J’avais déjà évoqué, à propos de ce que le vieux Sigmund nommait Wiederholungszwang, certaines répétitions compulsives de l’identique, manifestes en bien des attitudes dogmatiques de l’Église catholique :
Et la géniale illustration qu’en donna un jour Fernand Raynaud reste bien sûr inégalable.
http://www.ina.fr/video/I05133720
Mais Stultitia ne résiste pas au plaisir de me rappeler ce concept à propos d’un leitmotiv actuellement omniprésent dans les medias, et relevant d’une autre dogmatique, celui du « retour de la croissance ».
Étant bien peu économiste, il n’est aucunement dans mon intention de mettre en question un tel « retour », même si les signes en paraissent encore bien fragiles, au dire des spécialistes.
Je voudrais plutôt, une fois de plus, m’attacher à réfléchir à quelques défauts de cohérence, qui, une fois de plus, relèvent d’habitus de pensée tellement caractéristiques de notre schizophrénie habituelle qu’ils passent la plupart du temps inaperçus.
Car voyons : d’après les opinions consensuelles des mêmes spécialistes, par ailleurs fort compétents et dont je ne mets pas en cause la pertinence dans le cadre d’une approche économique « classique »
(cf. par ex.)
https://www.france.tv/france-5/c-dans-l-air/229083-l-economie-repart-merci-hollande-ou-macron.html
https://www.france.tv/france-5/c-dans-l-air/227015-loi-travail-ultimes-negociations.html
etc.
le dit « retour » serait dû essentiellement à des facteurs conjoncturels, parmi lesquels, en premier lieu, le faible coût du pétrole. Et la dite « croissance » se manifesterait en particulier par une reprise au niveau du secteur automobile (Renault est désormais le premier constructeur mondial. Cocorico…).
Alors on se demande tout de même un peu de quoi on parle.
Puisqu’au sein même de ce gouvernement, certains nous disent – fort logiquement et écologiquement – qu’on doit apprendre d’urgence à se passer de pétrole, et donc à se passer à brève échéance de l’automobile classique en tant que gouffre à pétrole
…
« en même temps » qu’au sein du même gouvernement d’autres se félicitent du retour d’une « croissance » fondée sur la possibilité de continuer à gaspiller à bas prix le précieux or noir, et à vendre partout dans le monde (Renault faisant un tabac en Chine) nos automobiles à pétrole.
Bien sûr, on dira que l’automobile va désormais devenir électrique, c’est-à-dire qu’elle roulera encore pour longtemps au charbon ou au gaz, comme en Allemagne ou en Chine, ou à l’énergie nucléaire comme en France, etc.
Les promesses d’une automobile éolienne et/ou solaire ou à gazogène étant encore très loin d’être réalistes et relevant plutôt de « l’usine à gaz ».
Cf. par ex :
Sans parler de l’extrême nuisance écologique de millions de tonnes de batteries lorsque quelques milliards supplémentaires d’occidentaux, d’indiens, de chinois, d’africains, feront rouler quelques milliards de voitures « propres » pour le plus grand bonheur de la « croissance » made in Renault.…
Le problème étant, une fois de plus (« je sais bien, on se répète », me dit Stultitia…) qu’un gouvernement, pour lequel j’ai tout de même voté du fait de l’inconsistance d’une réelle alternative ou de la dangerosité d’autres propositions (cf. quelques posts précédents), en dépit d’un look séducteur de jeunesse et de renouvellement, demeure prisonnier de la vision archaïque mais hélas mondialisée d’un monde croissant (« avec deux croissants, vous dis-je ! »), et du fantasme absurde mais rassurant d’une croissance illimitée dans un monde dont nous percevons sans cesse mieux les limites.
« Mais les limites, ce n’est pas pour nous ! Le déluge ? Après nous ! Et d’ailleurs après qu’on ait gratté les fonds de tiroirs, la « croissance verte » et « l’économie circulaire » remédieront à tout ça ! »
« Allons donc, garçon ! Avec deux croissants ! Et verts, bien entendu ! »
Je l’admets, l’ironie est sans doute facile quand il faut bien promettre une baisse du chômage et une augmentation du niveau de vie et des retraites, comme se croit obligé de le faire tout politique.
Mais peut-être certains pourraient-ils tout de même profiter de leur jeunesse pour commencer (avec tellement, tellement de retard !) à faire prendre conscience qu’il faudrait un peu sortir du Wiederholungszwang de l’exigence compulsive permanente de croissants…
Ou alors, pour être cohérents avec leur incantation à la « croissance », qu’ils relèvent le défi de nous démontrer rigoureusement que les prévisions du rapport Meadows-Turner – qui rappelons-le, n’ont jusqu’ici jamais été prises en faute – sont erronées.
Car 2030 s’approche !
Mais l’entreprise paraît largement hors de portée de politiques et d’économistes dont la profession semble exiger qu’ils gardent le nez dans le guidon.
« Et deux croissants ! Deux ! ».
Bonjour Désidérius,
Ton alerte est juste, nécessaire et à relayer. Oui, il y a urgence. Non, nos politique ne sont pas à la hauteur des enjeux.
« Ce que je possède, consomme, vit, doit pouvoir – s’ils le désirent – être possédé, consommé, vécu par l’ensemble des humains, sans mettre en péril l’avenir de notre planète ».
Voilà comment je résume l’un des enjeux.
Dit autrement, ce qui est à inventer, c’est un développement qui réponde au moins à deux critères :
– être soutenable pour notre planète,
– réduire les inégalités locales, nationales et internationales.
Pour ma part, avant les élections présidentielles, pour faire mon choix, j’ai lu les différents programmes proposés.
Je n’ai pas vu dans celui de notre actuel président, des éléments qui allaient dans le sens de cette urgence. C’est l’une des raisons pour lesquelles je ne lui ai pas donné mon suffrage au 1er tour des présidentielles, pas plus que je ne l’ai donné à son représentant aux législatives.
J’ai l’impression d’une nouveauté. Jusqu’à présent, « évolution » était synonyme de « progrès ».
Nous sommes maintenant obligé de nous interroger sur les conséquences de nos évolutions ( on rejoint notre précédent débat sur la PMA?).
Non, nos « évolutions » ne sont pas forcément toutes des « progrès ». Notre « âme » doit grandir, si possible plus vite que notre intellect.
Parce que de « gré ou de force » notre monde va changer (cf le graphique de ton article).
Si nous laissons la « force » opérer cela augure de bien sombres moments ( les phénomènes migratoires en sont-ils les prémisses?).
C’est donc bien le « gré » qu’il faut chercher.
D’où l’utilité de ton alerte…
Amicalement,
Thierry
Bonsoir Thierry,
Je suis bien sûr d’accord avec le fond de tes remarques.
Pour ma part, la publication des ordonnances et l’essentiel des réactions auxquelles elles ont donné lieu me confirme dans l’opinion que j’avais exprimée dans mes posts du 28 avril et 23 mai derniers.
Nous avons affaire, me semble-t-il, à une approche de type social-démocrate ou « social-libérale » d’inspiration scandinave, et ayant désormais un aperçu du volet « flexibilité », il faut attendre le volet « sécurité » pour avoir un jugement plus complet.
Hormis quelques bourdes plutôt stupides (question des Apl, évaluation des emplois aidés, etc.), et même si on peut penser que la perspective n’a pas de quoi enthousiasmer les foules, il n’y a pas non plus de quoi fouetter un chat. Et les outrances de langage d’une certaine opposition « pavlovienne » sont une fois de plus totalement inappropriées par rapport à la réalité de ce qui est présenté.
Dommage que ceux qui se présentent comme la « seule opposition ferme » (cf. Bastien Lachaud) se discréditent dans un genre de discours où le populisme l’emporte sur la rigueur de l’analyse ; surtout de la part de mouvements qui continuent à se référer à des modèles qui ne brillent ni par leurs orientations économiques, ni par leur respect de la démocratie.
L’impossibilité de se distancier « d’amis » prônant des systèmes politiques et économiques bâtis sur la rente et l’assistanat, avant de manifester de nettes orientations dictatoriales ne fait certes pas honneur à la clairvoyance de ceux qui prétendent représenter l’opposition, ni à la crédibilité de ce qui est proposé…
Car entre les insuffisances et défauts inévitables des systèmes « à la scandinave » et les vieilles mythologies staliniennes à peine rafraîchies, il n’y a tout de même pas photo, en dépit des talents vocifératoires de tribuns habiles à manipuler et à séduire…
L’accueil positif des ordonnances de la part des PME (qui représentent tout de même, faut-il encore le rappeler, 99,9% de l’entreprise française et 50% de l’emploi salarié
https://www.economie.gouv.fr/cedef/chiffres-cles-des-pme )
me paraît en particulier important à prendre en compte pour ce qui est de l’avenir immédiat.
Bien sûr, la vigilance reste de mise afin que la réduction des inégalités à laquelle je suis attaché tout comme toi ne se dilue pas dans l’incantation à la compétitivité et à la rentabilité.
À suivre donc…
Mais ce qui m’interroge plus profondément dans l’approche politico-économique du gouvernement, c’est un aspect que je qualifierais de tragique et de pathétique.
Aspect auquel nous sommes tous confrontés, parce qu’il caractérise notre réalité contemporaine.
Je pense que beaucoup, dans ce gouvernement comme dans une opposition sérieuse et constructive, sont attachés à sortir l’économie de ses ornières, à lutter contre le chômage en revivifiant l’entreprise, en restaurant des conditions favorables à l’emploi et à l’investissement, etc.
Et je crois que, nous tous, parce que nous les expérimentons nous-mêmes ou que nous connaissons nombre de personnes qui expérimentent les difficultés de notre situation économique, nous ne pouvons pas rester insensibles devant ce qui nous apparaît comme une urgence et une nécessité.
Or, le problème est que, depuis des lustres et malgré toutes les promesses de « renouveau », ces urgences et ces nécessités ne semblent pouvoir être abordées, même par les mieux intentionnés, que dans le cadre d’une « dogmatique de la croissance ».
« On s’en sortira par la croissance ! Bravo ! La croissance revient », etc. (cf. donc les croissants de Fernand Raynaud).
Et la notion même – terriblement ambigüe et sans doute dangereuse – de « croissance verte », n’échappe pas à cette dogmatique.
Or, c’est bien cette « pensée unique » partagée à droite comme à gauche, au centre comme par les « écolos » (cf. mes allusions aux « usines à gaz » dans un post précédent), etc. qu’il faut désormais briser de façon radicale si on ne veut pas continuer à aller dans le mur.
Mais le logiciel manque en grande partie pour penser cette déchirante révision. Ou bien plutôt le courage d’envisager ce que doit être un total « changement de paradigme » selon la terminologie de Th. Kuhn.
On est en bonne partie dans l’inconnu, mais pourtant le changement est indispensable, et c’est la première de toutes les urgences.
Je reprends une citation de J.P. Dupuy que j’avais utilisée dans un post précédent :
«Je n’ai encore rien dit de la nature de l’obstacle majeur qui se dresse ici. Admettons que nous soyons certains, ou presque, que la catastrophe est devant nous (…) le problème est que nous ne le croyons pas. Nous ne croyons pas ce que nous savons (…). Nous tenons la catastrophe pour impossible dans le même temps où les données dont nous disposons nous la font tenir pour vraisemblable et même certaine ou quasi certaine (…). Ce n’est pas l’incertitude, scientifique ou non, qui est l’obstacle, c’est l’impossibilité de croire que le pire va arriver (…). Non seulement la peur de la catastrophe à venir n’a aucun effet dissuasif ; non seulement la logique économique continue de progresser comme un rouleau compresseur ; mais aucun apprentissage n’a lieu. La catastrophe n’est pas crédible, tel est l’obstacle majeur. La peur de la catastrophe n’a aucune force dissuasive. L’heuristique de la peur n’est pas une solution toute faite, elle est le problème » ( Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Seuil, Paris 2002, p. 141-144).
J’ai un profond respect pour bien des jeunes que je rencontre, qui débordent d’inventivité et de dynamisme, veulent se lancer dans le monde de l’entreprise, créer des emplois et rêvent de faire un jour aussi bien que Carlos Ghosn. Leur vitalité et leur optimisme me fascinent.
Mais connaissant les conditions de l’écologie, de l’énergie, du climat, de la démographie, etc. comment penser que l’aventure humaine puisse continuer de cette manière comme si de rien n’était ?
Comme le dit J.P. Dupuy, il est terriblement difficile de se remettre en cause.
D’où cette impression de tragique et de pathétique devant la sincérité et l’ampleur des efforts déployés, quand on ne peut que constater qu’ils vont vers l’absurde.
Celui-là même qui fait qu’on applaudit au succès de Renault, au « retour de la croissance », et de ses « bienfaits », comme on redemande des croissants.
Au bord de l’abîme…
Amicalement à toi.
Desiderius
Bonjour Désidérius,
A méditer…
http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2017/09/16/la-destruction-de-l-environnement-est-elle-une-condition-de-la-croissance_5186660_3232.html
Amicalement,
Thierry
Bonsoir Thierry,
Il est en effet bien inquiétant de constater que les réparations des catastrophes « naturelles » (en fait de plus en plus anthropiques), tout comme celles de nos guerres absurdes, contribuent à l’embellissement de notre sacro-saint PIB. Les marchands d’armes le savent depuis longtemps, pour lesquels les conflits sont le meilleur moyen d’incrémenter le chiffre d’affaire. Et bien des entreprises sont sur les rangs pour « profiter » de la reconstruction d’Alep et de Mossoul… Tout comme de celle de St. Barth et de St. Martin.
L’article pointe un aspect bien réel du cynisme habituel d’une certaine conception de la « croissance ».
Comme quoi, comme disait Pénélope (l’autre, la vraie…): « Faire et défaire…. »
Amicalement
Desiderius