D’une étrange et bien ambiguë controverse à propos de l’antisémitisme. Et qu’il est urgent d’accepter quelques évidences.

[Un lecteur m’ayant dit que la profusion des liens gêne la lecture, et ne voulant pas y renoncer car ma réflexion ne peut se construire sans référence à la pensée d’autrui, j’utiliserai désormais plus les liens « hypertexte ».

Je place pourtant en début de ce post les deux liens complets, plus explicites, aux deux articles qui constituent les « butoirs » entre lesquels évolue ma réflexion]

 

http://www.leparisien.fr/societe/manifeste-contre-le-nouvel-antisemitisme-21-04-2018-7676787.php

http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/05/03/non-l-islam-radical-n-est-pas-seul-responsable-des-agressions-contre-les-juifs_5293571_3232.html

 

Étrange controverse que celle dont les protagonistes s’envoient des dénis à la tête alors que le travail indispensable devrait justement résider dans le dépassement de tels dénis.

Car il relève d’une évidence dont la négation serait malhonnête que l’islamisme radical véhicule un antisémitisme meurtrier, dont l’existence est d’ailleurs reconnue par la partie la plus éclairée de musulmans « de base » et de responsables qui « souffrent de la confiscation de leur religion par des criminels ».

Et cet antisémitisme-là ne doit en aucun cas être minimisé sous le prétexte fallacieux d’un antisémitisme d’extrême droite, qui, s’il existe bien sûr en France, ne présente pas actuellement le caractère meurtrier qui incombe au premier cité.

Mais il devrait aussi relever de l’évidence qu’il existe un sionisme radical dont les tenants, souvent prompts à dénoncer l’islamisme radical évoqué ci-dessus, ne perçoivent pas la symétrie avec les aberrations qu’ils stigmatisent de façon légitime.

Or, il est manifeste qu’un tel sionisme radical, souvent implicite et non reconnu comme tel, constitue lui-même une importante cause du « nouvel antisémitisme », en particulier en France.

Il est clair, comme le dit Rachid Benzine, qu’une forme d’antisémitisme « est liée au conflit israélo-palestinien », et à la façon dont nombre de français juifs soutiennent, de manière implicite ou explicite, un sionisme qui légitime ce qu’il faut tout de même nommer la politique désormais « coloniale et raciale d’Israël à l’égard des Palestiniens », telle que la dénoncent les signataires du récent manifeste à l’initiative d’Etienne Balibar, Thomas Piketty ainsi que d’autres, auquel le dernier lien fait référence.

Certes, la France n’est pas Israël et, dans le monde rêvé des anges, il ne devrait pas y avoir de raison pour que la politique d’États étrangers influe sur ce qui se passe chez nous. Mais, faut-il le rappeler, nous ne sommes pas dans le monde rêvé des anges…

Et de la même manière qu’il serait stupide et dangereux  de nier que ce qui se passe au Moyen-Orient a son influence sur la radicalisation en France d’un certain islam qui s’en fait le complice, ce qui se passe en Israël ne peut pas ne pas avoir son influence sur un certain sionisme qui s’en fait le complice.

Et ces éléments conjoints entretiennent d’inquiétants ferments de violence.

Qu’on m’entende bien : même si cela peut s’avérer aux yeux de certains difficile à porter, j’ai la prétention de ne pas être antisioniste. Même si je pense qu’on peut parfaitement être juif sans être sioniste, j’estime que le sionisme a une légitimité. Je partage sur ce point la position quelque peu provocatrice exprimée par Zeev Sternhell dans le dernier numéro du Courrier International (« Je suis un supersioniste », paru dans Ha’Aretz  en mars 2011), dans la mesure où il affirme que « le sionisme était, et est toujours, le droit des juifs de décider de leur destinée et de leur avenir. Tous les êtres humains ont le droit naturel d’être leurs propres maîtres, un droit dont les juifs ont été privés par l’histoire et que le sionisme leur a rendu ».

Mais attention : ce sionisme-là, comme le montrent les engagements courageux de Sternhell, n’a rien à faire avec la colonisation, par essence violence, et l’occupation illégitime et illégale de territoires, au mépris du respect des individus, des peuples, et du droit international. Car il s’agit là d’une totale perversion du sionisme des origines, d’une supercherie hélas consacrée et désormais apparemment intouchable, en particulier depuis 1967 et la Guerre des Six Jours.

Or, il est patent qu’une bonne partie des français juifs se fait, implicitement ou explicitement, complice d’une telle supercherie qui phagocyte le sionisme au sens originel par une idéologie coloniale intolérable. Et puisqu’on a déjà assimilé de façon abusive un tel « sionisme » au judaïsme, un simple syllogisme, devenu sophisme hélas  trop accepté, assimile nécessairement le judaïsme à la politique coloniale d’un « État israélien [qui] s’autoproclame ‘’État juif’’ et s’arroge le droit de parler au nom des juifs du monde entier ».

C’est à proprement parler tendre le bâton pour se faire battre.

Il y a sans doute un antisémitisme irréductible.

Pour ma part, je suis d’avis qu’être persécuté fait partie intégrante de l’histoire du judaïsme dans son mystère le plus profond : « Tu fais de nous un objet d’opprobre pour nos voisins, la risée et la moquerie de notre entourage. Tu nous rends la fable des nations; et devant nous les peuples haussent les épaules » (Psaume 44(43), 14-15).

Mais il devrait faire partie de sa vocation – comme aussi, au passage, de celle du christianisme – que le contraire ne soit pas vrai.

Que le persécuté ne devienne pas persécuteur.

Car se rendre complices d’une politique de colonisation, tout comme soutenir des bourreaux notoires (dans le cas des chrétiens) ne peut qu’entraîner un discrédit légitime, un rejet, voire de la haine envers ceux qui prônent de tels agissements.

Et l’antisémitisme qui en naît est, lui, parfaitement réductible.

Tout comme des musulmans éclairés dénoncent donc la confiscation de leur religion par des barbares, luttant ainsi contre une réelle islamophobie,  il appartient aux juifs de dénoncer la confiscation du judaïsme – et même du sionisme – par une idéologie politico-religieuse colonialiste et discriminatoire.

Cela doit constituer une composante essentielle de la lutte contre l’antisémitisme.

Un ami juif, sioniste, me disait que, pour lui, l’existence d’Israël ne valait pas la vie d’un enfant palestinien.

Voici le juif ! Voici le נביא, le prophète ! Voici l’honneur du judaïsme ! Voici le צדק : « Un Israélite dans lequel il n’y a point de fraude »…

Et cet ami n’avait pas eu besoin pour le comprendre qu’on « frappe d’obsolescence » les versets si nombreux de la Torah et du Tanakh (ensemble de la Bible hébraïque) qui, manifestement, poussent à l’anéantissement de ceux qui s’opposent à l’établissement d’Israël dans ce qu’il considère comme étant sa Terre.

Pas plus que Tareq Oubrou, Rachid Benzine, et bien d’autres théologiens ou imams n’ont besoin qu’on expurge le Coran pour dénoncer « ce terrorisme ignoble qui nous menace tous ».

L’urgence est donc bien d’opérer une lecture critique des textes et des penseurs qui ont façonné profondément notre civilisation, qu’ils soient religieux ou athées.

Depuis longtemps, ce blog s’engage en faveur d’une véritable approche herméneutique et soutient celles et ceux qui s’y emploient.

Car c’est là le seul moyen d’échapper à une pernicieuse essentialisation des textes et des croyances qui, tout comme les dénis symétriques de l’antisémitisme et de l’islamophobie, ne peut que provoquer les affrontements.

Souhaitons donc à nos intellectuels pétitionnaires, parfois quelque peu sommaires et partiels (partiaux ?), de savoir dépasser à la fois les dénis et les essentialisations pour faire œuvre de paix de manière plus informée, respectueuse et responsable.

Afin que, pour paraphraser Churchill une fois encore, si nous ne pouvons éviter la guerre – car elle est déjà là – nous échappions au moins au déshonneur.

 

Ajout du 15/05:

Les événements tragiques de ces derniers jours ne font hélas que confirmer ce qui précède, ainsi que la nécessité d’une prise de position claire et sans ambiguïté de la part des institutions représentatives du judaïsme en France. Comme je le disais dans ma « réponse » ci-dessous à Claustaire, cela se révèle indispensable si l’on veut  lutter efficacement contre l’antisémitisme ainsi que contre un antisionisme négateur de toute légitimité d’existence pour Israël.

Non seulement les crimes commis sont intolérables, mais ses actuels dirigeants semblent tout mettre en œuvre pour qu’Israël creuse lui-même sa propre tombe.

 

Ajout du 16/05:

Une initiative à soutenir:

http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2018/05/15/ramener-le-gouvernement-israelien-au-respect-du-droit-et-a-la-raison-n-est-en-rien-une-manifestation-d-antisemitisme_5299216_3232.html

9 commentaires sur “D’une étrange et bien ambiguë controverse à propos de l’antisémitisme. Et qu’il est urgent d’accepter quelques évidences.

  1. J’aurais aussi voulu vous proposer, posté sur mon blog, un ensemble de réflexions, liens, commentaires et réponses sur la question antisionisme/antisémitisme qui a été d’actualité il y a près d’un an (après une résolution du Parlement européen), mais cela a vite fini en un dialogue quasi illisible à force de citations & commentaires.

    je vous mets quand même le lien, juste pour vous montrer que ce n’est pas de façon superficielle que j’aborde ce thème :

    http://claustaire.blog.lemonde.fr/2017/07/30/antisionisme-antisemitisme/#comments

  2. Questionnement à partir de votre page ci-dessus :

    Est-ce le bon « moyen d’échapper à une pernicieuse essentialisation suprahistorique des textes et des croyances » que d’écrire :

    [Pour ma part, je suis d’avis qu’être persécuté fait partie intégrante de l’histoire du judaïsme dans son mystère le plus profond : « Tu fais de nous un objet d’opprobre pour nos voisins, la risée et la moquerie de notre entourage. Tu nous rends la fable des nations; et devant nous les peuples haussent les épaules » (Psaume 44(43), 14-15).] ?

    Sur le fond, pourquoi faut-il que vous aussi (comme beaucoup de gens moins fins que vous, en tout cas d’une mauvaise foi qui n’est pas ce qui vous caractérise le mieux 🙂 passiez par un vaste détour via la situation au Moyen-Orient pour expliquer en quoi il y aurait lieu ou non de s’inquiéter en France d’un nouvel antisémitisme qui s’y développerait en même temps qu’y gagnerait en médiatisation et influence un nouvel islamisme ?

    Ce nouvel islamisme (via salafisme et wahhabisme) a-t-il attendu la création d’Israël pour se manifester ? L’alliance proposée par le grand Mufti de Jérusalem à Hitler a-t-elle attendu la création d’Israël ? L’antisionisme arabe a-t-il attendu la guerre de 1967 pour estimer existentiellement illégitime l’existence d’un Etat juif en Palestine (Etat pourtant légitimé par des déclarations internationales de l’ONU dès 1947) ?

    Peut-on se permettre de critiquer (oh combien à juste titre !) la colonisation partielle de la Cisjordanie occupée après 1967, sans avoir d’abord formellement et clairement reconnu et rappelé, et rappelé, et rappelé, et bien rappelé la légitimité internationale de l’Etat d’Israël dans ses frontières de 1948 ?

    Si l’on estimait que le nouvel antisémitisme islamiste dont sont victimes des compatriotes français pouvait aisément s’expliquer (je ne dis pas se justifier) par la politique (d’extrême droite nationaliste) menée par l’actuel gouvernement d’un pays étranger (Israël), trouverait-on tout aussi légitime d’expliquer le racisme antimusulman dont sont victimes des compatriotes français par la politique menée ici ou là par des régimes musulmans étrangers ou les atrocités commises par des groupes idéologiques musulmans étrangers ?

  3. Bonjour cher Claustaire,

    Je trouve vos 3 posts en revenant de déplacement.
    Et j’avoue qu’après avoir relu (peut être un peu rapidement, mais j’y reviendrai) votre post du 30/07/2017 (en fait je l’avais déjà lu en son temps…), je ne vois pas très bien en quoi nous serions en désaccord.
    Tout comme vous, je sais très bien que l’antisémitisme musulman « n’a pas attendu la création d’Israël pour se manifester ». Mais je ne vois absolument pas ce qui pourrait vous faire penser que je soutiens cette thèse.
    L’antisémitisme musulman, tout comme le chrétien, existait avant la création d’Israël, et il est probable qu’ils existeraient toujours même si la question palestinienne était réglée. Car il y a effectivement un antisémitisme « de fond » qui relève selon moi de raisons avant tout théologiques et non politiques. Il serait trop long d’en parler ici, mais j’y reviendrai peut-être.
    Je pense cependant que les causes du « nouvel antisémitisme musulman » actuel sont cependant multiples, comme le reconnaît par exemple Rachid Benzine dans le lien que je donne, mais aussi Saïd ben Saïd dans un article que j’avais lu. Si je ne l’ai pas mentionné, c’est qu’il ne rajoutait pas, ce me semble, à ce qui est connu et que je signale dès le début de mon post:

    Car il relève d’une évidence dont la négation serait malhonnête que l’islamisme radical véhicule un antisémitisme meurtrier, dont l’existence est d’ailleurs reconnue par la partie la plus éclairée de musulmans « de base » et de responsables qui « souffrent de la confiscation de leur religion par des criminels ».

    Il est évident qu’à la strate « irréductible » de l’antisémitisme historique se rajoute hélas un antisémitisme exacerbé par la situation israélo-palestinienne.

    Quant à « avoir d’abord formellement et clairement reconnu et rappelé, et rappelé, et rappelé, et bien rappelé la légitimité internationale de l’Etat d’Israël dans ses frontières de 1948« , il me semble que je vais même plus loin que vous sur ce point, puisque je me déclare en accord avec Zeev Sternhell, qui se présente comme « supersioniste » (!) tout en critiquant radicalement la politique de colonisation des actuels dirigeants d’Israël. Je partage entièrement cette position, ainsi que celle de bien des juifs qui, tout en affirmant la légitimité entière de l’État d’Israël dans ses frontières de 1948 (tout aussi légitime en effet qu’un État catalan 🙂 par exemple …) n’acceptent pas la politique menée en particulier après la guerre des Six Jours.

    Quand au rapport antisémitisme / politique actuelle des dirigeants d’Israël, je sais bien qu’il est tout aussi inacceptable « d’excuser » les crimes perpétrés contre des français juifs du fait de la politique coloniale israélienne, tout comme il est inacceptable de justifier l’islamophobie en France par les agissements de Daech ou les aberrations de « théologies » djihadistes au Moyen Orient.
    Il n’en demeure pas moins que, dans un cas comme dans l’autre, on est en droit d’attendre que certaines solidarités, voire complicités, soient clairement dénoncées.
    C’est ce qu’ont fait les « 30 imams indignés » par la confiscation de leur religion par des criminels. Je crois qu’une telle prise de position claire et sans ambiguïté est la meilleure façon de lutter contre l’islamophobie.
    C’est pourquoi j’avais signalé dans un commentaire à un article du Monde que j’attendais aussi un manifeste de « 30 rabbins français indignés » prenant position clairement et sans ambiguïté contre la politique coloniale des dirigeants d’Israël. Ce serait la meilleur façon de lutter contre l’antisémitisme ainsi que contre un antisionisme négateur de toute légitimité d’existence pour Israël.

    Cordialement à vous.

  4. Merci, cher Desiderius, d’accepter une fois de plus le genre de petits échanges que vos posts nous permettent. C’est bien parce que nous sommes, fondamentalement, d’accord sur bien des choses, voire sur certains points au moins d’accord sur nos désaccords, que nous pouvons nous inviter à questionner ou préciser certaines de nos formulations ou imprécisions.

    Comme vous, je pense qu’il serait malhonnête de contester que l’islamisme radical véhicule un antisémitisme meurtrier.

    Je vous comprends moins bien lorsque vous écrivez qu’il est manifeste qu’un sionisme radical, souvent implicite et non reconnu comme tel, constitue lui-même une importante cause du « nouvel antisémitisme », en particulier en France. et estimez que nombre de Français juifs soutiennent, de manière implicite ou explicite, un sionisme qui légitime ce qu’il faut tout de même nommer la politique désormais « coloniale et raciale d’Israël à l’égard des Palestiniens ».

    On pourrait vous suivre si vous aviez clairement désigné le CRIF comme étant l’institution prétendant parler au nom des juifs de France et dont en effet peut être dénoncé le soutien à l’actuel gouvernement de droite dure sinon extrême d’Israël. Mais évoquer « nombre de Français juifs » comme soutiens d’une politique « coloniale et raciste » me semble relever d’un fâcheux amalgame (surtout lorsqu’on les accuserait de soutien « implicite« , c-à-d sans lien vers un sondage, citation ou site internet). Le même amalgame que font ceux qui assimileraient « nombre de Français musulmans » avec le terrorisme djihadiste ou autre fascislamisme, ou les accuseraient de soutien « implicite » à de telles horreurs.

    Vous estimez qu’il appartient aux juifs de dénoncer la confiscation du judaïsme – et même du sionisme – par une idéologie politico-religieuse colonialiste et discriminatoire, avec la même logique que d’autres ici estiment que c’est aux musulmans de dénoncer la confiscation de l’islam par une idéologie politico-religieuse-raciste et terroriste. Etes-vous de ceux qui, depuis les récents attentats faits au nom d’Allahou akbar dont ont été victimes tant de nos compatriotes ces dernières années, auraient exigé que nos compatriotes musulmans dont les prières commencent par la même formule se dissocient clairement de telles horreurs, les dénoncent et les combattent avec la dernière énergie… comme s’ils n’y étaient pas naturellement aussi étrangers que d’autres compatriotes d’une autre confession ?

    Mais, lorsqu’on voudrait dénoncer telle dérive de l’islamisme dont la néfaste idéologie entraîne, ici, chez nous, l’assassinat de compatriotes par des compatriotes, pourquoi faudrait-il systématiquement, symétriquement, faire le parallèle avec les dérives d’une autre idéologie, le néosionisme, dont les conséquences néfastes se produisent à l’étranger, dans un contexte militaro-politique international complexe dont nous ne devrions pas ici prétendre juger mieux que les gens directement impliqués sur place ?

    [On devrait proposer le terme de néosionisme pour désigner l’actuelle idéologie qui inspire la politique menée par Israël en vue de s’approprier par colonisations diverses les territoires palestiniens occupés après la victoire israélienne de 67.

    Par contre, question sionisme, puisque cette idéologie a abouti à la création effective d’Israël en 1948, peut-on encore se dire de nos jours « antisioniste » sans contester la légitime existence de cet Etat pourtant reconnu par l’ONU depuis 70 ans, et donc se faire le soutien des trois guerres causées depuis par des pays refusant cette légitimité internationale, voire des guerres et violences à venir ?]

    Respectueusement

  5. Merci, cher Desiderius, d’accepter une fois de plus le genre de petits échanges que vos posts nous permettent. C’est bien parce que nous sommes, fondamentalement, d’accord sur bien des choses, voire sur certains points au moins d’accord sur nos désaccords, que nous pouvons nous inviter à questionner ou préciser certaines de nos formulations ou imprécisions.

    Comme vous, je pense qu’il serait malhonnête de contester que l’islamisme radical véhicule un antisémitisme meurtrier. Ce dont ne sont pas les derniers à se plaindre beaucoup de « responsables » musulmans.

    Je vous comprends moins bien lorsque vous écrivez qu’il est manifeste qu’un sionisme radical, souvent implicite et non reconnu comme tel, constitue lui-même une importante cause du « nouvel antisémitisme », en particulier en France. et estimez que nombre de Français juifs soutiennent, de manière implicite ou explicite, un sionisme qui légitime ce qu’il faut tout de même nommer la politique désormais « coloniale et raciale d’Israël à l’égard des Palestiniens ».

    On pourrait vous suivre si vous aviez clairement désigné le CRIF comme étant l’institution prétendant parler au nom des juifs de France et dont en effet doit être dénoncé le soutien à l’actuel gouvernement de droite dure sinon extrême d’Israël. Mais évoquer « nombre de Français juifs » comme soutiens d’une politique « coloniale et raciste » me semble relever du pire des « amalgames » (surtout lorsqu’on les accuserait de soutien « implicite », c-à-d sans sondage, citation ni lien internet). Le même amalgame que font ceux qui assimileraient « nombre de Français musulmans » avec le terrorisme djihadiste ou autre fascislamisme, ou les accuseraient de soutien « implicite » à de telles horreurs.

    Vous estimez qu’il appartient aux juifs de dénoncer la confiscation du judaïsme – et même du sionisme – par une idéologie politico-religieuse colonialiste et discriminatoire, avec la même logique que d’autres ici estiment que c’est aux musulmans de dénoncer la confiscation de l’islam par une idéologie politico-religieuse-raciste et terroriste. Etes-vous de ceux qui, depuis les récents attentats faits au nom d’Allahou akbar dont a été victime notre pays ces dernières années, auraient exigé que nos compatriotes musulmans dont les prières commencent par la même formule se dissocient clairement de telles horreurs, les dénoncent et les combattent avec la dernière énergie, comme s’ils n’y étaient pas naturellement aussi étrangers que d’autres compatriotes ?

    Lorsqu’on voudrait dénoncer telle dérive de l’islamisme dont la néfaste idéologie entraîne, ici, chez nous, l’assassinat de compatriotes par des compatriotes, pourquoi faudrait-il systématiquement, symétriquement, faire le parallèle avec les dérives d’une autre idéologie, le néosionisme, dont les conséquences néfastes se produisent à l’étranger, dans un contexte militaro-politique international complexe dont nous ne devrions pas ici prétendre juger mieux que les gens directement impliqués sur place.

    [On devrait proposer le terme de néosionisme pour désigner l’actuelle idéologie de la politique menée par Israël en vue de s’approprier par colonisations diverses les territoires palestiniens occupés après la victoire israélienne de 67. Par contre, question sionisme, puisque cette idéologie a abouti à la création effective d’Israël en 1948, peut-on encore se dire de nous jours « antisioniste » ne peut que revenir à contester la légitime existence de cet Etat pourtant reconnu par l’ONU depuis 70 ans, et donc se faire le soutien des trois guerres causées depuis par des pays refusant cette légitimité internationale]

  6. Bonsoir Claustaire,

    Encore merci pour vos interventions, toujours très consistantes.

    Quelques remarques qui ne prétendent certes pas être exhaustives.

    Certes, il n’y a pas de sondages ni de statistiques sur le sujet, mais, si j’en juge par mes propres relations, par nombre de « réactions » suscitées par les articles sur les questions concernant la politique d’Israël, comme par l’agressivité provoquée par des penseurs comme Sternhell et d’autres, etc. je persiste à penser qu’une partie importante (trop importante…) des français juifs adhère de façon au moins tacite ou implicite à la politique menée par les actuels dirigeants d’Israël. Cela n’a d’ailleurs rien d’étonnant: cette opinion reflète celle de la majorité, silencieuse ou pas, en Israël, qui s’accommode fort bien des gouvernants que nous savons.

    Cela m’amène à votre remarque suivante. Oui, je ne crains pas d’affirmer que je fais partie – et que j’ai toujours fait partie – de ceux qui souhaitent que « nos compatriotes musulmans se dissocient clairement de telles horreurs [celles du terrorisme djihadiste], les dénoncent et les combattent avec la dernière énergie« .
    Et je suis heureux de constater que certains (les « 30 imams », entre autres) le font de façon claire et courageuse.

    Cela parce que, en tant que citoyen français, je me suis toujours senti responsable de ce que faisait le gouvernement de mon pays. J’espère que si j’avais connu le régime de Pétain, j’aurais fait partie de ces français qui ont eu le courage de le dénoncer quoiqu’il en coûte.
    Tout comme, catholique, j’espère que j’aurais eu le courage de dénoncer, comme l’ont fait Mauriac ou Bernanos, un catholicisme qui s’accommodait honteusement des crimes du franquisme. Tout comme, musulman, j’espère que j’aurais le courage de dénoncer les caricatures qui défigurent ma religion. Tout comme, juif donc, j’espère que j’aurais le courage de dénoncer celles qui caricaturent le judaïsme. Et on pourrait continuer longtemps: tous les américains n’étaient pas impliqués dans les massacres perpétrés au Viet-Nam, ni tous les français dans ceux perpétrés en Algérie. Mais il y a eu, aux USA comme en France, des gens pour se sentir responsables de l’honneur de leur nation, comme on est en droit de se sentir responsable de l’honneur de sa religion.

    J’avais développé cela à propos de réactions quelque peu ironiques et méprisantes qui s’étaient manifestées il y a quelques années lors de l’initiative de musulmans après la mort d’Hervé Gourdel, exécuté par des djihadistes.
    Certains « esprits forts » avaient critiqué la « banalisation d’une culpabilité ontologique qui exprime un racisme insidieux et décomplexé ».
    Je me permets de reproduire ce que j’écrivais à l’époque:

    « Contre les railleries de tels « esprits forts », il me semble qu’il est tout de même urgent de revenir à moins de phraséologie sociologique et un peu plus de simplicité, celle-là même qui animait, me semble-t-il, les manifestants.

    Se sentir responsable est une marque de liberté qui n’a rien à voir avec une quelconque culpabilité morbide, bien au contraire.

    J’ai entièrement le droit de ne pas m’affirmer juif, chrétien, musulman, marxiste ou citoyen des États Unis d’Amérique.

    Mais, dans la mesure où je revendique l’une de ces appartenances, je suis en effet responsable de ce qui se fait en mon nom : en tant que juif, j’ai une responsabilité dans le fait que la colonisation prétende se poursuive en Israël au nom du bien ou de la sécurité de mon peuple. En tant que catholique, je suis complice si j’accepte avec passivité la Croisade franquiste prêchée par des institutions supposées me représenter (cf. là-dessus le beau livre de Lydie Salvayre, Pas pleurer, dernier Prix Goncourt, tout pétri de la figure de Bernanos). En tant que marxiste, je suis responsable du fait de me taire lorsque quelque Staline ou Pol Pot envoie au Goulag, au nom du marxisme, ceux qui ont choisi de ne pas se taire. En tant que citoyen américain, je suis impliqué dans le fait qu’un gouvernement que j’ai élu ou que j’accepte de façon tacite mène une guerre injuste au Viet Nam ou en Irak.

    Pourquoi en irait-il donc autrement de ma responsabilité dans le cas de mon appartenance à l’islam, par rapport à l’interprétation que certains entendent donner de ma religion ?

    Encore une fois, j’ai le droit de ne revendiquer aucune religion ou croyance. Mais dans la mesure où je choisis une religion, une croyance ou une philosophie, je suis responsable, en tant que membre d’une collectivité, à ma mesure propre, de la qualité et de la crédibilité de la croyance que je professe.

    Cela relève peut-être en définitive de l’honneur, ce qui fait sans doute que cette position est désormais difficile à faire comprendre, je l’accorde.

    Mais elle n’en reste pas moins essentielle, comme l’ont compris les manifestants de « Not in my name », dont on souhaite qu’ils soient sans cesse plus nombreux, à s’engager, autant en ce qui concerne les questions soulevées par l’interprétation de l’islam que celles qui ont trait à la compréhension du judaïsme, du christianisme ou de toute autre croyance ».

    http://desideriusminimus.blog.lemonde.fr/2014/11/21/conversion-contre-lislam-versus-conversion-a-lislam-et-de-la-conversion-a-lhermeneutique-comme-condition-prealable-reflechir-avec-youssef-seddik/

    Je ne vois pas la nécessité de changer un mot sur ce sujet. Et c’est bien pour cela que je pense que les français juifs devraient mieux se rendre compte de la responsabilité qui leur incombe à eux aussi de sauvegarder l’honneur de leur religion.

    Quant à la définition que vous donnez du « néosionisme » [pour le distinguer du sionisme au sens originaire], j’y souscris entièrement.

    Cordialement à vous.

  7. Content de voir que vous ne vous êtes pas laissé égarer dans l’impasse piégeuse que je vous ouvrais 🙂

    De mon côté aussi, depuis des années, je m’exprime dès que je le peux pour inciter nos compatriotes musulmans (se revendiquant tels) à dénoncer ceux qui tuent, terrorisent ou oppriment au nom de leur religion… Me faisant presque systématiquement reprocher (notamment à gauche, mon propre camp) mon islamophobique amalgame entre musulmans et terroristes…

    Donc, bien d’accord sur ce point essentiel :

    Encore une fois, j’ai le droit de ne revendiquer aucune religion ou croyance. Mais dans la mesure où je choisis une religion, une croyance ou une philosophie, je suis responsable, en tant que membre d’une collectivité, à ma mesure propre, de la qualité et de la crédibilité de la croyance que je professe.

    Et nos savons tous que bien de nos compatriotes, accessoirement musulmans ou juifs, ne sont ni islamistes ni néosionistes et voudraient juste vivre comme des compatriotes lambda.

    A un prochain échange 🙂

  8. Encore merci à vous pour votre pertinence et votre loyauté (tiens, c’est encore un de ces mots surannés que j’aime…).
    Et un petit peu de Camus pour la route:
    « Notre monde tient ce mot (honneur) pour obscène. (…) Et cependant, oui, j’ai besoin d’honneur. Parce que je ne suis pas assez grand pour m’en passer« . (Préface à «L’envers et l’endroit »).

    Cordialement à vous.

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