Les idées que j’ai plusieurs fois exprimées sur la chose politique montrent suffisamment, je pense, que je ne suis pas spécialement récupérable par la plupart des partis.
Je m’aventure donc à quelques réflexions que je voudrais aussi libres que possibles sur un sujet dont l’approche politicienne de tous bords ne cesse depuis bien longtemps de m’étonner, sans pour autant me surprendre.
Car depuis au moins le « Livre Blanc sur les retraites » de Michel Rocard en 1991, les propositions sur la question se succèdent, suscitant incohérences à l’aller et psychodrames en retour.
Tout ceci simplement parce que, les enjeux essentiels n’étant pas posés, encore moins expliqués, les solutions ne pourront consister qu’en bricolages inadaptés, s’attirant en réponse des débordements relevant principalement de la démagogie.
Car ces enjeux essentiels, quels sont-ils ?
Il me semble qu’on pourrait les aborder au mieux par un mix entre les visions de Jean-Marc Jancovici et celles de Thomas Piketty.
Le premier – trop souvent abusivement réduit à son discours sur le nucléaire – nous rappelle tout simplement que la question des retraites ne peut être dissociée de la façon dont on conçoit l’évolution de notre économie, et en particulier de la trop fameuse « croissance ».
Or, l’habituel déni, maintes fois dénoncé sur ce blog, fait qu’il nous est difficilement concevable d’accepter le fait que la « croissance » de notre PIB qui a fait les beaux jours de l’ère industrielle et en particulier de l’après-guerre est désormais condamnée à court terme, du simple fait des limites physiques de notre environnement, qui ne peut supporter une croissance infinie.
La « prévision » de croissance du PIB est le paramètre le plus important pour savoir comment le système va évoluer. Dans ses travaux, sur lesquels s’appuie le gouvernement, le Conseil d’Orientation des Retraites suppose que le PIB va croître sans discontinuer d’ici à 2050 : https ://bit.ly/3KoCY3E Mais avec le lien entre économie et flux physiques sous-jacents (https ://bit.ly/2K4Hjvj ), la croissance du PIB « vrai » (celui qui mesure les produits et services « physiques ») d’ici à 2050 est tout sauf assurée. En fait ce PIB « vrai » a déjà commencé à diminuer depuis le pic de production du pétrole conventionnel en 2008, et il n’y a pas de raison pour que cela s’arrête en tendance.
Plutôt donc que de se lancer dans une aventure qui a tout d’un rafistolage amené à se répéter d’année en année en fonction de données forcément revues à la baisse du fait de l’inéluctable réduction de notre croissance causée par la raréfaction et le renchérissement de l’énergie et des matières premières (baisse tendancielle de la productivité du travail, etc.), les nouvelles conditions environnementales, etc., il aurait été plus pertinent de commencer par le commencement, soit
par unir nos forces autour d’un projet de société plus attendu, comme… la transition vers un monde plus résilient face à la baisse des hydrocarbures et à la hausse du changement climatique.
Et de penser la question des retraites en conséquence.
Mais une telle perspective semble hors de portée du court-termisme de nos dirigeants, comme de la démagogie ordinaire de nos « oppositions » qui demeurent pour la plupart droites dans les bottes d’un productivisme et d’un consumérisme, éventuellement revu à l’aune d’une débauche de green washing.
Il se pourrait bien hélas que le dessin suivant (en lien) soit plus lucide que bien des discours optimistes sur l’évolution de notre « pouvoir d’achat » et de nos retraites…
Le deuxième nous explique une autre façon de commencer par le commencement :
Pour faire face à des défis majeurs comme le vieillissement, il est certes inévitable que tout le monde soit mis à contribution. Encore faut-il le faire de façon juste. Or il existe une seule façon d’essayer de convaincre l’opinion de la justice d’une réforme : il faut démontrer que l’effort demandé représente une plus forte proportion du revenu et du patrimoine pour les plus riches que pour les plus pauvres.
Cela permet entre autre de comprendre pourquoi la récente réforme des retraites en Espagne, votée par les socialistes et l’extrême gauche Podemos, est passée nous dit-on« comme une lettre à la poste » malgré un allongement prévu à 67 ans de la durée de travail et des « des critiques de l’opposition de droite et du patronat » !
Pour nous français, le monde à l’envers, en quelque sorte…
Comme une lettre à la poste, ou presque : en Espagne, les députés ont validé ce jeudi [30/03] la réforme des retraites du gouvernement de gauche, prévoyant de faire davantage contribuer les hauts revenus tout en maintenant l’âge de départ à 67 ans. Pas de manifestations, pas d’affrontements avec la police… À la différence de celle du Président Emmanuel Macron en France, la réforme du premier ministre socialiste Pedro Sanchez a réussi ces dernières semaines à s’imposer dans « la paix sociale« , selon ses termes, en dépit des critiques de l’opposition de droite et du patronat.
La plus large contribution des hauts revenus a tout simplement permis de faire passer la pilule d’un allongement sans doute nécessaire de la durée de travail.
Le peuple sait reconnaître les mesures qui vont dans le sens de plus de justice sociale et sait en tenir compte, en dépit de sacrifices peut-être inévitables.
Ne pourrait-on penser aussi qu’une adaptation de la durée de travail en fonction de la pénibilité de certaines professions, attestée en particulier par la différence de durée de vie, pourrait constituer un élément non négligeable de justice sociale ?
Est-il légitime et tout simplement éthique qu’un ouvrier, artisan, paysan, etc. dont la vie peut être plus courte de 10 ans que celle d’un cadre, de certains fonctionnaires, professions libérales, etc. ne bénéficie pas d’une durée de travail plus brève que celle de ces derniers ?
Ainsi, comme le dit encore Thomas Piketty, un système fondé sur le nombre d’annuités cotisées et non sur un âge légal obligatoire serait plus juste, car il permettrait à celles et ceux qui ont commencé plus tôt de partir plus tôt.
Le pouvoir n’a plus le choix : il doit refonder le système sur la base du même nombre d’annuités pour tous. S’il choisit 43 annuités, alors cela doit s’appliquer à tous, sans exception. Mais attention : si le pouvoir est sincère dans son approche, alors par définition l’âge légal de 64 ans n’a plus de raison d’être. Si vous avez 43 annuités, alors vous pouvez prendre votre retraite pleine, point final.
« Alors cela doit s’appliquer à tous ». Mais c’est peut-être là que le bât blesse.
Car si une personne ayant commencé à travailler à 18 ans touchera légitimement et logiquement sa retraite à taux plein à 61 ans dans le cas d’un système à 43 annuités (mais il ne faut pas oublier l’injustice faite aux femmes dénoncée par Piketty : qui […] permet [au gouvernement] d’exiger de facto 44 ou 45 annuités (ou plus) aux femmes ouvrières et employées ayant commencé à travailler tôt, alors que les femmes cadres supérieures auront droit à 43 annuités sans difficulté) il faut aussi accepter que la personne ayant commencé à 25 ans touche la sienne à … 68 ans.
Nous ne sommes donc pas près de voir la fin des manifestations !
Et l’incantation rituelle de « faire payer les riches » ne pourra suffire à résoudre les problèmes. La forte contribution des plus riches en Espagne comme dans les pays scandinaves n’empêche pas l’allongement probablement nécessaire de la durée de travail.…
Carrières longues, carrières pénibles, il est à prévoir que beaucoup revendiqueront abusivement ces situations pour monter au créneau sans grand souci de l’équité ni du bien public.
Certes, des critères autant que possible objectifs (statistiques concernant la durée moyenne de vie par secteurs d’activité, etc.) devraient permettre de clarifier certains cas.
Mais qui acceptera de se reconnaître privilégié du fait de revenus et/ou d’une durée de vie statistiquement supérieurs à celle de plus défavorisés ? En Espagne, ce sont donc les riches qui rechignent à voir fortement surtaxées les retraites à plus de 4000 euros [ correctif: les retraites y sont plafonnées à 3058 euros par mois]. Ce devrait pourtant être la moindre des choses dans des démocraties qui se targuent de solidarité…
Je me souviens d’une petite anecdote : du temps où j’enseignais la philosophie, certaines classes, que j’aimais par ailleurs beaucoup, me donnaient parfois bien du fil à retordre du fait d’un excès de, disons, vitalité. Un jour que je sortais de deux heures particulièrement épuisantes face à une jungle de trente excités, je raconte en passant mon aventure à la secrétaire de mon proviseur
« Et encore, si vous étiez au secrétariat, vous verriez ! », me dit-elle.
Pour ma part, même si j’ai pu bénéficier d’un départ à 62 ans, j’estime que mes conditions de travail, en dépit de leurs difficultés certaines, faisaient de moi un privilégié par rapport aux paysans, éleveurs, ouvriers ou autres artisans que je côtoyais, ainsi qu’à bien des petites mains de la santé.
Et je n’aurais pas remis en cause un départ plus tardif, à condition que cela serve à la solidarité, à une répartition plus équitable propre à alléger le fardeau de moins favorisés que moi.
Car je n’ai pas ouï dire que les enseignants, pas plus d’ailleurs que les secrétaires de proviseurs, aient une espérance de vie tellement inférieure à la moyenne de la population.
Mais, à n’en point douter, la secrétaire dont je parle est de toutes les manifestations. Ainsi qu’une bonne majorité de mes chers collègues. Et tous tiennent sans sourciller le même discours à des ouvriers du bâtiment et des infirmières.
Si tant est que chacun voit midi à sa porte…
Mais j’ai parlé d’un mix de Jancovici et de Piketty.
Car l’un n’est pas concevable sans l’autre.
Avec Jancovici, il faut prendre conscience que la transition inéluctable qui nous attend suppose nécessairement du « sang et des larmes ». « Une transition en douceur, ça n’existe pas », disait Cohn-Bendit. Elle impactera inévitablement nos modes de vie, de consommation, nos conditions de travail, le confort de nos retraites, etc.
Qu’on le veuille ou non, il faut réduire la voilure.
Tout cela dans un contexte où les indispensables arbitrages à opérer seront toujours plus frustrants.
Le monde politique fait comme si les 3 000 milliards d’euros de dette publique n’existaient pas, sans parvenir à rassasier la demande inextinguible de crédits publics (…).
Gauche et droite, patronat et syndicats, ministres et élus locaux ont continué de communier dans le même déni avec une insouciance ou une mauvaise foi qui frisent l’irresponsabilité (…).
L’argent facile de la décennie 2010 (…) a eu un puissant effet désinhibant en France. Puisque l’argent public a sauvé l’économie pendant toute cette période, qu’il coule à flots ! Ces derniers temps, pas une réforme ne s’annonce à moins de 1 milliard d’euros sans que les intéressés expriment en retour une quelconque satisfaction. La demande de fonds publics est devenue inextinguible (…).
L’un des apports de la commission Pébereau est d’avoir distingué la « bonne » dette, qui finance les investissements, de la« mauvaise », qui couvre les dépenses courantes. La distinction apparaît aujourd’hui d’autant plus opportune que la transition écologique, la remise sur pied des services publics (éducation, santé, justice) et le réarmement nécessitent des dizaines de milliards d’euros d’investissement (…).
Mais autant le changement climatique a réhabilité la notion de planification, autant la dette semble vivre sa propre vie. Certes, le gouvernement promet de la réduire de 3,3 points de PIB à l’horizon 2027, mais sans parvenir à crédibiliser ses hypothèses ni à impliquer les Français qui se cabrent à la moindre réforme dite « de structure ».
Mais avec Piketty, nos dirigeants en particulier doivent se rendre compte qu’un tel effort ne peut se faire que par la mise en place résolue d’une politique reposant sur une justice et une équité auxquelles nous sommes par ailleurs tous conviés. Les riches bien sûr en premier lieu, mais aussi les moins riches, ou ceux qui se croient tels, qui ne peuvent s’exonérer du devoir de solidarité.
La condition pour que « ça passe sans que ça casse » est que chacun accepte d’y mettre du sien, sans penser que, puisque je suis moins riche que Bernard Arnault, Françoise Bettencourt, Macron ou même que mon voisin d’en face, je pourrais me dédouaner de mes responsabilités.
Nous ne pouvons vivre dans le fantasme infantile d’un monde qui, d’ores et déjà, n’existe plus.
Et plutôt que de nous complaire dans la démagogie facile de gesticulations et surenchères verbales contre-productives, il serait temps de nous montrer capables, chacun à notre niveau, de responsabilité face aux enjeux présents et à venir.
*
Ajout du 22/05 :
Une proposition qui pourrait aller dans le bon sens :
« C’est une question de justice sociale et d’efficacité fiscale »
Lucas Chancel, professeur à Sciences Po et codirecteur du laboratoire sur les inégalités mondiales à l’École d’économie de Paris (PSE).
« C’est une évidence : il faut taxer les ménages les plus aisés, et notamment les très riches. Et donc faire le contraire de ce qui a été fait depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en 2017. Aujourd’hui le taux d’impôt effectif sur le revenu des milliardaires est de seulement 2 %, nettement inférieur à celui des classes moyennes. Il y a donc d’abord une nécessité de créer un impôt juste au sommet de la pyramide. C’est une question de justice sociale dans une société inégalitaire, mais aussi d’efficacité fiscale.
(…)
Si l’on estime qu’il faut une trentaine de milliards d’euros d’argent public chaque année [pour financer la transition écologique], il y a un nombre limité d’options : soit on réduit davantage les dépenses publiques alors qu’elles sont déjà sous pression, ce qui n’est pas souhaitable ; soit on augmente l’endettement. Il faudra en partie passer par là, mais cela ne peut pas être l’unique option dans la mesure où la dette pèsera aussi sur les générations futures.
La solution la plus évidente du point de vue de la justice sociale et environnementale est donc un nouvel impôt. Et puisque les ménages très aisés sont largement sous-taxés – je parle là des 1 % les plus riches – cela a du sens de leur prélever davantage. Au sein du laboratoire sur les inégalités mondiales, nous avons calculé qu’un taux d’imposition progressif sur les patrimoines supérieurs à 1 million d’euros, s’échelonnant de 0,5 % à 3 %, pourrait lever 20 milliards d’euros chaque année en France. Ce serait une sorte d’ISF revu et modernisé, très positif pour l’économie, avec un taux de prélèvement qui reste modeste.
(…)
Dans son rapport, Jean Pisani-Ferry vise les 10 % les plus aisés. À un moment, il faudra probablement aller jusque-là. Mais si l’on n’est pas capable de taxer les 1 % les plus riches, je me demande comment on peut demander au reste de la population de faire des efforts, que ce soit les 10 %, et encore davantage quand il s’agit des classes moyennes et populaires. »
Cette exclamation me venait continûment à l’esprit à l’écoute de l’un des derniers numéros du « 28 Minutes » d’Arte.
Père Ubu y prenait successivement le visage de Gérard Araud, Anne-Cécile Robert et Patrick Martin-Genier pour nous abreuver de quelques-uns de ses arguments imparables. À commencer par le « deux poids deux mesures » :
« On s’indigne de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais il ne faut pas oublier qu’il y aurait eu et qu’il y a tant d’autres occasions d’indignation » nous disait-on en substance, une fois de plus.
« Et le fait de cette indignation à sens unique des Occidentaux qui ne réagissent que lorsque ce sont des blancs qui se font tuer alors qu’ils restent muets quand ce sont des noirs ou autres habitants du ‘’Sud global’’ qui sont victimes de guerres ou de massacres décrédibilise l’ONU », etc.
Certes, mon cher Père.
Mais il ne tient qu’à vous d’y remédier : qui vous empêche donc de partager avec tant d’autres l’indignation indispensable face à la situation en Syrie, en Israël, au Soudan ou ailleurs et de le faire savoir haut et fort ?
Mais sur ces sujets, on vous entend peu, semble-t-il.
Surtout, en quoi le fait de ne pas s’être suffisamment indigné lors de l’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003 devrait-il justifier le fait que nous répétions la même erreur ou la même tiédeur face à la gravité extrême pour la démocratie de ce qui se passe en ce moment en Ukraine, ou de ce qui va un jour se passer à Taiwan ?
C’est ici et maintenant que se joue l’Histoire, et le « un poids, une mesure », c’est bien aujourd’hui qu’il faut s’employer à le mettre en œuvre, en se méfiant des discours ambigus qui visent à en minimiser l’urgence.
Mon Père, vos rodomontades offusquées ne sont pas de saison.
Mais votre esprit farceur ne s’arrête pas là. Car le plus beau reste à venir.
Nombre de mes amis immigrés, auxquels on demande de payer des sommes non négligeables pour obtenir des titres de séjour tout en leur interdisant de travailler pour se procurer l’argent nécessaire connaissent bien la blague suivante :
Père Ubu se tient à la porte d’un imposant bâtiment administratif pour en interdire l’accès aux personnes qui se présentent sans autorisation.
« Où faut-il se procurer cette autorisation » demandent ceux qui veulent entrer.
« Au bureau 354, à l’intérieur, au deuxième étage », répond Père Ubu.
Ainsi nos Pères et Mères Ubu nous expliquent-ils sans rire que « le Conseil de Sécurité de l’ONU est le reflet de l’équilibre des forces en 1945 », qu’il est donc totalement dépassé et anachronique.
Mais que pour le réformer, en particulier pour ce qui est du droit de veto, il faut l’accord de ses cinq membres permanents, totalement dépassés et anachroniques donc, ce qui, bien entendu, « n’arrivera jamais » nous assure-t-on.
Ouf ! On a eu peur. Absurdité et anachronisme ont encore de beaux jours devant eux. Fort heureusement, Père Ubu a réussi à mettre en place un système impossible à réformer.
Car pour réformer, encore faudrait-il pouvoir accéder au bureau 354. Or le droit de veto fait qu’un seul Père Ubu intraitable suffise à en empêcher l’entrée.
Ainsi toute proposition de réforme sera automatiquement refusée, de par le fonctionnement même de l‘institution, qui donne tout pouvoir à ceux qui ne veulent pas entendre parler de réforme.
« Et comment donc puis-je accéder au bureau 354 si je n’ai pas le droit d’entrer ? » demande le pauvre naïf, à l’image de Nadia Dam qui rappelle timidement tout de même, face à l’arrogance des émules de Père Ubu (vers 26mn), que lors de la guerre de Syrie, l’usage du droit de veto par la Russie et la Chine a interdit des opérations qui auraient pu favoriser la paix. [Peut-être se souvient-elle aussi qu’en 1990, en l’absence de veto de l’URSS agonisante, la résolution 678 du Conseil de sécurité de l’ONU permit de juguler en quelques semaines la guerre d’agression initiée par Saddam Hussein].
« Maisça, de par ma chandelle verte, c’est votre affaire », répond Père Ubu, droit dans ses bottes.
Et d’opposer ce tout puissant veto, tout à l’honneur d’un promoteur affirmé et défenseur officiel de la Paix dans le monde, à toute condamnation possible des guerres d’agression, en particulier de celles dont il est lui-même l’instigateur.
En attendant celles que ses complices bien intentionnés fomenteront un jour.
Jarnicotonbleu, tout cela est parfaitement ficelé !
Chapeau !
*
Rappel :
Comme je l’ai plusieurs fois signalé, n’oublions pas que, contrairement aux affirmations des intervenants de l’émission susdite et autres Palotins ou Larbins de Phynances, nombre de solutions pertinentes et relativement simples* existent pour sortir d’un tel cercle ô combien vicieux. Elles ne demandent qu’à être discutées.
Mais le génie d’Alfred Jarry ne s’y trompait pas : jusqu’à nouvel ordre, c’est bien Père Ubu qui mène la danse.
Et que vive la machine à décerveler !
Voyez, voyez la machin’ tourner, Voyez, voyez la cervelle sauter.
(…)
Hourra ! Cornes au cul. Vive le Père Ubu !
*
* Par exemple: Après plusieurs autres du même genre, l’Assemblé Générale de l’ONU a voté le 23 février 2023 une résolution « appelant à une « paix globale, juste et durable en Ukraine » sur la base de la Charte des Nations Unies » par 141 voix pour, 7 voix contre et 32 abstentions.
Hélas, dans les conditions actuelles, de telles résolutions de l’Assemblée Générale sont condamnées à demeurer lettre morte du fait du blocage institutionnel du Conseil de Sécurité.
Sur la base de telles majorités à l’Assemblée Générale, ne pourrait-on concevoir qu’une nation qui se rend coupable de crime d’agression ou autres graves manquements à la paix, ainsi que la ou les nations refusant ou s’abstenant de condamner ces crimes reconnus par la majorité, se voient temporairement privées de leurs sièges au Conseil de Sécurité, et donc de leurs droits de veto, jusqu’à ce qu’aient cessé les agissements susdits jugés contraires à la Charte des Nations Unies ?
Leur(s) place(s) au Conseil de Sécurité pourrai(en)t être pendant ce temps attribuée(s) à une ou plusieurs autres nations, à commencer par exemple par la nation agressée.
*
Ajout du 02/05 :
Ayant à ma faible mesure contribué au soutien de Lula, je souscris à cet article qui s’emploie aujourd’hui à le ramener à la raison:
Tu commences aujourd’hui un troisième mandat, après une victoire sur le terrible Jair Bolsonaro, ennemi de la planète et des droits humains. Nous, gens de gauche et écologistes européens, avons salué cette victoire à l’égal de celle de Joe Biden sur Donald Trump, et pour les mêmes raisons. C’est pourquoi je suis stupéfait de t’entendre reprocher à ce même président Joe Biden d’« encourager la poursuite de la guerre en Ukraine » en aidant la magnifique résistance du peuple ukrainien face à l’envahisseur russe, qui répète ne concevoir qu’une seule paix : celle entérinant la conquête de cinq régions de l’Ukraine. Toutes ces régions, y compris la Crimée, avaient voté pour l’indépendance de l’Ukraine…
(…)
Mais quelle contribution apporte le Brésil, sous ta direction, pour pousser la Russie à respecter ce verdict, c’est-à-dire à évacuer sans délai ces cinq régions et à reconnaître au peuple ukrainien la liberté de choisir souverainement ses amitiés et ses alliances ?
Jusqu’ici, le Brésil refuse de fournir des armes à ce petit pays, qui ne dispose pas d’industrie en la matière. Il refuse même d’appliquer de simples sanctions économiques au pays qui viole outrageusement le droit international, dont les troupes pillent, violent, exécutent, torturent, volent des milliers d’enfants, et dont les bombardements ont volontairement privé de chauffage et d’électricité tout un peuple pendant l’hiver ukrainien.
Tu pourrais dire : « C’est une affaire européenne, ça ne nous regarde pas. » Mais tu prends la parole, tu critiques non pas l’envahisseur mais le pays qui aide le plus le pays envahi, lui reprochant en somme de retarder la capitulation de l’Ukraine !
(…)
Il peut être difficile de louer l’action des Etats-Unis, quand le peuple brésilien fut soumis de 1964 à 1985 à la dictature militaire, comme le furent ses voisins chiliens, argentins et les autres, dans le cadre de l’opération Condor dirigée en sous-main par la CIA. De se retrouver dans le même « camp » que les Etats-Unis. Mais tu sais que ce ne sont pas les pays qui composent les « camps », mais les travailleurs, les démocrates, les féministes, les écologistes, contre ceux qui exploitent, oppriment, saccagent. Un pays n’appartient à un « camp » que par la couleur de son gouvernement. Et la Russie sous Poutine est dans le « camp » des Bolsonaro, Médici, Videla, Galtieri, Pinochet, etc.
Dans les années 1965-1985 nous manifestions en Europe contre les coups d’Etat au Brésil, en Argentine, au Chili, nous accueillions chez nous les réfugiés, nous leur cherchions du travail, et, pour ceux qui résistaient là-bas : des armes, de l’argent. Et maintenant tu critiques ceux qui aident la résistance d’un peuple martyrisé ?
(…)
Camarade président Lula, laisseras-tu dans l’histoire le souvenir du dirigeant d’un pays majeur qui aura su, à temps, dire à Vladimir Poutine : « Stop ! Recule ! » et pris des mesures pour aider à l’y contraindre ? Ou, au contraire, celui qui aura dit : « Laissons Poutine annexer ce qu’il a déjà conquis, et encore autant qu’il veut et peut… » ?
De l’homme, du camarade que j’ai connu, je n’attends que la première réponse. Et qu’elle vienne le plus tôt possible, Monsieur le président.
Alain Lipietz est économiste, ancien vice-président de l’Assemblée parlementaire euro-latino-américaine, ancien député européen (Europe Ecologie-Les Verts).
Moscou prend la tête du Conseil de sécurité des Nations unies
!!!
L’Ukraine qualifie la présidence russe du Conseil de sécurité de l’ONU de « mauvaise blague »
Dmytro Kuleba, le chef de la diplomatie ukrainienne, a un avis tranché sur la future présidence russe du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), à partir de samedi et pour un mois. « La présidence russe du Conseil de sécurité de l’ONU le 1er avril est une mauvaise blague. La Russie a usurpé son siège ; elle mène une guerre coloniale ; son président est un criminel de guerre recherché par la CPI pour enlèvement d’enfants », a-t-il écrit sur Twitter.
La Russie a pris ce samedi la présidence tournante du Conseil de sécurité pour une durée d’un mois, succédant au Mozambique. La dernière fois que Moscou a présidé l’instance suprême de l’ONU remonte à février 2022, pendant lequel les troupes russes ont envahi l’Ukraine. Le Kremlin a fait savoir vendredi qu’il comptait « exercer tous ses droits » à la tête des Quinze.
L’Ukraine qualifie de « honte » la perspective de voir la Russie présider pour un mois le Conseil de sécurité des Nations unies, en vertu de la règle de la présidence tournante. « Ce n’est pas seulement une honte, c’est un nouveau coup symbolique porté au système de relations internationales fondé sur des règles », a écrit sur Twitter le chef de cabinet de la présidence ukrainienne, Andriy Yermak.« La présidence russe du Conseil de sécurité des Nations unies est une gifle au visage de la communauté internationale », a dénoncé Dmytro Kuleba, le ministre des affaires étrangères ukrainien, appelant « les membres actuels » de l’organe exécutif de l’ONU « à contrecarrer toute tentative russe d’abuser de sa présidence ».
Un article dont le titre suffisamment explicite devrait entraîner les conclusions qui s’imposent pour ce qui concerne le statut de la Russie comme membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU :
Présidence russe à l’ONU : Zelensky dénonce la « faillite » de cette institution
Volodymyr Zelensky a dénoncé la « faillite » des Nations unies où la Russie a pris ce samedi la présidence du Conseil de sécurité pour le mois d’avril. « Il est difficile d’imaginer quelque chose qui prouve (davantage) la faillite complète de telles institutions », a-t-il lancé dans son message du soir [à partir de 2mn 45].
« Il n’y a aucune forme de terreur que la Russie n’ait déjà exercée », a-t-il poursuivi, appelant à une « réforme des institutions mondiales, y compris du Conseil de sécurité de l’ONU ». Cette « réforme qui se fait évidemment attendre consiste à empêcher un Etat terroriste (…) de détruire le monde. Les terroristes doivent perdre, doivent être tenus pour responsables de la terreur et ne présider nulle part », a martelé Volodymyr Zelensky.
« Et un témoignage supplémentaire de ton pessimisme invétéré », me dit Stultitia.
Soit. Je le concède.
Et pourtant…
Je n’ai rien contre les débats et manifestations actuelles concernant la question des retraites. Bien au contraire. Même si j’aurais souhaité qu’un problème aussi complexe fût traitée de part et d’autre avec plus de prudence, de rigueur et de maturité. D’où qu’elles viennent, les simplifications et gesticulations grotesques ne vont pas dans le sens d’une réhabilitation du politique.
Mais voilà : pour la première fois depuis 1945, nous avons la guerre à nos portes.
Une guerre d’agression et dite « de haute intensité », menée par un régime à l’évidence dictatorial, en dépit des dénégations fort heureusement de moins en moins nombreuses, en France et en Europe, de quelques zélateurs d’une ahurissante naïveté, ou, ce qui est plus grave, d’une complicité tacite ou revendiquée.
En effet, comment qualifier autrement que de dictatorial ou fasciste un régime qui se permet d’assassiner des dizaines de milliers de civils, qui considère des centaines de milliers de ses propres concitoyens comme négligeable chair à canon, qui en emprisonne des milliers d’autres à la moindre rébellion, qui pratique le mensonge institutionnalisé, recrute à son service des mafias sanguinaires et s’allie aux régimes les plus barbares de notre XXIème siècle ?
Car il n’y a rien d’étonnant à ce que la dictature de Poutine fricote avec l’Iran, la Syrie de Bachar al Assad, la Corée du Nord, la Chine, la Biélorussie, etc.
Qui se ressemble s’assemble, tout simplement.
Et un tel rapprochement manifeste sans équivoque combien, en dépit de tout ce qu’il est légitime de reprocher à notre monde « occidental », le projet alternatif mené par la Russie, la Chine, l’Iran et leurs complices recèle de danger.
Or, nous le savons, nous le voyons, les capacités de tels régimes totalitaires à mener des guerres de haute intensité sont autrement considérables que celles des nations démocratiques.
Car pour les premiers, reconvertir rapidement une économie classique en économie de guerre se fait par un trait de plume. Aucune crainte de manifestations syndicales ou ouvrières. En un rien de temps, des colonnes de chars, de canons et de drones, des tonnes de munitions peuvent ainsi sortir des usines.
La mobilisation de centaines de milliers d’hommes se fait d’un claquement de doigts. Et les quelques inconscients qui auraient le courage de s’y opposer n’ont d’autres perspectives que celles de la détention ou de l’exil.
Vider les prisons des criminels les plus dangereux et les envoyer exercer leurs talents sur le front ne pose aucun problème éthique particulier dans un univers ou ce terme est réduit à sa plus simple expression.
Fort heureusement certes, ce type de fonctionnement est exclu de nos sociétés encore démocratiques.
Le passage à une économie de guerre ne pourrait s’y faire en un tournemain, sans susciter des résistances patronales et syndicales aux oukases du tsar.
Une large mobilisation militaire ne pourrait non plus se concevoir sans susciter une résistance acharnée.
Mais, on s’en rend compte, les caractéristiques qui font l’honneur et la dignité de nos démocraties sont aussi la cause de ses faiblesses.
État de droit, droits de l’Homme, égalité de tous, respect des genres, des orientations sexuelles, etc. tous ces termes sont ostensiblement méprisés par les émules des divers despotes qui y voient d’inadmissibles germes de décadence et de fragilité.
C’est le confort de l’homme occidental – indéniable en dépit des crises, de l’inflation, etc. – qui lui permet de placer au rang de ses préoccupations majeures et des politiques qu’il attend de ses gouvernants la défense de son pouvoir d’achat, de ses loisirs et de sa retraite. Tout cela s’accorde difficilement avec l’exaltation des valeurs viriles et guerrières qu’un Poutine se plait à exhiber à la moindre occasion.
Alors une question essentielle se pose, à laquelle je n’ai pas de réponse.
Et si les choses tournaient mal ? Si la collusion des régimes totalitaires que nous observons sous nos yeux parvenait à dépasser, par ses capacités guerrières, la production d’armes que des décennies d’insouciance occidentale ont réduite au minimum, à provoquer un recrutement massif de chair à canon tel que nos armées sous dimensionnées ne puissent le contenir, que se passerait-il ?
Quel serait alors notre avenir ?
Trouverions nous les ressources suffisantes, morales, humaines et matérielles, pour résister, comme le font pour le moment nos frères et sœurs ukrainiens qui se trouvent en première ligne pour défendre notre liberté ?
N’est-il pas dès lors indispensable d’oser certains arbitrages politiques fort peu démagogiques, en ce qui concerne en particulier les choix budgétaires, aux antipodes de nos aspirations pépères et insouciantes de routiniers de la facilité, aspirations certes légitimes en temps de paix, mais qui risquent de ne pas peser lourd pour peu qu’une nouvelle réalité s’annonce ?
Je n’ai pas la réponse. Mais j’estime que la question nécessiterait de la part d’une démocratie une réflexion urgente et approfondie.
En ce qui me concerne, peut-être suis-je et ai-je été effectivement trop pessimiste dans ma vision du monde.
C’est bien ce qu’on me disait lorsque je lisais Rachel Carson, René Dumont, ou encore Dennis Meadows qui, dès les années soixante ou soixante-dix nous mettaient en garde contre l’écroulement de la biodiversité, la crise des énergies fossiles ou les bouleversements écologiques liés à notre société productiviste.
Peut-être aurais-je dû plutôt continuer à fréquenter les innombrables prophètes des lendemains qui chantent qui fleurissaient dans nos « trente glorieuses ».
Qui sait ?
Car ce sont bien eux qui ont gagné et continuent à abreuver nos sociétés de l’optimisme d’une « croissance », verte ou pas, d’une augmentation du « pouvoir d’achat », des retraites et du « niveau de vie ».
N’ai-je donc pas péché encore par trop de catastrophisme ?
Car eux aussi ont gagné, au point qu’on les retrouve comme si de rien n’était à la tête de nos partis politiques ou sur les bancs de nos Assemblées.
De quel droit moi, le looser, le Cassandre, puis-je une fois de plus promettre du sang et des larmes ?
La défaite du nazisme, la construction de l’Europe, la chute du Mur, tout cela ne signifie-t-il pas la marche optimiste vers un avenir pacifique et démocratique ?
Que nous effrayez-vous donc avec des bruits de bottes ?
Pourquoi tant de méfiance sur l’avenir ?
Et si, pourtant…
Encore une mauvaise pensée pour terminer :
Les « poilus » de 14-18 pensaient bien qu’ils s’étaient battus pour la « der des der » et que cette victoire justifiait l’insouciance des Années Folles.
Nous connaissons la suite.
Car un regard, même le plus superficiel, sur l’Histoire montre suffisamment que les guerres jalonnent de façon incoercible la totalité de l’aventure humaine. Y compris en Europe au XXIème siècle, elles peuvent donc à tout moment se rapprocher de chez nous même si nous ne parvenons pas à envisager la remise en question de notre confort.
La « der des der » reste, encore et toujours, à venir.
Lors de la réunion des dirigeants de la Communauté des Etats indépendants, le président russe a offert huit anneaux à ses hôtes, se réservant le neuvième. Difficile, de ne pas voir là une référence au « Seigneur des anneaux ».
Pour la traditionnelle réunion de fin d’année des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté des Etats indépendants (CEI), lundi 26 décembre, à Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine aura penché résolument du côté de l’inattendu. Hôte de ce sommet informel, le dirigeant russe a offert à ses homologues d’étonnantes bagues en or blanc et jaune, sur lesquelles sont sculptés le symbole de l’organisation régionale ainsi que les mots « Bonne année 2023 » et « Russie ».
Huit anneaux – pour les dirigeants d’Azerbaïdjan, Arménie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkmenistan, Ouzbékistan – et un dernier, pour M. Poutine lui-même : difficile, pour les observateurs, de ne pas voir là une référence aux neuf anneaux du Seigneur des anneaux, l’œuvre mondialement célèbre de J. R. R. Tolkien, parue en 1954-1955.
Pour la politologue Ekaterina Schulmann, le parallèle est tout sauf fortuit et le Kremlin l’a établi « en toute conscience » – ce qu’un porte-parole de la présidence a démenti, évoquant « un simple souvenir ». Pour mémoire, les neuf anneaux, dans le livre de l’écrivain britannique, sont forgés par le néfaste Sauron dans le but d’asservir les hommes (c’est moi qui souligne).
Un tel étalage de références mythologiques confirme la démence mystico-nationaliste que partagent le Prince et le Patriarche, classiques comparses des contes de fée, comme le souligne Jean-François Colosimo.
Le pontife et le despote professent la même idéologie de l’unité du « monde russe », autrement dit d’une Russie englobant toutes les populations russophones. Ce pan-russisme impérial a été rendu possible par le fait qu’il n’y a pas eu de Nuremberg du communisme. Poutine et Kirill sont deux survivants de l’homo soviéticus. Ils s’accordent sur l’oubli du Goulag, le refus de l’ordre international et la négation des droits de l’homme.
(sur le délire politico-religieux partagé de Poutine et Kyrill, ainsi que sur d’autres mythes scrupuleusement entretenus, tel celui de la menace par l’Otan, de la « nazification » ou de la « satanisation » de l’Ukraine, etc. voir encore J.F. Colosimo ainsi que d’autres spécialistes dans la riche récapitulation du 28 Minutes du 26/12. On y appréciera aussi les preuves apportées par la lauréate du prix Albert Londres 2022, Alexandra Jousset concernant la collusion entre le régime poutinien et la mafia criminelle Wagner . Documentaire essentiel. À voir d’urgence).
Mais l’invasion de l’Histoire par la mythologie me suggère une autre fable, hélas tout aussi actuelle.
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Il était une fois un pauvre hère, écrasé par la cruauté et la violence de son voisin, et qui réclamait à cors et à cris que ce voisin soit enfin considéré pour ce qu’il est : un criminel funeste et un agresseur calamiteux :
« L’Ukraine appelle les États membres de l’ONU (…) à priver la Fédération de Russie de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et à l’exclure de l’ONU dans son ensemble », a martelé dans un communiqué le ministère des affaires étrangères ukrainien : « La guerre de la Fédération de Russie contre l’Ukraine est une violation des objectifs et des principes de la charte des Nations unies sans précédent depuis sa signature en 1945 et prive la Russie du droit d’être qualifiée d’Etat épris de paix. »
Mais ses demandes, ainsi que ses propositions de paix se heurtaient constamment à une fin de non-recevoir, accompagnée de la dérision et de la condescendance du satrape Poutov et de son fou du roi, le sinistre Lavrine, lui opposant, du haut de leur droit de veto, leurs propres propositions indignes et menaçantes :
« L’ennemi est bien conscient de nos propositions concernant la démilitarisation et la dénazification des territoires contrôlés par le régime [de Kiev], et l’élimination des menaces pour la sécurité de la Russie qui en découlent, et cela inclut nos nouveaux territoires » (…) « Il reste un peu de chose à faire – accepter ces propositions à l’amiable. Sinon, l’armée russe s’occupera de cette question. »
Le pauvre hère se demandait bien comment de tels menteurs et fauteurs de guerres pouvaient être accueillis comme si de rien n’était dans des cénacles censés assurer et promouvoir la Paix dans le Monde.
– « Comment donc de tels agresseurs infâmes peuvent-ils être considérés comme nécessaires au maintien de la Paix ? Serait-ce parce que leur armement nucléaire leur conférerait ce privilège en terrorisant ceux qui voudraient s’y opposer ?
Mais dans ce cas, pourquoi ne pas accueillir aussi dans de telles assemblées d’autres possesseurs de ce type d’armement, comme par exemple le fameux Kim Pam Poum, dont la volonté d’égaler le pouvoir de nuisance des autres grandes puissances s’étale désormais au grand jour ? »
– « Vous n’y êtes pas, mon pauvre voisin » répondit le sinistre Lavrine avec son habituelle condescendance.
« En dépit de ce qu’en pensent nombre d’ignares, Kim Pam Poum peut-il donc se prévaloir de titres de gloire comparables aux nôtres ? A-t-il mené comme nous de multiples guerres d’agressions ? Combien de dictateurs criminels a-t-il donc aidé et soutenu ? Combien de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité a-t-il bien pu commettre ? Non. Kim Pam Poum est décidément bien petit-bras. Il doit encore faire ses preuves avant de revendiquer légitimement un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité de l’Onu ».
Allons donc, une fois de plus, le dernier mot sera aux « réalistes » :
Une exclusion de la Russie du Conseil de sécurité de l’ONU ? « Aucune chance » pour Pascal Boniface. (vers 6mn 40).
Pas plus, hélas, que celle d’un indispensable Nuremberg de l’ère poutinienne.
En cause l’incantatoire « droit de veto », qu’il serait pourtant facile de réformer si la simple volonté éthique et politique y était…
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À toutes et à tous, une bonne fin d’année, tout de même !
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Ajout du 16/01 :
Un article du Courrier International qui souligne le caractère illégitime de l’appartenance de la Fédération de Russie au Conseil de Sécurité de l’ONU :
Par quels moyens la Fédération de Russie a-t-elle récupéré le siège de membre permanent du Conseil de sécurité, disposant ainsi d’un droit de veto sur n’importe quelle résolution ?
En 1945, une année déjà lointaine, l’URSS, la République socialiste soviétique d’Ukraine et celle de Biélorussie ont fait partie des membres fondateurs de l’ONU. La Fédération de Russie n’en est jamais devenue officiellement membre. Sa signature n’apparaît pas sur les statuts de l’organisation. Il n’existe aucune recommandation du Conseil de sécurité ni de décision de l’Assemblée générale quant à l’acceptation de la Fédération de Russie en tant que membre à part entière de l’ONU.
Les membres permanents du Conseil de sécurité n’ont reconnu la Fédération de Russie comme État héritier de l’Union soviétique que sur les questions du potentiel nucléaire et de la dette extérieure. Et en ce qui concerne le statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies ? On ne trouve aucune trace d’une quelconque décision du Conseil de sécurité ou de l’Assemblée générale sur cette question.
(…)
Le 21 décembre 1991, sans passer par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies, les dirigeants de la Fédération de Russie, de l’Ukraine, de la Biélorussie, de lAzerbaïdjan, de lArménie, de la Moldavie, du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Turkménistan, de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan, réunis à Alma-Ata, au Kazakhstan, ont signé la déclaration sur la création de la Communauté des États indépendants (CEI).
Lors de cette rencontre, ils se seraient entendus sur le fait que la Fédération de Russie continuerait à représenter l’Union soviétique au Conseil de sécurité de l’ONU. C’était un précédent absurde, ce qui n’a pas empêché le Conseil de sécurité d’entériner la décision de la CEI. En 1992, le ministre des Affaires étrangères russe a simplement informé par une note diplomatique que la Fédération de Russie continuerait à remplir les obligations selon les accords signés par l’URSS.
Pour éviter l’apocalypse nucléaire
Et ainsi les grands pays du monde ont-ils accepté un intrus au Conseil de sécurité sans comprendre qu’ils venaient de créer un pays monstre, un agresseur. Un terroriste qui fait chanter aujourd’hui le monde entier avec la menace de la guerre nucléaire.
(…)
La principale organisation internationale devrait disposer des institutions et des instruments lui permettant d’obliger ses membres à respecter le droit international. L’agresseur devrait être puni. Seules la démilitarisation, tout d’abord de son arsenal nucléaire, la déstalinisation, la dénazification de la Moscovie [en réponse à l’accusation brandie par Moscou contre Kiev], la dislocation de l’empire en États nationaux aideront la planète à éviter les vagues de violence armée et l’apocalypse nucléaire.
Taras Protseviat (Publié le 06 janvier 2023 dans le journal Oukraïna Moloda).
L’annonce par l’ONU que, depuis le 15 de ce mois, notre Terre compte 8 milliards d’habitants, en attendant les 9 milliards en 2037, puis les 10,4 dans les années 2080 a suscité une floraison d’articles, de reportages et d’entretiens divers
Ayant beaucoup écrit sur ce thème, je me contenterai cette fois de quelques points de synthèse en évoquant les principaux leitmotivs qu’on retrouve dans ces diverses productions, mais aussi en attirant l’attention, une fois de plus, sur la répétition de quelques omissions, insuffisances, paralogismes (raisonnements formellement défectueux développés sans intention de tromper, nous dit notre dictionnaire), voire, ce qui est plus grave, de sophismes (raisonnements spécieux destinés à induire en erreur, avec une apparence de vérité), qui enferment un débat dont la complexité devrait être exposée et respectée dans des recettes réductrices et bien souvent teintées, consciemment ou non, d’idéologies discutables.
Parmi ces leitmotivs qu’il convient d’examiner de façon critique :
«Avec la production agricole mondiale actuelle, vous pouvez nourrir 3,5 milliards d’américains [ou…] vous pouvez nourrir 12 milliards de bhoutanais » (Virginie Raisson-Victor environ 18mn30 émission en lien).
En effet, un mode d’alimentation plus sobre, et en particulier l’abandon du régime carné qui caractérise essentiellement les pays riches permettrait de nourrir beaucoup plus de personnes.
Le problème de ce genre d’affirmation est que la question alimentaire est loin d’être le seul paramètre pour ce qui est de la viabilité sur notre terre.
Comme le dit Didier Barthès, représentant de l’association Démographie Responsable dans la même émission, il faut aussi prendre en compte l’urgence de la question des espaces naturels disponibles, et bien sûr encore celle des ressources énergétiques, de la disponibilité des matériaux (le sable, le lithium, le cuivre etc. n’ont plus que quelques années devant eux), celle de l’eau, la concentration de gaz à effet de serre, le taux d’extinction des espèces, etc.
« Au cours du XXe siècle, la consommation d’énergie a été multipliée par 10, l’extraction de minéraux industriels par 27 et celle de matériaux de construction par 34. L’échelle et la vitesse des changements que nous provoquons sont sans précédent dans l’histoire », nous disent Pablo Servigne et Raphaël Stevens.
Même si on arrivait donc à nourrir 12 milliards d’humains dans un clapier, ce qui n’est même pas garanti du fait de la baisse de productivité d’une agriculture soumise au réchauffement climatique, l’Inde voit d’ores et déjà sa biodiversité disparaître à la vitesse grand V avec nos 8 milliards actuels, la guerre de l’eau, la désertification, menacent de nombreux pays tout comme la montée des eaux, les migrations de masse etc., et il y a peu de chances que les 2 milliards d’africains supplémentaires dans 30 ans gardent une petite place pour les gorilles et les éléphants. Sans parler des oiseaux, insectes, poissons, etc. qui subissent d’ores et déjà de plein fouet la sixième extinction de masse.
Toutes choses directement liées à la surpopulation.
Effectivement, la Terre pourrait éventuellement nourrir quelques milliards d’habitants de plus. Mais Mme Raisson-Victor et ses semblables se rendent-ils comptent de l’horreur et des tensions que cet entassement a toutes les chances de susciter ? On ne peut aborder la question de notre avenir en la réduisant à un seul ou quelques paramètres. L’approche ne peut en être que globale.
« La vraie question est moins celle du nombre que celle des modes de vie » (Gilles Pison).
Allégation proche de la précédente, qu’on trouve déclinée sous différentes formes : « Pour les démographes, le seul levier pour limiter le réchauffement climatique est le changement de nos modes de vie », peut-on lire, par exemple.
Affirmation quelque peu présomptueuse car « les démographes » sont loin d’être tous d’accord sur le sujet.
Il y aurait donc des « leviers » qui s’excluent : soit la réduction du nombre des naissances, soit le changement du mode de vie.
Or, si, comme le rappelle le même article
« En novembre 2017, en pleine COP23, plus de 15 000 scientifiques publiaient un « avertissement à l’humanité » dans la revue Bioscience. Le texte pointait « la croissance démographique rapide et continue » comme l’un « des principaux facteurs des menaces environnementales et sociétales » qui pèsent sur l’espèce humaine.
Nous mettons en péril notre avenir en refusant de modérer notre consommation matérielle intense mais géographiquement et démographiquement inégale (…)
En échouant à limiter adéquatement la croissance de la population, à réévaluer le rôle d’une économie fondée sur la croissance, à réduire les émissions de GES, à encourager le recours aux énergies renouvelables, à protéger les habitats naturels, à restaurer les écosystèmes, à enrayer la pollution, à stopper la « défaunation » et à limiter la propagation des espèces exotiques envahissantes, l’humanité omet de prendre les mesures urgentes indispensables pour préserver notre biosphère en danger.
Il est également temps de réexaminer nos comportements individuels, y compris en limitant notre propre reproduction (l’idéal étant de s’en tenir au maximum au niveau de renouvellement de la population) et en diminuant drastiquement notre consommation par tête de combustibles fossiles, de viande et d’autres ressources.
On ne répond donc pas à la vraie question par un soit/soit, mais bien par un à la fois : réduction à la fois du nombre d’habitants et changement du mode de vie.
Le fait d’évincer a priori la question du nombre paraît bien témoigner d’une thèse qui est loin d’être une condition nécessaire à la résolution du problème, mais relève plutôt d’une idéologie discutable, soit qu’elle se fonde le plus souvent sans l’avouer ouvertement sur des arguments de type religieux, soit qu’elle ne prenne pas en compte la complexité de la réalité.
« Mettre l’accent sur la croissance de la population, et donc en creux sur la responsabilité des pays du Sud, c’est ne pas voir la poutre qu’on a dans l’œil. » (Emmanuelle Réju citant Gilles Pison).
Un paralogisme de plus…
Qui fait mine le plus souvent de défendre les droits des populations du Sud face à une approche néocolonialiste des pays du Nord qui chercherait à faire porter aux pauvres le chapeau de la surpopulation pour éviter de remettre en question leur responsabilité en ce qui concerne la surconsommation et donc la pollution et le réchauffement climatique.
Mais si, conformément aux remarques qui précèdent, on s’efforçait de voir à la fois, comme le font d’ailleurs les 15 000 scientifiques dont il est question plus haut, la poutre qu’a effectivement dans l’œil notre monde développé (on le sait, un Américain émet en moyenne 17 tonnes de CO2 par an, un Indien 1,76 et un Éthiopien 0,19…, etc. et donc l’effort est à porter en priorité sur les plus pollueurs que nous sommes), mais aussi le fait que la paille dans l’œil des nigérians, pakistanais et autres congolais qui constitueront l’essentiel des milliards d’humains à venir est en passe de se transformer dans les prochaines décennies en une poutre se rapprochant dangereusement de la nôtre ?
Plutôt que d’infantiliser, il n’est pas interdit d’en appeler à la responsabilité de tous.
Car peut-on sérieusement croire que des pays qui sont actuellement travaillés au corps par une masse d’investisseurs, industriels et commerçants chinois, russes, américains, européens, etc. en raison de leurs possibilités de développement liées entre autres à leur dynamisme démographique en restent tranquillement aux émissions actuelles de l’Éthiopien moyen ?
Quant un Emmanuel Pont affirme de façon péremptoire qu’étant donné le rythme actuel de croissance du PIB du Nigéria, il lui faudrait 250 ans pour rattraper celui de la France, (environ 33mn20 dans l’émission en lien), il oublie tout simplement que la Chine, actuel modèle de croissance des pays africains et acteur majeur de leur développement a multiplié par 37 son PIB en quatre décennies, et que la consommation des ménages chinois est 90 fois plus importante en 2016 (4.412 milliards de dollars) qu’elle ne l’était en 1980 (49 milliards de dollars). Un tel développement étant bien entendu étroitement corrélé avec la production de gaz à effet de serre et autres pollutions. Négligeables avant la mort de Mao, les émissions de la Chine sont désormais plus importantes que celles de l’ensemble des pays développés.
Bien sûr,
La Chine est toutefois un grand pays de 1,4 milliard d’habitants, et la part de ses émissions par habitant “reste inférieure à celle du monde développé”. Mais les choses évoluent rapidement, expliquent les chercheurs : “En 2019, les émissions par habitant de la Chine ont atteint 10,1 tonnes, soit presque le triple des deux dernières décennies.” Elles restent en dessous des émissions par habitant des États-Unis (17,6 tonnes par habitant) mais devraient dépasser en 2020 la moyenne de l’OCDE (10,5 tonnes).
Et en vertu de quoi faudrait-il penser que les nations africaines, le Pakistan, etc. ne pourraient rapidement connaître une évolution de ce genre dont nous leur avons fourni le modèle, et à laquelle le monde entier les convie ?
Du fait de quelle irresponsabilité faudrait-il la croire impossible à court ou moyen terme, alors que la démographie de ces pays constitue un marché que l’ensemble du capitalisme mondial s’empresse d’ores et déjà de cultiver, et que l’accélération des échanges ne peut que précipiter ?
Certes, l’une des solutions réside effectivement dans le « changement de nos modes de vie », comme nous l’avons vu plus haut. Le nôtre d’abord, et celui des prochains milliards d’individus à venir.
Mais il convient de ne pas se payer de mots : ce changement de modes de vie doit s’accompagner du maintien d’un faible taux de fécondité dans les pays développés, et d’une baisse significative dans les pays dont le taux est encore élevé.
Baisse significative qu’il ne suffit pas d’attendre passivement, sous le prétexte douteux d’un supposé « respect des droits », mais qui peut être, pour le bien de tous, encouragée et accélérée (cf. ci-dessous).
On entend encore dire de tous côtés que diminuer notre consommation « sera plus efficace et plus juste » que réduire notre fécondité.
Nouveau paralogisme.
Plus juste, sans aucun doute. Plus efficace, on aimerait le croire, mais cela contredit hélas rien de moins que la totalité de l’expérience de l’humanité depuis les débuts de son aventure.
Car si, en effet, la décroissance du taux de fécondité est une constante de l’Histoire, qui s’est manifestée de façon plus ou moins importante en fonction des époques, des lieux, des cultures, etc., la croissance ininterrompue de la consommation est, elle aussi, une réalité massive qui n’a jamais été prise en défaut si ce n’est lors de catastrophes, guerres, épidémies, etc. (je reviendrai sur ce point plus bas).
Faut-il donc continuer imperturbablement à prendre nos désirs pour des réalités ? Continuer à croire, par exemple, que les chinois, dont la consommation de viande est exponentielle, vont renverser la vapeur du jour au lendemain ? Ou même qu’ils en éprouvent le désir, seulement parce qu’en effet, la réduction souhaitable du régime carné est l’une des clés de la régulation alimentaire mondiale ? Ou bien que les nigérians vont renoncer spontanément au projet d’une consommation dont nous continuons à leur fournir l’exemple ? Ou que tout simplement nous-mêmes abandonnerions avec enthousiasme une « croissance » que tant de politiques, d’industriels, de capitalistes essaient de repeindre en vert à grands efforts d’un « green washing » qui ne devrait tromper personne, mais dont nous nous faisons complices, tellement nous avons de mal – y compris les plus jeunes – à concevoir notre avenir sans smartphones, véhicules « propres » ou autres supercheries pseudo-écologiques qui font tourner notre économie et assurent nos salaires, nos retraites et un pouvoir d’achat dont toute remise en cause suscite immanquablement des déchaînements sociaux ?
Tout cela relève effectivement d’une urgence vitale, mais la constance de l’échec de toutes les COPs et manifestations semblables montre bien qu’il y a très loin de la proclamation d’intention à la mise en œuvre.
Alors que l’Iran a connu, avant d’y renoncer pour de désastreuses raisons idéologiques, « l’une des transitions démographiques les plus rapides de l’histoire ». La fécondité y est passée de 6,4 enfants par femme en 1986 à 2 en 2003, soit une baisse de près de 70 % en l’espace de dix-sept ans, « un résultat que la France a mis cent cinquante ans à obtenir », démontrant clairement que, si des mesures adéquates sont mises en œuvre, incitatives et non coercitives comme en Iran, une régulation démographique résolue peut constituer un « levier » particulièrement rapide et efficace pour lutter contre de graves crises environnementales, en l’occurrence la surconsommation d’eau dans le cas de l’Iran.
Désolé, Mesdames et Messieurs les rabâcheurs d’idées reçues, mais c’est l’Histoire dans sa totalité qui démontre donc clairement que, si l’on s’en donne les moyens, agir sur le nombre des naissances est une mesure parfaitement réaliste, autrement rapide et efficace que l’incantation à une réduction de la consommation, hautement souhaitable certes, mais qui n’a jamais été observée nulle part et risque fort de demeurer un vœu pieux de bisounours. Sans doute pour le plus grand profit des capitalistes qui mènent le monde. Car peut-être faudrait-il s’interroger sur les raisons d’être cachées de certains discours…
C’est d’ailleurs ce genre d’action visant une régulation des naissances que veulent promouvoir des responsables politiques lucides du Sud eux-mêmes, loin de considérer, comme nous le répète un autre leitmotiv, la maîtrise démographique comme une exigence néocoloniale des pays développés en vue de préserver leur niveau de vie et d’occuper seuls le terrain de la croissance (et donc de la pollution).
La conférence de Ouagadougou (Burkina Faso) de juillet 2017 au cours de laquelle les présidents des Parlements des 15 pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) plus le Tchad et la Mauritanie ont élaboré une charte. Conscients qu’une trop forte démographie est un obstacle à leur développement économique, ils se sont engagés à œuvrer pour faire baisser leurs indices de fécondité respectifs à trois enfants par femme au plus d’ici à 2030.
On le sait, toutes les études s’accordent sur le sujet, l’éducation, et en particulier l’éducation des femmes constitue un facteur déterminant en ce qui concerne la baisse du taux de fécondité.
Mais là encore, contrairement à nombre de discours qui cherchent à faire croire, une fois encore pour des raisons obscurément idéologiques, que celle-ci se produirait de toute façon, la mise en œuvre résolue, comme ce fut le cas en Iran, de mesures appropriées constitue une nécessité si l’on veut aboutir à des résultats rapides.
Il faut des agents de santé qui aillent à domicile pour proposer une gamme de contraceptifs, il faut diffuser des messages audios à la communauté dans les différents dialectes, en utilisant par exemple les téléphones portables.
conseille la conférence de Ouagadougou, en accord avec nombre d’intellectuels africains, comme par exemple Kako Nubukpo qui y voient un des éléments essentiels de leur propre développement :
Le dynamisme démographique n’est pas mauvais en soi, mais il faut être lucide, la transformation des économies africaines nécessite qu’on passe d’une démographie subie à une démographie choisie. Dans le monde, les pays qui se sont développés sont ceux qui ont réduit drastiquement leur taux de croissance démographique. Quand, ces cinquante dernières années, l’Asie de l’Est est passée de 1,4 % de croissance démographique annuelle à 0,1 %, l’Afrique n’est passée dans le même temps que de 2,8 % à 2,7 %. Il faut donc accélérer cette transition démographique en Afrique sous peine de se retrouver face à une bombe à retardement.
Faire moins d’enfants « n’est pas une solution en soi, prévient Valérie Golaz. Si ne pas avoir d’enfant vous conduit à voyager ou à consommer davantage, l’effet peut être encore pire. »
Magnifique exemple de paralogisme, voire de sophisme, qu’on retrouve encore un peu partout (cf. par exemple. Emmanuel Pont, etc.). Car on ne comprend pas bien pourquoi, étant donné que l’argument qui consiste à faire peu ou pas d’enfants est généralement développé en vue de répondre aux questions posées par la surconsommation et la surpopulation par des personnes conscientes des problèmes liés à la survie de l’humanité, ces personnes seraient plus portées à voyager ou à consommer davantage que celles qui ne se posent pas ce genre de problème et ne voient pas la nécessité de réduire leur consommation ou leur envie de voyager.
Et qui donc seraient, elles, les plus à même d’avoir des enfants qui voyagent et consomment davantage. Ce qui constituerait encore moins « une solution en soi ».
Là encore, la solution en soi est, bien évidemment, à la fois de faire moins d’enfants et de voyager et consommer moins, de ne plus ouvrir de puits de pétrole (cf. Emmanuel Pont, émission en lien, environ 20mn50), etc.
« Même si le taux de fécondité mondial était ramené d’un coup à 1,5 enfant par femme comme en Europe – ce qui est totalement illusoire –, la population mondiale continuerait d’augmenter du fait de l’inertie démographique » (Gilles Pison).
Cet argument bien connu de l’inertie démographique est hélas trop souvent manié (encore une fois dans quel but ?) comme un déni de l’urgence. Est-ce qu’il faut vraiment réguler la natalité, faire moins d’enfants, puisque « naturellement » la courbe va baisser d’elle-même. « Est-ce qu’on ne s’inquiète pas pour rien ? » demande par exemple Benjamin Sportouch (émission en lien vers 32mn) même si la population mondiale va continuer à s’accroître jusqu’à l’orée du XXIIème siècle ?
Étonnamment, la même question de l’inertie donne lieu à deux réponses radicalement différentes selon qu’elle concerne le réchauffement climatique ou la démographie. Une fois de plus, il conviendrait de se demander pourquoi.
Comme les gaz à effet de serre continuent à jouer le rôle de couverture (ou de vitre de serre) tant qu’ils sont présents, leur très grande longévité a pour conséquence que, quoi que nous fassions aujourd’hui, le réchauffement issu des gaz que l’homme a mis dans l’atmosphère depuis 1750 se poursuivra pour encore quelques siècles.
Mais alors que le monde entier s’alarme à juste raison (du moins en paroles et en façade, nous l’avons vu) pour prendre des mesures urgentes pour lutter contre le réchauffement climatique, en toute connaissance pourtant du facteur inertie – car même si les jeux sont faits pour demain, il reste indispensable de penser à après-demain – celui-ci apparaît comme une fatalité inexorable dès qu’il s’agit de croissance démographique.
Or, n’est-il pas tout aussi urgent de freiner une évolution qui, même si elle connaîtra un palier puis une décroissance, obligerait tout de même notre pauvre Terre à supporter dix milliards d’habitants pendant plusieurs siècles à venir, ce qui, selon toute probabilité serait une catastrophe à la simple considération de l’étendue des nuisances qu’un accroissement de 6 ou 7 milliards a pu causer en seulement un siècle ?
Même si nous ne pouvons réduire totalement les effets de l’inertie, dans le domaine climatique comme démographique, l’urgence est de cesser immédiatement d’alimenter des processus qui mettent en péril nos enfants et petits-enfants plutôt que d’évoquer la fatalité.
L’inertie n’est-elle pas une raison de plus de ne pas nous résigner, mais au contraire d’agir le plus rapidement possible contre les fléaux qui nous menacent ?
Car si on « laisse filer » la natalité selon l’expression de Didier Barthès (env. 31mn38 dans l’émission en lien) comme c’est encore le cas dans de nombreux pays, on va se trouver dans des situations difficiles à gérer.
Il est intéressant de comparer la situation de l’Iran avec celle des Philippines.
« Le recensement de 1986 [en Iran] dénombra près de 50 millions d’Iraniens : la population avait doublé en deux décennies. Selon certaines estimations, le taux de croissance atteignait 4,2% à son pic – un record mondial, proche de la limite biologique pour les femmes fertiles » Alan Weisman, op.cit. p. 258.
En 1989, le taux de fécondité iranien atteignait 9 enfants par femme (id. ibid. p. 261).
Après la mort de Khomeini en 1989, eut lieu le lancement d’un programme résolu de planification familiale, suscité par l’inadéquation de cette croissance démographique excessive avec les ressources du pays, en particulier en eau :
« En l’an 2000 [soit 10 ans après], le taux de fécondité de l’Iran atteignit [grâce à des méthodes douces et incitatives, voir id. ibid. p. 261-266] le taux de renouvellement, avec 2,1 enfants par femme – un an plus tôt que la Chine avec sa politique autoritaire de l’enfant unique. En 2012, il était à 1,7 » (id. ibid. p. 263).
En 2006 le programme fut abandonné par Mahmoud Ahmadinedjad.
Une telle expérience n’a rien de comparable avec le statu-quo qui sévit hélas aux Philippines :
« Quand la république des Philippines accéda à l’indépendance en 1946, elle comptait déjà 18 millions de citoyens. Et aujourd’hui les Philippins sont près de 100 millions: alors que la population mondiale a quadruplé en un siècle, celle de ce pays a quintuplé en moitié moins de temps » nous dit Alan Weisman, id.ibid. p. 187.
La situation des Philippines n’a rien à voir avec une quelconque fatalité. En Afrique la conférence de Ouagadougou souligne l’urgence de la mise en œuvre de mesures comparables à celles qui ont été prises en Iran, et qui auraient pu être prises aux Philippines moyennant un changement de mentalité.
[Car] L’une des principales raisons de cette évolution démographique, c’est que les Philippines modernes –(…) est le pays le plus catholique d’Asie et, disent certains, le dernier bastion de l’empire théocratique du Vatican ».
Il ne suffit pas pour autant de jeter la pierre à telle ou telle religion, car, nous l’avons vu, d’autres idéologies plus ou moins occultes se montrent tout aussi pernicieuses – en particulier celle qui, d’un côté, dénonce verbalement et de façon irréaliste le consumérisme, tout en estimant inutiles les mesures démographiques susceptibles de réduire efficacement le nombre des consommateurs – mais seulement de souligner comment des décisions, ou des absences de décisions, d’où qu’elles viennent, peuvent impacter rapidement de façon importante l’avenir de certains pays, mais aussi de notre Terre.
Et combien il importe donc de lutter contre le déni et les manipulations diverses, conscientes ou inconscientes, qui nous amènent à considérer comme insurmontables des problèmes qui pourraient pourtant trouver une solution si la volonté était de la partie.
Souhaitons donc aux dirigeants, en particulier africains, de prendre en considération les enseignements de telles comparaisons, et de privilégier les solutions à l’iranienne plutôt que l’immobilisme philippin en vue d’accélérer une transition démographique qui leur est tellement indispensable.
Les modélisations de Meadows et la question démographique.
Il me semble encore nécessaire de mentionner un point qui n’est que rarement évoqué, et qui risque pourtant de rendre obsolètes les considérations précédentes.
Car si des changements radicaux ne font pas l’objet de décisions, au niveau écologique comme au niveau démographique, ils se produiront nécessairement de façon catastrophique.
J’avais abordé cette question dans un post il y a quelques années.
J’en reprends quelques conclusions :
(…) Si notre environnement (climatique, agricole, océanique, énergétique, ressources en matières premières, etc.) commence à faire défaut parce que nous avons atteint des limites physiques, alors la population baissera aussi, de façon probablement catastrophique. Peu de chances que nous atteignions jamais les 11 milliards d’humains annoncés, chiffre qui nous laisse croire de façon abusive que nous avons encore du temps avant que la situation devienne critique.
Tout simplement parce que la Terre et notre environnement ne seront, selon toute probabilité, pas en mesure de les supporter (…)
J.M. Jancovici met d’ailleurs lui-même en relation ces deux perspectives fondamentales de l’énergie et de la démographie :
« Mais, pour en revenir à nos émissions, si l’énergie fossile – donc l’énergie tout court pour l’essentiel – commence à faire défaut de manière croissante à partir de 2050, et que l’humanité se met à vivre en récession perpétuelle, au surplus dans un contexte de changement climatique de plus en plus intense, est-il encore logique d’imaginer que cette même humanité devienne sans cesse plus nombreuse, vive en paix, et n’ait comme seul objectif que de couper des arbres pour créer des surfaces agricoles ?
Il semble bien plus rationnel d’imaginer que, en pareil cas, un nombre croissant de « catastrophes » se chargera de mettre en cohérence une planète de plus en plus mitée et une humanité qui devra suivre le même chemin. Autrement dit, le « laisser-faire » ne garantit qu’une seule chose : bien avant 2100, les émissions se mettront à baisser, et ce sera parce que l’humanité commencera à se contracter sous la double pression du défaut de combustibles fossiles, et d’une modification globale de l’environnement qui ne pourra plus être compensée avec les moyens à la disposition des hommes ».
Du fait « d’un cloisonnement fort compréhensible des domaines de recherche, les prévisions démographiques ne prennent pas en compte les modifications environnementales induites par l’écologie d’un système environnemental fini ».
Or, des modélisations, qui n’ont pour le moment jamais été prises en défaut, celles du rapport Meadows de 1972 et ses différentes mises à jour nous montrent, tout comme J.M. Jancovici qui s’en inspire, qu’on ne peut pas traiter la question démographique indépendamment de l’environnement global dans lequel s’inscrit l’aventure humaine.
Rappelons donc encore les propos de P. Servigne et R. Stevens (op.cit. p. 202-203), qui commentent pour nous ce rapport.
Combien sera-t-on à la fin du siècle ? (Démographie de l’effondrement)
On ne saurait discuter d’effondrement sans aborder la question démographique. Le problème, c’est qu’il n’est pas possible de discuter sereinement de démographie. C’est un sujet absolument tabou et rares sont ceux qui osent aborder la question publiquement sans craindre de voir immédiatement arriver un point Godwin (un moment à partir duquel toute discussion devient impossible parce que l’une des personnes traite l’autre de nazi). En démographie, ce seuil est d’une autre nature, mais il est toujours le même : « Vous voulez faire comme en Chine, c’est ça ? »
Dans un débat sur l’avenir du monde, on peut aborder tous les sujets et discuter tous les chiffres de l’énergie, du climat, de l’agriculture, de l’économie, mais jamais on ne remet en cause les chiffres officiels de l’ONU sur la population : 9 milliards en 2050, et entre 10 et 12 milliards en 2100. Tentez l’expérience : lancez, par exemple, un débat sur l’avenir de l’agriculture avec n’importe quelle personne, et toute argumentation commencera par ce chiffre massue, 9 milliards en 2050.
Or – faut-il le rappeler ? – ce chiffre est une prévision mathématique issue d’un modèle théorique. Ce dernier est d’ailleurs sérieusement déconnecté des réalités du système-Terre, car il est uniquement basé sur des projections des taux de natalité, des taux de mortalité et des taux d’immigration des populations actuelles, sans tenir compte de facteurs comme les ressources, l’énergie, l’environnement, ou la pollution. C’est donc un modèle « hors-sol », qui se résume ainsi : notre population devrait arriver à 9 milliards en 2050 toutes choses étant égales par ailleurs. Le problème est que toutes les choses ne restent pas égales, comme nous l’avons détaillé dans la première partie de ce livre. Il est donc possible que nous soyons moins que prévu en 2050 ou en 2100. Mais alors, combien serons-nous ?
Pour l’équipe Meadows (…), qui a développé au MIT un modèle bien plus ancré au système-Terre, l’instabilité de notre civilisation industrielle mène à un déclin « irréversible et incontrôlé » de la population humaine à partir de 2030.
Pour affronter avec lucidité de la seule façon possible la situation qui est la nôtre, et mettre en œuvre d’urgence les changements indispensables, il convient de laisser une fois de plus le dernier mot à Antonio Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ».
Je transfère sur ce nouveau post une discussion commencée dans les « commentaires » aux posts précédents, mais qui ne concernait pas les sujets qui y étaient traités.
Il me semble intéressant de lui donner une place spécifique.
Elle fait suite à des réflexions et débats avec Claustaire développés suite à l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020.
Précision à l’attention de ceux qui souhaiteraient m’assassiner : la reproduction des dessins ci-dessous n’a aucunement pour but d’accuser ou d’humilier l’islam, mais tout au contraire de défendre l’islam authentique en levant des équivoques et des malentendus qui ne peuvent que nuire à sa compréhension véritable.
Prière donc de lire ces discussions dans leur intégralité. Merci.
desideriusminimus
*
Claustaire, le 17/10/2022.
Bonjour, Le lien que je vous propose n’est pas en rapport (direct) avec le sujet de votre post, mais j’ai repensé à vous, en revoyant certains articles et travaux sur ce qui, il y a deux ans, a entraîné la décapitation d’un enseignant par un islamiste, persuadé d’agir au nom du Bien, avec l’assentiment de toute « sa » communauté « offensée ».
Quand vous disposerez d’une demi-heure d’attention à accorder à cet entretien, vous verrez bien ce que vous en pensez, et de la manière dont il peut éclairer les « erreurs » imputées à cet enseignant.
Le lien que je vous propose n’est pas en rapport direct avec votre post, mais j’ai pensé à vous en revoyant certains articles et travaux consacrés à la décapitation d’un enseignant par un islamiste convaincu d’agir au nom du Bien et avec l’assentiment de sa communauté « offensée ».
Cet entretien date d’il y a un an, mais je vous laisse juger de la pertinence de son actualité. Avec mes respects. C.S.
*
Réponse de desideriusminimus 20/10/2022.
Bonjour Claustaire.
Content de vous revoir sur ce blog. Toutes mes excuses pour le retard à vous répondre, dû à divers empêchements.
Mais je constate que votre intervention a encore une fois apparemment pour but de me donner quelques leçons et me reprocher une position qui n’est pas la mienne en dépit de multiples mises au point de ma part.
Alors je vais vous faire un petit dessin (ou plusieurs) pour m’expliquer.
*
Sans commentaire.
Dessin de Gregorius Nekschot, dessinateur néerlandais accusé de discrimination à l’égard des musulmans (on peut comprendre un peu pourquoi…) qui eut pourtant droit à une flatteuse double page dans Charlie. Légende : « L’imam de Noël vous souhaite de bonnes fêtes et une bonne année 2005 (1426 de l’Hégire) ».
Sans commentaire.
Dessin de Gregorius Nekschot. Légende : « Une vérité qui dérange. Aïcha… Petite coquine ! » (Aïcha était la jeune épouse de Mahomet). À noter que cette caricature a fait l’objet aux Pays Bas d’un signalement pour discrimination.
Normalement, cette caricature devrait tomber sous le coup de la loi, puisque la personne incriminée est nommée. Il ne s’agit donc en rien de quelque « blasphème » qui n’est pas condamné en France.
Imaginons quelles auraient été les suites judiciaires si une caricature de la même veine avait concerné par exemple l’homosexualité d’un Pierre Bergé, etc. et non l’inoffensif Mgr Vingt-Trois, qui a choisi de ne pas porter plainte.
Dessin de Gregorius Nekschot. Légende: « Mohammed et Anne Frank ont un message pour le monde: Faites l’amour et pas la guerre«
Etc. etc. etc.
*
Je connais par ailleurs la vidéo que vous me proposez.
Même s’ils mériteraient d’être plus amplement discutés, je ne trouve rien à redire sur les thèmes qu’elle développe.
À part que la question essentielle, comme d’habitude, n’est pas posée.
J’ai toujours condamné sur ce blog l’islamisme radical et bien sûr ses crimes abjects, dont celui de Samuel Paty.
Mais j’estime qu’il est capital de sortir d’une supercherie qui grève une bonne partie de la réflexion sur la liberté d’expression.
Si effectivement, et Stultitia depuis sa naissance en a largement profité, « on doit tolérer l’inconvenance grossière et provocatrice, l’irrévérence sarcastique sur le bon goût desquelles l’appréciation de chacun reste libre, qui ne peuvent être perçues sans tenir compte de leur vocation ouvertement satirique et humoristique, qui permet des exagérations, des déformations et des présentations ironiques » nous dit un arrêt rendu en 1991 par la cour d’appel de Paris, l’humour et la caricature ne peuvent servir de prétexte à poursuivre ce que le droit nomme des « buts illégitimes ».
Ainsi, en 2007, la cour condamne les propos de Dieudonné – « Les juifs, c’est une secte, une escroquerie. C’est une des plus graves parce que c’est la première » – parce qu’ils ne relèvent pas « de la libre critique du fait religieux, participant d’un débat d’intérêt général, mais constituent une injure visant un groupe de personnes en raison de son origine, dont la répression est une restriction nécessaire à la liberté d’expression dans une société démocratique ».
Je vous laisse libre d’estimer que les dessins ci-dessus exposés relèvent « de la libre critique du fait religieux, participant d’un débat d’intérêt général », auquel cas, en effet, notre échange risque de tourner court une fois de plus.
Pour ma part, ayant longtemps travaillé sur la question de l’antisémitisme, je n’ai pas rencontré, à l’examen des délires des Drumont, Céline et autres personnages du même acabit ainsi qu’à celui des caricatures et affiches antisémites de la première moitié du XXème siècle en Allemagne et en France, des propos et des images d’une telle ignominie.
Ce genre de caricatures aurait pu pourtant se prévaloir « de leur vocation ouvertement satirique et humoristique », celle-là même qui semble protéger en France les productions exhibées ci-dessus, puisqu’il suffit de s’autoproclamer « journal satirique et humoristique » pour propager des représentations dont l’Histoire a largement démontré la dangerosité.
(Je vous rappelle toutefois que Nekschot si complaisamment accueilli par Charlie a fait l’objet d’une condamnation de la part du Parquet d’Amsterdam, qui a retiré de son site huit caricatures qui « dépassent les limites de la liberté d’expression. Elles sont répréhensibles (…) discriminatoires et (…) incitaient à la haine ou à la violence »).
Chez nous, par suite d’un effet que j’ai plusieurs fois documenté, auquel se surajoute la sanctuarisation dénoncée plus loin, de telles inepties flattant dangereusement le pire populisme dans sa version raciste, et dont l’apport dans un « débat d’intérêt général » concernant l’islamisme est d’une affligeante nullité, n’ont pas été sanctionnées.
Alors qu’un Zemmour lui-même, pourtant plusieurs fois condamné à juste raison pour discrimination et provocation à la haine ne s’est jamais abaissé à de telles extrémités.
Car voilà bien le fond du problème : si la liberté d’expression, à juste raison, « doit tolérer l’inconvenance grossière et provocatrice », la supercherie consiste à vouloir faire croire que la dite liberté d’expression s’y limiterait.
Or, du fait de l’attentat odieux dont a été victime Charlie Hebdo, celui-ci est devenu en France, au grand étonnement de l’étranger, le parangon, le symbole même de la liberté d’expression, la vache sacrée inattaquable, dont les moindres productions, projetées sur grand écran sur nos places publiques, ne peuvent être remises en cause sous peine d’une infâmante accusation de blasphème.
Voilà pourquoi, outre une classique complaisance française à l’islamophobie qui n’est plus à démontrer et qui est pour beaucoup dans la montée tout-à-fait prévisible de l’extrême droite, des productions parfaitement injurieuses ne sont pas sanctionnées, alors même que la loi énonce que leur « répression est une restriction nécessaire à la liberté d’expression dans une société démocratique » (Ass. plén. 16 février 2007, pourvoi n° 06-81.785, Bull. Crim. 2007, n° 1, cassation).
Amusant : lors de la parution dans Le Monde de l’article de Charlie Hebdo intitulé « Rien n’est sacré », en soutien à Salman Rushdie, j’avais écrit ce petit commentaire :
«Rien n’est sacré». Mais Charlie lui-même ne serait-il pas devenu abusivement une « vache sacrée » ? Fort légitimement, nos lois recréent un espace qui pourrait être considéré comme un sacré laïque. Sanctionner le délit d’antisémitisme, l’injure ou la diffamation raciste, homophobe, islamophobe, etc. fait partie de l’établissement de ces limites sans lesquelles une société ne peut subsister sans violence. Dès lors, que penser, entre autres exemples, de l’apologie faite par Charlie du caricaturiste G. Nekschot qui représente entre autres prouesses des imams en train d’enc… des chèvres ou des petites filles? Diffamation qui devrait fort heureusement tomber sous le coup de la loi. D’autres ont été sanctionnés pour moins que cela. La condamnation des agressions islamistes est unanime. Mais avant de donner des leçons il faudrait donc balayer devant sa porte et ne pas penser qu’un statut de « vache sacrée » établi par les circonstances que l’on sait constitue un laisser passer qui justifie l’injustifiable.
Bien entendu, comme prévu, ce petit texte considéré comme blasphématoire vis-à-vis de cette Institution Sacrée que constitue Charlie Hebdo, n’a pas eu l’heur d’être publié.
J’ai écrit jadis que Samuel Paty « a été doublement victime : de son ignoble assassin, bien sûr, et aussi d’une équivoque qu’il n’a pas été en mesure de surmonter ».
Cette équivoque, qui consiste à assimiler la liberté d’expression aux tolérances qu’elle autorise et qui se révèlent dans certains cas, comme dans celui de Charlie, dangereusement ambigües, constitue une source hélas complaisamment entretenue, délibérément mais aussi souvent de bonne foi, de malentendus qui ont causé et causeront sans doute encore des victimes.
Elle est pain béni pour des assassins extrémistes qui n’attendent que ses manifestations pour hurler à l’offense, se présenter en victimes d’une « laïcité » injurieuse, et pour mobiliser les tièdes et les hésitants, et tant de jeunes vulnérables du fait de leur marginalisation par la société.
Il y a fort à parier que nombreux sont ceux qui en attendent la prochaine expression pour profiter de l’aubaine.
Pourtant, en France ou ailleurs, manquerait-on donc d’exemples de liberté d’expression et de vraie laïcité pour sacraliser abusivement ce qui n’en est souvent qu’une … caricature ?
Mais sans doute cet appel au simple bon sens relève-t-il de l’infâme islamo-gauchisme.
Je ne me fais pas spécialement d’illusions…
Cordialement.
*
Réponse de Claustaire. 21/10/2022.
Bonjour,
Je vous ai effectivement mis un lien destiné à vous “donner une leçon” (ou, plus simplement, vous proposer à réfléchir, ce en quoi, enseignants, nous sommes censément experts).
La position que je vous reproche, depuis deux ans, est simplement celle de qui s’autorise à faire le procès d’un mort. En l’occurrence, un collègue assassiné pour avoir, dans le cadre de sa mission, proposé une caricature choquante afin de la mettre en question.
J’ai, plus d’une fois, rappelé que la caricature présentée à ses élèves par Samuel PATY (caricature sortie d’un corpus pédagogique proposé par l’E.N. pour l’enseignement en question) l’avait été dans le cadre d’un cours sur le dilemme posé par la notion de “liberté d’expression” : jusqu’où peut-on choquer (ou non) par une caricature ou une prise de position, quelles en sont les limites (fixées par la loi locale des citoyens concernés, la ‘décence commune’ ou n’importe quelle communauté de par le vaste monde, informée de l’existence d’une telle publication éventuellement faite aux antipodes), et quelles réponses possiblement meurtrières on pouvait trouver légitime (ou non) d’opposer à de telles publications.
Caricature, donc, mise au sens propre “à la question” au sein d’un cursus d’études, et non publiée dans le cadre d’une propagande raciste (comme notre société a pu en voir, hélas, proliférer ces dernières décennies).
Je vous ai mis un lien vers un entretien où Di Nota tentait d’expliquer qu’à partir du moment où on acceptait, au cours des leçons que l’on était amené à faire dans le cadre des programmes, de tenir compte du risque de “choquer”, “froisser” des élèves (ou leurs parents ou leur communauté idéologique ou religieuse) pour leurs croyances, convictions ou traditions, on n’en finirait plus de risquer de mal faire, de choquer, de froisser, de déplaire ou de devoir se censurer. Et que là où aujourd’hui telles caricatures devaient être mises à l’index, demain tels auteurs ou thèses scientifiques classiques le seraient.
Puisque vous avez pris le risque ’fatwal’ de publier des caricatures de M* pour prouver qu’une caricature peut être raciste, odieuse ou condamnable (et condamnée, en vertu de nos propres lois), ce qui n’est plus à prouver à personne, je vais prendre le risque de publier in extenso une page d’un journal sans en avoir demandé l’autorisation : il s’agit du discours que la soeur de S. PATY a proposé à la Sorbonne lors de la commémoration du deuxième anniversaire de la mort de son frère :
______________
“Je remercie bien évidemment M. Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale, de nous faire l’honneur de sa présence. Je remercie les élèves et les professeurs qui ont participé au 1er concours du prix Samuel-Paty, dont le thème était : « Sommes-nous toujours libres de nous exprimer ? ». Je remercie tous les membres du prix et je remercie l’Association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG) pour être à l’origine de ce prix et de l’avoir soutenu depuis plus d’un an. Je remercie l’association Dessinez Créez Liberté de nous avoir offert des dessins. Et je voudrais également remercier l’artiste Kaotik 747, en duo avec Gino, et toute son équipe, pour mettre en ligne demain, le 16 octobre 2022, une chanson qui rend hommage à mon frère et à tous les enseignants. Parce qu’il y a des causes et des valeurs qui sont non partisanes et qui se doivent d’être universalistes pour dire « c’est la dernière fois ». En marge de la cérémonie organisée avec les classes lauréates, je remercie l’APHG de me permettre aujourd’hui d’expliquer pourquoi ce prix à un nom… Samuel-Paty.
Après avoir vu le « devoir de faire front » avec le peuple dans la rue, après avoir vu le « devoir de mémoire » avec ces innombrables lieux, plaques et salles qui portent désormais son nom. Et aujourd’hui, la concrétisation du prix Samuel-Paty, portée par une poignée de professeurs qui poursuivent l’œuvre de mon frère : enseigner, c’est expliquer, et non se taire. En attendant le « devoir de vérité », je viens ici reprendre son cours pour assurer un dernier devoir, celui de lui rendre son honneur.
Pour cela, il me semble nécessaire de reprendre les objectifs du programme d’enseignement moral et civique de quatrième. Ces valeurs sont notamment la dignité, la liberté, l’égalité, la solidarité ou encore la laïcité. La méthode des dilemmes moraux a pour objectif de faire croître l’autonomie morale et de développer les capacités de raisonnement des élèves pour forger des esprits critiques. Un esprit critique n’accepte aucune assertion sans s’interroger sur sa valeur.
Elle vise aussi le respect du pluralisme des opinions, dans le cadre d’une société démocratique, tout en rappelant que la loi civile en est la garante. Je dédie ce discours à toutes les personnes mortes, blessées, torturées ou incarcérées dans le monde, pour avoir osé s’exprimer, et je le fais pour faire comprendre qu’on ne met pas un « oui, mais » après le mot « décapitation », en France, on met un point.
« Étude de situation : la liberté de la presse » et « Situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie » sont les deux cours que mon frère a présentés à ses classes de quatrième à la suite de l’attentat contre Charlie Hebdo. Son premier cours, intitulé « Étude de situation : la liberté de la presse », est là pour rappeler que toutes les libertés sont des conquêtes humaines et qu’il n’en a pas toujours été ainsi, précisant que les journaux et les livres étaient soumis à la censure.
La libre communication des pensées et des opinions est définie comme un des droits les plus précieux de l’homme (art. 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Samuel précise également que cette liberté reste limitée par la loi de 1881, qui impose de ne pas publier de fausses nouvelles, qui pourraient troubler la paix publique. Celle-ci interdit également la diffamation des personnes.
L’attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, est mis en exergue pour expliquer que la liberté de la presse peut être menacée. La vague de manifestations en soutien aux journalistes, cette solidarité inconditionnelle au lendemain de cet attentat n’avait pour but que de montrer qu’aucune intimidation ne nous ferait abandonner la liberté d’expression. Rien n’est acquis définitivement, et il ne faut pas oublier que si une de nos libertés est menacée, il faut en assurer la défense pour la préserver.
Il expliquera également que dans les pays où la liberté d’expression n’existe pas, des personnes sont condamnées à la prison ou à mort à cause de leurs idées, par exemple les journalistes de Reporters sans frontières sont là pour dénoncer ce qui est tu. Mon frère finira ce cours en annonçant que lors de la prochaine heure, il reviendra sur l’attentat contre Charlie Hebdo en montrant les caricatures qui ont fait polémique.
Son deuxième cours, intitulé « Situation de dilemme : être ou ne pas être Charlie » : trois caricatures représentant le prophète Mahomet sont montrées quelques secondes, ces caricatures étant issues du réseau Canopé de l’Éducation nationale. Dans ce cadre-là, il interroge sa classe ainsi : faut-il ne pas publier ces caricatures pour éviter la violence ou faut-il publier ces caricatures pour faire vivre la liberté ? Une liberté peut entrer en conflit avec d’autres droits ou le respect dû aux autres personnes.
En résumé, Samuel n’a pas fait l’éloge de la caricature, mais il a défendu la liberté d’en dessiner une. Les caricatures peuvent choquer, mais ne sont pas faites pour tuer. Il n’y a aucun cas recensé de décès pour avoir eu sous les yeux une caricature. Les caricatures sont là pour montrer qu’on peut ne pas être d’accord avec telle personne, telle opinion politique ou religieuse. Cette liberté est encadrée par la loi. C’est ainsi que Samuel donnera à sa classe la possibilité de comprendre que la laïcité permet, comme le dira d’ailleurs une de ses élèves, de croire et de ne pas croire, et, dans les deux cas, « sans pression ». Cette formule est d’ailleurs celle de M. Patrick Weil, et elle l’a retenue. En droit français, il n’existe aucune infraction sanctionnant les atteintes aux divinités, dogmes, croyances ou symboles religieux, autrement dit le blasphème. Il faut donc faire la différence entre les atteintes aux croyances et les atteintes aux croyants.
Personne n’est obligé d’aimer Charlie Hebdo, et encore moins de l’acheter et de le lire. On a le droit de ne pas aimer les caricatures et de le dire. La paix civile, dans une société démocratique, est garantie par cette tolérance que d’autres ne pensent pas comme nous. Dans un État de droit, personne n’a le droit de menacer ou de tuer, on s’adresse à la justice pour régler ses différends. Samuel apprenait à ses élèves à se confronter à ce qui peut déplaire, tout en leur laissant exprimer leur désaccord. Il a opposé le langage à la violence.
Alors, oui, Samuel a déconstruit les arguments des islamistes en montrant leur vacuité dans notre République laïque. Il a accompli son devoir et il a tenu ce poste pendant vingt-trois ans, jusqu’en 2020, pour la dernière fois.
J’aimerais également revenir sur un point important, qui ne semble pas avoir été compris il y a deux ans, et encore aujourd’hui, par beaucoup.
Lors de la projection, pendant quelques secondes, des caricatures, Samuel propose, et non impose, aux élèves qui auraient peur d’être choqués de ne pas regarder ou de sortir quand une auxiliaire de vie scolaire (AVS) est présente, et non pas seulement aux enfants musulmans. C’est un acte de prévenance envers un public encore jeune. Des enfants de 13, 14 ans, par leur sensibilité, ne veulent peut-être pas voir des dessins appelant à créer de l’émotion. Il leur a ainsi laissé le choix – choix possible dans une société laïque uniquement. Choix qui ne semble pas avoir été assumé par la suite par deux élèves.
La laïcité est le respect de toutes les religions. Je mettrai en parallèle la laïcité de Jules Ferry, qui consiste à ne pas froisser et donc à ne pas forcer des enfants à regarder des caricatures, et le principe de neutralité, qui, lui, tend à appliquer à tous le même traitement. Je répondrai que dans cette situation de dilemme, le fait de PROPOSER à TOUS de ne pas voir une caricature respecte donc autant la laïcité que la neutralité.
Par des amalgames, c’est-à-dire la confusion volontaire de deux choses distinctes, on finit par transformer un acte laïque et neutre en une discrimination. En donnant au faux l’apparence du vrai, on finit par faire passer un comportement laïque pour un comportement raciste. Il me reste un dernier point à soulever, il a été écrit que dans un souci de ne pas froisser, il avait tout de même froissé. C’est ainsi qu’on a pu qualifier son geste de « maladresse ». Je vous expose donc une situation de dilemme : imposer de voir les caricatures reconnues comme blasphématoires et proposer de ne pas voir les caricatures perçues comme une discrimination.
L’absurdité de cette situation touche au comique, puisque les deux propositions, VOIR et NE PAS VOIR, semblent froisser. Cela tend surtout à faire passer une réaction d’une minorité pour celle de la communauté musulmane tout entière. Alors que, dans les faits, pour la majorité des musulmans, la France est une république laïque qui ne reconnaît pas le blasphème et que dans un État non religieux, on ne peut reconnaître qu’il y ait une loi divine supérieure à celle des hommes. Enfin, appliquer les règles de la laïcité à certains et non à d’autres, comme certains le voudraient, c’est octroyer des droits spécifiques à des individus pour motif religieux. Cela relève de la discrimination institutionnelle au plus haut niveau de l’État, contraire à la Constitution, à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme.
Comme cela n’est pas possible, le fait de se positionner en victime, alors même que le choix est préservé de voir ou de ne pas voir, a pour projet de nous faire renoncer aux caricatures, à notre liberté d’expression et à cette laïcité qui ne trouverait plus de sens dans une société multiculturaliste. Faut-il rappeler que la laïcité, comme le dit si bien mon ami M. Henri Peña-Ruiz, « n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait ». Se servir des plaintes victimaires, d’un antiracisme dévoyé et, au besoin, de la PEUR comme leviers n’a pour objectif que de rendre nécessaire et acceptable la renonciation à notre école laïque. À cela, je viendrai opposer deux choses : le nombre face au bruit.
Je poserai une question simple : combien d’enfants se sont sentis offensés ? La réponse se trouve dans le rapport de l’Éducation nationale : deux, admettons trois, si on compte également la jeune fille absente. Donc trois élèves sur les 60 qui composent les deux classes de quatrième de mon frère et qui ont bien évidemment eu le même cours. Est-ce que cela n’est pas problématique de dire qu’il a froissé LES élèves ?
Cette attitude a engendré deux conséquences. Premièrement, de faire passer une réaction minoritaire comme majoritaire, rendant mon frère coupable aux yeux de tous de discrimination. Deuxièmement, reconnaître qu’il ait pu commettre une erreur en lui demandant de s’excuser a donné toute légitimité à ce qui était clairement visible, validant ainsi une campagne islamiste menée par des parents faussement indignés. Cette campagne, sous couvert d’islamophobie, ce voile d’impunité qui rend possible la propagande de la haine, ce djihadisme d’atmosphère seront responsables de la mort de Samuel. Dans le djihadisme d’atmosphère, il n’y a aucune dilution de responsabilité, chacun a la sienne, et de le reconnaître c’est bien cela qui servirait à la manifestation de la vérité.
Alors, je vous le demande, entre celui qui fait preuve de prévenance de proposer de ne pas voir les caricatures et celui qui conforte les plaintes bruyantes de parents froissés, Qui donne des arguments aux islamistes ? J’invite également les adeptes du « Oui, MAIS… » et les inverseurs de culpabilité à prendre lecture de la note du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation du 27 août dernier. Celle-ci « évoque une offensive anti-laïcité menée sur les réseaux sociaux visant à déstabiliser l’institution scolaire et soulève que du personnel des établissements participe implicitement à la propagande salafo-frériste à l’école ». Il va être de plus en plus difficile de contorsionner les faits et de manipuler les opinions à dessein sans afficher clairement un militantisme à l’idéologie islamiste.
Alors, NON, Samuel n’est pas responsable de sa propre mort. « On ne prostitue pas impunément les mots », disait Camus. Il faut pourtant voir ces vérités en face, sinon toutes les mesures correctives resteront vaines. Et il y aura un « ce n’était pas la dernière fois ». Tant que rien ne change, c’est que rien n’est fait. Pour conclure, je vais vous lire un texte qu’une ancienne élève a écrit après sa mort. « Merci pour le travail que vous avez fait, vous m’avez enseigné l’histoire-géographie comme personne ne l’avait fait avant. Merci d’avoir été mon professeur pendant deux ans. Merci d’avoir été d’une certaine manière dans ma vie (on se voyait du lundi au vendredi, quand même). Merci pour ses blagues à la fin des cours, certes qui n’étaient pas vraiment drôles, mais, du moins, il essayait de faire en sorte que si on allait mal, ça pouvait nous remonter le moral. Merci, Monsieur, merci pour tout. »
Sommes-nous toujours libres de nous exprimer ? Je crois qu’en 2022 on n’aurait pas dû avoir à soulever ce débat.
Alors, vous, élèves et professeurs, montrez-nous, démontrez-nous qu’on peut encore répondre à cette question par un OUI. Pour… pour « la dernière fois ».
Merci.”
______________________
Et merci à vous d’avoir lu jusqu’au bout le témoignage et la réflexion de cette soeur d’un collègue décapité pour avoir, simplement, proposé à ses élèves un document pédagogique dans l’exercice de sa mission.
A propos du « rien n’est sacré » de Rushdie, voici le commentaire que pour ma part j’avais publié sur le site du Monde.fr
Claustaire 15/08/2022 – 19H00 Le “sacré” où l’on veut se protéger, se ressourcer individuellement, ou alors s’unir ou se fondre collectivement mérite le respect.
Mais comment, dans un même pays, faire communauté si le sacré des uns peut entraîner la condamnation à mort d’autrui pour sacrilège ?
L’Histoire ne nous a-t-elle pas encore appris que c’est toujours l’imposition du Sacré des uns au Sacré des autres qui a entraîné guerres civiles et ruines publiques ?
Or, quiconque prétendrait m’imposer son sacré ne me donne-t-il pas le légitime et sacrilège droit de résistance à ses prétentions ? Quiconque argue de son sacré dans une société qui ne partage pas sa croyance n’est-il pas un dangereux fauteur de guerre civile ?
Et merci pour votre réponse qui manifeste votre sincérité et votre bonne foi.
Mais croyez-en la mienne si je vous dis, une fois de plus, qu’il n’est pas vrai que je fasse « le procès d’un mort ». Je crois que vous n’arrivez pas à saisir ce que je veux dire, et j’ose dire que je le comprends, car c’est peut-être en effet difficile.
Je n’ai aucun mal à approuver votre billet du Monde, que vous reproduisez dans votre dernier commentaire ci-dessus du 21/10. Mais en dépit de sa pertinence, il témoigne encore de cette incompréhension, car il ne concerne en rien ce dont je parle.
J’avais bien entendu lu aussi la lettre de la sœur de Samuel Paty que vous me présentez. Et, en dépit de tout le respect et l’empathie qu’elle m’inspire il me semble qu’elle témoigne elle aussi de cette « équivoque » dont je parle, et dont elle est victime, au même titre que Samuel Paty l’a été et que vous-même l’êtes.
Je parle de « victimes ». Car je le répète, je ne fais surtout pas le procès d’un mort et je ne vous « accuse » aucunement. Je dis et je répète que, dans cette affaire, bien des personnes sont des « victimes », et en particulier nombre d’enseignants de bonne foi.
Il me faut revenir sur ce que j’appelle « supercherie », car c’est de cela qu’ils sont – que nous sommes – victimes.
* Une nouvelle qui ne manque pas de me réjouir : http://www.lemonde.fr/famille-vie-privee/article/2015/12/18/christine-boutin-condamnee-a-5-000-euros-d-amende-pour-avoir-qualifie-l-homosexualite-d-abomination_4834809_1654468.html car elle montre que la justice fait tout de même son travail. Mais Stultitia, qui n’en rate pas une, comme on sait, me fait toutefois remarquer quelque chose d’étrange : « Christine Boutin affirmait : « L’homosexualité est une abomination. Mais pas la personne. Le péché n’est jamais acceptable, mais le pécheur est toujours pardonné ». « Ce que l’on entend dans vos propos, c’est que les homosexuels sont une abomination », avait résumé le procureur, indiquant que le parquet avait reçu 500 plaintes de particuliers outrés après sa déclaration ». Or, cette « dérive sémantique » qui étend à la communauté homosexuelle dans son ensemble le qualificatif « d’abomination » conféré par Mme Boutin à l’homosexualité en tant que telle, et qui justifie sa condamnation selon le procureur, est celle-là même qui avait été refusée par le procureur Béatrice Angeli lors du jugement de « l’affaire Houellebecq », justifiant alors le non-lieu : « Considérer que, par une dérive sémantique, parler de l’islam, c’est parler de la communauté musulmane est un pas que nous ne pouvons pas franchir », avait-elle déclaré, lorsque l’écrivain était poursuivi pour « complicité de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de son appartenance à une religion » et « injure » par des associations musulmanes et la Ligue des droits de l’homme. Ceci pour avoir exprimé, lors d’un entretien accordé en septembre 2001 au magazine Lire, son « mépris » à l’égard de l’islam ( Le Monde des 2 et 3 septembre 2001) « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. Quand on lit le Coran, on est effondré, effondré », déclarait-il notamment. Les parties civiles représentant les associations musulmanes avaient alors affirmé que, pour elles, ce sont bien les musulmans qui étaient visés par l’écrivain et pas seulement leur religion. Deux poids, deux mesures, donc. *
Nous sommes là au cœur du problème : comment se fait-il qu’une telle incohérence flagrante n’ait été relevée par personne, hormis quelques mauvais penseurs comme votre serviteur ?
Il faudrait parler ici d’habitus, d’un conditionnement dont nous sommes encore les victimes qui fait que, si les juifs, les noirs, les homosexuels, les femmes, ont obtenu de haute lutte, même si elle n’est hélas que partielle, la reconnaissance de leurs droits et le respect de leur dignité, qu’on le veuille ou non, c’est un constat qui résulte de toutes les études sociologiques sur la discrimination (à l’embauche, au logement, etc.) et dont peut attester tout enseignant tant soit peu à l’écoute de ses élèves d’origine maghrébine et/ou musulmans, le bougnoule chez nous demeure le bougnoule, et encore plus si le bougnoule est musulman (voir à ce sujet le texte d’Alain Ruscio cité en lien dans ma réponse précédente).
C’est la raison pour laquelle, comme au XIXème les grasses plaisanteries sur les petites bonnes bretonnes, par essence stupides bécassines, suscitaient la rigolade du bourgeois, au XXIème encore, on suscite la rigolade en représentant des imams (précisons : il ne s’agit aucunement d’imams intégristes, mais des imams « en soi ») en train d’enculer des chèvres, ou des musulmanes en train de prier, le cul dénudé, tournées vers la « mère mecquerelle ».
C’est la raison pour laquelle, en dépit du caractère profondément inepte, honteux et discriminatoire de telles représentations, elles ne sont pas sanctionnées, pas plus que les imbécillités ignares de M. Houellebecq (pensez-vous qu’il ait jamais lu un seul mot d’Averroès ou de Jacques Berque ?). Alors même que les remarques de Mme Boutin – mot pour mot comparables – le sont, simplement parce que l’homosexualité a acquis – fort légitimement – des lettres de noblesse que l’islam des bougnoules ne peut revendiquer devant les tribunaux ou la société.
La supercherie dont nous sommes victimes à des degrés divers, c’est que des séquelles évidentes d’une pensée raciste, européocentrée, etc. (cf. encore là-dessus Alain Ruscio et d’autres), se prennent pour la manifestation même de la liberté d’expression, tant l’habitus est profondément ancré, y compris dans une certaine intelligentsia.
« Il faut s’accrocher et il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobes ». Ben voyons ! Et pourquoi pas d’antisémites ou d’homophobes ? On le sait, certains ne s’en privent pas pour autant, car l’habitus est encore bien ancré et ne demande qu’à se désinhiber en dépit des combats qui l’ont partiellement refoulé. Mais pour le moment, le youpin et le pédé sont plus difficiles à évoquer. Alors que le bougnoule, lui, demeure une valeur sûre et continue à faire rigoler quand on le voit le cul à l’air ou en train d’enculer des chèvres. Ce qui est, bien évidemment, le summum de la liberté d’expression.
Le « corpus pédagogique proposé par l’E.N. pour l’enseignement en question (la liberté d’expression, donc) » devrait obligatoirement commencer par une explication et une mise en perspective critique, historique, sociologique et culturelle, du genre de celle que je viens de proposer ci-dessus.
Et donc, plutôt que de se limiter à une approche binaire quelque peu simpliste, il faudrait expliquer pourquoi, de façon totalement incohérente, des caricatures ou propos qui contreviennent à l’évidence aux termes mêmes de la loi française concernant la liberté d’expression ne sont pas sanctionnées dans certains cas (Houellebecq, Charlie, etc.), alors qu’ils le sont légitimement dans d’autres (Boutin, etc.).
Or, cela n’est jamais fait. Ce n’est pas prévu dans le « corpus », tant la force de l’habitus est considérable, y compris dans l’Éducation Nationale. Et c’est bien pourquoi, manquant d’une réflexion construite et d’instruments pédagogiques à la hauteur, les enseignants sont en fait démunis et désarmés pour envisager le problème dans ses dimensions complexes, et sont les victimes, comme vous et moi, de cet habitus qui nous conditionne encore, alors que la première urgence serait de le dénoncer et de le démonter pour qu’enfin une laïcité pacifiante et respectueuse puisse voir le jour. Pourquoi ne pas utiliser dans ce but des études d’historiens reconnus comme Alain Ruscio mentionné plus haut, Jean Baubérot, ou encore le texte d’Olivier Cyran faisant l’historique de quelques dérives de Charlie, plutôt que de restreindre les supports à quelques documents ambigus considérés comme parole d’Évangile ?
N’oublions pas que parmi les partisans actuellement les plus intransigeants de ce qu’ils nomment « laïcité », on trouve une extrême droite qui l’instrumentalise à sens unique contre les musulmans.
Ainsi, pour « Riposte Laïque » la bien nommée, Gregorius Neckschot, grand copain de Charlie comme nous l’avons vu, devient le héraut persécuté de la liberté d’expression.
Bel exemple qui montre comment, à défaut d’une approche critique, elle peut être instrumentalisée au service de causes plus que douteuses.
Il ne suffit donc pas de s’en réclamer dans l’abstrait. Encore faut-il être vigilants et conscients que, dans le monde complexe qui est le nôtre, elle peut véhiculer bien des ambiguïtés dont nous sommes parfois les victimes.
Il ne faut cependant pas être naïf : cette vigilance ne résoudra pas les problèmes pour autant. Nombre des musulmans ou non musulmans critiques de l’islamisme d’une façon intelligente et informée ont perdu la vie pour cela, tel Muhammad Mahmoud Taha exécuté par les intégristes au Soudan du fait de ses positions critiques concernant leur simplisme herméneutique, etc. etc. etc.
Ajout du 23/10 : Ne nous illusionnons donc pas : de telles clarifications indispensables n’entameront en rien la détermination des assassins extrémistes prompts à utiliser tous les prétextes possibles. Mais le fait que le réel caractère insultant et discriminatoire de certains discours ou caricatures soit officiellement reconnu comme tel devant l’opinion et la justice constituera pour beaucoup de jeunes musulmans en particulier une incitation puissante à se détourner des discours de recruteurs qui reposent essentiellement sur la dénonciation de la stigmatisation, de l’humiliation et de l’injustice – souvent avérées, donc – qu’ils subissent de la part des كفار , des kuffar (non-musulmans).
Pour ma part, le combat pour la liberté d’expression, comme pour une laïcité digne et digne de ce nom me semble être aussi une question d’honneur. Il n’est pas indépendant des moyens qu’on emploie pour les défendre.
Un spécialiste du monde anglo-saxon (son nom m’échappe pour le moment) expliquait que si les anglais n’ont pas publié ou peu les caricatures de Mahomet, ce n’est absolument pas par peur, comme voudraient le faire croire des français fiers de leur « courage » cocoricotesque.
C’est simplement parce que chez eux, le respect de la « common decency » à laquelle vous faites allusion, base de la convivence sociale, prime sur le sensationnalisme populiste et délétère de la grossièreté facile et méprisante.
Question d’habitus peut-être. Mais celui-ci-en vaut bien un autre.
Cordialement à vous. Avec tout mon respect. desideriusminimus
Enfin une parole claire sur un sujet évoqué dans mes posts précédents : Volodymyr Zelensky s’exprime à l’Assemblée générale de l’ONU et appelle l’organisation à priver la Russie de son droit de veto.
La présidence tournante du Conseil de Sécurité de l’ONU est assurée ce mois de septembre par la France.
Alors même que notre Nation affirme soutenir la réforme des Nations unies engagée par son Secrétaire général, António Guterres, et qu’en son temps Laurent Fabius avait proposé un strict encadrement du recours au droit de veto en cas de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre de masse – qui relèvent désormais d’une incontestable évidence dans le cas de l’agression scélérate contre l’Ukraine – , l’occasion ne se présenterait-elle pas de passer des pieuses déclarations aux actes, en incluant une telle réforme dans le nouveau train de sanctions annoncé en réponse aux agissements inqualifiables de Vladimir Poutine ?
La demande expresse en est formulée par le président ukrainien, l’opinion publique mondiale y serait sans doute favorable, ainsi que la majorité des États membres.
Rarement l’alignement des planètes s’est montré aussi favorable.
Faudra-t-il une fois de plus laisser passer une telle opportunité et laisser l’ONU confirmer son discrédit de façon irrémédiable en s’enferrant dans une impuissance coupable, alors qu’une telle institution aurait pu être porteuse de tant d’espoir pour l’humanité ?
Mais l’agression russe et les « referendums » fantoches qu’elle suscite en ce moment me semble soulever une autre question qui demande à être précisée, sous peine de donner lieu à de graves équivoques qui ne manqueraient pas d’être exploitées de façon malveillante.
Il s’agit de la question du droit à l’autodétermination des peuples.
Je n’ai jamais caché mon engagement en faveur de ce droit démocratique à l’occasion de posts concernant aussi bien le Tibet que la Catalogne, l’Écosse que la Kanaky (voir Étiquette « Peuples minorisés »).
Cela devrait-il donc m’inciter à considérer comme légitime le processus initié sous l’instigation de Poutine dans les régions du Donbass ?
Il n’est pourtant que trop clair que nous nous trouvons dans ce cas face à une procédure « d’autodétermination » radicalement dévoyée.
Le grec αὐτός, autós – « même » au sens de moi-même, lui ou elle-même, etc. – se réfère à une autonomie dans une décision, une détermination qui vient de « soi-même ».
Or peut-on voir une quelconque « autonomie » dans une décision prescrite de façon « hétéronome » [en grec se rapportant à la loi –νόμος- nomos- qui vient d’un autre – ἑτέρως – heteros] avec « l’assistance » des armes de quelque « grand frère » « autre » qui ne rêve que d’annexion impérialiste?
Sans doute y a-t-il eu carence de la part des gouvernements de Kiev dans le fait de ne pas accorder plus d’autonomie, et pourquoi pas la perspective d’une éventuelle future autodétermination démocratique, aux minorités russophones sur le territoire ukrainien.
Mais cela ne justifie en rien la colonisation autoritaire de ces régions.
Il relève du Droit des peuples que le Tibet accède un jour à son indépendance. Mais celle-ci ne lui sera pas imposée, en pure contradiction dans les termes, à la faveur de quelque invasion du « grand frère » Indien.
Les écossais ne seront pas non plus libérés de l’emprise anglaise par l’armée irlandaise, sous prétexte que celle-ci serait l’émanation du « grand frère » gaélique.
Etc. etc.
L’émancipation patriotique de peuples minorisés par les nationalistes qui les ont asservis ne peut se faire que de l’intérieur, par un processus démocratique qui se fonde sur la prise de conscience d’un peuple se reconnaissant et s’affirmant dans la constitution d’une communauté.
La pseudo-« autodétermination » poutinienne du Donbass et des provinces de l’est de l’Ukraine ne sera jamais que l’exportation violente de ce nationalisme délétère qui, dans son délire de domination, anéantit tragiquement la richesse du peuple russe que nous aimons.
Celui qui, nous l’espérons, commence à relever la tête.
La moindre expérience de l’enseignement démontre que lorsqu’un élève décide de ne pas respecter le règlement intérieur dont il a connaissance, qu’il agresse violemment ses camarades sans tenir compte des avertissements et des tentatives de conciliation, la solution doit être son exclusion, temporaire ou définitive en fonction de la gravité des faits.
Cela constitue la seule façon de garantir les bonnes conditions de l’enseignement.
Dès lors, comment accepter que ces règles de bon sens qui régissent l’éducation puissent ne pas s’appliquer à la Communauté des Nations ?
Comme je l’avais expliqué dans mon post précédent, le maintien de la Russie au Conseil de Sécurité des Nations Unies constitue dans les conditions actuelles une scandaleuse incohérence, puisque la fonction de celui-ci est expressément, comme l’affirme la Charte, d’assumer « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale ».
Comment donc concevoir que le mauvais élève de la classe, en l’occurrence un État-voyou violant sciemment et de façon répétée le Droit International, puisse faire la loi dans une Institution alors qu’il devrait en être de toute évidence et de toute urgence exclu ?
Le maintien de tels élèves dans la classe constitue une démission et un grave camouflet qui grève profondément la crédibilité (si tant est qu’elle en ait encore…) de l’Institution tout entière.
Et que dire de l’exemple donné et de la contagion assurée, puisque le mépris du règlement ne fait l’objet d’aucune sanction de la part des autorités compétentes. « Surtout pas de vagues », entend-on hélas à l’envi comme on le sait dans les milieux de l’Éducation Nationale.
Le précédent de l’élève Russie, ne manquera pas ainsi de faire le profit de l’élève Chine, puis de l’élève Corée du Nord, en attendant la suite.
Surtout si les lâchetés et démissions se répètent avec une fréquence impressionnante.
Car six mois après le début d’une guerre scélérate qui a donc manifesté l’impuissance du Conseil de Sécurité, voilà que la Russie remet le couvert en s’opposant à l’adoption du texte sur la non-prolifération nucléaire.
Sans qu’ait été proférée, une fois de plus, la moindre menace d’exclusion ou d’invalidation de son avis en raison de son casier judiciaire plus que chargé qui devrait amplement justifier l’impossibilité de participation à un quelconque jury.
On pourra certes dénoncer avec raison dans ce genre de textes les pures déclarations d’intention, mais l’impact symbolique est néanmoins significatif : « Vous êtes peut-être 190 à être d’accord, mais n’oubliez pas que c’est moi, et moi seul, qui fait la Loi. Vous, vous n’avez qu’à la fermer » rappelle à ses camarades qui effectivement la ferment le gros bras de la classe.
Effrayante faillite, présente et à venir, de tout effort géostratégique préoccupé du maintien de la paix dans le monde…
Dans ces conditions, comment ne pas penser que le pire est encore à venir ?
Sa Majesté le Gros Bras aurait été dérangée, dit-il elle, par « certains paragraphes qui sont éhontément politiques » dans la déclaration finale, en l’occurrence ceux concernant la centrale de Zaporijia.
Car sans doute une guerre d’agression ne relève-t-elle en rien, elle, du politique…
J’avais dans un post précédent proposé une extension de la dissuasion nucléaire aux attaques concernant le nucléaire civil :
N’est-il donc pas grand temps d’inclure les attaques, conventionnelles ou nucléaires, ayant pour but la destruction d’installations nucléaires civiles dans les agressions entraînant d’office une riposte de la même intensité que celle prévue dans le cas d’attaques nucléaires, du fait des dégâts considérables et durables que de telles destructions provoqueraient autant pour les populations proches, pour l’humanité entière que pour l’environnement ?
Le droit de la guerre doit statuer sur ce risque.
Provoquer, quelle que soit la façon, l’explosion d’une centrale nucléaire civile [ajout: ou la dissémination de produits radioactifs pouvant avoir des conséquences tragiques au-delà même des frontières des pays en guerre et interdisant d’accès durant des décennies des territoires entiers] lors d’un conflit n’est-il pas équivalent à l’utilisation d’une bombe atomique ?
Si une théorie de la dissuasion nucléaire a un sens – et jusqu’à ce jour, elle a tout de même évité une guerre atomique, même si son efficacité est bien loin d’être garantie dans la durée […] alors elle doit être étendue à tous les éléments susceptibles de jouer un rôle dans un conflit nucléaire.
Les conditions nouvelles des guerres nouvelles, comme nous le montre ce désastreux conflit en cours, exigent désormais d’inclure d’urgence de nouveaux éléments dans une stratégie de dissuasion et dans le droit de la guerre.
Je ne vois pas de raison de modifier cette approche.
Et, outre la fixation de zones de sécurité inaliénables autour des centrales, sans doute serait-il pertinent et désormais indispensable de la part de l’ONU d’instituer et de mettre sur pied une force internationale d’intervention rapide dans le cas où l’une de ces zones de sécurité se verrait violée, quelle que soit la manière, par un agresseur, quel qu’il soit.
Force d’intervention qui se caractériserait bien sûr, dans sa définition même, par une totale indépendance envers quelque « veto » que ce soit.
Afin que soient enfin respectés la Loi et l’Ordre, et que soit mis un terme aux inadmissibles diktats des pires élèves de la classe.
*
Ajout du 01/09 :
Sur ce personnage essentiel que fut Gorbatchev, je m’étais permis quelques remarques à l’occasion d’un petit commentaire d’un ouvrage de Simon Leys.
Les liens donnés dans ce post sont aussi à consulter.
Ainsi, à la faveur des événements récents, l’antithèse avec Poutine atteint-elle un sommet : alors que Gorbatchev avait pris l’initiative des discussions avec les États Unis sur le désarmement nucléaire, les hommes de main du triste Vladimir refusent de signer l’accord sur la non-prolifération…
Et l’absence de Poutine aux obsèques confirme cette antinomie.
Mais sans doute est-il préférable que la présence du pitoyable despote ne vienne pas salir la mémoire du Grand Homme.
Je suis étonné que cette guerre qui se prolonge en Ukraine ne suscite aucune comparaison avec une autre guerre d’agression.
À la différence decelle-ci, la première guerre du Koweït a provoqué, elle, en effet, des réactions internationales qui ne se sont pas limitées à des sanctions économiques contre l’agresseur ou à des aides militaires en soutien à l’agressé.
En effet, dès le 2 août 1990, date de l’agression du Koweït par Saddam Hussein, le Conseil de Sécurité des Nations Unies vote la résolution 660 constatant le fait d’invasion entraînant un risque pour la paix et la sécurité internationales. L’attaque est condamnée, et le retrait des troupes irakiennes exigé.
Devant le refus d’obtempérer, est votée le 29 novembre 1990 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies la résolution 678 qui légitime le recours à la force, en cas de non évacuation du Koweït à la date du 15 janvier 1991.
Cette résolution ayant été la première depuis la guerre de Corée de 1950 à autoriser un tel recours à la force.
Suite à cette dernière décision, on sait que l’agresseur irakien fut ramené à la raison par une coalition militaire forte de 35 États, dont la France, coalition qui, bien que dirigée par les États Unis, était indépendante de l’OTAN.
Après une importante intervention aérienne et navale, on se souvient que la campagne terrestre fut rapidement stoppée, l’armée irakienne ayant été repoussée hors du Koweït et l’objectif affirmé de la coalition n’étant pas d’envahir l’Irak ni de s’attaquer à sa souveraineté.
Dès lors, on se demande pourquoi une telle stratégie conventionnelle qui s’est révélée victorieuse ne pourrait pas faire tout d’abord l’objet d’une menace, puis être éventuellement mise en œuvre dans le cas de l’invasion russe perpétrée contre l’Ukraine.
Car en dépit du courage de ses citoyens, il paraît difficile que cette dernière puisse gagner la guerre que la Russie lui a imposée sans un engagement plus effectif des pays qui la soutiennent.
Et si tant est qu’on reconnaît le droit d’ingérence, ce qui est tacitement le cas puisque de nombreux États participent au soutien militaire de l’Ukraine, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout dans la volonté de faire respecter le droit international, comme ce fut le cas pour la guerre du Koweït, sans même faire intervenir les forces de l’OTAN ?
Dans un cas comme dans l’autre, il y a effectivement agression, invasion, et grave risque pour la paix et la sécurité internationales.
On dira bien sûr que les circonstances sont différentes, et que si l’URSS finissante n’a pas opposé son veto au Conseil de Sécurité de l’ONU en 1990, la Russie de Poutine, sans doute appuyée par la Chine de Xi Jinping ne manquerait pas de le faire en 2022, paralysant toute possibilité d’intervention. [ajout du 05/07 : En dépit de la déclaration du président Zelensky affirmant que « Le droit de veto russe est un droit de tuer », l’Assemblée Générale de l’ONU confrontée au veto de la Russie à une résolution exigeant le retrait de ses forces militaires, s’est contentée le 7 avril de la suspendre du Conseil des Droits de l’Homme].
Mais si le Conseil de Sécurité se définit, selon la Charte des Nations Unies par « la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale », et s’il est compétent « pour constater l’existence d’une menace contre la paix ou d’un acte d’agression », il serait grand temps de faire cesser l’hypocrisie de cette situation ubuesque autant que déshonorante pour une institution internationale, qui voit un État délibérément agresseur et fauteur de guerre revendiquer le droit de veto contre une condamnation de l’agression dont il est lui-même l’auteur.
Les événements actuels pourraient justement être l’occasion d’un positionnement enfin clair privant temporairement de droit de veto tout initiateur d’une guerre d’agression, permettant ainsi de corriger une incohérence aberrante, qui risque de devenir insoutenable étant donnée l’évolution de la situation géopolitique. La Russie et la Chine, ou d’autres éventuellement – nul n’est maître de l’Histoire … – pourront-ils indéfiniment échapper aux ripostes, du fait de leur statut de membres permanents du Conseil de Sécurité ?
Sur cette question-là aussi se joue l’avenir d’un équilibre géopolitique viable à long terme.
À ce sujet, saluons l’initiative du G8, qui a joué un rôle de précurseur et donné l’exemple en devenant G7 par l’éviction justifiée de la Russie en 2014 suite à l’annexion de la Crimée.
Bien sûr, les objectifs d’une intervention devraient être strictement déterminés et officiellement arrêtés, comme ce fut le cas pour la guerre de 1990, afin de ne pas menacer directement l’intégrité de l’État russe.
Mais outre l’incohérence évoquée liée au fonctionnement actuel du droit de veto, somme toute aisément surmontable par un légitime coup de force administratif, qu’est-ce donc qui semble devoir interdire une résolution de ce type, dont on peut présumer qu’à la différence de la désastreuse deuxième guerre d’Irak, elle eut des répercussions positives sur l’équilibre d’ensemble du Moyen Orient ?
Est-ce la possession de l’arme atomique et la menace de son utilisation qui suffiraient à enterrer le droit international ?
Ce serait là une défaite inqualifiable.
Certes, la question est pour le moins délicate.
Mais le danger que fait peser une telle démission devant la puissance nucléaire dessine d’ores et déjà la configuration stratégique qui pourrait être celle de notre monde à venir : d’un côté un monde d’ambitions et d’agressions illimitées, au mépris de tout droit ; de l’autre un monde où la seule réponse serait une succession de capitulations munichiennes face à l’épouvantail nucléaire.
Un tel danger n’est-il pas suffisamment grave pour faire l’objet d’une réflexion et d’une réponse plus appropriée ?
Comme cela aurait pu être le cas s’il n’y avait eu les reculades successives que l’on sait concernant les « lignes rouges » lors de la guerre de Syrie, une détermination plus affirmée de la part de ceux qui défendent le Droit ne pourrait-elle refroidir les rodomontades de ceux qui se croient désormais tout permis du fait de la quasi-certitude des démissions de la part du monde démocratique qu’entraînent des actions brutales menées dans le mépris du droit international ?
Déjà les lignes rouges des crimes de guerre et crimes contre l’humanité sont allègrement franchies en Ukraine, et l’utilisation des bombes thermobariques, bombes au phosphore et autres bombes incendiaires est à l’extrême limite du droit de guerre.
Arguant de son épouvantail nucléaire, la Russie devient désormais coutumière du fait, en attendant la Chine et autres Corée du Nord ou Pakistan.
Les atermoiements du monde Occidental face aux provocations réitérées de l’ogre russe constituent sans aucun doute des précédents observés avec attention par des Chinois qui lorgnent avec convoitise vers Taïwan et d’autres îles du Pacifique.
Certes, les risques de guerres nucléaires sont désormais loin d’être négligeables. Il faut en convenir.
Mais on ne peut exclure que des États et régimes qui manifestent à la face du monde leur mépris du droit international et du droit des peuples soient encore sensibles, au-delà du spectre d’une guerre atomique dont ils seraient aussi victimes s’ils passaient du bluff à la réalité, à la menace d’une guerre conventionnelle, si celle-ci est affirmée sans faiblesse ; que l’usage de la force suscite tout de même en eux quelque capacité de réflexion qui les amène à renoncer à leurs projets avant de déclencher la catastrophe.
La tâche est difficile, mais elle est au cœur d’un enjeu dont il serait dangereux de sous-estimer l’importance.
Comme le suggère Sylvie Kauffmann, un « point de non-retour » est désormais atteint.
L’agression russe de l’Ukraine suppose effectivement un radical « changement de paradigme ».
Pour Mario Draghi, « si l’Ukraine perd, il sera plus difficile de maintenir que la démocratie est un modèle de gouvernement efficace ». Cette remarque du premier ministre italien au G7 résume parfaitement le défi posé par la guerre de Poutine : laisser gagner la Russie, régime dictatorial auteur de l’agression, serait le plus terrible des renoncements pour les démocraties européennes, au moment où le « soft power » occidental pâlit dans le reste du monde.
Soit donc nous laissons faire, reculant pour mieux ne pas sauter, et nous préparant à une nouvelle succession de démissions.
Vainement. Car devant notre impuissance, la prochaine étape pourrait être l’agression cette fois d’un pays de l’Otan, auquel cas la même question se représentera avec plus d’acuité :
« Fait-on la guerre, ou ne la fait-on pas ? »
La réponse risquant fort d’être la même.
Soit nous décidons de faire face.
Car si nous nous en tenons à la crainte de l’épouvantail nucléaire, on ne voit pas pourquoi on devrait faire l’économie d’un Munich supplémentaire qui ne fera qu’en cacher un autre et un autre encore : Estonie, Lettonie, en attendant Taïwan ou quelques îles Kouriles.
Façon bien illusoire d’éviter la guerre, que de donner un blanc-seing à ceux qui la fomentent !
La balle est donc dans le camp de l’Occident : moyennant quelques légers aménagements administratifs des règles de l’Onu, il nous est encore possible de taper du poing sur la table et de signifier qu’en dépit de toutes ses imperfections, un monde tout de même démocratique est encore en mesure de défendre son modèle et son Droit, y compris au risque de la guerre nucléaire.
On pense bien sûr à la phrase attribuée à Churchill : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre ».
Mais, soyons en conscients, l’honneur qu’une défaite de l’Ukraine nous ferait perdre, ce serait avant tout celui de notre Liberté.
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Ajout du 06/07:
À propos de l’indispensable et urgente réforme du droit de veto au Conseil de Sécurité des Nations Unies, quelques articles déjà cités dans un post précédent :
Un article dont le titre suffisamment explicite devrait entraîner les conclusions qui s’imposent pour ce qui concerne le statut de la Russie comme membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU :
Un événement qui souligne l’urgence de ce « coup de force » bien anodin et simple à mettre en œuvre, qui permettrait pourtant au Conseil de Sécurité de mériter son nom et de sauver son honneur en sortant de sa paralysie et de son impuissance coupable :
Une fois de plus, le scandale de l’imposition du droit de veto par un « État-voyou » et l’indigne fatalisme d’une ONU incapable de réformer ses propres incohérences fait peser de graves menaces sur la situation humanitaire de millions de personnes, les réfugiés d’Idleb en l’occurrence.
Jusques à quand le monde démocratique devra-t-il tolérer, en se privant lui-même des moyens de réagir, les diktats de tyrans ayant déjà largement donné la preuve de leur barbarie ?
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Et des observations pleines de discernement dans cet article :
Sur la conduite de la guerre, le vrai réaliste comprendrait que réduire le soutien aux forces ukrainiennes prétendument pour les pousser à accepter un cessez-le-feu et donc arrêter la guerre (une intention louable) aurait l’effet exactement inverse. Si Poutine gagne – ou a le sentiment de gagner, car la victoire est affaire de perception –, il ne s’arrêtera pas là. Il utilisera les négociations pour gagner du temps, regrouper ses forces et accomplir ce qui reste son objectif : faire tomber le président Zelensky et prendre le contrôle de la totalité du pays. S’il est en confiance, il pourrait même aller au-delà des frontières ukrainiennes.
(…)
Être réaliste, c’est croire au rapport de force et à la dissuasion. C’est aussi ne pas commettre la même erreur deux fois : les faux réalistes devraient se souvenir que, jusqu’au 24 février dernier, ils juraient leurs grands dieux que jamais Poutine n’envahirait l’Ukraine – ou plutôt ne lancerait d’offensive majeure, puisque le fait est qu’il l’avait déjà envahie depuis 2014. Les mêmes promettent aujourd’hui que jamais il n’ira plus loin…
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Ajout du 11/07 :
Concernant le droit de la guerre, ce bel article de Laurence Devillairs :