus substantiels sur les plus grosses cylindrées ? Pourquoi ne pas annoncer qu’en 2022, au terme de ce mandat présidentiel, la France n’autorisera plus la vente de voitures neuves consommant plus de 5 litres aux cent ? Et qu’est-ce qui empêche d’ici là d’interdire la publicité pour les véhicules les plus voraces ?

Je suis d’une génération qui a eu la chance de connaître un monde où l’automobile ne régnait pas encore en pivot essentiel de l’économie et en maîtresse absolue de notre environnement.

Et force est de constater que la vie était parfaitement possible sans elle.

Ayant habité pendant mon jeune âge dans cette « France périphérique » dont on parle tant désormais, et y ayant d’ailleurs passé l’essentiel de ma vie, j’ai connu, dans une ville de 12 000 habitants, des réseaux de bus qui assuraient quotidiennement le ramassage, dans un rayon de 15 à 20 kilomètres autour de l’agglomération, de centaines d’ouvriers qui n’avaient pas le privilège de posséder une voiture.

Et les usines fonctionnaient parfaitement. En dépit de l’avènement du « tout voiture », elles ont aujourd’hui disparu.

J’ai connu une multitude de commerces de proximité, aujourd’hui disparus eux aussi, qui permettaient à tout un chacun de faire l’essentiel de ses achats en ne parcourant à pied ou à bicyclette que quelques dizaines ou quelques centaines de mètres.

J’ai connu nombre de commerçants ambulants qui desservaient régulièrement des villages reculés de montagne.

Et, lors du marché hebdomadaire, pour lequel le service de transports en commun se fendait de quelques bus supplémentaires, j’ai vu arriver en ville ces autocars auxquels on attelait une bétaillère qui pourrait être avantageusement remplacée de nos jours par une « vélotière ».

Car outre de tels exemples de mobilités aujourd’hui disparues, les solutions sont multiples.

Même en tenant compte du développement désastreux des « zones commerciales » en dehors des cités, il est possible – cela existe déjà dans la ville dont je parle, il suffirait d’augmenter un peu la fréquence – d’instaurer un système de navettes efficaces qui permettraient de réduire l’utilisation de la voiture pour accéder aux diverses « grandes surfaces ». J’ai déjà utilisé aussi des « minibus à la demande » dont la multiplication permettrait le désenclavement de nombreux villages en rendant possible la plupart des déplacements de proximité.

Sans parler bien sûr du covoiturage et autres solutions déjà en place de partage de mobilité.

Bien sûr, de telles solutions supposent l’aménagement de quelques horaires ainsi que des efforts d’adaptation. Mais l’ensemble est loin d’être hors de portée.

La difficulté la plus importante relevant sans doute d’un changement de mentalités et d’habitudes tellement ancrées qu’elles paraissent intouchables.

Pourtant, faire quelques centaines de mètres ou quelques kilomètres à pied ou à vélo pour accéder à l’arrêt de bus ou à la gare, comme tant de personnes l’ont fait pendant plus d’un demi siècle (et moi aussi pendant des années pour profiter du ramassage scolaire), est loin d’être une prouesse, et se révèle en outre excellent pour la santé. Les millions de citoyens qui ont connu ce genre de pratiques n’en ont pas spécialement souffert, que je sache.

Quelle ne fut pas ma déception lorsque, vieux disciple d’Alfred Sauvy (pas en ce qui concerne la démographie, toutefois…), d’Ivan Illich, Jacques Ellul et autres René Dumont, je constatai un jour que l’université à laquelle je me rendais en bus ou à vélo dans ma jeunesse était désormais encerclée par des parkings bondés.

Ou que des parents sans doute attentifs au bien-être de leurs enfants leur évitent maintenant quelques centaines de mètres à pied ou à vélo et les déposent en voiture devant la porte des écoles ou des collèges. Quitte à les amener, toujours en voiture, faire du sport au stade ou à la piscine…

Renvoyer indéfiniment aux calendes grecques à la moindre difficulté des transitions aussi accessibles, alors même qu’on se targue de faire profession « d’écologie » à grand renfort de déclarations électoralistes, ne va certes pas dans le sens d’une restauration de la crédibilité du politique.

Plutôt que de céder à la facilité du populisme et de la démagogie, il importe maintenant de faire œuvre véritablement politique, en utilisant au mieux ce qui devrait être un véritable moratoire en vue de promouvoir une réflexion exigeante et de mettre enfin en œuvre les mesures d’accompagnement social et pédagogique qui ont tant fait défaut.

Afin qu’un moratoire sur une transition écologique dont l’urgence vitale ne fait plus aucun doute ne se transforme pas, une fois de plus, et comme cela paraît hélas prévisible, en pure et simple capitulation.

En enterrement de première classe, pour le plus grand malheur de tous.

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