Connaissez-vous Labastide de Sérou ?
C’est un charmant petit village de l’Ariège, d’où était originaire l’un de mes amis maintenant disparu.
Enfant, il avait suivi ses parents qui étaient « montés » à Paris. Mais il revenait régulièrement, par le train, dans son village natal où vivait encore une partie de sa famille.
Et il me disait que, dans les années 20 de son enfance, le voyage de Paris à Labastide de Sérou s’effectuait sans changer de wagon.
J’ai souvent pensé aux investissements colossaux et aux travaux gigantesques qui ont été nécessaires pour assurer ce quadrillage de la France entière par un réseau à ce point performant qu’il desservait jusqu’aux petits villages reculés.
Comme aussi, par exemple, à cette ligne qui traversait la vallée d’Aspe, dans les Pyrénées, pour amener les voyageurs à la frontière espagnole en passant par cette réussite architecturale que constitue le tunnel hélicoïdal du Somport.
Tant de kilomètres de voies, de ballast, de ponts, d’œuvres d’art, de viaducs, de tunnels…
Tout cela a-t-il jamais été amorti ?
Dans le cas du tunnel du Somport et de la ligne Pau-Canfranc, ouverte en 1915 et fermée en 1970, il est évident que ce ne fut pas le cas. Ce coût considérable resta donc à la charge du contribuable.
Et sans doute en a-t-il été de même de milliers de kilomètres de voies et de centaines d’œuvres d’art, condamnés peu de temps après leur naissance du fait de l’essor funeste de l’automobile, en dépit de quelques résistants clairvoyants, écologistes avant l’heure, parmi lesquels le grand Alfred Sauvy.
Incroyables gaspillages orchestrés par des politiques imprévoyants et démagogues…
Mais voilà : il serait bien rapide de penser que nous en avons fini avec ce genre d’incohérences.
Le toujours remarquable blog de Sylvestre Huet démontre comment une centrale nucléaire parfaitement viable selon les avis de l’Autorité de Sûreté Nucléaire, seule instance qualifiée pour évaluer en toute indépendance la sûreté d’une installation, a été condamnée parce que la démagogie d’un Président de la République en besoin de voix a seule décidé de sa fermeture :
Quelle est l’origine de cette décision ? Une étude technico-économique, une exigence de l’Autorité de sûreté nucléaire, une production d’électricité inutile, coûteuse ou polluante ? Nenni. Le résultat d’une négociation politique, à visée électorale immédiate, entre François Hollande et EELV lors de l’élection présidentielle de 2012 (S. Huet, blog cité).
Tout comme la fermeture de la voie internationale du tunnel du Somport donc, équipement parfaitement viable qui aura coûté quelques milliards de francs au contribuable, la fermeture de Fessenheim, équipement tout aussi viable et qui aura coûté encore bien plus cher au même contribuable, s’est opérée sur la base de décisions politiques douteuses, au prix d’une incroyable gabegie.
Un bilan financier catastrophique. Dans ces conditions, était-il bien raisonnable d’arrêter Fessenheim en 2020 plutôt qu’en 2030, date qui était tout à fait accessible techniquement ? Et aurait correspondu à une exploitation d’environ 50 ans… alors que la centrale dont elle est la copie, Beaver Valley (Pennsylvanie, USA), a été autorisée à fonctionner jusqu’à 60 ans en 2009. L’horizon des 80 ans est d’ailleurs envisagé pour nombre de réacteurs équivalents aux Etats-Unis. Quant à la Suisse, ses réacteurs ont 43 ans de moyenne d’âge, celui de Beznau a démarré en 1969 et vise les 60 ans.
Le bilan financier prévisionnel de l’arrêt prématuré de Fessenheim est pour le moins catastrophique, comme le souligne un rapport de la Cour des Comptes : «la fermeture de Fessenheim s’est caractérisée par un processus de décision chaotique et risque d’être coûteuse pour l’État.» Si l’on additionne les compensations financières de l’Etat à EDF pour cette décision anti-économique imposée à l’entreprise (la centrale de Fessenheim produisait le kwh le moins cher du parc nucléaire), les mesures d’accompagnement pour créer des emplois, les compensations aux collectivités locales, la perte d’exportation d’électricité… la facture pourrait monter à plusieurs milliards d’euros (S. Huet, id.).
L’affaire serait anecdotique, tellement les gabegies monstrueuses sont une constante de nos gouvernants éclairés, si ceux qui sont co-responsables de cette décision du fait de la pression politique exercée n’étaient ceux dont les résultats électoraux présentent la plus forte progression ces derniers mois, et qui revendiquent haut et fort un « projet d’avenir ».
Avenir qui semble bien avoir un goût de revenez-y…
Ainsi EELV s’engage-il résolument dans la politique de gaspillage effréné et de soutien aux énergies fossiles productrices de gaz à effet de serre qui caractérise la soi-disant « transition énergétique » à l’allemande. Véritable « usine à gaz » qui suppose à terme la création outre Rhin de 95 GW de centrales à gaz (soit nettement plus que les 64 GW de nos centrales nucléaires…) en vue de compenser l’intermittence des « renouvelables » (essentiellement l’équipement solaire et photovoltaïque).
Il fut un temps où nombre d’écologistes – dont votre serviteur – s’engageaient résolument contre la fermeture de la voie ferroviaire du Somport et le creusement du tunnel routier.
Des milliers de kilomètres de voies ferrées non encore amorties devaient-elles donc disparaître au nom du culte de la sacro-sainte bagnole et d’une culture du tout-camion responsables des dégâts écologiques que l’on sait ?
Las ! Nos « écologistes » actuels se font, eux, les promoteurs d’une « transition énergétique » qui commence en fanfare par le gaspillage de milliards d’euros, en attendant la prochaine gabegie, bien pire, d’autres nouveaux milliards en vue de pallier l’inéluctable intermittence, probablement – comme en Allemagne et en Espagne – par des équipements gaziers – si ce n’est pire – producteurs massifs de gaz à effet de serre et de dépendances géopolitiques douteuses.
Et – cerise sur le gâteau – les voilà aux portes des plus hautes responsabilités politiques !
Au secours ! Le « monde d’avant » est toujours bien vivant. Aussi incohérent que toujours, si ce n’est plus.
Mais réjouissons-nous : il est maintenant tout vert.
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PS : pour rester sur le thème de la gabegie, cette petite observation amusante :
Je n’ai rien contre la trottinette et le vélo électrique, surtout lorsque ce dernier permet à des personnes, disons d’un certain âge, de se déplacer sans utiliser de voiture. Même si je connais nombre d’alertes septuagénaires, voire octogénaires, qui ne craignent pas d’utiliser leurs jambes dans ce but.
Mais je suis tout de même étonné de voir ces instruments de plus en plus utilisés par des jeunes au détriment du vélo classique, la « vraie voiture propre » comme disait jadis René Dumont.
Mais peut-être se rendent-ils ainsi à quelque manif contre les centrales nucléaires et le réchauffement climatique…
Ah ! « monde d’avant », quand tu nous tiens !
Pensez : moi qui passe une bonne partie de mes loisirs à ahaner à l’ancienne sur des sentiers de montagne, voilà que je suis désormais dépassé par des jeunes triomphants juchés sur des VTT…électriques !
Il s’avère urgent de revaloriser la fonction des jambes pour ce qui est de la sobriété énergétique…
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Ajout du 13/07:
Quelques lignes significatives de ce qui constitue la « transition énergétique » à l’allemande. Il serait temps qu’un tel « modèle » cesse de faire rêver nos « écologistes ».
Derrière ce soutien [ au gazoduc Nord Stream 2, qui relie la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique] se cache la nécessité, pour Berlin, d’assurer sa sécurité d’approvisionnement en gaz. Alors que le pays s’est engagé dans une sortie progressive du nucléaire, il prévoit d’arrêter toutes ses centrales à charbon d’ici à 2038. Si l’Allemagne espère développer fortement les énergies renouvelables, elle prévoit de continuer à importer massivement du gaz, et les ressources russes sont peu chères et abondantes.
Bonjour,
De retour de voyage, je reviens à votre blog.
Sur cette question de la rationalité ou non à maintenir le recours au nucléaire, de façon pragmatique et « raisonnable » (dans un souci de bilan carbone à long terme ou énergique à court terme), et jusqu’à quel point éventuellement trop loin, je crois que de part et d’autre peuvent se construire des « désaccords raisonnables » qui risquent pourtant, tout rationnels qu’ils soient (ou se prétendent ?), de ne pouvoir se résoudre que par un coup de dés (ou la consultation d’un augure ? Puisque nous sommes de plus en plus nombreux à savoir qu’on ne peut même plus compter sur quelque divine Providence pour s’occuper de notre destin :-).
Comme c’est vous le philosophe, peut-être connaissez-vous bien cette notion de « désaccords raisonnables » (dont j’ai encore entendu parler l’autre jour sur France culture, sans avoir de lien), sur laquelle, je n’ai, via le net, trouvé que cette page (avec son approche très juridique), qui d’ailleurs mérite sans doute d’être lue…
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01428203/document
Cordialement
Claus
Bonsoir Claustaire !
Content, une fois de plus, de vous retrouver.
Certes, le « désaccord raisonnable » tel que le théorisait le bon vieil Aristote, est parfaitement adéquat et légitime pour rendre compte des discussions concernant le nucléaire civil.
Comme je l’ai dit plusieurs fois, j’ai longtemps été un antinucléaire radical (ce que je demeure pour ce qui est du nucléaire militaire). Je reconnais donc le bien-fondé de la plupart des critiques qui peuvent être adressées au nucléaire civil (danger, question de déchets, etc.).
Si j’ai pourtant changé d’avis, c’est bien que le « désaccord raisonnable » m’a fait pencher pour cette stratégie du « moindre mal » qui est la plus pertinente en situation d’incertitude, comme nous le dit la théorie des jeux. Et aussi dans la situation d’urgence climatique qui est la nôtre.
On sait entre autre que les émissions de gaz à effet de serre dues au nucléaire sont quantités négligeables par rapport à la plupart des autres solutions, y compris le photovoltaïques qui ne doit son développement que grâce à la productivité du charbon chinois ; que le stockage très problématique des énergies intermittentes dites « renouvelables » impose d’ores et déjà à l’Allemagne de prévoir un accroissement gigantesque d’installations gazières en contradiction totale avec « l’Energiewende » qu’elle prétend promouvoir et dont elle est, hélas, le modèle pour bien des « écologistes » .
On sait aussi qu’en dépit des apparences, des émotions et des fixations médiatiques compréhensibles, le nombre de morts dû au nucléaire civil au cours de toute son histoire est infiniment moindre que la dizaine de milliers de morts directes causées annuellement par l’exploitation des mines, et surtout que les dizaines de milliers de morts indirectes causées chaque année par les rejets carbonés.
(entre autres posts sur le sujet, cf. :
https://stultitiaelaus.com/2017/12/07/securite-nucleaire-du-deni-de-realite-a-la-sagesse-de-machiavel/ )
Voilà quelques-unes des raisons qui ont pu susciter mon « désaccord raisonnable ». Tout en étant conscient que ce choix, qui pose et posera bien entendu les problèmes qui lui sont spécifiques, ne représente jamais, pour le moment du moins, que la « meilleure des pires solutions ».
Après mûre réflexion, il me semble pourtant qu’elle mérite mieux qu’un déni systématique plus souvent fondé sur l’idéologie et le suivisme que sur une réflexion digne de ce nom.
Cordialement à vous.
Desiderius