De la retraite, et de Russie.

« Et un témoignage supplémentaire de ton pessimisme invétéré », me dit Stultitia.

Soit. Je le concède.

Et pourtant…

Je n’ai rien contre les débats et manifestations actuelles concernant la question des retraites. Bien au contraire. Même si j’aurais souhaité qu’un problème aussi complexe fût traitée de part et d’autre avec plus de prudence, de rigueur et de maturité. D’où qu’elles viennent, les simplifications et gesticulations grotesques ne vont pas dans le sens d’une réhabilitation du politique.

Mais voilà : pour la première fois depuis 1945, nous avons la guerre à nos portes.

Une guerre d’agression et dite « de haute intensité », menée par un régime à l’évidence dictatorial, en dépit des dénégations fort heureusement de moins en moins nombreuses, en France et en Europe, de quelques zélateurs d’une ahurissante naïveté, ou, ce qui est plus grave, d’une complicité tacite ou revendiquée.

En effet, comment qualifier autrement que de dictatorial ou fasciste un régime qui se permet d’assassiner des dizaines de milliers de civils, qui considère des centaines de milliers de ses propres concitoyens comme négligeable chair à canon, qui en emprisonne des milliers d’autres à la moindre rébellion, qui pratique le mensonge institutionnalisé, recrute à son service des mafias sanguinaires et s’allie aux régimes les plus barbares de notre XXIème siècle ?

Car il n’y a rien d’étonnant à ce que la dictature de Poutine fricote avec l’Iran, la Syrie de Bachar al Assad, la Corée du Nord, la Chine, la Biélorussie, etc.

Qui se ressemble s’assemble, tout simplement.

Et un tel rapprochement manifeste sans équivoque combien, en dépit de tout ce qu’il est légitime de reprocher à notre monde « occidental », le projet alternatif mené par la Russie, la Chine, l’Iran et leurs complices recèle de danger.

Or, nous le savons, nous le voyons, les capacités de tels régimes totalitaires à mener des guerres de haute intensité sont autrement considérables que celles des nations démocratiques.

Car pour les premiers, reconvertir rapidement une économie classique en économie de guerre se fait par un trait de plume. Aucune crainte de manifestations syndicales ou ouvrières. En un rien de temps, des colonnes de chars, de canons et de drones, des tonnes de munitions peuvent ainsi sortir des usines.

La mobilisation de centaines de milliers d’hommes se fait d’un claquement de doigts. Et les quelques inconscients qui auraient le courage de s’y opposer n’ont d’autres perspectives que celles de la détention ou de l’exil.

Vider les prisons des criminels les plus dangereux et les envoyer exercer leurs talents sur le front ne pose aucun problème éthique particulier dans un univers ou ce terme est réduit à sa plus simple expression.

Fort heureusement certes, ce type de fonctionnement est exclu de nos sociétés encore démocratiques.

Le passage à une économie de guerre ne pourrait s’y faire en un tournemain, sans susciter des résistances patronales et syndicales aux oukases du tsar.

Une large mobilisation militaire ne pourrait non plus se concevoir sans susciter une résistance acharnée.

Mais, on s’en rend compte, les caractéristiques qui font l’honneur et la dignité de nos démocraties sont aussi la cause de ses faiblesses.

État de droit, droits de l’Homme, égalité de tous, respect des genres, des orientations sexuelles, etc. tous ces termes sont ostensiblement méprisés par les émules des divers despotes qui y voient d’inadmissibles germes de décadence et de fragilité.

C’est le confort de l’homme occidental – indéniable en dépit des crises, de l’inflation, etc. – qui lui permet de placer au rang de ses préoccupations majeures et des politiques qu’il attend de ses gouvernants la défense de son pouvoir d’achat, de ses loisirs et de sa retraite. Tout cela s’accorde difficilement avec l’exaltation des valeurs viriles et guerrières qu’un Poutine se plait à exhiber à la moindre occasion.

Alors une question essentielle se pose, à laquelle je n’ai pas de réponse.

Et si les choses tournaient mal ? Si la collusion des régimes totalitaires que nous observons sous nos yeux parvenait à dépasser, par ses capacités guerrières, la production d’armes que des décennies d’insouciance occidentale ont réduite au minimum, à provoquer un recrutement massif de chair à canon tel que nos armées sous dimensionnées ne puissent le contenir, que se passerait-il ?

Quel serait alors notre avenir ?

Trouverions nous les ressources suffisantes, morales, humaines et matérielles, pour résister, comme le font pour le moment nos frères et sœurs ukrainiens qui se trouvent en première ligne pour défendre notre liberté ?

N’est-il pas dès lors indispensable d’oser certains arbitrages politiques fort peu démagogiques, en ce qui concerne en particulier les choix budgétaires, aux antipodes de nos aspirations pépères et insouciantes de routiniers de la facilité, aspirations certes légitimes en temps de paix, mais qui risquent de ne pas peser lourd pour peu qu’une nouvelle réalité s’annonce ?

Je n’ai pas la réponse. Mais j’estime que la question nécessiterait de la part d’une démocratie une réflexion urgente et approfondie.

En ce qui me concerne, peut-être suis-je et ai-je été effectivement trop pessimiste dans ma vision du monde.

C’est bien ce qu’on me disait lorsque je lisais Rachel Carson, René Dumont, ou encore Dennis Meadows qui, dès les années soixante ou soixante-dix nous mettaient en garde contre l’écroulement de la biodiversité, la crise des énergies fossiles ou les bouleversements écologiques liés à notre société productiviste.

Peut-être aurais-je dû plutôt continuer à fréquenter les innombrables prophètes des lendemains qui chantent qui fleurissaient dans nos « trente glorieuses ».

Qui sait ?

Car ce sont bien eux qui ont gagné et continuent à abreuver nos sociétés de l’optimisme d’une « croissance », verte ou pas, d’une augmentation du « pouvoir d’achat », des retraites et du « niveau de vie ».

Au lieu de les dénoncer, peut-être aurais-je dû de même acquiescer aux discours lénifiants de celles et ceux qui, de l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par le centre, courtisaient le Grand Frère Russe en estimant que, dans sa Grande Bienveillance (et ses non moins grandes réserves de pétrole et de gaz…), il était radicalement incapable de toute attitude agressive.

N’ai-je donc pas péché encore par trop de catastrophisme ?

Car eux aussi ont gagné, au point qu’on les retrouve comme si de rien n’était à la tête de nos partis politiques ou sur les bancs de nos Assemblées.

De quel droit moi, le looser, le Cassandre, puis-je une fois de plus promettre du sang et des larmes ?

La défaite du nazisme, la construction de l’Europe, la chute du Mur, tout cela ne signifie-t-il pas la marche optimiste vers un avenir pacifique et démocratique ?

Que nous effrayez-vous donc avec des bruits de bottes ?

Pourquoi tant de méfiance sur l’avenir ?

Et si, pourtant…

Encore une mauvaise pensée pour terminer :

Les « poilus » de 14-18 pensaient bien qu’ils s’étaient battus pour la « der des der » et que cette victoire justifiait l’insouciance des Années Folles.

Nous connaissons la suite.

Car un regard, même le plus superficiel, sur l’Histoire montre suffisamment que les guerres jalonnent de façon incoercible la totalité de l’aventure humaine. Y compris en Europe au XXIème siècle, elles peuvent donc à tout moment se rapprocher de chez nous même si nous ne parvenons pas à envisager la remise en question de notre confort.

La « der des der » reste, encore et toujours, à venir.

Alors, pessimiste ?

Je l’espère.

Et si, pourtant…  

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s