En attendant que des plus compétents que moi interviennent sur le sujet, quelques rappels et réflexions rapides à propos d’articles et d’émissions récentes.
Le premier article :
nous permet de corriger un contre-sens : si, en effet, le début de « sortie du nucléaire » a bien signifié jusqu’en 2013 en Allemagne un accroissement de l’utilisation du charbon pour la production d’électricité, ce n’est désormais plus le cas.
Et si les objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’ont pour le moment pas été tenus, ces émissions ont tout de même baissé de 2% depuis 2011.
Bonne nouvelle ! Dont acte.
La mauvaise étant, on le sait, la part décroissante mais toujours largement prépondérante qu’occupe le charbon (et donc les très importantes émissions qu’il produit) dans le mix énergétique allemand, comme le confirment les graphiques du Fraunhofer Institute, organisme de référence en Allemagne.
https://www.energy-charts.de/energy_pie.htm
Ce sont en gros ces chiffres qui sont repris lors du « 28 Minutes » d’Arte sur le sujet :
http://www.arte.tv/guide/fr/068401-102-A/28-minutes
(en particulier vers 26mn).
Tout en souhaitant que le processus engagé tienne les promesses prévues et que les améliorations s’accélèrent, on peut bien évidemment, avec nombre d’experts, souligner le coût exorbitant (de l’ordre de 500 milliards d’euros) d’une baisse des émissions qui reste, pour le moment du moins, quasi anecdotique (2%) pour un pays qui demeure l’un des champions d’Europe de production de gaz à effet de serre.
Bien sûr, il reste aussi légitime de se demander si, d’un point de vue strictement écologique, et considérant l’impératif premier de lutte contre le réchauffement climatique, une « sortie du charbon » n’était pas plus urgente qu’une sortie du nucléaire….
Quoiqu’il en soit, l’élève devrait faire mieux dans l’avenir, du fait du développement en cours des renouvelables. Il faut donc attendre pour juger. Cela fait bien sûr partie de tout processus sur le long terme.
Le problème est alors de savoir si le plus long terme ne devra cependant pas inclure quelques ajustements douloureux, autant en ce qui concerne les émissions qu’en ce qui concerne les coûts, financiers comme environnementaux.
Car si cela n’apparaît pas dans les articles en question, on sait depuis longtemps, et l’expérience le prouve amplement (cf. le cas de l’Espagne en particulier, illustré ci-dessous
que l’usage des sources d’énergie intermittentes, en l’absence sans doute durable de moyens de stockage efficaces (utilisation déjà maximale en Allemagne comme en France des sites capables de recevoir des STEPS – Stations de Transfert d’Énergie par Pompage en particulier, qui, en utilisant le trop plein ponctuel d’énergie éolienne ou solaire pour remonter l’eau dans des lacs de barrage, constituent le mode de stockage le plus performant – plus de 60% de l’énergie de départ y est préservée -), exige d’adosser de telles énergies à des sources non intermittentes afin de pourvoir à une demande accrue lors des pics de consommations (hivernaux en particulier) en l’absence de soleil et de vent, lorsque les éoliennes et les panneaux photovoltaïques ne produisent que quelques pourcents de leur capacité théorique.
Le même institut de référence (Fraunhofer, plus ou moins équivalent de notre ADEME) nous met sur la piste de ce qui sera probablement à terme la solution allemande de l’EnergieWende (« tournant » ou « transition » énergétique ») :
Reprenons les propos de S. Huet :
Les chercheurs [ de Fraunhofer] ont simulé un système électrique fonctionnant heure par heure et sur une année entière à partir d’énergies renouvelables, en prenant comme base des besoins le succès d’une politique d’économie d’énergie, de diminution de la consommation d’électricité d’environ 25% par rapport à aujourd’hui.
Le scénario 100% renouvelables, basé sur une alimentation autarcique en énergie et sur des potentiels techniques considérés comme réalistes, comprend, en termes de puissance installée :
► 170 GW d’éolien terrestre et 85 GW d’éolien en mer (soit 255 GW contre 29 GW actuels en tout).
► 200 GW de photovoltaïque.
► 70 GW de centrales dites Power-to-Gas, prévues pour transformer l’électricité d’origine renouvelable en gaz (hydrogène utilisé comme tel ou peut-être méthanisé) lors des périodes de production excédentaires par rapport à la demande.
► 95 GW de centrales à gaz utilisées en «back-up», lorsque la production d’origine renouvelable n’est pas suffisante, et optionnellement couplées à des systèmes de récupération de la chaleur pour réinjection dans les réseaux de chaleur.http://sciences.blogs.liberation.fr/2013/01/08/electricite-le-cas-allemand/
Précision: pour les germanistes, cf:
ainsi que le communiqué de presse de Fraunhofer du 11/12/2012:
https://idw-online.de/en/news506429
95 Gigawatt zentrale Gaskraftwerke (…) würden für die Rückverstromung sorgen; diese Kraftwerke dienen der komplementären Stromversorgung bei nicht ausreichender Leistung aus Wind und Sonne.
(95 gigawatts de centrales à gaz auraient une fonction de compensation -« back up »-; ces centrales assurant l’alimentation complémentaire lorsque les performances du vent et du soleil ne sont pas suffisantes).
L’institut considère ainsi les 70 GW de Power-to-Gas ainsi que les 95 GW de centrales à gaz comme indispensables pour pallier l’intermittence et permettre d’assurer la relève de l’éolien et du solaire en cas de « coup dur » climatique ou autre. Lorsqu’il n’y a ni vent ni soleil en quantité suffisante, la totalité de l’alimentation en électricité doit être rapidement assurée par « autre chose », en quantité suffisante pour remplacer les sources défaillantes. Cet « autre chose » devant, en toute logique, assurer une alimentation à peu près équivalente aux sources auxquelles elle se substitue.
D’où la nécessité d’un double système d’approvisionnement, qui explique « l’énormité » de la puissance devant être installée dans la perspective d’un important développement du renouvelable intermittent.
L’énormité de ce chiffre peut être mesurée en le comparant à la puissance installée en France actuellement, soit environ 125 GW, dont 64 GW de centrales nucléaires. Ainsi, le seul parc de centrales à gaz serait d’une puissance supérieure au parc nucléaire français actuel. Au total, environ quatre fois plus de capacités de production, pour une production réelle de même ordre de grandeur. C’est évidemment le prix de l’intermittence des vents et du Soleil. Un tel dispositif suppose également la construction de plusieurs milliers de kilomètres de lignes à Très haute tention (THT) pour acheminer l’électricité éolienne du nord vers le sud du pays. [c’est moi qui souligne]. (Id.ibid.).
Si on en croit le bon vieil Ockham, qui pensait en se rasant que « Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem », (« Les entités ne doivent pas être multipliées au-delà du nécessaire ») ou, dans une traduction un peu plus lâche mais adaptée à notre problématique : « pourquoi vouloir à tout prix ( !) le double ou le quadruple au lieu de se contenter du simple ? »), on a semble-t-il quelques raisons supplémentaires de se demander :
Était-il vraiment nécessaire et urgent de remplacer une installation déjà gigantesque (l’équipement nucléaire) qui fonctionnait en ne produisant que très peu d’émissions, par deux installations, chacune tout aussi gigantesque (l’équipement « renouvelable » plus son « double » indispensable en power-to-gas et centrales à gaz), qui, outre leur coût considérable, continueront à produire des gaz à effet de serre (pour ce qui est des centrales à gaz) ?
Dommage donc que les articles et débats mentionnés s’arrêtent aux quelques pourcents laborieusement gagnés sur les émissions, et que cet arbre, certes séduisant, nous cache la forêt de la persistance encore durable du charbon, et, pour réguler l’intermittence, de son remplacement expressément prévu par … des centrales à gaz ayant une capacité de production plus importante que nos centrales nucléaires !
Dans quel but occulter systématiquement dans la plupart des médias une telle « usine à gaz » ?
Et puisque nous en venons aux arbres et aux forêts, nous voici ramenés en France avec la parution du dernier scénario de l’association négaWatt :
pour le « dossier de synthèse » :
https://negawatt.org/IMG/pdf/synthese_scenario-negawatt_2017-2050-2.pdf
Car, si je comprends bien, le rôle rempli dans le scénario allemand de Fraunhofer par le gaz en vue de pallier l’intermittence de la puissance installée en renouvelables tels que l’éolien et le solaire, serait tenu dans notre scénario français par un recours massif à la « biomasse solide », c’est-à-dire, essentiellement, au bois.
Ce schéma «dans la droite ligne de ses prédécesseurs » (p. 3 de la Synthèse 2017) reprend en partie le précédent rapport (2011) de négaWatt
https://negawatt.org/IMG/pdf/scenario-negawatt-2011_dossier-de-synthese.pdf
quant à l’utilisation du bois, mais en nettement plus ambitieux, puisqu’il s’agit désormais de pourvoir non seulement à la production d’électricité, mais de subvenir à la totalité des besoins en énergie de la France.
D’emblée, le propos paraît séduisant, puisqu’à la différence du cas allemand, et tout en plaçant au premier rang l’indispensable sobriété et l’efficacité énergétique (d’une façon encore plus radicale que nos voisin, cf. p. 27ss de la « Synthèse 2017 »), il fait appel à une ressource renouvelable – le bois donc – dont on sait que le bilan carbone est « neutre », puisque le Co2 que dégage sa combustion est absorbé en quantité équivalente par les forêts qui le produisent.
La régulation de l’intermittence, problème essentiel de l’utilisation de l’éolien et du solaire, se ferait donc dans ce cas en utilisant une ressource elle-même renouvelable, tout en réduisant la question du stockage de l’énergie, puisque le bois, comparable en cela aux énergies fossiles, est disponible à la demande. Il suffit de gérer les forêts et l’approvisionnement.
Certains aspects seront, je l’espère, abordés par des études critiques plus précises que ce que le citoyen lambda que je suis peut se permettre, mais il me semble intéressant de poser quelques questions qui me paraissent de simple bon sens :
Tout d’abord en ce qui concerne le thème, essentiel, de la « sobriété » :
Au total, la consommation d’énergie primaire est réduite de 66% en 2050 par rapport à son niveau de 2015 (Synthèse 2017, p. 32).
Signalons que le modèle allemand du Fraunhofer Institute prévoit de son côté une réduction de consommation de 25%.
Comment comprendre une telle divergence entre les projections ?
Nos voisins d’outre-Rhin ne nous donnent-ils pas sur ce point une leçon de réalisme et de prudence ?
Surtout lorsqu’on nous rappelle (Synthèse 2017 p. 14) :
« Réalisé à l’échelle de la France métropolitaine, l’exercice tient compte d’une évolution de la population conforme à la “projection centrale” de l’INSEE. Celle-ci, restée inchangée par rapport à celle du scénario de 2011, prévoit une population atteignant 72millions d’habitants en 2050, contre 65 millions aujourd’hui ».
Réduire notre consommation d’énergie primaire de 66% avec 7 millions d’habitants en plus, même en invoquant des « gains en efficacité » bien hypothétiques et bien difficilement chiffrables, ne paraît-il pas bien aventureux ?
Et, une fois de plus, la question de la décroissance démographique, pourtant essentielle pour l’avenir de notre planète, n’est pas posée…
De plus, qu’en sera-t-il de la disponibilité réelle de la “biomasse solide” évoquée ?
Le scénario précédent de négaWatt (cf. lien ci-dessus, Synthèse 2011), alors même qu’il limitait ses ambitions à la seule production électrique, avait fait l’objet de critiques l’accusant de surévaluer les possibilités de la filière bois, incapable à elle seule de compenser le déficit des autres renouvelables (éolien, solaire) pour assurer nos besoins en énergie.
Du moins sans remanier d’une façon difficilement acceptable nos paysages et toute notre culture agricole (expansion de la forêt au détriment des autres cultures, restriction drastique de l’élevage, etc.).
Par ex :
[Ajout 11/02]: Pour rappel:
Critiques que le scénario 2017 ne prend pas en compte, alors même que l’énumération des ressources à mobiliser ne paraît ni très précise ni très convaincante :
La biomasse utilisée pour l’énergie provient essentiellement de matières dérivées d’autres usages, dans une logique de priorité des fonctions. Pour le bois, il s’agit principalement de productions liées à du bois utilisé comme matériau (construction et industrie, dont les nouveaux usages de matériaux biosourcés en substitution aux hydrocarbures) et aux opérations de sylviculture permettant d’assurer une meilleure adaptation de la forêt au changement climatique; de sous-produits générés à chaque stade de transformation et de consommation de produits à base de bois; et de la valorisation des arbres «hors forêt», notamment de l’agroforesterie (Synthèse 2017, p. 25).
Le biogaz est produit également à partir de résidus de cultures, de déjections d’élevage, de biodéchets, et de couverts végétaux (id. ibid., p.25).
Mais qu’en sera-t-il alors si, dans le même temps, l’agriculture doit se passer de plus en plus des intrants chimiques ? L’agriculture biologique qu’il faudra développer devra-t-elle disputer « résidus de cultures », « déjections d’élevage », « biodéchets » et autres « couverts végétaux » à la production d’énergie ?
Surtout lorsqu’on nous ajoute que :
Le scénario négaWatt 2017 prévoit une production de biocarburants 2nde génération à partir de matériaux ligno-cellulosiques (paille, bois) pour les usages qui semblent difficilement pouvoir être assurés par le gaz et l’électricité et nécessitent des carburants liquides, comme l’aviation (Synthèse 2017, p.26).
Non contente de remplacer le gaz et le nucléaire et d’assurer la régulation de l’intermittence des renouvelables, faudra-t-il encore que la « biomasse solide » fasse tourner les tracteurs et voler les avions avec des carburants de substitution ?
Si « plus de 40% [de notre énergie proviendra] de la biomasse » (Synthèse 2017, p.32) on est en droit de se demander, s’il ne faudra pas considérablement élargir nos frontières pour cela…
Ou recourir à une importation massive, ce qui constituerait une façon de déplacer les problèmes, et certainement pas une bonne nouvelle écologique.
Malgré les gains gigantesques (présumés du moins…) en sobriété (cf. remarques ci-dessus et la comparaison avec le modèle allemand) et en efficacité énergétique, et compte tenu de ce qui a été dit plus haut sur le nécessaire redoublement des capacités installées de production, peut-on vraiment imaginer que le fait de pallier la disparition des énergies fossiles (pétrole, gaz, nucléaire), essentiellement par la « biomasse solide » ne signifiera pas un bouleversement radical du paysage et de l’agriculture, du fait d’une explosion sans précédent de la demande en bois ?
Et s’il nous est certes vertueusement affirmé que
« Afterres2050 pose comme principe de ne pas dédier de terres à la seule production d’énergie » (Synthèse 2017, p.25),
[précision : Afterres 2050 est un modèle plus spécifiquement agricole supposé par le scénario négaWatt. Il est évoqué de cette façon dans la « Synthèse » du « Scénario négaWatt 2011 », p.11-12 :
le scénario Afterres2050 applique la même démarche de sobriété et d’efficacité à toutes les étapes de la chaîne agricole : maîtrise des besoins, réduction des pertes et des gaspillages, recyclage des déchets organiques, etc. Ce scénario est notamment centré sur une évolution de l’alimentation visant un meilleur équilibre nutritionnel et une réduction des surconsommations actuelles de glucides (sucres), de lipides (graisses) et de protéines animales. Le régime alimentaire de 2050 comprend ainsi environ moitié moins de viande qu’aujourd’hui, et aussi moins de lait. Il contient en revanche une part accrue de fruits, de légumes et de céréales. Ce rééquilibrage a un effet bénéfique aussi sur l’énergie et les surfaces disponibles : l’élevage consomme bien plus de surface et d’énergie que les productions végétales, et nous avons atteint un niveau de consommation de viande qui n’est pas soutenable à l’échelle de la planète. Le scénario Afterres 2050 prévoit donc une division par deux des cheptels et une division par cinq de l’élevage intensif.]
Il me semble tout de même légitime de se demander si, en dépit de ces précisions et de la modification écologiquement nécessaire de nos pratiques alimentaires, on ne nous refait pas à nouveaux frais le coup des biocarburants, fausse bonne solution dont on sait qu’elle ravage encore des écosystèmes et des agricultures de la planète dans le but de fournir la sacro-sainte énergie.
Et malgré ma vieille allergie à Heidegger, ne peut-on voir dans de tels bouleversements une trace de ce « Gestell » dont parle le philosophe, de cet « arraisonnement » par l’homme d’une nature qui se trouve mise en demeure de répondre aux besoins de l’être humain, alors que la voie de l’écologie serait que nos besoins (et notre démographie…) se conforment à ce que la nature peut raisonnablement nous offrir sans risque ?
Quelques interrogations plus marginales, pour finir :
« La mise en œuvre du scénario négaWatt permet d’éliminer d’ici 2050 la quasi-totalité des émissions de gaz carbonique (CO2) dues à tous les secteurs d’activités en France, et de réduire considérablement les émissions de tous les autres gaz à effet de serre ». (Synthèse 2017, p.33).
Certes, on a dit que la biomasse constitue une ressource « neutre » en ce qui concerne la production de gaz carbonique.
Dans quelle mesure est-il pour autant légitime d’affirmer que son exploitation dans des proportions telles qu’elle occuperait une place prépondérante dans le mix énergétique du futur ne sera pas la cause d’autres types de pollution ? Les particules fines issues de la combustion du bois de chauffage et du pétrole ne constituent pas des gaz à effet de serre. Elles n’en sont pas pour autant dépourvues de nocivité pour l’environnement et l’être humain. Qu’en sera-t-il lorsque des centaines de TWh seront produits par des centaines de centrales à bois ?
Et encore ces affirmations d’un optimisme si déroutant qu’il semble frôler la naïveté :
Les moyens de flexibilité aujourd’hui disponibles (hydraulique de barrage, stations de pompage-turbinage, centrales thermiques d’appoint, effacement des industries électro-intensives, importations, …) sont largement suffisants pour faire face à une augmentation sensible de la contribution de ces deux filières, par ailleurs complémentaires en termes de saisonnalité et de localisation.
Ce n’est que lorsqu’elles atteindront des taux élevés de pénétration qu’il sera nécessaire de disposer de davantage de moyens de stockage permettant de déplacer dans le temps des quantités d’énergie importantes.
Depuis les volants d’inertie qui agissent sur des temps courts et sur des quantités très faibles jusqu’au power-to-gas, seul capable d’assurer le stockage inter-saisonnier de dizaines de TWh grâce au réseau gazier, en passant par les batteries et l’air comprimé, la gamme des solutions déjà éprouvées ou en cours de développement préindustriel permet d’affirmer que le problème sera résolu, alors même qu’il n’est pas encore apparu. (Synthèse 2017, p. 39. C’est moi qui souligne).
Connaissant les performances dérisoires du stockage par air comprimé comme du power-to-gas, le coût financier et écologique des batteries, on ne voit pas bien ce qui, avec un tel aplomb, « permet d’affirmer que le problème sera résolu », si ce n’est tirer des plans sur la comète ou prendre ses désirs pour des réalités !
De telles « affirmations » ne semblent pas avoir cours en Allemagne. Nos voisins, bien que beaucoup plus avancés que nous en ce qui concerne ces technologies, sont autrement réalistes. Ils se permettent même si peu « d’affirmer » qu’ils prévoient donc dans leur scénario un équipement en centrales à gaz classiques apte à produire plus que nos actuelles centrales nucléaires pour garantir leurs besoins en énergie à l’horizon 2050. En partie bien sûr pour pallier le rendement très faible (environ 10%) du power-to-gas (l’air comprimé et les batteries n’étant même pas envisagés dans leur projet…), et, comme nous l’avons vu, la quasi-impossibilité physique (utilisation déjà maximale des sites adéquats) et sociologique (cf. problèmes posés par le barrage de Sivens, pourtant de dimensions minimes, etc.) d’augmenter la quantité de STEPS.
N’y aurait-il pas alors dans de telles « affirmations » d’optimisme un zeste de désinvolture ?
Du même ordre, peut-être, que celle qui concerne la faisabilité d’une rénovation de 780 000 logements anciens par an jusqu’en 2050 (Synthèse 2017, p. 17).
Là encore, tout comme dans le cas du bouleversement agricole, et outre le coût exorbitant d’une telle opération, on envisage mal la reconversion d’une partie non négligeable de la population française en entrepreneurs ou ouvriers du bâtiment…
Comme je l’ai dit plusieurs fois dans des posts précédents, mes opinions sur la question énergétique ne s’inscrivent dans aucune religion préalable.
J’ai été un temps radicalement anti-nucléaire. Mais, poursuivant un effort d’information et de compréhension que j’espère honnête, je considère pour le moment (je ne demande qu’à changer d’avis, mais je souffre d’une incurable infirmité qui me pousse à évaluer les différents arguments… ) que l’urgence écologique – comme le dirait peut-être M. de la Palisse – serait plutôt d’adosser une sortie des énergies fossiles et l’intermittence des énergies renouvelables sur les sources d’énergie les moins productrices de gaz à effet de serre.
Ceci ne pouvant se produire que dans l’optique plus globale d’une indispensable décroissance, autant économique que démographique.
Le recours accru au bois fera nécessairement partie d’une telle approche. Et il faut reconnaître à négaWatt le mérite de l’intégrer à son scénario.
Mais est-on véritablement conscient des ordres de grandeur que supposent la complexité et le gigantisme de la transition énergétique que nous avons à promouvoir ?
Ajout du 06/03:
Encore beaucoup d’infos sur le blog indispensable de Sylvestre Huet:
http://huet.blog.lemonde.fr/2017/03/01/electricite-lecons-du-bilan-2016/
Ajout du 15/03:
Quelques articles et études qui commencent tout de même, timidement, à briser l’omerta:
Ajout du 08/06:
Une info qui incite à la prudence en ce qui concerne certaines affirmations de négaWatt:
Je vous remercie infiniment de partager ainsi vos raisonnements, sources et conclusions. Merci d’oeuvrer pour élever notre intelligence collective (qui en a bien besoin !).
Pourquoi les journalistes du Monde comme d’autres journaux sérieux sont-ils incapables de conduire de telles réflexions ?
Merci infiniment à vous aussi Zoé ! Mais si en effet certains articles paraissent bien rapides sur ces sujets, nous pouvons avoir recours à quelques blogs de grande qualité, en particulier ceux de Sylvestre Huet et de Matthieu Auzanneau (OilMan) petrole.blog, dont je m’inspire souvent. Les liens sont dans les « favoris », sur la droite de ma page.
Il me semble que les difficultés, mais aussi les ressources, sont différentes de celles que vous pointez :
1/ l’énergie industrielle utilisée représente à peu prés 0,4% de l’énergie naturelle dont dispose notre cher et grand pays. Il existe une marge immense à exploiter pour répondre au besoin énergétique de notre pays.
2/ la difficulté majeure (celle qu’aurait développé Occam avec son analogie du rasoir) consiste à trouver un équilibre général favorable au processus dégradation/gradation de l’énergie, sachant que la loi de conservation de l’énergie est une loi universelle. En 2015, notre pays a eu besoin de 476,3 TWh, soit à peu prés 75% de l’énergie potentielle correspondant à la puissance installée. Mais le système de l’énergie France n’est pas un question scolastique du 13ème siècle ; elle est celle d’un système dynamique en déséquilibre et notre rasoir d’Occam doit posséder 3 lames.
3/ apparemment les capacités de stockage des barrages hydroélectriques sont suffisante, si nous trouvons la bonne gestion pour obtenir un lissage correct de la production nationale. Persiste une difficulté de stockage journalier qui doit être assuré en local : les variations journalières atteigne 50%.
4/ le stockage de l’énergie électrique sous forme de gaz hydrogène ou méthane est possible mais pas très pertinente, parce qu’assez coûteuse. Sous formes liquides elle est idiote parce qu’une litre de biocarburant demande plus d’un litre de combustible fossile à produire. Le biométhane correspond à une dégradation de l’énergie photosynthétique par des bactéries anaérobies.
5/ il me semble que les allemands se plantent dans leur schémas de penser qu’il existe toujours une technique de niveau supérieur qui permettra de pallier aux défauts du présent niveau (cf l’œuvre de Jacques ELLUL).
Je n’ai pas inventé l’eau tiède.
Je suis tombé sur votre blog en cherchant les capacités de stockage du gazogène.
Bonjour,
Et merci de votre contribution à la réflexion.
On ne peut bien sûr qu’être d’accord pour souligner les potentialités considérables en « énergie naturelle », de notre pays comme d’autres.
Le problème étant d’exploiter cette énergie d’une façon qui ne soit pas rendue chaotique par l’intermittence d’une bonne partie de cette ressource « naturelle ».
Or, si je suis d’accord avec vous (et avec les informations dont je peux disposer) pour dire que le stockage sous forme de gaz (hydrogène comme bio-méthane) n’est ni performant ni suffisant, ainsi que pour dire que les allemands « se plantent », il me semble quelque peu aventureux de dire que « les capacités de stockage des barrages hydroélectriques » seraient suffisantes, dans leur configuration actuelle, pour gérer l’intermittence [précision: dans le cas d’un fort développement des renouvelables allié à une forte baisse de la part du nucléaire, bien entendu]. Là encore, il me semble que nous ne sommes pas dans le bon ordre de grandeur.
Cf.par exemple les données de RTE, qui ne concernent pourtant que la production électrique:
http://www.rte-france.com/fr/eco2mix/eco2mix-mix-energetique
Cordialement à vous.
Merci de votre position, la mienne (qui n’est pas inconciliable) repose sur une intuition de systémicien : l’outil électrique français repose sur le nucléaire qui fournit 75% de l’électricité consommée en tournant à 75% de sa puissance, à la louche. Donc une capacité suffisante pour gérer l’intermittence annuelle nationale. Je cherche à analyser deux éléments du système : (1) les trous journaliers ; (2) les trous hebdomadaires … mais là, soit les données n’existent pas, soit elles sont gardées secrètes.
Je vous réponds d’une manière plus documentée un peu plus tard.
Merci!
À bientôt, donc.
Nous serons certainement d’accord sur le fait que l’énergie naturelle disponible dans les pays tempérés provient de deux ressources à peu près équivalentes : l’énergie géothermique et l’énergie photosynthétique. L’une est à peu près constante ; l’autre est assez constante en valeur annuelle, mais extrêmement chaotique en rythme journalier. L’unité de mesure de cette variabilité est le nombre de degrés-jour par rapport à une température de référence ; étonnamment une seule station française de météo (située dans l’Allier) relève cette donnée pour le public de chauffagistes. Vous conviendriez que si nous voulons gérer au plus près la fourniture d’énergie au réseau électrique cette donnée devrait figurer au tableau de bord du conducteur du système ; elle y figure par une donnée corrélée : la demande d’énergie à l’instant t, donnée qui, cependant, tient compte de la somme des inerties locales. Par contre, les stratèges en chef d’EDF, en vue d’établir la puissance nécessaire afin de gérer l’intermittence, devraient conserver précieusement l’historique de cette donnée dans leur testou. Remarquons que ces deux énergies proviennent d’une seule force : celle des interactions faibles ; nous humains malins avons la possibilité de mettre en œuvre la force de gravité (les barrages), la force électromagnétique (production de l’énergie électrique) et les interactions fortes (fusion et fission nucléaires). L’énergie géothermique est diffusée par les radiations infrarouges, l’énergie photosynthétique est diffusée par les radiations lumineuses du soleil : les photons.
Nous pouvons accepter tous les deux que l’énergie stockée permette de répondre (1) au plan national aux heures de pointe des jours de pointes lorsque la production ne couvre pas la demande ; (2) au plan local, de régulariser la demande individuelle. D’après les chiffres de RTE, seules quelques heures de quelques jours de janvier et février 2015 la consommation a dépassé la production potentielle énergie thermique (nucléaire + non renouvelables). Le potentiel hydraulique représente 25,4 GW, soit 29% de l’énergie thermique : a priori le stock d’énergie hydraulique à la capacité de compenser haut la main non seulement les intermittences, mais encore les heures de pointe. Il me manque de pouvoir valider (1) avec les données de l’énergie stockée dans les barrages ; RTE donne seulement un chiffre : celui du « stock hydraulique hebdomadaire » qui semble être le solde entre l’énergie hydraulique stockée et l’énergie utilisée ; (2) de connaître les variations des flux hebdomadaires : a priori, ce sont sur les flux hebdomadaires qu’il importe de réguler la production nationale.
Régulariser sur la journée la consommation au plan local me paraît simple et (relativement) peu coûteux par ballon tampon, technique issue du solaire thermique ; ils permettent de stocker 88 kWh d’énergie utile. Il y a 31 millions de ménages ou équivalents ménages abonnés ; soit 2,7 GWh.
Bonjour,
Quelques remarques simplement ponctuelles, car j’ai un peu de mal à vous suivre sur un terrain que, sans doute, je ne domine pas assez.
Tout d’abord, si on accepte le terme d’énergie « naturelle » que vous employez [précision: pour ma part, étant donné que toutes les sources d’énergie peuvent être qualifiées de « naturelles », je préfère m’en tenir aux notions de « fossiles » et de « renouvelables »], pourquoi les limiter à l’énergie géothermique et à l’énergie photosynthétique ? La première est certes une possibilité à développer, mais qui me semble limitée à des utilisations essentiellement locales. Je ne m’avancerai pas sur la deuxième, qui me paraît être un champ de recherche prometteur, mais encore bien loin de pouvoir constituer, me semble-t-il, une possibilité d’utilisation à grande échelle.
Les « énergies naturelles » les plus utilisables me semblant être alors l’éolien (à l’heure où j’écris, et en dépit des limites soulignées dans le post ci-dessus concernant l’intermittence, il produit tout de même 4005 MW) et le solaire photovoltaïque, qui lui en produit 1466. Rentreraient bien sûr dans ces énergies « naturelles » les « bioénergies » (Biogaz, Biocombustibles Solides – Bois énergies et autres biocombustibles solides- et Déchets -ménagers et papetiers-), pour un total de 742 MW en cet instant d’après le site de RTE.
Si donc la physique et la chimie ont bien sûr à voir avec la production de l’énergie en tant que telle, l’utilisation des diverses sources produites me semble plutôt relever d’une arithmétique somme toute assez simple, qui consiste à rendre possible à tout moment que l’addition des sources disponibles soit supérieure à la quantité soustraite du fait de l’utilisation des différents consommateurs.
J’avoue que, pour ma part, c’est surtout ce rapport addition/soustraction et la façon de le gérer du mieux possible qui semble constituer le fond du problème de la constitution d’un mix énergétique réaliste et viable.
Dans cette perspective trivialement arithmétique qui est la mienne, je pourrais vous accorder que « le stock d’énergie hydraulique à la capacité de compenser haut la main non seulement les intermittences, mais encore les heures de pointe« , puisque, au moment où j’écris, la production hydraulique représente plus du double de la somme en éolien et en solaire (ce dernier ayant représenté cette nuit 0%, faut-il le rappeler…).
Mais, et je pense que nous serons d’accord sur ce point, cela n’est possible que dans les limites de notre équipement actuel en énergies renouvelables (si il était 10 fois plus important, l’hydraulique ne suffirait donc plus à en réguler l’intermittence – cf. la nécessité encore pour longtemps de la régulation par le charbon, puis par le gaz en Allemagne), et donc aussi parce que l’essentiel de notre mix (67%) est actuellement assuré par l’énergie nucléaire.
Si ces 67% étaient assurés [en l’absence de nucléaire] par le solaire et l’éolien, nous serions, tout comme les allemands, obligés de réguler au moyen du charbon ou de son équivalent chez nous (importation d’hydrocarbures, etc.), par le gaz, ou par le bois (cf. négaWatt), même si cette dernière perspective me semble plutôt déraisonnable.
Cordialement.
Deux remarques rapides :
1/ En la matière, il est impossible de raisonner en puissance installée (MW), mais il est nécessaire de prendre en compte l’énergie consommée (MWh).
2/ L’énergie géothermique est, sur le cycle annuel, presque exactement exactement égale à l’énergie lumineuse reçue du soleil. Il s’agit d’une évidence physique qui justifie les craintes des scientifiques du GIEC (Gaz à effet de serre).
Réponse à documenter.
Mille excusez-moi, j’utilise « énergie naturelle » afin de la distinguer de l’ « énergie industrielle ». Donc rien à voir avec énergie renouvelable ou pas.
Ma réflexion, tout comme la vôtre, est normée par un point de vue écologique ; il part (c’est un motif de controverse avec mes amis écolos) de l’environnement actuel dans sa globalité tel qu’il est, pas de l’environnement vertueux avenir objectif. Nous avons à optimiser, aujourd’hui, un système de production d’énergie électrique national très puissant et très robuste qui comporte 48,8% de sa puissance installée en énergie nucléaire, puissance qui produit 76,3% de l’énergie électrique consommée (chiffre RTE 2015) : nous devons en tenir compte dans tout raisonnement. Par mauvais esprit, je soupçonne la stratégie EDF de viser une production maximisant le CA et le pouvoir (de nuisance ?) de l’entreprise ; en lieu et place de l’intérêt public. Au vu de ces deux chiffres, l’EPR de Flamanville n’est d’aucune nécessité et potentiellement créatrice d’une catastrophe économique majeure. Il s’agit de savoir, pour moi : (1) s’il n’existe pas une mise en œuvre du mix actuel plus intérêt public ; (2) que doivent entreprendre les citoyens pour gagner quelques degrés de liberté énergétique dans les années à venir afin d’échapper aux griffes d’une administration toute puissante mais sans réelle compétence politique.
Il faut se méfier des communiqués journaliers de RTE : ils travaillent sur les puissances engagées au pas d’une demi-heure … pour connaître l’énergie consommée, il faut calculer la surface du diagramme … pour les énergies renouvelables, le diagramme constate la puissance disponible à l’instant du tirage de l’énergie.
L’équilibre chaotique entre l’énergie géothermique et l’énergie radiante solaire est la température météo à un instant t d’un point p. Jean-Marc JANCOVICI a fait une fiche sur cet équilibre dans une de ces fiches qui expliquer très simplement les échanges ; son schéma a été repris par le ministère de l’environnement, il me semble.
… dans ses fiches … (mille excusez-moi)
Je n’ai pas trouvé grand chose sur le sujet … il est théoriquement possible de transformer toute énergie radiante en énergie électrique avec plus ou moins de rendement … des radiations infrarouge aux radiations des matériaux radioactifs …
Merci pour ces pistes que, pour ma part, je ne suis pas en mesure d’évaluer ni de commenter.
Petite précision: en parlant dans mon dernier « commentaire » de 67% de production d’énergie nucléaire, je me fondais sur les chiffres « en temps réel » de hier sur le site de RTE. Comme vous le précisez à juste titre, la production moyenne annuelle dans le mix français est plus élevée, et de l’ordre de 76% [correctif: 72,3% d’après le dernier Bilan électrique de RTE].
Cordialement.
Même journalière … le diagramme donne le mix toutes les demi-heures … il est probable que (je n’ai pas été vérifié) que le solaire, sur le coup de 14 h devait être à un niveau de puissance supérieur à 24 h.
J’ai lu (rapidement) la synthèse du rapport de Négawatt … impression : il shunte le potentiel thermodynamique de notre terre : par exemple, la pompe à chaleur permet en dépensant 1 kWh d’en extraire 3 en moyenne de l’environnement … c’est à dire de l’équilibre local météo … quelque chose d’assez immense en matière de stockage de l’énergie.
Ce n’est pas tout à fait exact: il en est question aux p. 18;19;23; 27; par exemple. À juste raison, Elles doivent faire partie intégrante de la nécessaire rénovation de l’habitat.
Je ne pense donc pas que la critique puisse porter sur ce point, mais plutôt sur l’aspect démesuré et donc irréaliste de ces projets de rénovation: 780 000 logements anciens par an jusqu’en 2050 (Synthèse 2017, p. 17), alors que ce serait déjà bien si on arrivait à 400 000!
Cordialement.
Merci … dans mon esprit il s’agit d’une différence de logique, pas d’une critique. Dans l’histoire, les villages migrent avec un pas grossièrement générationnel corrélé aux techniques de construction disponibles et à l’environnement … les exemples les plus évident que je connaisse : Carcassonne et Cluny … la construction de 800 000 logements neufs a le même effet correcteur que 800 000 logement rénovés. J’ajoute trois remarques de géographe : (1) le nombre de logements nécessaires est inférieur au nombre de logements vacants ; (2) la valorisation de l’énergie naturelle a un potentiel important d’abord en milieu rural ; (3) la contreproductivité grandissante du système ville plombe le bilan énergétique du pays.